Chapitre 18 - Un nouveau départ pour Matsuba Kawakami ! Partie 1

Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)

22 juillet 32O2

Le Capteur des rêves de la terre aux deux astres.

Ce Fragment céleste - le numéro 5 - n'appartenait pas à la catégorie des uniques, et pouvait par conséquent être assemblé par n'importe qui. En d'autres terme, il était possible d'en fabriquer autant qu'il existait de grimpeurs, et il n'avait donc rien de rare.

Pourtant...

« I-Il m'a fallut plus d'un an pour le dégoter ! » Songea Shayton en vacillant.

Malgré sa banalité, ce Fragment n'était pas pour autant facile à obtenir : il fallait d'abord déchiffrer la condition céleste, puis rassembler les bon ingrédients, avant d'enfin faire assembler l'objet par une shamane ayant le talent et les compétences nécessaires.

« Et lui, il y est parvenu en quatre jours ?! »

« Bon, c'est pas tout ça, mais il va être temps qu'on y aille. » Intervint Raijū, les bras croisés sur la poitrine.

« Arrêtez de vous la jouer indifférente, j'ai très bien vu passer ce regard stupéfait puis ce petit sourire en coin sur votre visage ! » Faillit lui reprocher le condorien.

« Ah oui, vous avez raison... » Réagit Matsuba, inquiet à l'idée de rentrer.

Il avait disparu de Greenland le 18 juillet : autrement dit, personne n'avait de ses nouvelles là-bas depuis environ quatre vingt seize heures.

« La vieille va me tuer. »

« Je me débrouillerai pour te faire le passer une fois que j'aurais fini de le construire. » Lui lança alors Wabognie, le ramenant à la réalité. « Je ne sais pas comment envoyer de colis vers d'autres mondes, mais Shayton saura comment faire. »

Encore sous le choc, le condorien approuva néanmoins d'un signe de tête.

« Entendu. » Sourit le garçon. « Merci beaucoup ! »

La shamane lui rendit son sourire.

« C'est la moindre de choses. »

Matsuba fit ses adieux au petit groupe, mais alors qu'il se préparerait à partir avec Raijū, il vit Nashoba s'avancer vers lui. Celui-ci avait la mine hésitante.

« Tu as eu des nouvelles de ta fiancée ? » Demanda doucement le jeune homme, se souvenant de ce que le condorien lui avait dit au camp des rebelles.

Son interlocuteur soupira.

« Grâce aux registres impériaux, oui. Ashaïsha est... elle est morte il y a plus d'un an. Je m'y attendais pour être honnête, mais c'est quand même difficile. »

Matsuba baissa la tête.

« J'espère que toi et les tiens parviendrez prochainement à bâtir une paix solide au 5e, avec laquelle vous pourrez vivre tranquillement. » Dit-il, peiné.

« On m'a trop pris pour que je puisse complètement pardonner. » Annonça clairement Nashoba. « Mais tu m'as fait réviser mon jugement. Je conserverai certainement de la méfiance à votre égard des humains pour le restant de ma vie, néanmoins j'œuvrerai au mieux pour construire cette paix dont tu parles. »

Son regard se porta à l'horizon, imprégné d'un brin d'espoir nouveau.

« Je veux aider à offrir à ce monde la stabilité qu'il mérite après trois années de carnages, pas le plonger dans de nouveaux conflits. »

Matsuba lui tendit alors le poing d'un air joyeux.

« Quand je serai devenu ascensionniste, je passerai vous voir toi et ta sœur, à l'occasion. » Affirma-t-il avec enthousiasme.

Nashoba observa le poing tendu pendant de longues secondes, avant d'esquisser un sourire. Le premier sourire sincère depuis trois ans. Il répondit alors au check du jeune homme en redressant son chapeau.

« Alors nous t'accueillerons avec plaisir. Au revoir, Matsu. »

Ému, le garçon salua tout le monde de la main, avant de quitter les lieux avec la kitsune pour rejoindre le siège de Guilde.

***

Désert de Quapas

Jìng Líng contemplait le spectacle terrifiant qui s'offrait à elle avec inquiétude.

