Chapitre 7 - Le tumulte grondant dans les ombres, partie 1
Canyons de Naskota, Tierraroja (5e étage de la Tour)
19 juillet 3202, dans la matinée
Les soleils jumeaux étant levés depuis maintenant plus d'une heure, la petite garnison était en pleine activité.
Les pacificateurs - paladins de l'église d'Imperia reconnaissables à leurs armures légères d'un blanc immaculé qui les protégeaient des rayons solaires - grouillaient en vaquant à leurs occupations respectives. Certains patrouillaient, d'autres préparaient le futur repas, d'autres puisaient de l'eau, d'autres encore achevaient de creuser la tranchée qui encerclait palissade en rondin de bois du camp.
« Dire qu'il a fallu les transporter depuis la forêt jusqu'ici... » Gémit intérieurement Derek en se frottant le dos.
Pelle à la main, le garde s'était interrompu quelques secondes pour observer le rempart.
Son regard glissa alors sur les cages qui avaient étés entassées au fond de la garnison : chacune d'elles contenait deux ou trois semi-humains en haillons, enchainées au cou par un collier. Ses yeux s'attardèrent sur les deux latraniennes mise à l'écart, qui attendaient dans leur prison en serrant leurs jambes contre elles, la mine basse. À la vue de leurs corps recouverts de tatouages, se rappela qu'il s'agissait de ce qu'on appelait des shamanes.
« Je ne comprend pas ce traitement de faveur. On aurait au moins pu leur faire porter du matériel. » Grommela-t-il intérieurement en se remettant au travail.
En effet, si les autres prisonniers avaient dû porter jusqu'ici les rondins de bois ayant servi à la construction du mur, les shamanes n'avaient rien eu à porter, ayant eu pour seul ordre de suivre le convoi en silence et de ne pas les ralentir.
« Je me suis trimballé un sac de trente kilos qui m'a cassé le dos, et elles, elles foutent rien. »
Quelque chose passa alors soudainement à toute vitesse dans son champs de vision, interrompant le fil de ses pensées. Relevant la tête, il aperçut l'une des sentinelles accourir vers le centre du camps. Cela ne pouvait signifier qu'une chose...
« Capitaine ! » Cria la sentinelle. « On a repéré un individu qui s'approche du camp ! »
Les pacificateurs n'ayant pas étés informés d'une quelconque visite de leur hiérarchie, il ne pouvait s'agir que d'un inconnu. Le chef de la garnison sortit donc de la tente de commandement pour venir à sa rencontre.
« Un parjurien ? » Le questionna-t-il.
« Je ne sais pas, capitaine. Il porte une cape qui nous empêche de le discerner. »
Son supérieur lança aussitôt des ordres, et la garnison se mit à fourmiller. Une dizaine d'hommes se rendirent à l'entrée principale tandis que des sentinelles allèrent se positionner devant les autres entrées pour les surveiller.
Derek lâcha alors sa pelle et s'empressa de rejoindre le positionnement qu'on lui avait indiqué : juste derrière l'entrée de la palissade, fusil en main, prêt à intercepter un intrus. Rien n'indiquait que l'inconnu était hostile, mais les troupes d'Imperia étaient prudentes, surtout avec les groupes de parjuriens rebelles dans les environs.
Plissant les yeux, il distingua alors une silhouette encapuchonnée qui s'approchait d'un pas lent et tranquille, à une centaine de mètres de là. Silencieux, les soldats observèrent l'individu approcher sans se presser.
Une dizaine de minutes plus tard, ce dernier se planta à quelques mètres de l'entrée de la garnison.
« Ave, étranger. » Lança le capitaine, les bras croisés sur la poitrine, à l'abri derrière la première ligne de gardes. « Ici se dresse une garnison appartenant à l'église d'Imperia. Si vous êtes un voyageur en quête de ressources, nous pouvons vous vendre une petite quantité d'eau et de nourriture, mais nous ne pouvons vous offrir l'hospitali... »
Mais il s'interrompit, stupéfait. L'homme venait de lever la main pour apposer son index sur sa bouche. Il lui intimait le silence !
Ulcéré, le chef des lieux allait ouvrir la bouche pour exprimer son indignation lorsque l'inconnu laissa tomber sa cape au sol. Apparut alors en dessous un semi-humain d'une nature que Derek n'avait jamais vu.
