Chapitre 28: Lien brisé

Je devais lutter, encore et encore pour l'arrêter. À chaque pas qu'il faisait, je perdais courage. Peu importe combien je forçais, il avançait vers cette vieille femme apeurée.

Elle essayait de me faire reculer avec ses coups de cane. Mais cela ne fit rien. Je ne m'arrêtais pas. Elle essayait de se faire entendre, mais rien n'y fit. Personne ne l'entendait. Je ne voulais rien voir. Mais je sus que mon corps n'alla pas de main morte lorsque j'entendis les giclements de sang contre les murs en béton qui nous entouraient. Pourquoi avait-il fallu qu'elle cherche à se réfugier dans une impasse déserte et serrée? Cet endroit où elle n'avait aucune chance de s'en sortir. Je soupirai intérieurement.

C'était la troisième victime de Dāku. Il prenait un malin plaisir à s'attaquer aux plus faibles, à ceux qui n'avaient aucune chance de survie. Et moi, je me sentais vraiment mal. Comme je ne pouvais rien faire, je déprimais.

- Pourquoi tu soupires comme ça Kyle? demanda le démon intérieurement.

Il ne me parlait pas d'une voix menaçante, non. Il essayait vraiment de comprendre. À croire qu'il s'inquiétait vraiment pour moi.

- Pourquoi l'avoir tuée? demandai-je après quelques secondes d'hésitation.
- Je ne fais jamais les choses que par pur plaisir Kyle. Ça me déçoit que tu me vois ainsi.
- Dis moi juste pourquoi!
- Son nom est Marie Dawgner. En 1990, elle s'est arrangée pour faire une promo de la société Egorya. Elle était journaliste dans une chaîne très regardée. C'est elle qui a commencé à dire que c'était une société de jeux en échange d'une grande somme d'argent. À cause d'elle, la société a pu être inaugurée en 1995. Même si elle était au courante pour les expériences, elle a caché la vérité et a menti à des millions de personnes. Tant qu'elle avait l'argent.
- Elle devait sûrement en avoir besoin! Elle avait peut-être un enfant malade...
- Pour un enfant, plus de dix milles sont morts. As-tu d'autres questions?
- Et pour la femme enceinte?
- Elle me saoulait avec son regard insistant.
- Juste pour ça!?
- Elle me faisait penser à Clarisse.

Je me tus alors. Il était vrai que j'avais ressenti une haine à la vue de cette femme. Pourtant, cette haine ne me poussait pas à tuer.

- Je me venge à ta place et me débarrasse de ces éléments indésirables.
- Alors, pourquoi pas Aka?
- Si je pouvais le toucher je l'aurais fait. Cependant, nous avons scellé un pacte. Et il ne tient plus seulement s'il me blesse mortellement. Or, il ne l'a pas encore fait.
- J'imagine que tu vas encore tuer?
- Ma prochaine cible, Ghoster Mirène. Cette femme m'horripile plus que les autres.
- Moi aussi...

Je le laissai faire. J'avais étrangement confiance en lui pour pouvoir fermer complètement les yeux. En même temps, la fatigue me prenait.... Le néant me tirait. Je me sentais lourd.

***

Un cri.
Voilà ce qui me réveilla. Je constatai que mon corps se léchait les doigts trempés de sang.
- Et de huit! marmonna Dāku satisfait de lui.

Il s'arrêta un moment. Il avait remarqué qu'il n'avait plus le total contrôle.
- Kyle, tu es là? soupira-t-il exaspéré.
- Tu as dit huit? m'écriai-je.
- Roooh mais Kyle! Tu es énervant! Continue d'avoir une confiance aveugle à ton ami le démon! dit-il d'une voix qui laissait transparaître ses réels intentions.
- Dāku....
- Je suis un démon mon coco! Il faut que tu t'habitues à ce genre de chose.
- Quel jour sommes nous?

Il comprit que je n'étais pas d'humeur à débattre sur cet incident. Cela le fit sourire. À vrai dire, ça l'arrangeait. Il n'aurait pas à se torturer les oreilles ou à gaspiller sa salive pour rien.

- Aucune idée, pourquoi? répondit-il en se préoccupant plus de la manière dont il allait faire disparaître le corps du jeune homme qu'il venait de tuer.

- Je me sens bizarre.
- Oh, c'est normal. Tu en souffriras dans quelques jours. Je t'expliquerai seulement après. Je n'ai pas envie d'être déranger dans mon activité.
- Dis-le moi! insistai-je.

J'avais un mauvais pressentiment. Le silence du démon ne fit qu'amplifier mon inquiétude. La discussion s'arrêta là.

Quelques jours plus tard, alors que j'avais enfin réussi à prendre le contrôle de mon corps, le même sentiment d'être avaler par le vide revint. J'étais sur le point de traverser l'une des rues de Bruxelles, étant donné que Dāku m'avait emmené ici. Mon coeur s'était resserré et je tremblais. Je m'écroulai sur la chaussée sous les yeux étonnés des passants.