Ses yeux roses et perçant parcouraient des dizaines et dizaines d'hectares de terres désertiques changées en sol lunaire à la teinte grise et terne. C'était comme si toutes les couleurs du monde avaient disparues : ici, rien n'existait plus mis à part l'inexistence.

« Encore le même phénomène. » Constata-t-elle, songeuse. « Une tache grise... alors, le Cancer de tous les mondes a désormais atteint le 5e. Il faut que je fasse un rapport à la Guilde. »

Elle se pencha pour ramasser une poignée de sable grisâtre, qui s'effrita aussitôt en une volée de poussière à cause du vent qui balayait les lieux.

« C'était la même chose que devant la cathédrale de Las Alba, là où cette femme a combattu d'après le gamin. »

Elle leva son regard vers les soleils jumeaux, les traits pincés.

« Où peux-tu bien t'être en allée, émissaire du Néant ? » Murmura-t-elle, sa voix se perdant dans la chaude brise du désert.

***

Une heure plus tard, Étang gris

Greenland (1er étage de la Tour)

Splatch !

Un vortex était brusquement apparut au dessus de la mare, avant de déverser deux personne dedans.

« Putain de merde ! » Rugit la voix de Raijū en résonnant sur la surface de l'eau. « Mes vêtements sont encore trempés ! Celui qui a placé ce point de téléportation ici est vraiment une merde ! »

« On a pas atterri dans un siège de Guilde ? » S'étonna Matsuba alors qu'ils gagnaient la berge.

« Les sièges fonctionnent comme les Clés : ils peuvent rediriger vers n'importe quel point de téléportation. Et celui-ci est le plus proche de ton trou paumé. »

Ils s'adossèrent à un rocher pour essorer leurs vêtements. Matsuba en profita pour observer le petit poncho rouge que lui avait rendu Euryale, et qu'il avait ramené en souvenir.

« Ma première expédition hors du 1er étage... c'est le meilleur voyage que j'ai jamais vécu de toute ma vie. »

En relevant la tête, il fut pris de nostalgie. C'était dans cet étang que tout avait commencé... c'était là qu'il avait rencontré Raijū, là qu'elle l'avait balancé dans les airs, là qu'il était revenu et qu'il s'était accroché à elle.

« T'as faim ? » Demanda soudainement Raijū.

« Pour être franc, je crève la dalle. » Avoua Matsuba, qui n'avait encore rien avalé de la journée alors que midi était passé.

***

Les deux camarades d'infortunes rentrèrent dans le Burger Lord et allèrent s'installer à une table après avoir commandé. Un silence quelque peu gênant s'installa alors entre eux.

Lorsque leurs menus arrivèrent, le garçon se saisit rapidement de son hamburger, affamé. Mais alors qu'il ouvrait la bouche pour mordre dedans, il suspendit son geste en posant les yeux sur la kitsune, qui dévorait ses frites avec voracité.

« Qu'ech qu'y a ? » Grogna-t-elle.

Les traits de Matsuba s'attristèrent. Il chercha ses mots pendants quelques secondes, puis envoya au diable les paraphrases, décidant d'aller droit au but.

« Je suis désolé. »

« Ce qui est fait est fait. » Fit Raijū en haussant les épaules. « Ça aurait pu être pire. »

Elle engloutit ce qu'il restait dans sa barquette avant de s'essuyer la bouche d'un revers de serviette.

« Vous euh... n'étiez pas censée être au régime...? » Demanda le garçon, curieux.

Les oreilles de la femme-renarde se rabattirent sur son crâne alors que ses traits se plissaient.

« Tu vois ça, c'est le genre de phrases qui pourtant que t'as aucun instinct de survie. Et pour répondre à ta remarquer, à cause de toi j'ai dû combattre un wendigo, un groupe de pacificateurs, un débile d'homme-poulet, un démon, un oiseau-tonnerre et un shahanshah réincarné. Alors j'ai bien droit à quelques calories, pour compenser. D'ailleurs, file-moi des frites, y en avait moins dans ma barquette. »

Matsuba sursauta en la voyant se servir sur son plateau.

