26 - Beast Tamer
26 Mars 2051
Un mois plus tard
L'antre de Nídhögg le Furieux était là, à quelques pas de nous, enfin. Rassemblés dans un étroit couloir de roche et de glace, nous étions en train de revoir une dernière fois les détails de notre stratégie pour terrasser le monstre qui vivait là.
Cela faisait tout juste un mois et demi que nous avions franchis les portes du donjon et l'antre du boss était déjà là. Nous venions pratiquement de diviser par deux le temps que nous avions mis pour achever le donjon de Midgard avec Baldr le Courageux, et ce grâce aux Dragons du Ciel.
Pour moi et mes amis, la marge d'erreur était nulle. A cause de notre niveau, la moindre de ces erreurs pouvait nous être fatale et définitive. Même à leur niveau, supérieur au nôtre, Mira et Kallaan n'avaient eux-mêmes que très peu de marge de manœuvre. Et surtout, il leur incombait de nous protéger.
— Vous avez tous bien compris ? s'enquit Kallaan, les sourcils froncés. Évitez tout contact avec le dragon, c'est primordial. Attaquez rapidement et précisément.
— Nous ferons ce qu'il faut, acquiesça Iriko.
Comme la première fois à Midgard, je lu le doute dans ses yeux, et je pensais en connaître la raison. Son épée lumineuse en poussière d'étoile céleste était une arme puissante sans égale, mais de par sa singularité et sa puissance, elle ne ferait qu'attirer l'attention et les soupçons sur Iriko. Pourtant, s'il existait une arme parmi toutes celles que nous avions qui pouvait faire la différence et nous sauver en cet instant, c'était bien celle-là. Et chaque pas que nous faisions le rapprochait de l'instant où il pourrait – devrait – l'utiliser. Mais ce moment n'était pas encore venu.
Au point sur notre stratégie, nous nous avançâmes vers le point lumineux qui désignait la sortie – ou l'entrée, suivant la façon dont on voyait les choses – découpant ses traits dans l'obscurité de la montagne dans laquelle nous venions déjà de passer quatre jours et demi sans voir le moindre rayon de soleil. Nous n'avions rien vu d'autre que des chauves-souris aveugles, des serpents gelés et des taupes de taille monstrueuses, elles aussi recouvertes de givre.
Parmi les derniers à franchir le seuil, je ne le fus pas, en revanche, pour lever les yeux au plafond. Cette « caverne » était tout simplement d'une taille démentielle, dont le sol et les murs étaient couverts de glace. Au-dessus de nos têtes, la cheminée principale du volcan s'élevait sans fin vers le ciel obscur.
Dehors, il faisait nuit, et le clair de lune qui frappait la glace sous nos pieds semblait l'illuminer de l'intérieur, projetant des reflets lumineux partout autour de nous. Et surtout, elle mit en lumière le danger qui dardait son œil rouge sur nous : un mastodonte de glace tout en pics hérissés, en ailes démesurées, et en crocs et griffes acérés.
Nídhögg le Furieux.
Le dragon poussa un brusque rugissement qui fit trembler le volcan, puis étira bien grand ses ailes afin de nous effrayer. Cela fonctionna un peu. Car Kallaan avait raison, ce monstre faisait la taille d'une demi montagne.
Je me secouais pour garder la tête froide. Surtout, garder la tête froide. Sans mauvais jeux de mots. Éviter ses attaques, ne surtout pas les parer, éviter à tout prix son souffle. Concentrer ses attaques, être rapide. C'était relativement dans mes cordes.
— Attention derrière, ça commence ! nous prévint Kallaan.
— Le premier qui meurt, je le tue et je le banni de la guilde, compris ? nous motiva Shaïn.
C'était toujours la même vieille menace qu'il nous servait avant un grand évènement. Je ne savais pas si cela fonctionnait ou si c'était le hasard, mais jusqu'ici personne n'était mort. Peut-être était-ce son charme et son charisme bien à lui. En tout cas, pour en arriver là, ça avait bien fonctionné.
— Toi le premier, répliqua Aramise en resserrant sa prise sur ses dagues.
Sans se tourner vers elle, Shaïn ne put s'empêcher de sourire.
Sourires désabusées, silences entendus. Nous n'avions pas besoin de mots pour cet instant. Nous n'avions aucun mot pour le passé, le présent ou pour le futur. Il n'y avait plus que nos sentiments, et nos choix, nos actes.
Maintenant.
