Prologue - Invitation céleste à l'Aventure
Tout ça avait commencé un demi-siècle avant la naissance de Matsuba.
Le soir du trente-et-un décembre 3150, les habitants de la Tour avaient tous vécu le même phénomène extraordinaire. Dans chacun des étages qui composaient Babel, une distorsion avait crevé les nuages dans le ciel, formant un gigantesque typhon parcouru d'éclairs. Une lumière - que l'on aurait pu qualifier de divine - avait alors émergé de l'orage pour illuminer chaque parcelle de terre, comme si le Soleil lui-même était descendu de son perchoir.
Là, sous les yeux écarquillés d'émerveillement et de terreur de la Tour toute entière, était apparut un être fabuleux. Doté d'un corps aussi sphérique et dorée qu'une perle d'or, pourvu d'un œil au regard assurément omniscient, le Roi du Ciel avait majestueusement déployé ses trois paires d'ailes aussi blanches que celles des anges - dispersant le vent aux quatre coins des mondes - et avait ouvert la parole.
Et bien qu'il soit anatomiquement privé de bouche, sa voix mielleuse avait résonné dans le tête de chacun.
« Peuples de la Tour... mon nom est M. »
La grand-mère de Matsuba lui avait maintes fois raconté ce passage, elle qui l'avait vécu.
Lorsque ces sons inintelligibles avaient atteints leurs oreilles, les gens s'étaient bouchés les tympans et pris la tête, en proie à une grande douleur. Personne ne parlait cette langue, mais tout le monde avait compris le sens de ces paroles. C'était là une sensation particulièrement déroutante. Certains étaient tombés à terre, émerveillés. D'autres s'étaient agenouillés pour prier. D'autres encore s'étaient recroquevillés pour pleurer.
Mais tous avaient entendu l'invitation de cet être divin et mystérieux.
« Je suis le créateur des terres que vous foulez aujourd'hui. J'ai façonné vos rivières, vos forêts et vos montagnes. Je vous ai également donné naissance, alors je sais que vos cœurs ont soif d'aventures et d'ambitions. C'est pourquoi je vais vous proposer une chance d'étendre vos ailes. »
Au moment où il avait prononcé le mot ailes, les siennes s'étaient étendues aussi loin qu'elles le pouvaient. On aurait dit des bras immaculés prêts à étreindre le ciel.
« Vous ignorez encore vos existences respectives, mais chacun des soixante mondes auxquels je m'adresse en ce moment fait parti d'une Tour que j'ai baptisée Babel. Et si jusqu'ici, ces soixante étages ne partageaient aucun liens, sachez qu'ils sont désormais connectés. Cela veut dire que ceux qui s'en montreront digne pourront donc espérer les parcourir. Dans quel but ? C'est très simple... »
La suite du message, Matsuba la connaissait par cœur. Il l'avait même inscrite sur les murs de sa chambre.
« Atteindre le sommet. Soixante étages, soixante épreuves. Pour accéder au Sky Keep, l'étage suprême, vous devrez gravir Babel en rassemblant les soixante Fragments Célestes que j'ai éparpillé dans chacun de ses mondes. Quant à ce qui se trouve tout en haut... »
Il n'avait pas de bouche, mais à cet instant, on aurait pu croire qu'il souriait.
« ...ce sera à vous de le découvrir. Soyez courageux, soyez persévérants et n'abandonnez jamais. La Tour vous réserve des trésors insoupçonnés, mais il vous appartient de les découvrir ! »
Ces paroles avaient été le déclenchement de l'ascension.
***
Plaines verdoyantes, vallées venteuses, plages tropicales, jungles féroces, déserts arides, toundras glacées... la tour de Babel recèle de nombreux paysages plus incroyables les uns que les autres.
En fait, elle en regroupe très exactement soixante.
Soixante mondes, soixante étages, qui ne demandent qu'à êtres parcourus par des gens suffisamment forts - et fous selon certains - pour entamer leur montée vers le sommet, celui que personne n'est encore jamais parvenu à atteindre : le Sky Keep.
Légende ? Mensonge ? Palais des dieux ? Beaucoup tergiversent sur cet endroit inatteignable. Mais tous sont certains d'une chose : le premier à en ouvrir les portes deviendra la personne la plus puissante de l'univers.