« Eeeeh ! » Protesta-t-il. « Faut pas vous gêner ! C'est à moi ! Vous aviez qu'à en prendre une grande ! »

« J'te signale que c'est moi qu'ai payé ! » Grogna Raijū en tentant d'en piquer d'autres. « Mange plutôt ton royal cheese, c'est bon pour la croissance ! »

À ces mots, le jeune homme rougit jusqu'aux oreilles.

Il détestait qu'on lui rappelle qu'il était de petite taille. Même plus de six ans après avoir fait la rencontre de Shizuka, il n'arrivait pas à admettre que celle-ci était plus grande que lui. Agacé, il se vengea sur son burger en lui assénant un violent coup de dent qui projeta de la sauce sur toute la table.

« Je rêve, t'as vu comment tu bouffes ?! » Protesta la kitsune en esquissant un mouvement de recul. « Qui t'as élevé ?! »

« Cette réplique aurait eu infiniment plus de sens si vous n'aviez pas eu de la mayonnaise partout sur les doigts. » Répliqua Matsuba.

« Oh, tu veux jouer à ça ? »

***

Cinq minutes plus tard...

« Mis à la porte pour trouble de la tranquillité du fast-food. » Répéta Matsuba, amusé. « C'est la première fois que ça m'arrive. »

« N'importe quoi. » Bougonna Raijū, maussade. « J'vois pas en quoi on dérangeait les autres clients. »

« Vous oubliez la nana qui a reçu votre plateau à l'arrière de la tête. » Lui fit remarquer le garçon.

« Elle était à peine sonnée ! »

Les ronchonnements de la grimpeuse se poursuivirent jusqu'à ce qu'ils s'enfoncent légèrement dans la forêt de Bushy. Ils empruntèrent alors le chemin menant à la maison de Matsuba.

« Bon, je suppose que tu as des questions... » Soupira finalement Raijū en s'arrêtant dans une clairière à mi-chemin.

Le jeune homme hocha la tête.

« Oui, plein ! Tout d'abord, si vous m'en disiez plus sur les masqués qu'on a affronté à Tierraroja ? C'était qui, exactement ? Soren a parlé de Zannis, ce matin... »

La kitsune se gratta une oreille, ennuyée.

« Les Zannis... c'est le nom d'une équipe de Clandestins qui sévissait il y a quelques années. Elle avait pour particularité d'être intégralement composée de divers monstres de haut-rang. De ce que je me souviens, leur but était d'instaurer la suprématie des hétéromorphes dans la Tour. J'ignore quelles étaient leurs raisons exactes, mais ils ont toujours été hostiles envers l'intégralité des anthropomorphes, comme la plupart des monstres. Ils saccageaient tout sur leur passage, et on les reconnaissait à leurs masques. Cependant, Edmund Gleam leur est tombé dessus il y a deux ans, et ils ont été anéantis. Enfin, c'est ce qu'on pensait. »

« Les deux que nous avons aperçus au 5e ont pris la fuite, n'est-ce pas ? » Fit Matsuba, pensif. « Dans mes souvenirs, la femme rouge a emporté le démon avec un artéfact de téléportation. »

« Exacte, et j'ai pas l'intention de leur courir après, je laisse ce boulot à miss intello. Moi, je n'ai rien à venger. »

« À propos de Tierraroja, vous n'avez pas peur qu'Imperia envoie du renfort à la partie ouest ? » S'inquiéta le garçon.

« M'en fout, c'est plus mon problème. » Grogna la kitsune en secouant la tête. « De toute façon, aucune chance que ça arrive. Les Messagers n'accordent que peu d'importance à cet étage. »

« Ils ont pourtant envoyé leurs troupes pour soutenir l'occupation impériale. »

Raijū leva les yeux au ciel.

