Chapitre 9 - La voyageuse égarée, partie 1
Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)
Après-midi du 20 juillet 3202
Il régnait une chaleur abominable sous les combles. Le vaste espace au plancher de bois se trouvait juste derrière la grande horloge qui ornait la façade d'une ancienne mairie de quartier. Des poutres le traversaient de parts en parts, et il n'était éclairé que par les minces rayons de lumière passant par l'unique hublot de la pièce.
C'était un endroit désert et poussiéreux, où l'on ne trouvait qu'araignées et réfugiés.
« C'était quoi, ce bordel, Shay ? » Demanda Natherod.
Le condorien, qui venait enfin de parvenir à tarir l'hémorragie de son nez à l'aide d'un mouchoir en tissu, poussa un léger grognement.
« J'ai été pris par surprise. » Murmura-t-il, encore sonné. « Parce que je me suis montré imprudent. »
Son camarade échangea un regard inquiet avec Kaya. Lorsqu'ils avaient vu leur chef tomber, tous deux l'avaient récupéré en vitesse et s'était hâtés de filer du train, trouvant finalement refuge dans ce grenier abandonné.
« Cette femme... » Dit la leporienne, perturbée. « C'était une ascensionniste, elle aussi ? »
« Sans doute. » Répondit Shayton, songeur.
Ses camarades attendirent en silence, pensifs.
« Elle a pris notre stock de Leyposa. » Dit finalement le condorien. « Il faut qu'on le récupère. On aura du mal à s'en procurer de nouveau. »
« C'est vraiment une bonne idée ? » Demanda Kaya, soucieuse.
« Si jamais cette grimpeuse a atteint le rang C... » Ajouta Natherod, mal à l'aise.
Ses deux camarades se crispèrent.
« Ce serait le pire scénario pour nous. » Répondit finalement Shayton, la mine pincée. « Mais j'ai du mal à savoir ce que quelqu'un de ce niveau fabriquerait ici. »
« Peut-être une affiliée aux Messagers du crépuscule ? »
« Ou bien une humaine de la faction neutre, qui vient pour le Fragment ? »
Les suppositions avaient fusé, mais le capitaine n'en trouva pas une qui fusse plus crédible que l'autre.
« Tergiverser ne nous avancera à rien. » Trancha-t-il. « Dans tous les cas, on doit la retrouver pour récupérer notre Leyposa. »
« Et si elle ne veut pas nous le rendre ? » Demanda Natherod en plissant le front.
« Je n'ai pas l'intention de lui demander son avis. »
Un silence de plomb accueillit sa déclaration, uniquement rythmé par les craquements du bois et les frémissements du vent dans les tuyauteries.
« A-t-on la moindre chance, si cette grimpeuse est vraiment de rang C ? » Demanda Natherod, incertain.
« On ne pourra le savoir qu'en essayant. Mais si on est tous les trois, je pense que oui. » Affirma le condorien, déterminé. « Le but n'est pas de la blesser, simplement de l'immobiliser juste assez de temps pour récupérer ce qui nous appartient et filer en vitesse. »
Les trois ascensionnistes approuvèrent à l'unisson, entendus sur leur décision.
« On va avoir besoin de l'observer... » Fit Shayton. « Kaya, tu peux la localiser ? »
La leporienne frissonna, mais hocha la tête.
« Entendu. Je vais essayer de la trouver. »
***
Cathédrale Santa Luminus à Las Alba
Assis derrière son bureau, Tiberius était songeur.
« Au final, ce piège n'aura été qu'à moitié efficace... »
Quelques jours plus tôt, l'archevêque avait entendu parler des attaques du groupe appelé West's Spirit sur des diligences, dans les environs de Maldor Town. Cette équipe venant en aide aux parjuriens, il avait craint pour la sécurité du convoi de prisonniers qui devait arriver depuis cette citée jusqu'à la capitale dans les jours suivants. Naturellement, il avait donc mis en place un piège destiné non seulement à protéger le convoi, mais aussi à attraper les fauteurs de trouble.
