43 - Anges-Gardiens



15 Mai 2052
Dans la nuit

Aux alentours du deux heures du matin, comme j'en avais pris l'habitude, je me levais et allais réveiller doucement Ilya. Elle ne dit pas un mot et nous quittâmes l'appartement ; Iriko n'était déjà plus là. Elle pensait sûrement que nous allions simplement effectuer une virée nocturne comme à notre habitude. C'était à moitié vrai.

Cependant, lorsqu'elle découvrit qu'Iriko nous attendait dans la rue, elle se tourna vers moi et m'interrogea du regard.

— Iriko voulait me montrer quelque chose, expliquais-je. Je lui ai demandé si tu pouvais te joindre à nous ; j'ai eu tort ?

Un sourire illumina aussitôt son visage d'une oreille à l'autre :

— Merci, Lyall.

A priori, je venais de gagner un bon point, ce qui me procura un important sentiment de fierté et de satisfaction.

— On y va ? nous invita Iriko en s'éloignant déjà d'un pas feutré.

Nous nous élançâmes à sa suite.

Sans hésiter, il nous ramena à Vanaheim, si calme et si paisible et plus particulièrement la nuit. A nouveau, j'eu envie de rester là, assit quelque part, à admirer le ciel et le paysage pendant des heures... mais ce n'était pas l'objet de notre venue.

Iriko nous emmena dans une zone particulièrement dangereuse, de niveau 69 alors que je n'étais toujours que lvl 57. Je m'inquiétais moins pour Iriko que pour Ilya. Je comprenais mieux pourquoi il voulait que je vienne seul ; parce que c'était une zone extrêmement dangereuse pour nous encore qui n'avions pas le niveau, contrairement à lui.

— Faites attention et évitez tout combat.

A ce niveau-là, c'était une question de vie ou de mort, et pas seulement pour moi.

— Alors ? demandais-je en fouillant la zone du regard, à la recherche d'une particularité.

Comme je disais ces mots, la réponse apparut presque immédiatement sous mes yeux. Dans une cavité rocheuse, non loin d'un élémentaire de pierre vétéran, il y avait quatre gisements de minerais aussi blancs que de la neige, scintillants dans le clair de lune. On aurait dit de l'opale, mais c'était de la matière blanche, un minerai exclusif à Vanaheim. C'était le meilleur métal que je pouvais trouver et façonner, pour le moment.

Au fur et à mesure de notre ascension des mondes, les gisements étaient de plus en plus rares. En trouver quatre concentrés au même endroit, d'une telle qualité, relevait tout simplement du miracle.

Je ne demandais pas à Iriko pourquoi il m'avait invité à être discret et à venir seul, de nuit : parce que sinon, tous les Fils de la Lumière auraient souhaités venir pour collecter cette matière blanche pour moi. Parce que, certes nous aurions récolté trois fois plus de matière, mais nous aurions également attiré beaucoup plus de mobs sur nous et aurions mis en danger nos précieux amis, ce que ni Iriko ni moi ne voulions. Ces minerais jouant cependant un rôle primordial dans notre survie par l'intermédiaire des armes et armures que je pouvais confectionner, je lui étais reconnaissant de ne pas avoir attendu que nous explorions cette zone pour me montrer ces gisements.

Je récoltais aussitôt les minerais, et mes deux compagnons m'imitèrent en silence pour me les envoyer ensuite, grossissant ainsi considérablement mon stock. Après quoi, nous regagnâmes la relative sécurité d'Ynglingar sans incident. Là, Ilya et moi eûmes la même réaction ; nous échangeâmes un simple regard.

Iriko ne fit pas mine de n'avoir rien vu.

— Je vous accompagne.

Il était inutile de nier en bloc ou de l'empêcher de nous suivre. De plus, sa présence rassurante était une sécurité non négligeable.

— Soit, acquiesçais-je. Retournons à Jötunheim.

Ce n'était pas mon monde préféré, loin s'en fallait, mais c'était celui qui m'était le plus utile pour le moment.

Après une nuit harassante mais fructueuse, nous retournâmes à Argoat au petit matin.

Iriko s'arrêta brusquement, me faisant piler net pour ne pas lui rentrer dedans, moi qui le suivais distraitement, fatigué. Néanmoins, n'étant pas très alerte, je ne réagis pas assez vite et lui rentrais dedans.

— Qu'est-ce que tu fais ? grognais-je, de mauvaise humeur à cause de la fatigue.

Ce matin tout particulièrement, je ne rêvais que d'une chose : aller dormir.

— Qu'est-ce que vous faites là ? demanda-t-il plutôt.

Mais ce n'était ni à moi ni à Ilya qu'il s'adressait. C'est alors seulement que je découvris Shaïn et Aramise assis devant la porte de l'appartement, appuyés sur le même muret sur lequel Ilya et moi nous étions assis un jour pour décider de partir à l'aventure tandis que les autres effectuaient quelques achats.

Shaïn nous salua de la main sans bouger de sa place.

— Yo. On arrivait pas à dormir.

Il mentait. Dans SE, les troubles du sommeil n'existaient pas. C'était tout ou rien.

— On s'inquiétait pour vous, expliqua plus honnêtement Aramise, hésitant entre rester assise avec Shaïn et rejoindre Iriko.

Finalement, elle passa outre et le rejoignit rapidement pour l'enlacer affectueusement. Même d'ici son soulagement était palpable. Ces deux-là étaient devenus très proches.

Ilya et moi nous écartâmes d'eux, un peu gênés, tandis qu'ils se souriaient bêtement.