Sa peau était d'un brun sombre, et ses cheveux d'un noir d'encre étaient coiffés en dreadlocks - bien que le soldat n'eut en réalité pas connaissance de ce terme. En leur sein, une paire d'oreilles canine longues, fines et pointues s'élevaient bien droites vers le ciel. Le corps du semi-humain - pas très épais mais musclé - n'était habillé que d'un pagne fermé par une ceinture en forme d'œil, et ses bras étaient couverts de bandages. L'éclat des soleils attira le regard de Derek sur sa poitrine, où siégeait un collier pectoral d'or et d'émeraude et en dessous duquel pendait une croix Ânkh, puis sur ses mains, qui tenaient chacune une longue dague d'or.
Cette personne était un lupulellien - ou homme-chacal - une espèce qui n'avait rien à faire au 5e étage.
« Votre jugement va commencer. » Dit-il calmement.
Sa voix était rauque et assurée. Les muscles de Derek se tétanisèrent lorsqu'il vit que les bandages recouvrant les bras du parjurien s'étaient mis en mouvement tout seuls, dansant autour de lui tels des serpents se préparant à bondir sur une proie.
L'instant d'après, Derek contemplait toujours le lupulellien, mais il le voyait à l'envers. Ne comprenant pas ce que cela signifiait, il se rendit compte que tout tournait autour de lui. Ce fut seulement lorsqu'il aperçut son corps privé de tête dans son champs de vision qu'il comprit. Il voulut hurler, mais sa bouche s'ouvrit sans émettre le moindre son, n'ayant plus de poumons pour fournir l'air nécessaire. Une fraction de seconde plus tard, alors que l'horreur le saisissait et que sa tête atteignait le sol, ses fonctions cérébrales s'éteignirent définitivement.
« T-Tirez ! » Hurla le capitaine en reculant.
Les corps des deux gardes décapités touchèrent la terre alors que des coups de feu retentissaient. Mais les balles filèrent autour de l'assaillant, qui s'était positionné de manière à les éviter. Poursuivant sa danse mortelle, il planta simultanément ses dagues dans la gorge des deux pacificateurs proches de lui, les lames s'enfonçant entre les pièces d'armure pour sectionner le cou.
Le semi-humain effectua un mouvement tournoyant, retirant ses armes avec une gerbe de sang tout en propulsant les corps sans vie plus loin. Les bandages qui serpentaient autour de ses bras se saisirent alors d'autres soldats qu'il faucha en avançant toujours plus vers le capitaine.
« Hiiii ! » Fit celui-ci en reculant prestement.
Mais c'est alors que quelque chose émergea du puit derrière lui. Tétanisé, il tourna la tête pour apercevoir une semi-humaine à la peau légèrement plus claire que le premier attaquant. Le haut de son corps ne portait qu'un morceau de lin - entourant sa poitrine et dévoilant son ventre - et le bas s'habillait d'un pantalon ample duquel dépassait une longue et épaisse queue aux écailles verdâtres et rocailleuses. Ses avant bras et ses pieds présentaient le même aspect, ses doigts étant achevés à leur extrémité par des griffes.
Le capitaine eut juste le temps d'entrevoir le seshed qui ornait sa tête à la chevelure blonde avant que l'inconnue, toute sourire, n'effectue un retourné dans les airs. Sa queue de reptile le percuta alors à une vitesse telle qu'elle le coupa littéralement en deux, semant la terreur parmi les gardes restants.
La crocodylienne - ou semi-humain crocodile - atterrit au sol avec souplesse, mais elle n'intervint plus dans le combat. Son camarade chacal termina le travail : en l'espace de quelques minutes, il réduisit à néant les dernières forces de la garnison.
Dès que le silence s'imposa sur les lieux, il la rejoignit au centre du camp et commença à essuyer le sang qui maculait ses lames.
Une sonnerie de téléphone retentit alors.
Mais le lupulellien l'ignora et continua sa tâche, usant d'un chiffon pour nettoyer ses dagues. À côté de lui, la femme-crocodile élargit son sourire en adoptant une expression embarrassé.
« Sekh, je crois qu'il vaudrait vraiment mieux que tu répondes... » Lui souffla-t-elle. « Les membres d'Hachibunke n'aiment généralement pas qu'on les ignore. »
Sekhemkarê jeta un regard agacé au smartphone qu'elle lui tendait, leva les yeux au ciel puis retourna à sa tâche.
« Cet enfoiré de Makoto veut juste se foutre de ma gueule. » Grommela-t-il, mécontent. « Alors je compte bien le faire patienter jusqu'à ce que j'ai terminé. »
« Mais si il ne peut pas attendre ? » Insista sa camarade, amusée.