L'idée avait été ficelée de la sorte : les prisonniers seraient transportés non pas - comme d'habitude - dans un train spécialisé mais dans un train ordinaire, dissimulés entre des wagons de passagers. Mais loin de vouloir garder cette information secrète, il avait discrètement demandé à ce qu'elle circule sous forme de rumeurs, de manière à attirer les mouches. Ainsi, une groupe armé de pacificateurs avait également été discrètement positionné dans le convoi, ayant pour objectif de cueillir les assaillants qui viendraient tenter de libérer leurs confères.
Mais le plan n'avait qu'à moitié marché.
D'après ce que lui avait rapporté ce vieux shérif bougon, le groupe d'ascensionniste était parvenu à savoir où se trouvaient les paladins et s'étaient débarrassés du wagon en le précipitant dans le vide.
« Je suis sûr que cette information là n'a pas fuité... ça serait en lien avec une capacité spirituelle ? »
D'après la suite du rapport de Truster, le groupe d'attaquants avait ensuite libéré la moitié des prisonniers, avant d'être appréhendé par plusieurs personnes, dont le shérif et une passagère inconnue, et d'être contraints de prendre la fuite, parvenant à s'échapper.
« Au moins, la moitié des prisonniers sont bien arrivés. » Tenta de se rassurer Tiberius en grattant son crâne dépourvu de cheveux. « Mais qui peut bien être cette femme ? Et frère Marchus qui ne donne toujours aucunes nouvelles... »
On toqua soudainement à la porte, et il sursauta.
« C'est lui... »
« Entrez. » Lâcha-t-il d'une voix qu'il voulait contrôlée.
Un homme pénétra la pièce. Sitôt, l'archevêque tressaillit.
L'individu était grand sans être immense, et sa stature n'avait rien d'imposante en soi. Pourtant, il y avait quelque chose de dérangeant dans sa prestance. Peut-être étaient-ce ses cheveux gras et emmêlés, coupés au carré. Ou bien peut-être la présence des deux grosses taches noires - des grains de beauté, semblait-il - qui occupaient sa joue droite.
On pouvait faire une véritable liste de ces petits détails, d'apparence insignifiantes, mais qui dans leur ensemble rendaient cet homme pourvoyeur de malaise et d'appréhension. Sa posture non droite, sa façon se marcher presque boiteuse, ses regards à l'iris d'un vert délavé, ou encore l'insigne accroché à sa veste sale - représentant un squelette de femme en robe tenant deux révolvers.
Le nom de cet homme était Anton - dit Tony - Jane, actuel chef du groupe de mercenaires locaux Calamity Jane. Ce n'était pas un ascensionniste, mais il disposait tout de même d'un stigmate.
Tiberius frissonna.
Il n'aimait pas sa présence.
« Merci d'être venu, Anton. J'ai une mission pour toi. »
« Une chasse, je présume... » Murmura le concerné, son regard se promenant aléatoirement dans la pièce.
« Hum... oui, c'est ça. Tout à fait. Je désire que tu nous débarrasse de trois personnes en particulier. Trois parjuriens, des grimpeurs. Naturellement, tu seras payé en conséq... »
« Quelle est la bête ? »
Tiberius esquissa un mouvement de recule. L'espace d'une seconde, Tony s'était avancé droit sur lui, amenant son visage à quelques centimètres du sien, louchant sur lui comme le ferait un aigle sur une souris.
« Et où est-elle ? »
L'archevêque retint un juron. C'était ce genre de comportement qui lui faisait détester cet homme. Lorsqu'il croisait son regard vide, il avait l'impression de dévisager un scorpion.
« Je... je vais te transmettre un dossier contenant toutes les informations que nous avons à leur sujet. » Dit précipitamment le religieux en saisissant l'occasion pour s'éloigner du mercenaire.
Il alla récupérer une pile de documents pour la tendre à Anton, qui s'en empara pour les parcourir rapidement.
