9 - Apprenti forgeron
27 Avril 2050
Le lendemain
Lorsque je m'éveillais le lendemain matin, Shaïn dormait encore. Son cerveau étant en repos, son personnage était figé dans la pose qu'il avait au moment où il s'était endormi. C'était assez drôle à voir.
Je quittais l'auberge peu après sept heures, et gagnais la place de la ville. On y trouvait les principaux PNJ dont nous avions le besoin et l'utilité. Notamment celui responsable de la banque.
Tranquillement, je me dirigeais vers le comptoir en pierre derrière lequel se tenait deux PNJ ; deux femmes. Dans leurs vêtements colorés, elles auraient pu redonner vie et espoirs aux joueurs. Mais voilà, elles n'étaient que des PNJ et elles avaient la même expression figée que l'aubergiste du Chat Noir. Parler avec eux était à sens unique.
Mon compte s'afficha instantanément sous mes yeux lorsque je m'adressais à l'une d'entre elles. Ce qui m'intéressait aujourd'hui, pour une fois, ce n'étaient pas les objets que j'y avais stocké, c'était l'argent que j'avais soigneusement mis de côté.
Ici, tout s'achetait au comptant. Pas de monnaie, pas de transaction. C'était aussi simple que ça. Et pas de prêts ni d'emprunts, ni même de taux d'intérêt pour l'argent déposé en banque non plus.
Vidant d'une traite tout mon compte pour le placer dans mon inventaire, je quittais la banque pour vérifier, juste à côté, les annonces immobilières. Car pour devenir forgeron, il me fallait une forge. Et avant tout, l'argent pour me l'offrir.
— Alors, ça ne pas l'air de te plaire, on dirait ! s'exclama une voix dans mon dos.
C'était Shaïn, à n'en pas douter. Je me tournais vers lui avec une moue résignée.
— Tu peux le dire. Comment suis-je censé débuter un métier de forgeron si je ne peux même pas acheter la forge ?
Il se gratta la tête.
— C'est embêtant, en effet.
Il semblait néanmoins encore avoir une carte dans sa manche.
— Mais... ? le pressais-je.
— Je suis entré en contact avec l'un des joueurs qui soutient le journal. Ils ont déjà commencé à récolter pas mal d'infos dans la zone ; Bellal, Arun et les environs. Or, il se trouve qu'ils ont découvert qu'un greffier a été créé dans chaque ville !
Je fronçais les sourcils. Je ne voyais pas ou il voulait en venir.
— En quoi cela me concerne-t-il ?
— J'y viens. En fait, ce greffier répertorie tous les PNJ exerçant un métier. Tu peux donc devenir une sorte d'apprenti et puis, à plus long terme, remplacer le PNJ !
J'écarquillais les yeux. C'était un système étrange qui avait des ressemblances avec la vie réelle. Je pourrais donc devenir forgeron à Bellal ? Cela voulait dire qu'à long terme, tous les PNJ marchands seraient supprimés, remplacés par de véritables joueurs.
Shaïn mit les poings sur les hanches, fier de son effet.
— C'est top secret. Mais il m'a mis dans la confidence puisque je vais aider au journal. Et toi, tu ferais mieux de te dépêcher d'aller voir ce qu'il en est. Dès que ce sera officiel, ça risque de grouiller de volontaires, par ici !
Je ne savais pas quoi dire. Un simple merci aurait suffi, très certainement, mais les mots me manquaient. C'est alors que je me rendis compte que, dans la vraie vie, j'aurai souhaité l'avoir comme ami. Je me promis donc de lui demander, un jour, d'où il venait, et comment il s'appelait. Car, lorsque nous sortirions de ce jeu, je voudrai le rencontrer.
Il me fixa en fronçant les sourcils. J'étais toujours là, planté devant lui, à le regarder bêtement.
— Lyall, écoute, je t'ai dit ça pour t'aider, pas pour que tu restes planté là comme un chêne à prendre racine !
— Ah, oui. Merci.
Il leva la main pour dire que ce n'était rien, mais j'y frappais la mienne en partant. Je su dès lors qu'il s'était retourné pour me regarder partir.
