86 - Carpe Diem (partie 1)
Je commence par l'avertissement, cette fois. Ce chapitre-ci étant vraiment à part dans la narration de l'histoire, j'ai décidé de conserver le nom originel du chapitre pour les quatre parties qu'il va former sur Wattpad (souvenez-vous, j'ai découpé mes chapitres Word en plusieurs morceaux pour les adapter à Wattpad, raison pour laquelle ils sont si nombreux). Comme ça vous ne devriez pas trop vous y perdre. Je l'espère. La découpe des précédents chapitres n'a pas l'air de vous avoir gênés, et c'est tant mieux. Avec le chapitre "Carpe Diem" au moins vous allez être fixés sur la longueur de mes chapitres habituels tels qu'ils sont écrit sur Word.
La série des quatre chapitres "Carpe Diem" sera la dernière avant l'épilogue, vous êtes prévenus !
10 Avril 2067
Onze ans plus tard
La convention battait son plein. Une personne sur dix portait même des costumes très élaborés, chamarrés, et surtout qui n'avaient rien à envier à l'imaginaire fantasy, ni aux Vikings du millénaire précédent. Il y avait des écrans colorés partout où le regard pouvait se poser, des stands divers et variés à la pointe de la technologie – devantures en titane brossé, hologrammes et écrans en quatre dimensions, ainsi qu'humanoïdes d'assistance pour certains, d'un réalisme humain stupéfiant – s'étendant à l'infini. Tout, ici, était vif et multicolore, brillant et agressif, imprimant de force des images luminescentes dans la rétine de tous ceux qui déambulaient dans les allées, ne pouvant échapper à la suprématie des écrans en ces lieux de technologie. Et surtout, j'étais entouré d'une véritable marée humaine. On aurait dit que le monde entier s'était donné rendez-vous au même endroit.
Je ne savais pas où je me trouvais exactement dans ce dédale d'étals et d'individus afférés, mais il y avait quelque chose de rassurant dans ces couleurs et ces images qui défilaient sur les écrans, dans cet environnement qui me paraissait familier, et ces costumes qui m'évoquaient un sentiment rassurant.
Je regardai défiler des hommes et femmes en costume à l'angle d'un croisement entre quatre allées, lorsque je fus tiré de ma contemplation par une petite main se glissant dans la mienne. Surpris, je baissai les yeux. C'était un petit garçon qui devait avoir environ dix ans.
— Tu t'es perdu, petit ? lui demandai-je en l'écartant du passage et me baissant pour être à sa hauteur.
Il me regarda de ses yeux bruns comme si je venais de dire une ânerie, mais il ne fit aucune remarque et ne me répondit pas. D'ailleurs, il n'avait pas l'air paniqué. Il se détourna de moi et fouilla plutôt la foule du regard, certainement à la recherche de quelqu'un.
— Maman ! Maman ! cria-t-il.
Je me relevai et lui serrai doucement la main pour tenter de le rassurer :
— Ne t'inquiète pas, on va la retrouver.
Il se tourna de nouveau vers moi, avec un regard suspicieux. Pourtant, sa main cramponnée à la mienne refusait de me lâcher, démontrant une confiance aveugle envers moi que je ne m'expliquai pas.
Soudain, il s'agita et me désigna quelque chose du doigt, tout content :
— Elle est là !
Levant les yeux vers la direction qu'il m'indiquait, je remarquai que la foule compacte s'écartait pour laisser passer un fauteuil roulant, pas tout à fait à la pointe des dernières technologies mais plutôt à l'ancienne, fait très curieux et étrange.
La femme qui y était assise avait une petite fille sur les genoux et parlait à un petit garçon qui marchait à ses côtés en se tenant à l'accoudoir du fauteuil. La vie de cette femme ne devait pas être évidente au quotidien, surtout s'il s'agissait effectivement de la mère de l'enfant qui s'agrippait à moi comme un naufragé à sa bouée. Ce qui se confirma rapidement.