« Je prend le job. » Assura-t-il, un sourire aux dents jaunis apparaissant sur son visage. « À plus, mon père. »
Et sur ce, il quitta la pièce. Tiberius soupira de soulagement. Puis, il se rappela de quelque chose et se hâta d'aller à la porte.
« Une dernière chose ! » Lança-t-il au mercenaire, qui ne se retourna pas. « Le rapport que je t'ai donné mentionne également une autre personne, une cow boy habillée de mauve ! Si tu la trouves et que tu nous la ramènes vivante, tu seras doublement payé ! »
Pour toute réponse, Anton émit un grognement avant de disparaître au fond du couloir. Tiberius regarda un instant l'endroit où il s'était engouffré, songeur, puis retourna à ses occupations.
***
À l'autre bout de la ville, Charcoal rouvrit les yeux, son regard imperturbable se posant immédiatement sur Soren, qui battait un paquet de carte dans un coin de la chambre.
« Tu as du neuf ? » Demanda celui-ci avec un sourire.
« En effet. » Affirma l'autre d'un ton neutre. « Tiberius vient d'envoyer le chef de Calamity Jane à la recherche des grimpeurs que tu as repéré pour les éliminer. Il lui a également demandé de retrouver la femme qui est intervenue dans le train, pour l'interroger. »
Le nanti considéra l'information, mettant une pause dans le mouvement des cartes. Songeur, il en tira alors une de l'index, et la retourna pour se rendre compte qu'il s'agissait d'un roi de cœur.
« Garde la trace d'Anton. » Dit-il finalement en fixant la carte des yeux.
« Tu as un plan en tête ? » Demanda Charcoal, l'air indifférent.
Soren tourna la tête vers son garde du corps. Il ne souriait pas, il ne souriait jamais d'ailleurs. Il n'avait par ailleurs jamais l'air triste ou en colère. Son visage était une véritable façade de marbre.
« C'est dans la nature des êtres comme lui, après tout. »
« On dit que quand un navire s'apprête à couler, les rats le sentent venir et se jettent à l'eau pour ne pas sombrer vers lui. » Dit le nanti en faisant tourner sa carte entre ses doigts. « Je suis curieux de savoir où ce rat va nous mener. Mon instinct me dit que quelque chose se prépare à cet étage, et j'aime toujours savoir à l'avance quels acteurs jouent dans les films que je vais voir. »
Charcoal haussa les épaules. De toute façon, il n'était pas là pour discuter les ordres, mais simplement pour les exécuter.
« Avec un peu de chance... » Sourit Fyrklöver, son regard d'émeraude plongé dans celui du roi de cœur qui ornait sa carte. « ...nous arriverons peut-être à nous glisser quelque part dans l'épilogue. »
***
Deux heures plus tard, à Hotêl Crossboards
Le début d'après midi était pluvieux. Derrière la vitre de la chambre, Matsuba pouvait voir les gouttes tomber.
« Je vais aller acheter une carte, celle du bouffon plumé a au moins dix ans d'âge. » Le prévint Raijū en enfilant une cape par dessus ses vêtements. « Quand je reviendrai, on ira au siège de la Guilde, et tu repartiras d'où tu viens. »
Conscient que la kitsune lui laissait en réalité un dernier sursis alors qu'elle aurait pu se débarrasser de lui dès maintenant, le jeune homme esquissa un sourire timide.
« On se rejoint ici à la tombée du jour ? » Demanda-t-il.
La grimpeuse fronça du nez.
« Ne pousse pas trop loin. » Le prévint-elle avec un sourire crispé. « On partira sans attendre, dès que je serai de retour. »
« Entendu ! » Acquiesça Matsuba, ravi.
« Hpfm. »
Tous deux quittèrent la pièce et descendirent l'escalier pour finalement sortir de l'hôtel, arrivant sur le porche. La femme-renarde s'enduisit alors de Leyposa avant de lui passer le flacon qu'elle avait récupéré sur le type du train.