Le dragon prit à demi son envol et poussa un nouveau cri qui fit trembler toutes les parois qui nous entouraient. Après quoi il arqua son long cou reptilien, se ratatinant à demi sur lui-même. A mon humble avis, c'était mauvais signe. Il allait falloir courir. Or, avec ma claymore en main je serais ralenti.
— Il va cracher du brouillard ! nous alerta Kallaan. Rappelez-vous : restez toujours au moins par deux.
Sur ce, Nídhögg cracha effectivement sa brume glaciale, et voir au-delà de la pointe d'une épée s'avéra rapidement difficile. C'était comme un avion qui devait s'orienter dans un gigantesque nuage. Comment pouvions-nous nous battre ou nous défendre dans une purée de pois pareille ?
Juste à côté de moi, quelqu'un bougea pour se rapprocher. Un bref coup d'œil sur le côté me suffit à deviner la silhouette d'Ilya. Depuis un moment maintenant, nous étions partenaires dans tout ce genre de bordels et d'emmerdes. Au début, j'avais craint qu'elle ne se plaigne de mon niveau trop faible, mais finalement elle n'avait jamais fait la moindre remarque à ce sujet, et elle m'épaulait sans cesse, du mieux qu'elle pouvait.
Notre conversation lors de l'escorte vers Malka me revint en mémoire. Elle avait dit avoir confiance en moi, déjà à cette époque. Cela me paraissait si loin et si proche, aujourd'hui...
— Ne t'éloigne pas de moi, soufflais-je.
Elle opina avec sérieux, mais je devinais son sourire au-delà de sa rigueur. Elle ne me fit pas non plus de remarque sur le fait que c'était davantage elle qui me protégerait en cas de problème que l'inverse, comme je le laissais entendre.
Il y eut des bruit de lutte sur notre droite, et nous nous élançâmes à l'aveuglette en prenant soin de ne jamais laisser plus d'un mètre nous séparer l'un de l'autre. Nous étions pratiquement aveugles dans cette brume ; nos seuls repères étaient nos coéquipiers. Si nous les perdions, nous serions probablement condamnés.
Un mouvement agita soudain la brume, et une aile de glace failli percuter Ilya qui l'évita juste à temps pour qu'elle ne fasse que l'effleurer, faisant voler ses cheveux et dissipant la brume autour de nous. Alors, nous aperçûmes Nídhögg à qui Kallaan faisait face, ainsi que Mira, un troisième Dragon du Ciel, Shaïn et Iriko, tous les cinq formant le fer de lance de notre groupe.
Mais nous eûmes tout juste le temps de les rejoindre avant que le brouillard ne retombe et ne nous plonge à nouveau dans l'aveuglement. Alors, nous représentâmes davantage une gêne pour nos compagnons qu'une quelconque aide.
— Retournez sur le flanc ! tempêta Mira.
Sans répondre, Ilya me prit la main et couru dans la direction d'où nous venions, sans savoir pourtant où elle allait.
Notre groupe aiguillonna Nídhögg le Furieux pendant un moment aussi long que devait l'être l'éternité, me sembla-t-il. Dans cette brume, l'attente était insoutenable et le danger centuplé. Pourtant, cette brume se levait doucement et, au fil du temps, s'estompait. A présent, de là où nous attaquions, nous pouvions discerner les autres groupes sur notre gauche et notre droite, ainsi que la forme générale du dragon.
Quelque chose clochait, cependant.
— A COUVERT ! hurla Kallaan pour être certain que tout le monde l'entendrait.
Il venait. Le souffle.
Agrippant fermement la main d'Ilya, je couru vers la paroi la plus proche, dans la direction opposée au monstre. Tout autour de la caverne aux proportions aussi démesurées que le dragon lui-même, il y avait des affleurements rocheux qui pourraient nous protéger du souffle.
A condition de les atteindre avant que l'attaque tant redoutée ne survienne.
Lorsque mes oreilles perçurent le bruissement d'un souffle puissant, je poussais brusquement Ilya en avant pour la mettre à l'abri, la talonnant de près. La seconde suivante, dans un bruit de pluie de verre, le souffle fut sur nous, puis poursuivit sa course tout autour de la caverne tandis que le dragon tournait sur lui-même pour être certain de tous nous balayer. Le brouillard était à présent quasiment retombé.
Ilya poussa un léger soupir de soulagement :
— C'est pas passé bien loin, dit-elle.
— C'est clair, c'est passé dessus, grognais-je, les dents serrées, sentant un grand froid me gagner.
Elle me regarda avec surprise, et vit ma jauge de PV qui commençait à descendre doucement. L'icône d'un flocon, à côté de mon nom, indiquait que je subissais d'importants dégâts de gel. Kallaan nous avait prévenus : ne pas se faire toucher, à tout prix...