« Et ben il va apprendre. »
L'homme chacal acheva donc sa tâche avant de finalement soupirer et bien daigner prendre le téléphone en main. Il grogna en voyant que le nom qui figurait sur l'appareil était bien celui auquel il avait songé.
Sifflant de déplaisir, il décrocha l'appel vidéo et fit face à l'écran, la mine sombre. Un visage familier s'afficha aussitôt face à lui : celui d'une jeune homme de la trentaine - comme lui - aux oreilles de loup et à la chevelure auburn flamboyante. Un grand sourire fendit la face de ce dernier.
« Salut, l'embaumeur ! » Lança-t-il avec dédain.
Les traits de Sekhemkarê se crispèrent, mais il ne tiqua pas.
« Salut, Makoto ! » Lança joyeusement la crocodylienne à sa place en passant son bras autour de son cou pour se placer devant la caméra. « On est bien arrivés ! »
« Néféret... qu'importe le désert, la lumière solaire met toujours en valeur ta beauté. » S'amusa le lycanthrope. « Tu t'es fait une teinture ? »
« Fu fu, tu bagines toujours dans l'art de la parole, grand flatteur. Oui, je trouve que le blond me va plutôt bien. »
« Tu veux quoi, Makoto ? » Demanda alors sèchement Sekhemkarê, interrompant l'échange.
« C'est monseigneur Miyakage, pour toi. » Répondit l'autre, sarcastique.
Le lupulellien serra le poing qui ne tenait pas le téléphone à s'en faire sauter les jointures, et son regard se durcit.
« Joue pas au con avec moi, espèce de petit crétin arrogant. C'est à ta mère que notre équipe a prêté allégeance, pas à toi. »
« Seigneur ! Il est en pleine crise d'adolescence ! » Déplora l'ōkami d'un ton sarcastique. « Déjà la rébellion ? »
« Makoto. » Demanda Néféret, qui parlait cette fois-ci d'un ton doux et plus sérieux. « Quelle est la raison de ton appel ? Il y a eu un soucis ? »
Le Miyakage se tourna vers elle, tout sourire.
« Juste un changement de dernière minute. Nous avons été informés qu'une petite équipe d'ascensionnistes de rang D, les West's Spirit, se trouvait actuellement à Tierraroja et qu'elle venait en aide aux nôtres. Nous aimerions que vous leur proposiez de nous rejoindre. Pour le reste, ça ne change pas. Profitez du chaos pour vous emparer d'une ville et ainsi créer un point d'ancrage à l'alliance semi-humaine au 5e. »
« Déclencher un guerre et faire du recrutement. » Ironisa Sekhemkarê. « T'aurais pas une liste de courses pour nous aussi, des fois ? Histoire qu'on te ramène quelques souvenirs ? »
« Je t'aurais bien demandé de me rapporter du whisky, pour changer du saké, mais je suis convaincu que tu empoisonnerais les bouteilles. » Sourit Makoto.
« Tout juste. »
« Très bien, c'est reçu ! » Lança joyeusement Néféret. « On s'en occupe ! Bye bye ! »
« Bien. Nous comptons sur vous, Medjaÿs. »
Le lycanthrope leur adressa un clin d'œil, puis raccrocha.
« Je hais ce con. » Lâcha le lupulellien, immobile. « Si le capitaine n'avait pas juré loyauté à Hachibunke, il y aurait longtemps que je lui aurais refait le portrait. »
La crocodylienne sourit.
« Tu dis ça, mais vous trainez toujours ensembles, au 8e... »
Elle jugea cependant préférable de ne pas le lui faire remarquer.
« Comment veux-tu qu'on procède ? » Demanda-t-elle plutôt.
« Commençons par aller évaluer la situation à Las Alba. J'ai lu les rapports, mais je préfère avoir une idée précise de ce qu'il se passe. »
Sa camarade hocha la tête, bien d'accord. Tous deux libérèrent donc les quelques prisonniers du camp avant de voler deux chevaux et de se mettre à galoper en direction de leur destination.
***
Forêt de Maimi Wuki, à quelques kilomètres de Maldor Town
Natherod parvint enfin au sommet de la falaise. Le latranien vit que ses deux camarades l'attendaient.
« Alors ? » Le questionna Shayton, son capitaine. « Tout est prêt ? »
Son ami hocha la tête, un panache de fumée s'échappant de sa bouche où était coincé un cigare.
