Chapitre 22: À moitié sauvés

  Deux jours étaient passés depuis la mort d'Ashley. C'était un événement que j'essayais de lui faire oublier. Après tout, dès qu'elle avait réalisé ce qu'elle avait fait, elle avait piqué une crise. Toute la nuit, j'avais tenté de la calmer. Je pense que c'est une nuit que je n'oublierai jamais.

– Salut, marmonna-t-elle en se réveillant.
– Salut petite! lui répondis-je en déposant une assiette sur la table. Tiens, je t'ai ramené du pain au chocolat.
– Merciii!! s'écria-t-elle en fonçant dessus.
– Je ne te savais pas aussi gourmande! déclarai-je en riant.

Un homme entra dans la maison en baissant son parapluie. Il le secoua après l'avoir plié.
– Salut les enfants! dit-il en souriant.
– Bonjour monsieur! nous répondîmes en chœur.
– Vous allez bien?
– Je ne vous remercierais jamais assez pour ce que vous avez fait pour nous! déclarai-je en souriant.

Cet homme nous avait trouvé dans la rue, dormant sur un banc. Il pleuvait beaucoup, et nous étions peu habillés. Je leur avais expliqué que nous avions perdu nos parents, en prétendant que Kelly était ma petite soeur. Il avait décidé de nous héberger, en déclarant qu'il était beaucoup affecté par la disparition de son fils il y avait quelques années.

– Ce n'est rien! Je vous ai ramené quelques affaires...
– Il ne fallait pas! s'empressa Kelly de répondre en mâchant sa dernière bouchée.
Je lui tirai gentiment son petit nez en rétorquant qu'il était préférable de ne pas parler la bouche pleine. L'homme ria et déposa le sac sur la table basse du salon.
– Ça fait plus d'une semaine que vous êtes ici et je n'en sais rien sur vous.
– Ah oui, désolé! On m'appelle Sky.
– "On"? répéta-t-il en arquant un sourcil.
– Ce n'est pas mon vrai nom, mais un surnom. Et voici Kelly! Par contre, c'est son vrai nom.
– Tu dis le nom de ta soeur mais pas le tien!? s'étonna-t-il en croisant les bras.

Je me mordis la lèvre avant de lui donner certains détails.
– Je viens de découvrir mon vrai nom. Et je sais que s'ils le savent, ils ne me laisseront pas tranquille.
– " Ils"?
– Les gens de la société Egorya, avoua Kelly.

Je lui fis les gros yeux mais elle haussa les épaules. Une vraie gamine cette enfant! Parfois elle m'exaspérait. Je remarquai que l'homme avait serré ses poings. Dès qu'il me vit, il fit mine de sourire. Je plissai les yeux, surpris par sa réaction. Il secoua sa main pour m'assurer qu'il n'y avait rien d'important.
– Quel est votre nom à vous? demanda subitement Kelly en plongeant dans le sac de courses.
– Kelly!! la réprimandai-je.
– Quoooiiiii!? Il a dit que c'était pour nous!

Je soupirai. Il fallait vraiment que je l'éduque convenablement.
– Appelez moi Jo! Sinon je m'appelle Jonathan.

Kelly prit une robe bleue marine en élargissant un magnifique sourire.
– Elle me plait beaucoup cette robe! affirma-t-elle.
– Purée Kelly!!! m'emportai-je.
– Mais euh!!! J'ai rien fait...

Elle bascula en arrière et perdit l'équilibre. Je savais qu'il ne s'agissait pas de la maladresse. Elle se retentait de tousser.
– Kelly! criai-je en lui enlevant la robe de sa main. Tousse! Sinon tu vas t'étouffer!

Elle secoua la tête.

– Arrête de faire ton chichi!! m'emportai-je.

Je plaçai ma main sur son menton et frappai son dos en maîtrisant ma force. Elle cracha un liquide noir avant de recracher son sang.
– Oh mon dieu! s'écria Jonathan. Il faut appeler l'ambulance...
– Absolument pas! C'est ce qu'ils attendent. Ils veulent que je fasse ça! Mais je ne peux pas la perdre encore une fois!
– Je comprends! rétorqua-t-il en baissant la tête.

Kelly pleurait. Elle n'en pouvait plus. J'essayais de la consoler mais elle ne voulait m'écouter. Il fallait seulement qu'on lui enlève son bracelet.

Cette journée se termina drôlement vite. Personne n'arrivait à engager une discussion. Nous avions même eu un petit appétit.

La nuit tomba, et Kelly dormait à côté de moi. Elle devait vraiment être exténuée. Ne trouvant pas le sommeil, je sortis du lit pour explorer les environs. Je remarquai qu'il n'y avait aucune photo encadrée ou accrochée au mur. L'endroit paraissait bien triste. Une lumière me surprit. Je couvris mon visage pour empêcher la lumière de m'aveugler encore plus.
– Qu'est-ce que tu fais ici? me demanda Jo en baissant le flash de son portable.
– Désolé, je n'avais pas sommeil. Je t'ai réveillé?
– Euh non... Je n'ai pas sommeil non plus.

Nous nous installâmes à la cuisine où il me servit du chocolat chaud.
– Tu as quel âge?
– Dix-huit ans.
– Ah, je vois. Et ta soeur?
– Huit.
– Dix ans d'écart!? Il s'est passé quoi pendant cette période?
– Une dispute peut-être, prétendis-je.

