Mémoire MJ71K920 - Elegy of the night [Jessica]

5 Octobre 2055 – PARIS : UTC/GMT +1 heure
Jour de la destruction d'Odin

Il était 4h19 lorsque mon téléphone sonna, nous réveillant tous les deux, Jérémy et moi. C'était le numéro de l'hôpital. Je décrochai aussitôt, le cœur au bord des lèvres, les larmes au bord des yeux, avec une irrépressible envie de vomir. L'horreur s'insinuait déjà dans tous les pores de ma peau, glaçant mon corps d'effroi.

Il est mort.

Je plaquai ma main sur ma bouche tandis que Jérémy me frottait doucement le dos pour me réconforter, tournant la tête pour me cacher les larmes qu'il ne parvenait pas lui non plus à contenir.

— Allô ? croassai-je.

Je ne reconnus même pas ma propre voix.

— Madame Chatelier ?

C'était Alice, l'infirmière de nuit de Charlie.

— Oui..., répondis-je, la gorge nouée.

Je ne pouvais parler que par monosyllabes, et seulement dans un souffle, au risque que ma voix ne se brise et que je ne sois même plus capable de prononcer le moindre mot.

— Ne vous inquiétez pas, me rassura-t-elle aussitôt, comprenant ce que je devais être en train d'imaginer. Charlie est bien vivant et il va bien.

Je me calmai un peu, éprouvant néanmoins l'impérieux besoin de pleurer mon soulagement et de comprendre ce qui se passait.

— Il est vivant et il va bien, répéta l'infirmière d'une voix douce et apaisante, pour être sûre que j'étais rassurée.

Alors pourquoi appelait-elle au beau milieu de la nuit, si tout allait bien ? Je n'eus même pas à le lui demander.

— Cela aurait pu attendre le matin, mais vous aviez dit vouloir être prévenue à toute heure du jour ou de la nuit du moindre changement important concernant l'état de Charlie.

— C'est exact, confirmai-je d'une voix incertaine. Qu'y a-t-il ?

— Charlie est sorti du jeu, m'apprit-elle en masquant difficilement sa propre stupéfaction et joie. Il est revenu parmi nous de lui-même et n'est plus l'otage de Valhalla ! C'est un vrai miracle.

Il me fallut un certain temps pour comprendre le sens de ce qu'elle était en train de me dire, le sommeil dont j'avais brusquement été tirée n'aidant pas.

— Il est libre ? répétai-je bêtement.

— Exactement. Nous l'avons débranché de l'ordinateur et de l'Infinity Drive sans complications et ses constantes sont stables. Il est seulement endormi.

— Je peux venir le voir ? murmurai-je aussitôt, n'osant y croire, ma poitrine douloureuse d'un espoir que je croyais mort depuis des années.

Pourtant, je connaissais la réponse à l'avance.

— Non, je suis désolée, s'excusa Alice. Il faudra attendre neuf heures, l'heure des visites. C'était seulement pour vous prévenir. Il est de retour parmi nous et Valhalla ne menace plus sa vie. Il est en sécurité, à présent.

— Merci... Merci, infiniment...

— Je vous en prie, madame Chatelier, répondit-elle, émue, elle aussi. Nous sommes tous très heureux de son retour. S'il y est parvenu, alors il y a de l'espoir pour les autres aussi.

— Je l'espère. Merci encore...

— Désolée pour le dérangement et bonne nuit.

— Merci...

Je laissai tomber le téléphone dans le lit et me tournai vers Jérémy, des larmes plein les yeux. Je le distinguai à peine dans l'obscurité de la chambre et à travers mon rideau de pleurs :

— Il est libre, répétai-je en sanglotant de bonheur. Il est libre...

Il me serra contre lui et je sentis qu'il pleurait de soulagement, tout comme moi. J'étais tellement submergée par l'émotion que je n'avais plus aucune force pour lui rendre son étreinte.

— Il faut que j'y aille, murmurai-je dans son épaule. Je ne vais jamais pouvoir attendre ici jusqu'à neuf heures.

Il m'essuya maladroitement les yeux et posa son front contre le mien :

— Je sais. Vas-y. J'emmènerai les garçons avec moi demain matin.

— Je t'aime, le remerciai-je en me penchant pour l'embrasser.

Je bondis du lit, récupérai mon téléphone, m'habillai dans l'obscurité et quittai la chambre à pas de loup tandis que Jérémy replongeait dans son oreiller. Nous étions terriblement soulagés et heureux, et pour Jérémy contrairement à moi, c'était une excellente raison de dormir sur ses deux oreilles.

Pour ma part, évidemment, impossible de dormir. Alors, je pris la voiture en direction de l'hôpital et attendis là jusqu'à sept heures, heure à laquelle les infirmières et les infirmiers changeaient de garde. Comme elles me connaissaient et savaient ce qui m'amenait de si bon matin – tout le monde ne parlait que de ça – elles m'autorisèrent exceptionnellement à me rendre auprès de Charlie à huit heures, soit une heure avant le début des visites.

Étant à présent de garde, Juliette m'accompagna, m'expliquant ce qui s'était passé pendant la nuit tandis que sa collègue Alice se trouvait au chevet de mon protégé :

— C'est arrivé vers 3h30 ce matin. Alice suivait attentivement son combat contre Odin. Leur Alliance a réussi à triompher, mais au prix de lourds sacrifices. Charlie est l'un des survivants.