L'enfant fit signe à la femme en s'agitant de plus belle :
— Maman, maman ! Ça recommence.
Comme le trio insolite s'arrêtait à notre hauteur, légèrement à l'écart du passage de l'allée tapissée en rouge, je remarquai que les deux garçons étaient indiscutablement frères tant ils se ressemblaient. Tous deux étaient bruns et avaient un visage aux traits similaires. Ils semblaient aussi avoir le même âge. Mais celui qui se tenait à moi avait les yeux bruns et l'autre les yeux verts, seule différence évidente entre eux. La fillette aussi leur ressemblait beaucoup de visage. En revanche, elle était bien plus jeune qu'eux ; elle devait avoir environ trois ans. Elle avait les mêmes yeux bruns que l'un de ses frères, mais ses cheveux étaient d'un blond lumineux. Elle les portait à hauteur d'épaules et ils étaient retenus d'un côté par une petite barrette métallique verte ornée d'une minuscule grenouille enfantine.
Quant à la femme, elle était très belle et devait avoir autour de la trentaine. Ses cheveux blonds presque châtains étaient noués en une tresse qui formait une couronne autour de sa tête. Son visage était assez quelconque, mais elle dégageait une aura plus puissante qu'un aimant qui la rendait terriblement belle. Et sur ce visage bien dessiné, je ne voyais à présent plus que ces yeux. Des yeux d'un vert clair et lumineux parsemé de paillettes d'or, comme ceux du garçon qui se tenait à son côté.
Sans comprendre ce qui m'arrivait, je tombai aussitôt amoureux d'elle, violemment, sans avant-garde, et j'eus la terrible envie de casser la figure au père de ses enfants. Ce sentiment me surprit moi-même par sa violence, dans la mesure où j'étais très pacifique et incapable de lever la main sur qui que ce soit, incapable même d'avoir une telle pensée. Mais le fait était que j'étais jaloux du compagnon à qui cette femme réservait son amour, et que si cet homme n'avait pas existé, je l'aurais immédiatement invitée à venir prendre un verre avec moi pour apprendre à mieux la connaître. Si j'en avais eu le courage, aussi.
Comme si elle avait deviné mes pensées, elle me sourit. Un sourire grand comme le monde.
— Bonjour, dit-elle avec une bienveillance surprenante.
— Bonjour, répondis-je, la gorge soudain très sèche.
— Je peux peut-être t'aider ? proposa-t-elle ensuite, me prenant au dépourvu.
M'aider ? Je n'avais pas besoin d'aide. Et puis, d'où lui venait cette terrible familiarité avec moi ? Sa façon de me parler me donnait des frissons, dans le bon sens du terme.
— Non, ça ira, merci. Je n'ai besoin d'aucune aide. Votre fils était perdu, répondis-je, sans trop savoir quoi dire d'autre.
Lui parler, simplement, alors que j'avais des pensées si fortes à son égard depuis que je l'avais vue m'était difficile, alors il était préférable pour moi d'éviter de trop parler, au risque de me rendre ridicule, voire de l'embarrasser et moi avec.
Contre toute attente, elle rit. Le garçon n'avait toujours pas lâché ma main et suivait la conversation avec intérêt. C'était bien sa mère pourtant, non ?
— Flynn ? dit-elle. Oh non, il n'est pas perdu ! Il a mémorisé le plan de la convention par cœur avec son papa. Il sait très bien où il est et où il doit aller.
La mention du père me renfrogna et me donna presque des envies de meurtre inexplicables. Mais comme elle continuait à me parler, j'occultai cette pensée de mon esprit, hypnotisé par le son de sa voix et l'intensité de son regard :
— Non, Flynn est là... pour veiller sur toi, ajouta-t-elle d'une voix douce, sans me quitter des yeux.
Je ne cachai pas ma surprise.
— Moi ?