C'est ainsi que je devins « apprenti » forgeron auprès d'un PNJ de Bellal. Il me suffisait de respecter des horaires fixes, d'aller lui parler, et on me téléportait dans une forge au beau milieu de nulle part. C'est-à-dire qu'il n'y avait pas de fenêtre, et la seule porte existante, la sortie, menait directement à Bellal.
Là, je pouvais tout simplement créer tout ce que je voulais, pour m'entrainer, et mes créations étaient directement vendues par le PNJ, sans jamais mentionner mon nom ni me verser la moindre pièce de cuivre. C'était de longue heures de travail passées à forger, du matériel fourni par moi-même, et pas la moindre considération ni la moindre piécette qui rentrait. Le soir, je rejoignais Shaïn dans le même état qu'une méduse : flasque, translucide et passablement fatigué. J'avais alors juste assez de force pour l'entendre me parler de l'avancée de ses projets avant de tomber dans les bras de Morphée.
Je devais me contenter des week-ends pour vagabonder dans les environs, ramener les composants nécessaires à mes créations – Shaïn me fournissait également en matière première – et surtout pour gagner un peu d'argent afin de payer mes nuits à l'auberge ou pour l'achat de certains composants qui pouvaient me manquer.
Shaïn, de son côté, avait des journées similaires. Il s'investissait à fond dans la création du journal et du mémorial. De plus en plus de joueurs les soutenaient et participaient à leur réseau d'informateurs à mesures que ces deux projets se faisaient connaître.
***
28 Mai 2050
Un mois plus tard
Cela prit du temps, mais ces sacrifices finirent par payer, aussi bien les siens que les miens.
Depuis plus d'un mois à présent que nous nous échinions, et voilà qu'un soir en quittant la forge, je découvris Shaïn qui m'attendait, à la fois ravi et plein de tristesse. Le mémorial devait être érigé à la place de la fontaine de Bellal. Un PNJ s'y trouverait, proposant aux joueurs de donner quelque chose, ce qu'ils voulaient, pour ériger le mémorial. Dès lors, je pris l'habitude de vendre seulement la moitié de ce dont je n'avais pas l'utilité, afin de donner le reste pour l'édification mémorial.
***
3 Juin 2050
Une semaine plus tard
Une semaine plus tard, j'appris que j'étais devenu forgeron à part entière. A la place du PNJ, à présent, il y avait une porte derrière le comptoir qu'il gardait auparavant, et qui me donnait accès à une vraie forge, rien qu'à moi. Dans une pièce attenante, on y trouvait un meuble de rangement, une table et un lit. Shaïn pouvait entrer lui aussi. Nous décidâmes donc de partager la chambre afin d'économiser les frais d'auberge. J'eus mes premiers clients dès le lendemain.
***
5 Juin 2050
Deux jours après
Le surlendemain de ma promotion, c'était au tour du journal de voir le jour. Ils l'avaient baptisé Icarus, en mémoire d'Icare, l'homme qui avait cru pouvoir voler et gagner sa liberté et qui s'en était brûlé les ailes. Parce que c'était ce que nous cherchions tous à faire, même si nous espérions que notre histoire finirait mieux que la sienne.
L'Icarus fit tout de suite sensation. Pour quelques pièces de cuivre, les joueurs avaient à leur disposition une multitude d'informations. Et surtout... il y avait cette page qui, tous les jours, apportait une dizaine de messages rédigés par des personnes de l'extérieur et que Valhalla acceptait de nous communiquer, comme l'avait dit Shaïn. Ces personnes s'adressaient à des joueurs mais en les appelant par leur vrai nom, ce qui constituait une forme d'anonymat dans le sens ou nous ne connaissions pas le vrai nom de ceux qui nous entouraient. Par exemple, si Jessica venait à m'écrire un message, elle l'adresserait à Charlie. Mais personne autour de moi ne connaissait Charlie. Ils ne connaissaient que Lyall. Il leur était donc impossible de faire le lien entre les deux, entre celui que j'avais abandonné derrière moi sans regret, et celui que j'étais devenu ici.
____________________________________________________________
Dans le prochain chapitre, je vous promets une rencontre mystérieuse ! Héhé, mais qui donc que ce sera ? :)
Et mercredi prochain nous clôturerons la première partie de cette histoire, à savoir les premiers pas dans le jeu et la prise de repères. Après, j'attaque les choses sérieuse !
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top