« Opilion, le Limio Tenebris des Messagers, est passé pour la forme et s'est contenté de détruire un ou deux villages avant de foutre le camp. En dehors de ça, ils leur ont juste envoyé un peu de matériel et des anges de bas rang, rien de plus. Les pacificateurs et les haut-gradés ont été recrutés et formés sur place. Rien à voir avec les vrais soldats blancs. Tu penses vraiment avoir vu toute l'étendue de l'influence impériale au 5e ? Si ils s'étaient vraiment impliqués, ce ne sont pas deux rang C des Medjaÿs et quelques ploucs qui auraient pu les stopper, même avec mon aide et celle du nanti. Qui plus est, si un Messager avait été sur place, il ne se serait pas bêtement laissé manipuler comme l'a fait l'archevêque. »

Elle soupira.

« Crois-moi, les Messagers du crépuscule ont déjà bien assez à faire dans leur propre étage. »

« Ah bon ? » S'étonna Matsuba, curieux.

Le femme-renarde approuva ses propos d'un signe de tête.

« Atlantis est un monde assailli depuis plusieurs décennies par une horde de monstres appelée la Titanocratie. Au delà de la ligne de front, les gens essayent de vivre paisiblement, mais au sein de celle-ci, les combats sont terribles et nécessitent de gros investissements de la part des Messagers et de l'église. »

Cela fit tilter le garçon, qui se souvient que Shizuka lui en avait parlé lorsqu'elle lui avait raconté le voyage de son équipe - Gyakushū - au 50e étage. C'était d'ailleurs là où elle avait rencontré et recruté Leo.

« Sans compter les autres étages où la faction humaine est impliquée dans un conflit. Bref, Tierraroja n'était qu'un terrain de distraction, alors je doute sincèrement qu'ils se battent pour le récupérer. Surtout que le 5e a regagné son statut indépendant, et non rejoint l'alliance semi-humaine, ce qui ne les désavantage pas. »

« Je vois... » Fit Matsuba, pensif.

Le vent accompagna ses réflexions, de même que le silence.

« Oh, j'ai encore une question à poser. » Se rappela-t-il soudainement.

Raijū haussa un sourcil, attendant ce qu'il allait demander. Le garçon tourna vers elle un regard curieux.

« C'est quoi Nirvāna ? »

***

La même sensation passagère que Matsuba avait ressenti lors de l'échange avec Jìng le traversa de nouveau.

Ce malaise palpable hérissa de nouveau furtivement la fourrure de Raijū, qui sembla hésiter pendant de longues secondes.

« Nirvāna est... aussi le nom d'une équipe de Clandestin. » Lâcha-t-elle finalement. « Mais contrairement aux Zannis, qui prenaient plaisir à s'afficher, on ne sait pratiquement rien sur eux. On ne sait pas combien ils sont, encore moins qui ils sont ou ce qu'ils sont, on ne connait même pas leurs noms ni leurs motivations. Leurs actions semblent n'avoir ni queue ni tête, mais elles frappent toujours avec violence. Tout ce qu'on connait à leur propos, c'est qu'ils signent leurs exploits avec un symbole en forme de lotus d'or. »

La kitsune pinça les lèvres, visiblement mal à l'aise.

« Comment te les décrire...? » Murmura-t-elle.

Se titillant les mains avec nervosité, elle braqua son regard sur l'horizon.

« Tu as déjà entendu parler des Sept Merveilles du Diable ? »

« Non... »

« C'est le nom donné à un ensemble de sept œuvres d'art. La première a été découverte il y a trois ans, dans la collection VIP d'une boutique de luxe du 38e étage. »

La grimpeuse sortit son téléphone et pianota dessus durant quelques secondes, avant de tourner l'écran vers le garçon. Celui-ci s'en saisit et y décela l'image d'une sorte de long manteau d'un blanc étincelant - comme si il était recouvert de paillettes - suspendu à un mannequin. Le vêtement était exposé derrière une vitrine.