Elle opina et le garçon, Flynn, acquiesça pour appuyer ses dires. Les deux autres enfants nous regardaient avec curiosité. La fillette tout particulièrement. Finalement, elle se décida et descendit des genoux de sa mère pour venir me tendre ses bras, sans me quitter des yeux, son regard brun d'une chaleur agréable et réconfortante m'évoquant un foyer.
— Papa, tu peux me porter ? S'il te plaît.
Je la regardai fixement, choqué. Elle me prenait pour son père ! Avant que je puisse interroger la femme sur ce malentendu, Flynn la sermonna gentiment :
— Cassie, on te l'a déjà dit, il faut attendre que papa revienne avant de l'appeler comme ça.
La petite fit la moue, mais continua à me regarder fixement, les bras tendus d'un air décidé et fier.
Complètement dépassé, je me tournai vers sa mère dans l'attente qu'elle dissipe ce terrible malentendu. Cependant, elle me regardait, elle aussi, avec tendresse, sans faire le moindre geste pour récupérer sa fille ou la corriger sur sa méprise.
— Tu veux bien la prendre dans tes bras, s'il te plaît ? me demanda-t-elle plutôt. Je voudrais te montrer quelque chose, mais elle est lourde. Elle commence à faire son poids, maintenant, ce n'est plus tout à fait un bébé.
Dès que cette femme me regardait ou me parlait, j'avais le sentiment d'être capable de la suivre jusqu'au bout du monde si elle me le demandait, quand bien même c'était une parfaite inconnue. Alors pourquoi ? Pourquoi trouvais-je ce geste tout à fait naturel lorsque je pris la fillette dans mes bras, comme si j'avais fait ce geste des millions de fois ?
Soudain, le deuxième garçon, qui n'avait encore rien dit jusque-là, attira l'attention de sa mère. Il tendit le bras devant lui, pointant une direction du doigt :
— Maman, je crois qu'ils sont là-bas.
— Merci, mon chéri. Tu nous montres le chemin ?
Il opina sagement. La femme se tourna à nouveau vers moi. Voir sa fille blottie contre mon épaule à sucer son pouce lui semblait naturel. Moi, par contre, je nageais en pleine confusion. C'était un délire. Je devais avoir de la fièvre. Mais lorsqu'elle me demanda de la suivre, j'obtempérai sans réfléchir.
En suivant ces gens que je ne connaissais pas, qui se comportaient avec moi comme si j'étais des leurs, je ne cessais de me poser une centaine de questions. Étais-je victime d'une forte fièvre, ou bien prisonnier d'un rêve dont le début m'avait échappé ? Qu'avais-je oublié ? Mais une question plus futile encore que toutes les autres me hantait stupidement : qu'allait penser son compagnon en me voyant ainsi avec sa famille, sa fille dans mes bras et sa femme à se montrer si bienveillante envers moi ?
Enfin, nous nous arrêtâmes devant un écran géant. Je vis le garçon pointer quelque chose ou quelqu'un du doigt. Un homme marchait vers nous en agitant les bras pour se faire remarquer. Mais comme la femme lui faisait discrètement signe de ne pas venir, il cessa brusquement de s'agiter et tourna les talons en fourrant ses mains dans les poches en sifflotant, l'air de rien. La femme se pencha alors vers Flynn, l'aîné, et lui murmura quelque chose que je n'entendis pas. Après ça, il partit en courant et disparut dans la foule.
La confusion se dissipant, je me sentais à présent très mal à l'aise dans cette situation. Ce n'était pas tant de la peur que de l'angoisse qui m'étreignait aussi sûrement que j'étreignais dans mes bras cette fillette que je ne connaissais pas.
La femme du sentir que la panique me gagnait, car elle regarda dans ma direction et tendit les bras pour récupérer l'enfant. Sans réfléchir, je lui rendis sa fille. Je crus qu'elle allait me laisser partir comme je me détournai, mais elle attrapa vivement ma main gauche de la sienne et la tint avec une force qui me surprit. C'est ce geste qui attira mon attention sur nos mains et provoqua un second choc en moi.