« Les explosifs sont positionnés et amorcés. Dès que Kaya m'enverra le signal pour m'indiquer la proximité du train, je ferais tout sauter. »
« La wagon contenant le gros des soldats se détachera » Compléta sa camarade leporienne. « On aura plus qu'à sauter sur nos struthiques pour rattraper la locomotive et la prendre d'assaut. »
« Et les Desperados ? Ils vont nous envoyer du renfort ? » Demanda Natherod.
Shayton hocha négativement la tête, silencieux et songeur. Le visage du condorien semblait soucieux.
« Ils ont été attaqués. Leur camp a été sauvé mais j'ignore les détails. Quoiqu'il en soit, ils ont eu des pertes, tant en membres qu'en matériel, alors ils ne vont pas pouvoir nous assister sur le coup. Nous seront donc seuls. »
« T'as le trac ? » Demanda Kaya en lui frottant le dos.
« Il faudra rester vigilant. » Murmura-t-il, les yeux dans le vague. « Il restera des pacificateurs dans le train. Même avec nos capacités, ça pourrait s'avérer dangereux. »
Il inspira un grand coup, cherchant à se calmer. Puis, il tourna un regard d'excuse à l'égard de ses camarades.
« Désolé de vous entrainer là dedans. »
Natherod leva les yeux au ciel.
« Comme si c'était toi qui nous avait forcé la main. »
Shayton ouvrit la bouche, mais à cet instant Kaya lui écrasa le pied.
« Aïe ! Eh ! »
« On se reprend, soldat ! » Beugla la leporienne, un sourire aux lèvres, en écrasant la pointe de son doigt sur le front de son capitaine. « Je vous l'ai répété des millions d'fois ! Vigilance, rigueur, stratégie ! Vous voulez que j'vous débouche les oreilles avec une brosse à chiottes ?! »
Le condorien écarquilla les yeux un instant, puis éclata de rire.
« Tu me fais une imitation du caporal Eierkopf ? » S'esclaffa-t-il.
Amusée, sa camarade poursuivit.
« Vous savez comment on m'appelle, demi-portion ?! »
« La belette furtive, mon caporal ! » Répondit Shayton en se mettant au garde-à-vous, se prêtant au jeu.
« Tout juste ! L'invisible, le tonnerre malin, la mort galopante ! Et vous savez pourquoi on m'appelle comme ça, bouffeur de graines ?! »
Le condorien ne put s'empêcher de pouffer.
« Mon dieu... j'avais oublié qu'il m'appelait comme ça... » Murmura-t-il en se mordant les joues pour ne pas rire.
« Moi je sais, mon caporal ! » S'exclama Natherod, aussi rigide qu'un piquet. « Parce que vous planifiez vos stratégies à l'avance et que que vous faîtes preuve de rigueur et de maîtrise pour éliminer efficacement les lignes adverses ! »
Kaya lui jeta un regard de rhinocéros offensé avant de venir lentement se planter devant lui. Elle avait beau être plus petite que lui d'une tête, la gestuelle qu'elle empruntait à leur ancien formateur lui donnait une aura imposante.
« Regardez le moi, celui là ! » Beugla-t-elle. « Presque deux mètres de haut ! Jamais vu un tas de fumier aussi grand ! Toujours à l'ouvrir même quand c'pas à lui qu'on cause ! Mais tout juste, soldat ! Parce que j'ai fait preuve de rigueur ! Vous, tous autant que vous êtes, vous êtes une bande de touristes ! Alors je vais me charger de vous transformer en machines de guerre ! »
C'en fut trop et tous les trois éclatèrent de rire, profitant de ces quelques instants avant la tempête. Ce fut seulement lorsqu'ils eurent mal aux côtes et aux joues qu'ils cessèrent et se rassirent au bord de la falaise, observant les soleils jumeaux déjà bien haut dans le ciel.
« La vache, tu l'imites bien ! » Ricana Natherod.
« J'ai passé suffisamment de temps à récurer les chiottes avec une brosse à dents pour me souvenir du personnage. » Fit Kaya avec un sourire crispé. « Sacrée voix. Il aurait fait un excellent chanteur. »
« Aaah... le 3e étage me manque. »
« Ne nous laissons pas envahir par la nostalgie. » Fit Shayton, ayant retrouvé son sérieux. « Nous avons une tâche importante à accomplir ici. D'ici quelques heures, nous aurons un convoi à intercepter. »
Ses deux camarades hochèrent la tête. Ils étaient prêts.
Sky Keep ARC 2 - Chapitre 7, partie 1 : FIN
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