« On en met même sous la pluie ? » S'étonna-t-il.
« Les soleils ne disparaissent pas, même cachés derrière des nuages. Alors on ne sait jamais. Ça supporte la pluie deux bonne heures. C'est la dernière dose que je te donnerai avant de te renvoyer, alors profite-en. »
Reconnaissant, il s'empara de l'onguent et s'en appliqua sur tout le corps, à la manière d'une crème solaire, avant de le rendre à Raijū.
« Dîtes, à propos de la Leyposa... » Demanda soudainement le jeune homme en l'observant ranger le petit flacon dans a poche. « Le bandit qui avait cette lotion, comment vous avez fait pour lui bondir dessus aussi vite ? J'ai cru au début que vous vous étiez téléportée sur lui, mais je suis sûr de vous avoir entrevu bouger très rapidement. Comment c'est possible ? C'est grâce à votre capacité innée ? »
Raijū lui jeta un regard en biais, songeuse.
« Il a réussi à remarquer ça... »
« Décidément, ton sens de l'observation est plutôt développé. » Dit-elle pour toute réponse. « Désolé, mais c'est secret professionnel. À plus tard. »
Et elle s'éloigna sans plus d'explications, disparaissant dans la pluie. Intrigué, Matsuba l'observa partir. Puis soudainement, il fut pris d'une drôle de sensation et bifurqua immédiatement son regard sur les toits des bâtiments au loin.
Rien... il n'y avait rien.
« J'ai eu la sensation d'être observé... mais j'ai peut-être rêvé. » Se dit-il, perplexe, avant de finalement s'engager à son tour sous la pluie.
***
Dissimulés derrières le rebord du toit, les membres de West's Spirit reprirent leur souffle. On entendait à peine leur respiration sous l'averse qui s'abattait autour d'eux.
« Je ne m'attendais pas à ce qu'il tourne la tête dans notre direction. » Souffla Kaya, ébranlée. « Il nous a repéré à plus de cent mètres de distance ? »
« Je crois... que c'était instinctif. » Haleta Shayton, qui s'était - comme ses camarades - camouflé à la hâte. « Mais ce gosse a un sacré flair. »
« Qu'est ce qu'on fait ? » Demanda Natherod, soucieux. « C'est peut-être un grimpeur, lui aussi... »
« Non. » Affirma aussitôt Kaya, qui avait entendu leur discussion. « Je pense que c'est un simple apprenti. »
« Dans tous les cas, c'est la femme qui a ce qu'on cherche. » Trancha le capitaine, déterminé. « Alors c'est elle qu'on va suivre. »
« T'es sûr de ton coup, Shay ? » Fit le latranien, crispé. « Je suis pas un expert en filature, mais j'ai l'impression que cette nana ne laisse aucune faille apparente dans sa démarche. Je ne vois aucune ouverture, et j'ai la sensation qu'elle nous sentira venir dès qu'on commencera à la filer. »
« Suivons-la en maintenant nos distances pour plus de précautions. » Proposa Shayton. « Si on voit qu'elle se méfie trop, on reculera et on attendra le bon moment. »
Ses deux coéquipiers hochèrent la tête, déterminés, puis tous trois se mirent en route.
***
Las Alba, capitale de la région du désert de Quapas, était la plus grande ville de tout l'étage Tierraroja. D'une superficie de presque huit cent kilomètres carrés, elle accueillait pas moins de deux millions d'habitants.
Émerveillé par la taille de cette citée presque dix fois plus grande que celle où il était né, Matsuba parcourut ses rues pendant plus d'un quart d'heure malgré la pluie battante, s'arrêtant volontiers devant différentes boutiques. Vitrines de soie raffinée, armureries où étaient exposées armes à feu et explosifs, pompes funèbres où quelques croque-morts sifflotaient tout en assemblant les planches d'un cercueil... les commerces étaient nombreux et animés.