Ces gens qui grimpent la Tour, on les appelle les ascensionnistes. Et parmi eux, nombreux étaient ceux qui nourrissent le même rêve : être le premier à franchir les portes du soixantième étage !
***
CINQUANTE ANS PLUS TARD
Forêt de Bushy, Greenland (1er étage de la Tour)
Le 17 juillet 3202, en fin d'après midi
Il y en avait du vacarme, ici-bas.
Alors que le soleil se couchait à l'horizon - plongeant ce monde verdoyant dans une teinte orangée - une cacophonie sans nom ravageait progressivement les bois qui ornaient la vallée. Inéluctable, la masse sombre et furieuse avançait vers son but sans ralentir. Sur son chemin ravageur, les oiseaux s'envolaient et les épicéas tombaient les uns après les autres. Rien ne semblait pouvoir l'arrêter.
Quelques deux cents mètres derrière la créature, trois individus encapuchonnés la poursuivaient en sautant sur les troncs déracinés.
« Tch. Il court vite, l'enfoiré... » Grogna l'un d'eux - une femme.
« Si il n'était pas obligé de faire le tour des montagnes pour avancer, il aurait fait un prédateur formidable. » Apprécia l'homme qui bondissait à ses côtés, amusé.
« C'est un herbivore. » Intervint une autre femme, plus mature que la première. « Et à moins que ma mémoire me fasse défaut, les arbres ne s'enfuient pas à cet étage. Donc pas vraiment, non. »
Ses deux interlocuteurs laissèrent échapper un petit rire, tout en continuant leur course sur les débris.
« Ça va faire presque six mois que t'es pas revenue ici... ça doit t'avoir manqué. » Lança finalement l'homme à l'intention de la première à avoir parlé.
« Hmpf. Je n'ai jamais été très attachée aux lieux et aux objets. »
« Et aux personnes ? » Intervint l'autre femme.
« Mmm... si on veut, oui. » Grommela la concernée en fuyant le regard de ses camarades.
Les trois individus atteignirent alors la lisière des bois de Bushy, se mettant à scruter l'horizon pour tenter de repérer la bête qu'ils pourchassaient inlassablement.
Ils l'aperçurent finalement au loin, au milieu de la plaine aux herbes pétantes qui bordait la ville la plus proche. Un nuage de poussière était soulevé par sa course effrénée.
« Il fonce droit vers chez moi...! » Remarqua la première chasseuse en apercevant les bâtiments de loin.
« Rattrapons-le. » Répondit aussitôt l'homme.
***
À proximité de la ville de Windy Hollow, Greenland (1er étage de la Tour)
Pendant ce temps...
« Parfait, le voilà. » S'enivra le jeune homme en contemplant la bête qui fonçait dans sa direction, cinq cents mètres plus loin sur le chemin.
Planté devant l'entrée du village, ses cheveux noirs dansant dans la brise du soir et ses iris écarlates braquées à l'horizon, Matsuba Kawakami - dix-huit ans - attendait fièrement sa cible, les mains posées sur les hanches. Du haut de son mètre soixante-huit, il surplombait la vallée verdoyante d'où approchait la créature.
« Un haggis sauvage... » Murmura une voix masculine près de lui. « C'est la première fois que j'en vois un aussi gros. »
C'était un autre étudiant portant le même uniforme. Il arborait une chevelure brune et des joues tachetées.
« C'est impeccable ! » S'extasia Matsuba, en ne prêtant même pas attention à la remarque de son ami. « Absolument impeccable ! Matthew, ce gros sanglier est la solution à mes problèmes ! Grâce à lui, je vais pouvoir prouver à cette ville que je suis prêt à l'ascension ! »
« Hum... tu es sûr de ce tu fais, Matsu ? Les haggis sauvages ne sont pas des gros sangliers, ce sont les monstres les plus dangereux de Greenland... »
« C'est encore mieux ! Quoi de mieux pour montrer de quoi on est capable que de terrasser le plus grand fléau de son monde ?! »
De plus en plus excité, Matsuba frappa ses poings l'un contre l'autre - une vieille habitude qu'il avait pris lorsque son esprit s'échauffait.
« C'est décidé, je vais me le faire ! » Cria-t-il, déterminé.