« La Robe de Psyché. » Nomma Raijū. « Le tissu qui la compose est d'une douceur inégalée dans toute la Tour, plus encore que le miel et la soie réunis. Celui ou celle qui l'enfilerait serait à ce qu'on dit capable de déceler des sensations de toucher inconnues jusqu'alors. »

« Avec quoi a-t-il été conçu ? » Demanda Matsuba, curieux, en détaillant la photo de l'objet. « Le pelage d'un monstre légendaire ? »

« Tout le monde s'est posé la même question que toi. Certains ont effectivement pensé à un matériau d'hétéromorphe, d'autres estimaient qu'il était tissé avec des milliers de minuscules pierres précieuses. Le réponse a été... surprenante. »

« Ah bon...? »

Le regard de Raijū s'assombrit.

« De la peau. » Affirma-t-elle. « Ce manteau a été fait avec un épiderme humain. »

Un frisson d'horreur pur parcourut l'intégralité du corps de Matsuba, alors que les mots s'étouffaient dans sa gorge. Il faillit même en lâcher le téléphone, mais se rattrapa heureusement au dernier moment.

« Sa texture analysée au microscope a révélée des cellules humaines cimentées dans une matière étrange qui servait à la fois de liant et de conservateur. » Poursuivit impitoyablement la kitsune. « Loin d'en pâtir, la popularité du manteau en a été décuplé. Il a sillonné les marchés noirs, se vendant toujours plus cher, jusqu'à finir entre les mains d'un ascensionniste qui a cherché à déterminer qui était la personne dont le cadavre avait servi pour sa conception. Il s'est dans un premier temps débrouillé pour fouiller les bases de données ADN des étages qui en disposaient, mais sans succès. Finalement, il réussi à faire le lien avec une affaire bizarre survenue quelques mois avant la découverte du manteau. »

Raijū récupéra son téléphone des mains du jeune homme tétanisé, et effectua une nouvelle recherche. Lorsqu'elle lui montra l'écran, Matsuba fronça les sourcils en y découvrant un article du site de l'Arlequin intitulé « DISPARITION MYSTÉRIEUSE AU 45e ÉTAGE ! ».

« Ça me dit quelque chose... » Murmura-t-il. « J'avais vu passer ça à l'époque. Une équipe toute entière s'était volatilisée sans laisser de traces. »

« Pas tout à fait sans laisser de traces. » Le corrigea Raijū. « Pour reprendre où j'en étais, notre enquêteur s'est rappelé qu'il y a peu, une ascensionniste appelée Psyché Carléa avait disparue. Et devine quoi ? Elle était réputée pour la brillance et la douceur de sa peau. Tous ses coéquipiers présentaient une caractéristique liée à la beauté, et ils ont disparu de la même manière qu'elle. Ils s'appelaient les Wonderones et ils étaient sept. Ils se sont volatilisés dans la nuit du 7 janvier 3198. On a jamais retrouvé leurs corps, juste quelques traces de sang dans leur QG et des lotus d'or peints sur les murs, accompagnés de l'inscription Ils ne pourront pas payer leur passage, mais eux ne tomberont jamais dans l'oubli. »

Matsuba manqua s'étrangler.

« Je pense que tu as compris. » Dit la kitsune avec un sourire amer. « Nirvāna a massacré l'équipe des Wonderones, puis a utilisé leurs cadavres pour fabriquer les sept Merveilles du Diable. »

Tétanisé, le garçon ne sut comment réagir.

Mais loin de s'arrêter là, les choses prirent une tournure plus terrible encore lorsque Raijū lui présenta des photos de chacune des six autres œuvres.

« Les Yeux d'Odin. » Lâcha-t-elle en lui montrant un bocal contenant deux globes oculaires flottants dans un liquide transparent. « Conservés dans un genre de formole transparent, afin que tous puissent admirer les mille couleurs de l'arc-en-ciel qui scintillent dans leurs iris. »

Elle enchaîna en faisant défiler l'écran. L'image suivante représentait un ensemble de cheveux lisses d'un blond étincelant, d'une longueur remarquable - au moins sept ou huit mètres.

« La Perruque de Sif, une crinière - fabriquée à partir d'un scalp - que l'on prétend fait d'or pur. »

La photo laissa sa place à une autre, où était exposé la moitié inférieure d'une crâne posé sur un piédestal.