A genoux derrière le rocher, je ne pouvais plus bouger. Mon talon droit était pris dans la glace, me mettant dans une position critique et inconfortable. Et merde ! Ma faiblesse commençait à me fatiguer et m'énerver. Avec ma poisse j'étais bien capable de tout faire capoter !
Plus loin, l'assaut sur le dragon avait repris.
— Sauve-toi, Ilya. Rejoint un autre groupe.
Elle secoua fermement la tête :
— Non, je vais t'attendre. S'il attaque, je vais te défendre.
Elle savait très bien, pourtant, que Kallaan avait également dit de ne pas parer les attaques mais de les esquiver. C'est long, quarante secondes, dans un combat...
— Surement pas, répliquais-je sèchement. Kallaan nous a martelé – au point d'en avoir des migraines – de ne pas parer mais esquiver.
— Et te laisser mourir, comme ça ? N'y compte pas. J'ai suffisamment perdu d'amis jusqu'ici..., répliqua-t-elle fermement, mettant fin à la discussion.
Comme s'il voulait mettre les paroles d'Ilya à l'épreuve, le dragon se rua sur nous sans que personne ne puisse le retenir ou comprendre sa brusque volte-face. Puis ils virent Ilya, et moi prisonnier de la glace, juste derrière elle.
Non !
Pourquoi était-ce si long ?! Encore cinq secondes ! Il pouvait arriver tant de choses en seulement cinq secondes...
C'était trop tard pour Ilya. Personne ne pouvait plus l'écarter du chemin du dragon. Il était même trop tard pour qu'elle puisse fuir.
Mes propres paroles me revinrent à la figure comme un élastique tendu et qui se relâche en claquant : « Ne t'éloigne pas de moi. ». Quel imbécile !
Deux secondes.
La tête reptilienne de glace était sur Ilya.
Une seconde.
Elle était sur elle.
Aidé par ma position actuelle de coureur sur le départ d'une grande course, je donnais un violent coup de talon en attrapant Ilya par la taille, nous projetant sauvagement en avant, trois mètres plus loin. La gueule hérissée de crocs de glace se referma dans le vide. J'aurais presque pleuré de soulagement si je n'avais pas eu bien mieux à faire. J'y étais parvenu à temps !
A partir de là, je fus particulièrement attentif, même si cela ne put pas me sauver la mise à chaque fois. Une victoire facile n'en était pas une. Et puis, de toute façon, celle-ci était loin d'être facile.
27 Mars 2051
Le lendemain, très tôt
Mais nous la remportâmes, cette victoire. Malgré toutes nos erreurs et nos faiblesses, Nídhögg le Furieux tomba enfin, à 1h44, au petit matin du 27 Mars 2051. Kallaan l'acheva avec l'épée que je lui avais remise suite à notre duel de forgerons.
Wayann sauta dans tous les sens, comme s'il venait à lui seul de terrasser le boss final du jeu :
— Ouiiiiiiiiiiiiiii ! OUIIIIII ! Je suis niveau 37 !
Je jetais un coup d'œil à ma propre barre d'expérience et ravalais un commentaire. Sans les Dragons du Ciel et les Fils de la Lumière, je serais tout simplement mort, tout juste bon à terrasser Baldr le Courageux en groupe.
— Qu'est-ce que c'est que ça ? marmotta Aramise, assise en tailleur par terre.
Iriko, debout à côté d'elle, se pencha par-dessus son épaule pour jeter un coup d'œil à son menu et à l'erreur, ou l'incroyable impossibilité qui venait de faire son apparition.
— Beast Tamer ? lu Aramise, les sourcils froncés. Qu'est-ce que c'est ?
Iriko se redressa, légèrement impressionné :
— C'est la première fois que je vois ça dans SE... Cette caractéristique que tu viens de débloquer est une compétence de dresseuse de bêtes. En l'utilisant, tu devrais être capable d'invoquer des créatures spéciales pour t'aider en combat, notamment.
Kallaan les rejoignit, lui aussi impressionné :
— Moi non plus, je n'en ai jamais vu.
— Essaye, l'encouragea Sohona, les poings sur les hanches, avec un sourire encourageant.
Excitée par cette nouveauté qu'elle n'attendait pas, Aramise s'exécuta. Elle activa la spécialisation et utilisa la seule des deux compétences qui était pour le moment déverrouillée.
Dans un petit nuage de brume glaciale, quelque chose apparu devant nous, pas plus grand qu'un bras. C'était un mini dragon des glaces. Au-dessus de sa jauge de PV, on pouvait lire son nom : Fafnír.