« Att...! »
Mais avant que Matthew n'ait le temps de l'interpeller, son ami se saisit de la pelle qu'il avait apportée et se rua ventre à terre à l'encontre de la bête en poussant un cri grotesque.
***
Le haggis sauvage.
Comme l'avait précisé Matthew à son ami un peu plus tôt, il s'agissait du monstre le plus dangereux du premier étage. Mais dans ce vaste ensemble qu'était la Tour de Babel, Greenland était considéré comme un monde de dangerosité dite pacifique.
Aussi, bien que particulièrement agressif, le haggis sauvage était strictement herbivore et n'attaquait pas spontanément les humains et semi-humains - sauf bien sûr si ceux-ci empiétait son territoire ou menaçait sa vie.
Sa fourrure au poil long et brun le protégeait des projectiles comme les flèches et même des balles de faible calibre tirées depuis une longue distance. Chose étrange : cet animal était pourvu de pattes plus courtes d'un côté que de l'autre. À Greenland, on racontait ainsi que les haggis sauvages ne pouvaient courir qu'autour des montagnes. En réalité, il pouvaient tout à fait charger en ligne droite, même si il perdaient en équilibre et en force de poussée.
Le spécimen qui se dirigeait actuellement vers Windy Hollow était un mâle particulièrement imposant. Fort d'une carrure de plus de trois mètres de longs et fier d'une masse dépassant les deux tonnes, il était à proprement parler une boule de chaire mobile et destructrice. Envahi par une rage incontrôlable, son odorat - guidé par sa truffe semblable à celle d'un sanglier - l'avait mené jusqu'à la concentration humaine et semi-humaine la plus proche de sa tanière.
En temps normal, personne n'aurait osé s'interposer à sa course folle.
Pourtant...
***
SCHBAM !
Alors qu'il s'approchait d'un étable en périphérie de la ville, le haggis sauvage fut soudainement assailli par un violent choc à la tête. Meuglant de douleur, il trébucha et s'étala de tout son long, roulant sur une dizaine de mètres avant de stopper. Tout autour, des vaches brunes au long poil s'enfuirent dans fous les sens, terrorisées par le grabuge.
Sonnée, enragée, la bête se releva en cherchant de ses yeux injectés de sang le responsable. Elle n'eut aucun mal à le trouver : celui-ci se dressait fièrement à quelques pas de pas d'elle, une pelle à la main. Soufflant un véritable torrent déchainé par les naseaux, la créature se rua sur l'impertinent en poussant un meuglement sourd, le sol tremblant sous chacun de ses pas.
« Allez Matsu... tu peux... le faire...! » Haleta le pris pour cible d'une voix tremblante.
Le souffle court suite à sa course, Matsuba regardait d'un œil inquiet le tas de muscle lui foncer dessus.
Dès qu'il avait entendu dire que cet ennemi emblématique de la région s'approchait de son quartier, il était sorti à la hâte pour mettre son plan en place. Il s'était ensuite approché en prenant garde à ne pas être dans le mauvais sens du vent, dissimulant son odeur.
Attendant finalement que la créature passe à son niveau, il avait sauté sur elle depuis le toit de l'étable où il était grimpé pour lui asséner de toutes ses forces un coup de pelle sur le sommet du crâne.
La première phase de son plan avait fonctionné : sa proie l'avait désormais pris pour cible.
« M-ma grand mère et mes potes vivent dans cette ville ! » Hurla maladroitement le jeune homme. « Alors laisse-la tranquille et viens me chercher, sac de poils ! »
En réalité, il avait peur. En louchant sur les muscles saillants du monstre, il entrevit l'espace d'un instant son corps désarticulé être balancé dans les airs comme une poupée de chiffon après avoir été percuté.
« Allez Matsuba, tu fais ça pour qu'on reconnaisse enfin ta valeur ! » Se remémora-t-il, l'estomac crispé. « Ce soir, on fêtera ta victoire dans le quartier pour avoir vaincu plus puissant monstre de Greenland ! »
« RAAAAH ! » Hurla-t-il en contractant ses jambes, une bouffée de courage empourprant son visage.
« Cinq...! » Compta-t-il. « Quatre...! »
« MEEEEARGH ! » Lui répondit le haggis, l'écume aux lèvres.