Il ria silencieusement. Pourtant il paraissait très triste. Il soupira avant de se lever pour ouvrir un placard. Il sortit une bouteille de bière et un verre. Il s'assied en face de moi et se versa la boisson.
– Moi, j'ai un garçon qui devait avoir ton âge. Je l'ai perdu...

Il but d'un coup sec et se resservit un verre.
– Ma femme est morte en essayant de le protéger. Mais ça n'a servir à rien.

Je restai muet, en train de chercher les mots qu'il fallait. Mais je n'en avais pas trouvé. Jo remarqua mon embarras et esquissa un sourire.
– Ne fais pas cette tête!
– Je... Je suis désolé.
– Non... Ne t'inquiète pas!

Il reprit un verre avant de poursuivre.
– Même si j'essaie de me reconstruire une vie, je... ne parviens pas à oublier ce drame. Je me dis que je n'ai pas le droit d'être heureux.

J'étais tellement confus qu'aucune syllabe ne sortit de ma bouche. C'était vraiment pitoyable à voir. Ses yeux s'embuèrent de larmes. Il se consolait avec des autres verres. Lorsqu'il finit la bouteille, il partit en chercher une autre, beaucoup plus forte. Voyant ses joues en feu, je décidai de l'arrêter. Il me repoussa et s'écria:
– J'ai été un père pitoyable, un mari détestable qui se vouait plus au travail qu'à la famille! Maintenant que je les ai perdus, je regrette tout!
– Jo...
– Mais c'est fou comme tu lui ressembles! Quand je t'ai vu, j'étais sûr de l'avoir trouvé, pourtant, tu m'as dit que Kelly était ta soeur. Mon garçon était fils unique. Mon rêve s'est alors effondré.
– Jo, si tu souffres par ma présence, je peux partir. Mais s'il te plait, garde la.
– Non c'est bon, tu peux rester, murmura-t-il avant de s'affaler sur la table.

Son bras tapa la bouteille en verre qui se fracassa contre le sol. Il râla. À ce que je pouvais voir, ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait. Je savais qu'en chaussettes, je n'étais pas à l'abri des bouts de verre, mais je me dirigeai quand même vers l'homme pour le soulever. Une fois bien installé sur mon dos, je m'aventurai dans le salon qui n'était pas du tout éclairé. Je me pris pas mal de bouts de verre dans les pieds, mais je tins jusqu'à que je l'allonge sur le canapé en me mordant la lèvre inférieure. Kelly, qui s'était réveillée par le bruit me vit dans cette mauvaise posture et poussa un petit cri horrifié.
– Il a essayé de te tuer!? s'empressa-t-elle de demander.

Je secouai la tête.
– C'était juste un accident, rien de plus.

Elle revint quelques secondes plus tard avec une boite de secours. Ne me demandez pas comment elle savait où il était, mais plutôt comment elle avait fait pour l'attraper. Vu sa petite taille, elle ne pouvait pas toucher le placard de la salle de bain. Elle retira mes chaussettes trempées de sang. Je grimaçai en serrant les poings.
– Tiens le coup encore un peu! me supplia la gamine en désinfectant mes plaies.

Les picotements étaient douloureux. Je ne parvenais pas à rester tranquille, comme me le demandait Kelly. Finalement, elle fit rapidement les bandages et on s'endormit dans le couloir comme j'étais en incapacité de poser mon pied au sol.

– Que faîtes-vous ici les enfants?

J'ouvris doucement les yeux, me rappelant que je n'avais pas de lentilles. Je laissai mes cheveux couvrir mon regard et tentai de me lever.
Jo hurla dès qu'il vit sa cuisine. Il découvrit des traces de sang qui menaient jusqu'à mon emplacement et les bouts de verres éparpillés au sol.
– Sky! Ça va? s'écria-t-il de la cuisine.

Il essuya les traces rouges après avoir jeté les bouts cassés.
– Je suis vraiment désolé! C'est de ma faute.
Kelly se réveilla en sursaut. Vu son état, elle avait dû faire un cauchemar. Elle me tint fermement, en essayant de récupérer son souffle. Elle faisait des spasmes.
– Qu'est-ce que t'as? m'inquiétai-je.
– Sauvons nous Sky! Sauvons nous!

J'essayai de me lever, mais la douleur était persistante. Malgré cela, je la ramenai dans la chambre pour qu'elle m'explique ce qu'elle avait. Elle referma la porte derrière elle pour être sûre de ne pas être entendue.
– Cet homme... J'étais sûr de l'avoir vu quelque part!
– Et?
– Il travaille pour Egorya en tant que scientifique! affirma-t-elle apeurée.

La porte s'ouvrit lentement en grinçant, et le visage souriant de Jonathan apparut.
– Alors les enfants? Un problème?

Nous sursautâmes et, sans le vouloir, nous le fixions avec de gros yeux ronds. Ce qui montrait bien que nous doutions de lui.
– Quoi? Vous parliez de moi? s'étonna-t-il.

Un sentiment de peur me figea. Je ne pouvais pas me permettre de me battre, puisque je focalisais mon énergie sur mes pieds afin de les soigner rapidement. Par contre, je craignais de ne pas pouvoir sauver Kelly dans cet affrontement...

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