— Oh ! s'exclama Aramise, déjà conquise. Il est trop mignon !
Elle tendit aussitôt la main pour le toucher et, comme s'il la reconnaissait, la petite tête triangulaire vint se lover dans le creux de sa main tendue, poussant un petit sifflement régulier qui n'était pas sans rappeler le ronronnement d'un chat.
— Et je peux le garder comme ça ? demanda-t-elle, ses yeux brillants ne pouvant quitter la petite créature.
Kallaan voulut répondre, mais Iriko le doubla à plate couture :
— Oui, du moment que tu n'entres pas en ville. Dans les villes et les maisons, ils ne sont pas admis. Tu ne pourras donc pas le garder dans ces lieux-là.
Kallaan le fusilla du regard, ce à quoi Iriko répondit par un sourire supérieur et satisfait. Aramise écarquilla les yeux :
— Pourquoi ça ? Il ne prend pourtant pas beaucoup de place.
— Ce n'est pas une question de place. Parce qu'une des particularités des beast tamer de SE est que les créatures que tu dresses et que tu invoques, tes beast, peuvent évoluer. Fafnír va lui aussi prendre des niveaux, certainement grandir au fur et à mesure. Sa force dépend de la tienne, ajouta Iriko précipitamment, doublant à nouveau Kallaan qui avait tout juste eu le temps d'ouvrir la bouche.
Le regard d'Aramise s'agrandit encore. Il était difficile, en effet, de croire à de telles révélations quand on avait sous les yeux la toute petite bestiole qui aurait largement tenu dans un sac à dos.
— Tu veux dire qu'il va grandir ? demanda Ilya, médusée. Vraiment ?
— Il va devenir aussi gros que Nídhögg ? s'enquit Azril, peu enchanté par l'idée, comme la plupart d'entre nous.
— Oui. Et non. Je ne pense pas, répondit Kallaan, détrônant Iriko, cette fois.
Les deux hommes se fusillèrent du regard.
Shaïn s'étira, de bonne humeur. Nous venions d'achever notre deuxième donjon, après tout, et personne n'était mort.
— Bon, et si nous rentrions ?
J'acquiesçais en serrant la nouvelle clé dans ma main. J'avais gagné des cristaux de glace pour mes futures créations de forgeron, et la clé que nous avions gagnée à Midgard pour nous mener à Niflheim avait été mise à jour. A présent, elle avait deux dents, ce qui signifiait qu'elle nous permettait à présent d'atteindre Muspelheim, le monde d'où venait l'élémentaire de Malka.
Je fus le premier à quitter le donjon par le portail que la mort de Nídhögg avait fait apparaitre. Les autres suivirent de près. Mais rien ne nous avait préparé à ce qui nous attendait, là, dehors – ni eux, ni moi. On aurait dit que tous les joueurs importants du jeu s'étaient rassemblés devant les portes du donjon pour nous féliciter de notre victoire.
Il y avait, semblait-il, les Dragons du Ciel au grand complet, mais aussi une multitude d'autres grandes guildes : les Lithium, les Dieux du Chaos, la Confrérie des Chevaliers, les Fils d'Odin... Pas de traces des Titans Écarlates, cependant, et c'était mieux ainsi.
Un joueur se pressa immédiatement vers nous. C'était un Dragon du Ciel. Et à l'étole blanche qui était accrochée à son épaule et qu'il était le seul à porter, c'était le maître de guilde. Il retira son heaume. Une maîtresse de guilde. A la chevelure longue et blanche comme la neige, aux yeux bleus et clairs comme la glace. Son nom était Atlantis.
Elle fonça droit sur Kallaan et ses soldats sans même nous accorder un regard. Nous étions tout à fait invisibles à ses yeux :
— Kallaan, Mira, nous vous attendions.
— Que se passe-t-il ? s'alarma Mira qui avait retiré elle aussi son heaume.
L'expression sombre d'Atlantis ne présageait aucune bonne nouvelle, bien au contraire.
— Nous avons échoué. L'élémentaire tiens toujours Malka.
___________________________________________
Bonne nouvelle ! Lyall et ses amis ont tous survécu au donjon de Niflheim ! Mais l'aveu d'Atlantis, la maître de guilde des Dragons du Ciel est à double tranchant : si les Fils de la Lumière ont à nouveau l'occasion d'accomplir leur vengeance, ils vont de nouveau devoir mettre sérieusement leur vie en danger...
Je pense que vous souhaitez qu'ils s'en sortent tous, encore une fois... mais est-ce que ce sera le cas ?
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top