Attristé, le jeune homme croisa également à plusieurs reprises des familles aisées accompagnées d'un ou deux esclaves semi-humains, qui s'occupaient de porter leurs achats à l'arrière de la troupe. À chaque fois, son regard se posait sur les colliers d'acier refermés sur leur cou et il s'assombrissait, la mine basse.
C'était frustrant, mais il n'y avait rien à faire.
Intervenir aurait même causé plus de problèmes qu'autre chose. Ce n'était pas comme à Miriadariba : il était en plein territoire impérial, entouré par des milliers de pacificateurs - il en avait croisé plusieurs patrouilles, leurs armures blanches se reflétant sous les soleils. Non seulement il y avait de fortes chances que lui et les esclaves qu'il aurait libéré soient retrouvés et capturés, mais en plus il risquait d'attirer des problèmes à Raijū.
« Des pauvres gens, il y en a plein cette Tour. Il va falloir choisir : soit tu cherches le Sky Keep, soit tu aides la veuve et l'orphelin. Mais à force d'avoir le cul entre deux chaises, tu échoueras de partout. »
Les paroles de la kitsune lui flottant dans la tête, le jeune homme s'éloigna du centre ville jusqu'à finalement arriver dans un petit jardin de ville, espérant se changer les idées.
Parcourant les allées en humant l'odeur de pétrichor qui avait envahi les lieux à cause de l'orage, son regard fut soudainement attiré par quelque bizarrerie.
Quelques mètres plus loin, assise seule sur un banc, reposait une femme au regard plongée dans l'horizon.
La rencontre aurait pu être banale, mais plusieurs éléments la rendaient particulière.
Premièrement, son immense chapeau de paille, duquel dépassait une rivière calme de cheveux d'un gris terne - couleur qui semblait étrangement naturelle, malgré l'âge apparent de la femme qui se trouvait entre trente-cinq et quarante ans. La forme du couvre-chef évoquait une poêle retournée - mais sans manche - d'un diamètre d'au moins quatre-vingt-dix centimètres.
« C'est un chapeau de ronin. » Le reconnut Matsuba en se rappelant de ses discussions avec Shizuka à propos du 8e étage.
Deuxièmement, ses vêtements : la femme ne portait sur elle qu'un maillot de bain deux-pièces d'un noir d'encre accompagné de deux bottes de cuir assorties remontant jusqu'à ses genoux. Une tenue pour le moins inhabituelle, même compte-tenu de la météo.
« Ce serait une tradition locale ? » Hésita le jeune homme, incertain. « Pourtant, elle n'a pas l'air du coin, vu son couvre-chef... »
Enfin, à ses côté reposait le plus grand sabre que Matsuba ait jamais vu. L'arme, dont la forme évoquait un katana mais dont la longueur - avoisinant les trois mètres, poignée comprise - tendait plus à la définir comme un nodachi, était emmitouflée dans un fourreau gravé d'un serpent. Ses couleurs étaient de rouge et de noir.
« Quelle épée impressionnante... même à deux mains, je n'arriverais pas à la manier correctement. »
Son regard écarlate croisa alors celui - aussi brillant que la lune - de l'inconnue.
Matsuba en fut presque aspiré à l'intérieur.
Jamais il n'avait vu une telle platitude. L'ataraxie, voilà un terme qui collait bien à ce regard argenté.
Non, plus approprié encore : le néant.
Un sentiment étrange l'envahit. Il eut l'impression d'avoir été plongé dans un demi-sommeil, une sorte d'état de quiescence où toutes les peines et les joies avaient disparus, où la douleur et les émotions avaient cessées d'exister. C'était comme se retrouver brusquement plongé au plus profond des abysses, se retrouver projeté à des millions d'années-lumières d'ici, dans l'espace noir et profond parsemé de lointaines étoiles mortes. D'étranges murmures commencèrent alors à s'immiscer dans sa tête.
C'était terriblement inquiétant, mais ça apportait aussi une sorte... d'apaisement.