- Olalah! Mon garçon, je ne fais jamais les choses au hasard. À ton avis, pourquoi je t'ai laissé reprendre le contrôle? Pour ne pas avoir à souffrir bêtement comme ça! déclara-t-il d'un ton amusé.

Je serrai mes poings. Il me faisait vraiment rager. Des larmes coulaient... Des larmes de sang.

- C'est bon, votre lien est brisé. Elle ne se souvient pas de toi! affirma-t-il en soupirant. C'était une très belle histoire sinon! Aller, next!

Il reprit le contrôle de mon corps et se releva d'un coup. Les passants étaient très étonnés de voir que "je" me foutais totalement de leur présence et de leur inquiétude. Ils devaient sûrement m'insulter intérieurement. Surtout les conducteurs qui s'étaient arrêtés pour ne pas m'écraser. Mais bon, tant pis. Je devais absolument savoir de quoi il s'agissait.
- Dāku! Parle!
- Tu vois, ta fille!? Kelly je crois!

Il s'arrêta de parler en voyant qu'une personne la fixait étrangement. Pour être honnête, j'aurais eu la même réaction que cette dernière - il parlait tout seul à voix haute!
- Comment vous appelez vous? J'ai l'impression de vous connaître.
- Euh... Étienne. Pourquoi?
- C'est bien ce qu'il me semblait, articula Dāku en se craquant les doigts.
- Il y aurait un problème avec moi? demanda-t-il apeuré.
- Noooooooonnn, pas du touuut! insista le démon qui parlait à ma place.
Pourtant, on sentait la menace dans sa voix, même si elle voulait se faire rassurante. Voyant que la personne en question reculait, le sourire que Dāku affichait disparu. Cela eut un effet sur Étienne, qui arbora des yeux tout rond.
- Qu'est-ce que je vous ai fait? s'écria le pauvre homme qui tenait à peine debout.

Dāku ne répondit pas. Il ne faisait que le fixer. Ils sont restés quelques secondes immobiles. Je pus percevoir plusieurs expressions passer sur le visage d'Étienne. Il semblait se souvenir de quelque chose qu'il se forçait d'oublier. Ses yeux se remplirent de larmes. Il hésita avant de prononcer quelques mots: "Pardonne-moi". Je restai bouche bée. Je ne le connaissais pas du tout, du moins c'est ce que je croyais.
- À qui le dis-tu Étienne? Parce que d'une certaine manière, tu sais que c'est moi qui le contrôle.
- Je parle à Kyle, avoua-t-il en baissant les yeux.
- Et tu crois qu'un pardon peut tout réparer? Même ta mort ne suffit pas. Pourtant, ça va nous satisfaire.
- Qui est-ce? intervins-je en ne comprenant plus ce qu'il se passait.

- Je pleins cet enfant. Tu sais? poursuivit Dāku.
Je savais qu'il allait m'expliquer la situation de cette façon.
- Et je pense que tu savais que tu étais dans la liste, non? continua le démon.
- Attends! J'ai une famille maintenant donc épargne moi!
- Il en avait une aussi. Et sa dernière famille a disparu aujourd'hui. À qui la faute?
- Ce n'est pas de ma faute!
- C'est ce que tu essayes de te faire croire. Mais au fond de toi, tu sais que tu es en parti responsable de ce qui lui est arrivé.

Il s'écroula au sol.
- Je ne voulais pas. Je ne voulais pas, répéta-t-il en pleurant.
- Il n'a rien demandé non plus. C'est pour ça qu'il avait décidé d'oublier d'où lui venait cette noirceur qui l'avait aidé à devenir le hôte parfait.

À ces paroles, mon coeur battait de plus en plus vite. Je ne voulais rien entendre. Mais une part de moi voulait connaître la vérité.

- Je ne voulais pas le trahir! Mais c'était il y a six ans cette histoire.
- En six ans, il a vécu plus d'un siècle dans l'autre dimension, en grandissant à son rythme. D'ailleurs, ça m'enchante que tu l'ais reconnu après tant d'années de séparation. À dix ans, il est devenu un hôte de démon, le premier. Ce n'est qu'à douze ans qu'il a dû quitter la Terre sans aucun repère. Tu ne peux même pas imaginer à quel point il a souffert.

Dāku marqua une pause avant de continuer ses reproches.
- De toute façon, tu n'aurais jamais dû faire ça. Et de cette manière, il n'aurait jamais vécu de cette manière : prêt à tuer une gamine qui ressemblait étrangement à son amante avant de découvrir que c'était sa propre fille qui le recherchait sans relâche, ou bien avec ce lien brisé.

Étienne se rendait bien compte de l'ampleur des dégâts. Mais il ne comprenait pas vraiment l'expression utilisée dans sa dernière phrase.
- Cela arrive rarement chez les démons, mais cela signifie qu'aux yeux de sa deuxième fille, Kyle n'a jamais existé et n'existera jamais. S'il veut qu'elle soit toujours en vie, il ne devra plus jamais apparaître dans la vie de celle-ci. Conclusion, soit c'est lui qui souffre, ou soit ce sont les deux. Ça fait mal hein?

Je n'avais qu'une idée en tête, en entendant cela. Hurler toute ma colère et ma peine...

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