« Le Dentier de Narcisse. On peut voir son reflet dans son émail d'argent mieux encore que dans un miroir. »

Le cliché suivant fut pour le moins surprenant : il s'agissait d'un magnifique oiseau semblable à un petit paon. Sa robe était sombre, si ce n'était les quatre plumes rouges et bleus foncées qui lui servaient de queue.

« L'Oiseau-lyre Orphea, qui peut imiter la voix de cette chanteuse depuis qu'il a dévoré ses cordes vocales. Son chant est réputé pour transporter l'esprit dans des contrées lointaines et oniriques. »

Plus les œuvres défilaient, plus l'horreur s'emparait du jeune homme. L'image suivante ne fut pas mieux : une sorte de pantin en tutu y figurait, figé la main en l'air, comme si il était coincé au milieu d'un ballet. Une petite clé-à-remonter était encastrée dans le creux de ses reins.

« La Poupée de Terpsichore, dont l'armature interne a été tissée à partir des muscles et des tendons d'une merveilleuse danseuse. Lorsqu'on remonte la clé dans son dos, elle reproduit ses mouvements à la grâce mirifique. »

La dernière photo était la pire de toute : un buste féminin - s'arrêtant au niveau du cou et des cuisses - accroché à un porte-manteau, qui étendait les mains comme si il s'arrêtait à étreindre un ami. Il semblait fait de marbre.

« Et la Vénus de Vitruve, dont les dimensions parfaites ont été immortalisées par un enduit statufiant. Même les nymphes d'Atlantis n'ont pas une silhouette aussi raffinée... une rumeur dit que la saluer porte bonheur. »

Matsuba ne parvenait plus à exprimer le moindre mot, complètement dépassé.

« E-Et les gens achètent ça ?! » Parvint-il faiblement à bredouiller.

« Tu plaisantes ? L'année dernière, une enchère clandestine a eu lieu sur le Sky Link. Les yeux y ont été vendus pour trois milliards d'oxalis. »

Le jeune homme n'en revenait pas.

« C'est presque autant que le PIB de Greenland !! »

« Voilà le premier acte qui a rendu Nirvāna célèbre. » Continua Raijū. « La Guilde elle-même s'est penchée dessus, étant donné que les Clés des sept grimpeurs avaient disparu. »

« Car les Clés avaient disparu ? » Répéta le garçon, sans comprendre.

« Tu connais les règles du Lex Ascensus Codex ? »

Il fit non de la tête : l'ouvrage n'était remis qu'aux grimpeurs une fois leur permis d'Ascension obtenu. La kitsune se gratta l'oreille, nerveuse.

« En soi, tuer un ascensionniste n'est pas proscrit. D'ailleurs, ça arrive fréquemment lors des concurrences pour s'emparer d'un Fragment céleste unique... même l'examen d'entrée fait des morts, chaque année. La Guilde estime que serait contraire à l'esprit de compétition qu'est l'Ascension de ne pas l'autoriser. En revanche, elle a essayé de limiter les carnages avec une autre règle : l'interdiction de voler la Clé de passage d'un autre grimpeur, y compris si il est décédé. Une fois qu'un Fragment céleste est stocké dans une Clé, il appartient à son propriétaire, point barre. Beaucoup d'équipes stockent d'ailleurs leurs Fragments dans leurs Clés... et ça fait parti des raisons pour lesquels les ascensionnistes qui cherchent à atteindre le Sky Keep forment généralement des équipes. Cette règle cherchait à privilégier la course au Fragment plutôt que l'attaque d'une autre équipe. Évidement, ils avaient pas prévu que l'alliance semi-humaine et la faction humaines trouveraient d'autres raisons de se taper dessus. »

Elle haussa les épaules.

« Techniquement, ce que Nirvāna a fait n'aurait rien eu d'un crime pour la Guilde si ils navaient laissés les Clés. Quoiqu'il en soit, je pense que tu as une idée maintenant de ce dont ils sont capables. »

« Pourquoi ? »

« Pourquoi quoi ? »

« Pourquoi ont-ils fait ça ? »

La femme-renarde haussa les épaules.