« Trois...! »
Le monstre n'était désormais plus qu'à une dizaine de mètres de lui.
« Deux...! »
Plus que cinq mètres.
« Un...! »
Deux mètres.
« Maintenant ! »
Au moment où le haggis allait l'atteindre, Matsuba se jeta sur le côté, effectuant une roulade maîtrisée. Sa vélocité eut raison de la charge de la bête, qui le frôla d'un demi-centimètre en poussant un grognement de protestation.
Le jeune homme se releva sans attendre, mais déjà le monstre faisait demi-tour. Usant de toutes ses forces, Matsuba se rua alors ventre à terre dans l'étable et se plaça juste devant un empilement de foin, misant le tout pour le tout.
« Ça passe ou ça casse ! » Pria-t-il en brandissant sa pelle devant lui pour faire bouclier. « On a qu'une seule vie, alors j'espère que la mienne durera un peu plus ! »
« Meuarh ! »
Les yeux plissés, le haggis frotta furieusement sa patte sur le sol, avant de se mettre à charger. Matsuba attendit qu'il arrive, serrant les dents au fur et à mesure que la terre tremblait toujours plus. Finalement, la bête passa le seuil de la porte... et glissa sur l'huile que le jeune homme avait répandue un peu plus tôt sur le sol.
« Meuargh ?! » Glapit-elle en basculant vers l'avant sans parvenir à stopper sa course.
« Yeah, j'l'ai eue ! » Brailla Matsuba en levant les bras en l'air.
Mais il vit alors le corps poilu lui plonger dessus.
« Ah, je crois que j'ai parlé un peu vite... »
Le jeune homme ferma les yeux.
***
Le mur de l'étable explosa, projetant moult mottes de pailles dans les airs. Matsuba effectua plusieurs roulées sur le sol, grimaçant à chaque impact. Finalement, il sentit qu'il s'était immobilisé.
« Je... suis vivant ? » S'étonna-t-il en ouvrant un œil.
Il avait cru finir écrabouillé. Heureusement, grâce au foin qui se trouvait derrière lui et grâce à l'huile qu'il avait versé sur le sol, il avait été épargné : l'élan du haggis avait été freiné. Et même si il avait souffert de son passage à travers le mur, Matsuba pouvait encore bouger.
Grognant sous la douleur que lui procurait son dos, épongeant de la main le petit filet de sang qui coulait depuis sa tempe, le jeune homme se redressa doucement face au corps inanimé du haggis, qui reposait sous les décombres.
« Je... j'ai... vaincu ?! » S'écria-t-il alors en levant bien haut son outils de jardinage, ivre de joie. « J'AI VAINCU ! MATSUBA KAWAKAMI N'EST PAS UN BON À RIEN !! »
Mais à cet instant, la masse de poil se releva d'un seul coup, debout sur ses pattes arrières, envoyant valser les débris de l'étable. Folle de rage, elle se tourna vers lui et se mit en tête d'user de ses dernières forces pour l'écraser de tout son poids.
« Cette fois, je suis vraiment mort. » Comprit Matsuba en serrant doucement sa pelle contre son cœur.
Pourtant, alors que le haggis allait se jeter sur lui, une silhouette sombre fit soudainement son apparition dans l'éclat du soleil.
« <Brasier térébrant> » Dit alors une voix calme et féminine.
L'instant d'après, ce qui semblait être un mince geyser de flammes s'échappa à pleine vitesse des mains jointes de l'inconnue pour venir transpercer la bête avec précision. Celle-ci s'enflamma aussitôt et fut réduite en cendres en l'espace de quelques secondes.
Les yeux écarquillés, Matsuba s'effondra sur le dos alors que sa mystérieusement sauveuse atterrissait juste devant lui.
Le surplombant de toute sa hauteur, celle-ci retira alors sa capuche, dévoilant une chevelure auburn aussi flamboyante que le feu qu'elle venait de déployer, et de laquelle dépassait deux oreilles de louve. Ses yeux orangés et moqueurs étaient fixés droit sur le jeune homme.
« Salut, Matsu. » Lança-t-elle avec amusement. « Ça faisait un bail. »
Sky Keep ARC 1 - Prologue : FIN
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