Le contact prit fin et Matsuba retrouva son état normal. Reprenant son souffle, le jeune homme porta une main crispée à son cœur, troublé.
« Q-Qu'est ce qu'il vient de se passer...? »
Les yeux écarquillés, il regarda à nouveau la femme. Elle n'avait pas bougée, observant simplement au loin sans rien dire. Craignant qu'elle ne soit en difficulté, et tout simplement curieux d'en savoir plus, Matsuba s'approcha d'elle.
« Tout va... bien, madame ? » Demanda-t-il.
L'inconnue tourna la tête vers lui. Ce fut bref, mais la même sensation le traversa de nouveau un court instant. Il réprima un frisson.
« Oh... » Fit la femme. « Et bien... oui, je crois que oui. »
Elle s'était exprimé d'une manière si distraite que Matsuba se demanda un instant si elle n'était pas en train de planer.
« Et si elle avait été droguée ? » S'inquiéta-t-il.
« Vous semblez... comment dire... perdue. » Bafouilla-t-il, incapable de détacher son regard de cette curieuse personne.
La femme regarda alors autour d'elle, comme si elle découvrait pour la première fois son environnement.
« Perdue... » Répéta-t-elle. « Oh, oui, c'est ce qu'il semblerait...? Je voulais me rendre à la piscine de mon hôtel, mais on dirait que je me suis perdue. »
« À la piscine, par ce temps...? » Murmura Matsuba, éberlué.
« Ah tiens, c'est vrai qu'il pleut... » Dit doucement l'inconnue en ouvrant de grands yeux vers le ciel. « J'avais oublié... Navrée, je suis de nature un peu dans la lune. »
« Un peu dans la lune ?! Complètement dans les nuages, oui ! Comment est-ce qu'on peut oublier qu'il pleut en se baladant sous la pluie ?! »
« Vous risquez d'attraper froid... » Réalisa brusquement Matsuba en retirant son poncho. « Mettez-ça, ça ira mieux. »
Un instant surprise, la femme observa le vêtement qu'il lui tendait, puis esquissa un sourire doux en s'en emparant avec délicatesse.
« Merci, vous êtes aimable. » Le remercia-t-elle avant de se lever et d'enfiler l'habit rouge.
Elle s'admira quelques secondes avant de réaliser quelque chose.
« Mais, et vous ? » Demanda-t-elle, soucieuse.
« Ne vous en faites pas, je peux supporter quelques gouttes. » Sourit le jeune homme, qui portait encore son t-shirt et son pantalon. « Je m'appelle Matsuba, au fait. »
« Matsuba... » Répéta la femme, sa voix se perdant dans l'écho de la pluie. « Cela signifie aiguille de pin. »
Elle ferma les yeux instant, comme si elle tentait de se souvenir.
« Au vent des montagnes... les pins dansent et murmurent... secrets de l'été. » Dit-elle, comme si elle récitait un texte.
Après un petit silence, rythmé par le son des gouttes de pluie, Matsuba applaudit doucement en souriant.
« C'était beau. » Apprécia-t-il, sincère. « C'est un haïku, n'est-ce pas ? Les poèmes de Kaze... j'en ai entendu parler par une amie. »
Sans qu'il ne sache vraiment pourquoi, il trouvait cette inconnue sympathique. Aussi, il avait envie de l'aider.
« Puis-je vous demander votre nom ? » La questionna-t-il alors, curieux.
La femme l'observa un instant, surprise, puis se retourna pour ramasser son sabre. Soulevant l'arme - qui devait peser dans les dix à quinze kilos - comme si elle était aussi légère qu'une plume de cygne, elle approcha la poignée de son visage. D'étranges idéogrammes y étaient inscrits.
« Euryale... » Lut-elle dans un murmure.
Elle releva la tête vers le jeune homme, qui la dévisageait avec étonnement.
« Je m'appelle Euryale. » Lui lança-t-elle avec un sourire.
Sky Keep ARC 2 - Chapitre 9, partie 1 : FIN
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