Je portais une alliance dorée. Moi, une alliance. Moi, marié. Cela n'avait pas de sens. Je le saurais si j'étais marié, non ? Et ma femme serait à mes côtés. Or, j'étais seul. Et qu'est-ce que je faisais là, d'ailleurs ? Autre chose avait également intrigué mon regard sur cette main qui tenait fermement la mienne. À l'annulaire, la femme portait elle aussi une alliance, ainsi qu'une bague qui ne pouvait être que celle de ses fiançailles. Elle était en or avec de petits diamants et de belles émeraudes claires et lumineuses comme ses yeux et son sourire. C'était une constatation douloureuse pour moi, mais son mari avait beaucoup de chance de l'avoir trouvée, cette femme... et de lui avoir donné de si beaux enfants.
Son regard insistant me fit à nouveau frissonner, mais je fus incapable de détourner les yeux malgré le malaise qu'il provoquait en moi.
— Charlie, laisse-moi t'aider encore une fois, murmura-t-elle.
Je ne savais pas ce qui était le plus troublant ou le plus détestable : le fait que je constate que j'ignorais qui j'étais, ou que je ne pouvais pas supporter la détresse que je percevais dans sa voix.
« Encore une fois. »
Que m'arrivait-il ? Pourquoi n'avais-je aucun souvenir d'elle alors qu'elle semblait si bien me connaître ? Était-ce un rôle qu'elle jouait pour m'amadouer ? J'en doutais, elle me paraissait sincère...
Elle me pressa doucement la main et me désigna l'écran géant devant lequel nous nous étions arrêtés. On y voyait neuf personnes sur la terrasse d'un chalet de bois, au bord d'un lac à l'eau claire. Certaines de ces personnes jouaient dans l'eau, d'autres discutaient et riaient ensemble sur la terrasse.
Mon cœur frémit et le malaise revint, mais la femme n'avait pas lâché ma main et je trouvais cela étrange et réconfortant à la fois.
— C'est nous, dit-elle dans un murmure en désignant ces gens dont les visages ne m'évoquaient rien.
Qui incluait-elle exactement dans ce « nous » ? Car je ne la reconnaissais même pas parmi ces gens.
— Là, c'est ton meilleur ami, « Shaïn », m'expliqua-t-elle en désignant l'une des personnes qui faisait le pitre pour amuser la galerie. Il y a aussi « Azril », « Iriko », « Wayann », « Sohona », « Eléa » et « Aramise ».
Ces noms ne faisaient qu'accentuer mon malaise, mais ils titillaient également ma mémoire à présent, comme lorsque l'on a la conviction intime de connaître quelque chose mais d'être incapable de mettre un mot dessus. Néanmoins, le plus improbable restait à venir, car elle me désigna ensuite un couple assis sur une petite jetée du lac, les pieds dans l'eau, discutant tranquillement.
— Eux, c'est nous. C'est toi et moi. Tu m'y as connue sous le nom d'Ilya, et pour moi tu étais Lyall.
Cette fois, une image se forma dans mon esprit. Ilya était irrémédiablement associée au vert, dans ma mémoire. Pratiquement le même vert que les yeux de cette femme, mais en plus sombre. Vert comme une émeraude de la plus belle facture.
Je portai ma main à mon front, submergé par des impressions de déjà-vu, et un flou de souvenirs de ces personnes qu'elle me désignait. J'avais la sensation fugace d'avoir aimé. Aimé quelqu'un qui avait eut à endurer de terribles épreuves, tout comme moi d'ailleurs. D'avoir aimé une femme aux yeux verts qui m'avait fait promettre de ne pas l'oublier. Son visage se superposait à présent avec celui d'une autre jeune femme qui me regardait, mais avec une dizaine d'années de moins. Une jeune femme en fauteuil roulant, certes, mais une jeune femme aux yeux verts.
Comme elle.
Ma femme.
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