« Qu'est ce que j'en sais ? »

Ils reprirent leur marche en direction de la maison de Matsuba, et celui-ci conserva un silence pensif durant de longues minutes.

« Le monde de l'Ascension est plus cruel que je ne l'aurais pensé. » Finit-il par lâcher.

La femme-renarde lui jeta un regard en coin.

« Ça te fait peur ? »

« Je mentirai si je disais que non. Mais cette peur, je la surmonterai. »

Raijū eut du mal à dissimuler le demi-sourire qui vint rehausser sa fossette.

***

Ils arrivèrent finalement en vue de la rue où se trouvait la maison des Kawakami.

« Allez, il est temps que tu rentres chez toi. »

Heureux dans un premier temps, Matsuba prit soudainement conscience qu'il s'agissait peut-être d'adieux. Il sentit sa gorge se nouer.

« Est-ce que... est ce qu'on se reverra ? » Demanda-t-il d'une voix vibrante d'émotion.

Elle se tourna vers lui et il baissa la tête, affligé.

« C'est... c'est juste que... maintenant que j'ai accès au Sei... je pensais... enfin... je voulais dire... ma proposition... vous savez, avant que j'embarque pour... enfin... »

La kistune le dévisagea pendant de longues secondes, pensive. Finalement, elle ne put retenir un sourire.

« J'ai des choses à régler, alors je vais rentrer. »

« Je... je vois. » Bredouilla-t-il, les larmes aux yeux. « Bon retour, dans ce cas... »

« Je repasserai te prendre le 1er août. »

Doutant de ce qu'il avait entendu, Matsuba releva précipitamment la tête, éberlué. Raijū avait détourné le regard, visiblement las.

« Rendez-vous devant chez toi à neuf heures tapantes. J'te préviens... il reste moins de cinq mois avant l'examen d'entrée, alors tu devras en baver si tu veux espérer avoir la moindre chance. Je serais intransigeante et insupportable, et t'auras pas ton mot à dire. Si ça te vas et que t'es prêt à vivre l'enfer, alors je te dis à dans dix jours. »

D'abord incapable d'y croire, Matsuba fut convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un rêve lorsqu'il sentit les larmes couler sur ses joues. Mais c'était des larmes de joies, et non de tristesse. Sentant le dernier vide de son âme se combler, il joignit vigoureusement ses poings, habitude chez lui lorsqu'il voulait extérioriser sa détermination.

« Entendu, maître ! » Lança-t-il avec un large sourire.

Raijū fit demi-tour avant de disparaître dans la forêt, camouflant habilement le sourire qui avait étiré ses lèvres.

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 18, partie 1 : FIN

BONUS

Siège de la Guilde de Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)

Jìng fixait le distributeur qui lui faisait face, le visage empli de déception.

« Y a plus de thé glacé... » Constata-t-elle avec amertume.

Un peu plus loin, Kassandre s'efforçait de pianoter sur son ordinateur, nerveuse.

« Aaahhh... pourquoi est-ce qu'elle ne part pas, cette frapadingue ?! »

Elle n'avait pas oublié l'arrivée de la Régulatrice la veille. Cette dernière lui filait une frousse inimaginable, et quand elle l'avait vu revenir, elle n'avait pu retenir un couinement similaire à celui d'une souris prise au piège d'une tapette à fromage.

« La vie offre bien des obstacles... » Murmura la Régulatrice, mélancolique, en se dirigeant vers la porte de passage. « Dire que je suis repassée ici juste pour ça. »

« T'as été bercée trop près des murs ! » Faillit lui hurler Kassandre, en sentant la nausée lui nouer le ventre.

Cependant, elle ne tenterait jamais pareille folie. Tout simplement parce qu'elle avait un instinct de survie. Mais dès que la porte se referma sur Jìng, la réceptionniste se détendit d'un seul coup en poussant un soupir de soulagement.

« C'est décidé. » Grogna-t-elle, affalée sur son bureau, l'air tout enchevêtrée. « Ce soir, je pose deux semaines de congés. J'ai besoin de vacances... »

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