— Mais alors... Cela veut dire que tous les joueurs sont libres ! m'exclamai-je en comprenant ce que cela signifiait, soudain gagnée par l'euphorie.

Juliette secoua tristement la tête.

— Il faut que vous y soyez préparée ; Charlie est le seul joueur à être parvenu à se déconnecter depuis le début de cette histoire.

— Cela n'a pas de sens, répliquai-je sans douter un instant. Charlie est nul en informatique et déteste les jeux vidéo. Il est même considéré comme faible dans SE. Et je le vois mal laisser ses amis derrière au profit de son retour dans la réalité, ses propos et ses actes l'ont suffisamment prouvé par le passé. Alors, pourquoi lui ?

Cela n'avait pas plus de sens que le premier jour de cette tragédie, quand je l'avais découvert étendu sur son lit, séquestré dans ce jeu vidéo par une intelligence artificielle.

L'infirmière reprit son explication. Nous arrivions à la chambre de Charlie.

— Nous l'ignorons. Il a seulement fait un choix très intelligent, surtout pour un garçon comme lui qui est plus attaché à sa vie là-bas que celle qu'il menait ici, comme vous dites.

Je ne relevai pas, mais cette remarque, bien que vraie, me fit très mal. Le personnel médical avait rapidement compris que le climat familial dans la famille Dufau n'était pas ce qu'il y avait de mieux pour le soutenir. S'ils avaient aperçu les parents de Charlie, ils ne m'en avaient jamais rien dit, et ils avaient un mal fou à les joindre par téléphone. La secrétaire s'excusait toujours d'expliquer que les parents ne voulaient pas être mêlés publiquement à cette affaire internationale, et que c'était mon travail à moi, en tant que gouvernante, de gérer cette situation.

— Pourquoi dites-vous qu'il a fait un choix très intelligent ? demandai-je enfin pour chasser mes employeurs de mon esprit.

Juliette s'arrêta devant la porte de la chambre sur laquelle « CHARLIE DUFAU DE MALUQUER » était écrit en lettres majuscules sur une plaque en laiton.

— Parce qu'après avoir vaincu Odin, tous les vainqueurs se sont vus accorder le droit d'obtenir l'objet de leur choix, quel qu'il soit. Vous avez une idée de ce qu'a demandé Charlie ?

— Sa déconnexion, compris-je.

Mais cela semblait bizarre qu'il ait été le seul à y penser. Juliette secoua la tête pour me contredire :

— Non, il a demandé la clé de commande du serveur. Lorsqu'ils ont quitté le donjon, il a fait ses adieux, incertain que Valhalla tienne sa parole, et il s'est déconnecté. Et ça à fonctionné. C'était un pari fou et insensé, mais il l'a remporté.

J'en demeurai muette et perplexe. Il aurait beaucoup de choses à nous dire à son réveil...

Nous entrâmes donc en silence, un infirmier sorti, et je fus choquée par ce que je découvrais à présent. Je m'étais mentalement préparée, mais ce n'était pas suffisant. Voir Charlie sans son casque, sans ordinateur et écran allumé à côté de lui vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c'était déstabilisant. Il avait les cheveux longs à présent, et il dormait. Il dormait, tout simplement. Il était vraiment là, avec nous, dans la réalité.

Je m'assis dans le fauteuil et lui pris la main, des larmes plein les yeux :

— Quand se réveillera-t-il ? demandai-je sans détacher mon regard de son visage aux traits détendus par l'oubli du sommeil.

Juliette consulta le rapport de sa collègue de nuit sur une tablette de verre :

— Nous n'en avons aucune idée. C'est la première fois en cinq ans et demi que son cerveau ne subit plus aucune pression. Il a besoin de repos.

Et elle sortit.

Charlie n'était pas réveillé. Il n'était peut-être même pas tiré d'affaire. J'avais bien compris que le personnel soignant ne voulait pas se prononcer. Il pouvait ne jamais se réveiller, avoir des lésions au cerveau, ou mourir dans quelques jours, semaines, mois ou années, à cause des conséquences encore invisibles de cette tragédie. Mais pour le moment...

— Tu es rentré, Charlie... Tu t'es battu tout ce temps, il ne faut pas abandonner maintenant.

L'Infinity Drive faillit être emporté par des experts, mais les Dufau m'avaient appris à gérer les situations critiques avec des avocats plus que compétents. Charlie avait donc une armée de ces gens de métier pour veiller à ses intérêts et le respect de tout ce qui le concernait, y compris le matériel qu'il possédait comme son ordinateur et son ID. Si bien que rien ne fut touché et je les entreposai dans le coffre-fort de la maison, puis fis embaucher des vigiles pour garder la demeure.

Aucun autre joueur ne se déconnecta à la suite de Charlie, et il devint rapidement le sujet numéro un des médias du monde entier.

Charlie se réveilla le 20 Octobre, deux semaines après sa déconnexion, et ouvrit enfin les yeux pour la première fois le 22 Octobre, devenant officiellement le premier et seul rescapé de Skyline Emrys.

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