— Vous faites ça depuis un moment, n'est-ce pas ? demanda Shaïn en s'adressant à nous deux, d'une voix douce.

J'opinais simplement. Il n'était pas étonné, et je ne l'étais pas non plus.

— Je ne savais pas, en revanche, Ilya, que tu suivais ce jeune fou écervelé dans sa folie destructrice.

C'était un moyen détourné pour dire à demi-mots que j'étais en train de bousiller mon cerveau deux fois plus vite que la norme en entrainant Ilya avec moi.

— Justement, répondit Ilya avec un grand sourire. Il lui faut un ange-gardien pour veiller sur lui.

Mon meilleur-ami parut se satisfaire de cette réponse. Un ange-gardien... Peut-être bien.

— Surtout, tachez de ne pas mourir, souffla Shaïn. Je ne pardonnerai à aucun de vous. Nous sortirons ensemble d'ici.

Ces propos me rappelèrent que par moments je voulais vraiment quitter ce cauchemar. A d'autres, je voulais vivre éternellement dans ce rêve. Cela dépendait de mes humeurs et de la situation. Actuellement, je voulais y rester, car rien n'était plus précieux à mes yeux que cette vie que je menais ici avec eux.


18 Mai 2052
Trois jours après

Aujourd'hui, j'étais seul. Cela me changeait un peu, mais la présence d'Ilya me manquait. Pourtant, je ne l'avais quittée que la veille seulement, néanmoins son absence se faisait déjà sentir et cela me déstabilisait.

Il me fallait de la matière blanche, de toute façon. J'avais forgé armes et armures en priorité pour les filles et il me restait les autres et moi-même à équiper sérieusement pour poursuivre l'aventure plus sereinement.

Passant d'Argoat à Ynglingar en une fraction de seconde grâce au portail, je m'apprêtais à aller battre la campagne pour cette périlleuse expédition, sans Iriko ni Ilya pour me sauver la mise si je venais à me planter. Cela ne me rassurait pas vraiment d'y aller seul, mais je ne pouvais pas dépendre des autres éternellement.

— Lyall !

Je me retournais, surpris d'entendre mon nom. Aramise sortait tout juste du portail et agitait les bras pour attirer mon attention.

Elle se rua sur moi comme une furie, d'un air décidé, avec un brin d'agacement évident aussi, ce que je ne sus interpréter. En fait, son expression était étrange et difficile à décrypter. Je m'arrêtais donc pour l'attendre, étonné. Que se passait-il, à la fin ?

Elle se planta devant moi et ponctua chacun de ses mots en enfonçant son doigt dans mon armure :

— Bon, quand est-ce que tu te décides ? Ça commence à m'agacer prodigieusement ce petit jeu de chat et souris auquel vous jouez. Non, en fait, ça m'agace depuis tellement longtemps que maintenant ça suffit. Quand est-ce que tu vas arrêter de jouer la comédie ?

— De quoi est-ce que tu parles, Ara ? m'enquis-je, perplexe.

— D'Ilya, triple idiot. N'est-ce pas évident ?

Je me figeais et mon cœur se mit à battre plus fort. Je ne sentais plus l'extrémité de mes doigts. Et alors que je comprenais parfaitement ce qu'elle voulait dire mais que je refusais de le voir en face, je m'entendis dire :

— Quoi, Ilya ?

Cela eut le don de l'énerver dangereusement :

— Je vous déteste, vous, les mecs... C'est plus fort que vous, hein ?! Ça crève les yeux à tout le monde que vous vous plaisez tous les deux ! Tu attends quoi pour le lui dire ? De la perdre ? Quand ce sera le black-out pour l'un de vous deux il sera trop tard. Songes-y !

Et elle me planta là, retournant au portail pour changer carrément de monde, énervée.

Un frisson me secoua de la tête aux pieds. J'étais incapable de bouger. Aramise avait raison sur toute la ligne, et là était le problème. Ilya et moi éprouvions des sentiments l'un pour l'autre que j'avais feins ne pas voir pendant tout ce temps, pour la simple et cruelle raison que je ne pouvais pas l'aimer. Je n'en avais pas le droit si je tenais à elle, justement, pour la même raison qui m'avait poussé à fuir de chez moi la veille de mon arrivée dans le jeu.

L'horreur s'infiltra en moi, ces années passées ici me revenant violemment à la figure avec la force destructrice d'un retour de flammes. Si j'avais ignoré les sentiments d'Ilya et les miens, c'était sincèrement parce que je ne pouvais pas faire autrement.

J'étais incapable de l'aimer.

Incapable de l'aimer à cause de la vie que j'avais abandonnée derrière moi et qui me hantait encore chaque jour.

Pourtant, j'étais terrifié à l'idée de la perdre.

C'était un sentiment qui avait grandi en même temps que moi, dans le jeu, doucement, sans prévenir, et qui avait pris une telle place qu'aujourd'hui je réalisais que nous n'en sortirions pas indemnes.


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Bon j'avoue, je ne suis pas très gentille avec vous puisque j'ai décidé de couper la journée du 18 Mai 2052 en deux, au beau milieu de la prise de conscience de notre cher protagoniste.

Méchante ? Non. Simplement une volonté de faire des chapitres à peu près équilibrés en terme de contenu - sinon le prochain chapitre sera ridicule, ou alors j'aurais fait trois tous petits chapitres.

Breffffff ! Ça vous laisse mijoter un peu. Après tout, je ne vous ai toujours rien livré sur le passé de Lyall... Vous suivez son histoire depuis le tout début, mais le connaissez-vous vraiment, au fond ?

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