Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)

Matin du 22 juillet 3202

Matsuba regardait ses genoux, mal à l'aise. Sa respiration était sifflante, et il avait l'impression que des litres de transpirations s'écoulaient sur son front.

« J-J'vais pas pouvoir... »

La pièce était rectangulaire et parées de nombreuses fenêtres. Sur l'un des murs, une carte de Tierraroja surmontait une cheminée, naturellement éteinte en cette saison. Malgré la chaleur des soleils jumeaux qui réchauffaient les lieux, l'ambiance donnait l'impression qu'il faisait un froid polaire.

Répartis autour d'une table centrale, quatre fauteuils se faisaient face.

Matsuba occupait le premier, juste devant le domestique qui dépoussiérait la cheminée derrière lui. Son voisin de gauche n'était autre que Soren, qui dégustait joyeusement l'un des petits biscuits qu'il avait déniché sur la table, une tasse de thé à la main. Charocal se tenait debout à ses côtés, sous forme de soubrette. À la droite du jeune homme se tenait Raijū, les bras croisés sur la poitrine. Son regard mauve dévisageait avec animosité la quatrième personne, assise face au garçon : une grande femme aux cheveux violet sombres et aux yeux rose fuchsia.

Osant finalement lever un regard timide dans sa direction, Matsuba entrevit l'insigne en forme d'œil ailé qui ornait sa poitrine.

« L'emblème de M... elle travaille pour la Guilde. » Angoissa-t-il, le cœur battant à cent à l'heure. « Merde, ils l'ont envoyé pour le passage hors-la-loi ? »

Il repensa à ce qu'il avait déclaré au shahanshah.

« Je n'ai pas l'intention de devenir un Clandestin, je trouverai le Sky Keep dans les règles ! »

« Ça part si mal ! »

Levant les yeux un peu plus haut, il croisa ceux de la Régulatrice, qui l'observait en silence.

« Q-Quel regard intense !! On dirait qu'elle veut me tuer ! »

Mort de trouille, Matsuba se tassa sur sa chaise. Mais soudain, un bruit le fit sursauter.

Sluuuuurp.

Incrédule, il constata que la Régulatrice tenait une petite brique de thé glacé saveur macha dans la main, et qu'un liquide vert translucide s'en échappait - aspiré par une petite paille blanche - pour rejoindre sa bouche. En quelques secondes, la brique se ratatina, vidée de son contenu. Le bruit cessa et la femme jeta le déchet, qui décrivit un arc de cercle avant d'atterrir dans la poubelle.

« Les Admins dépêchent une autre des Dix doigts rien que pour moi ? » Railla soudainement Raijū, mettant un terme au silence gênant qui régnait jusqu'alors. « Je suis flattée. Pourquoi pas Tchaka ? »

Les yeux de Jìng se plissèrent.

« Tu t'étonnes qu'ils aient changé d'intermédiaire ? Les Admins savent que Tchaka te passe tous tes caprices. Ils en ont assez que tu te crois au dessus des lois, Raijū. »

« Je suis fidèle à moi-même. » Ricana la kitsune. « D'ailleurs toi non plus tu n'as pas changée, miss intello. »

« J-J'ajoute un nouvel outrage à agent sur ton amende ! » S'écria la Régulatrice en frappant du poing sur la table, le visage rouge comme une écrevisse. « Et je te déconseille d'utiliser à nouveau ce surnom ridicule ! »

« J'paierais volontiers tous les oxalis de cette putain de Tour pour continuer à t'insulter, la nerd. T'étais déjà chiante au lycée, mais tu fais que battre des records depuis qu'on en est sortis. La Reine incontestée des casse-burnes. Et tu t'étonnes encore de pas avoir trouvé de mec, avec ton comportement ? Va voir un psy, il arrivera peut-être à sortir le balais qui est coincé au fond de ton cul depuis quinze ans. Ah et tant que t'y es, fais-toi ravaler la façade, la moitié de la ville a déjà foutu le camp en apercevant tes cernes. »

Jìng se leva brusquement en la pointant du doigt.

« Je te signale que j'ai pas choisi d'avoir ces yeux, grosse pouffe ! » Brailla-t-elle, tendue comme un fil. « Et tu oses me parler de mec ? T'as oublié qu'au lycée, personne osait plus t'approcher depuis que t'avais pété les genoux du dernier, miss terreur publique ?! »

« Ce con n'arrêtait pas de voler des frites dans mon assiette ! » Rétorqua la kitsune en se levant à son tour. « Et j'en connais une autre à qui je vais pas tarder à briser les genoux si elle continue de me faire chier ! » 

« Oooh...? » Fit la Régulatrice en faisant craquer ses jointures. « Tu veux aussi que j'ajoute menace envers un agent Régulateur de la Guilde ? Très bien, ça me donnera une très bonne excuse pour t'envoyer directement à la Bastille de Tartaria. »

Matsuba observait ce spectacle avec une stupeur tétanique, trop effrayé pour oser intervenir.

« Une... ancienne camarade de classe ? »

« Euh, quelqu'un reveut du thé...? » Intervint Soren avec un sourire embarrassé.

« Sans façon ! » Lancèrent simultanément les deux femmes sans même lui accorder un regard.

Mais soudainement, Jìng sembla s'étrangler.

« ...loin de moi l'idée d'interrompre ce sketch. » Déclara-elle d'une voix plus grave et plus calme. « Je sais que cette renarde est la seule personne qui arrive à te faire exprimer un tant soi peu de combattivité, l'intello. Et j'adorerais assister à votre crêpage de chignon. Mais on a des choses plus importantes à aborder, tu ne crois pas ? »

Elle se rassit lentement en sifflant entre ses dents, retrouvant sa voix aiguë.

« Toi qui est si belliqueux, t'habitude... Mais tu n'as pas tord, mieux vaut en rester là. »

Et sous les yeux stupéfaits de Matsuba, elle sortit une autre brique de thé glacé de sa poche, qu'elle engloutit aussi rapidement que la première.

Sluuuuuuurp.

Finalement, elle s'équipa de sa Clé de passage et en extirpa une petite mallette, de laquelle elle tira plusieurs papiers.

« Le bureau de l'archevêque Tiberius et celui du directeur de la prison Bocabierta ont été fouillés, mais rien n'y a été trouvé. » Expliqua-t-elle. « Nous avons en revanche retrouvé plusieurs documents sur le corps de l'ascensionniste Kaya Novaja. D'après ceux-ci, l'archevêque d'étage de l'église d'Imperia Tiberius ab Kadoran avait passé un accord avec un individu désigné sous le nom de Crispin. L'accord stipulait l'envoi de shamanes semi-humaines vers la cité de Cheerook dans le but d'alimenter un genre de rituel qui aurait provoqué l'agitation de tous les monstres de l'étage, avant de finalement tous les détruire lorsqu'il serait achevé. »

« C'est des conneries. » Intervint Raijū. « Le démon voulait anéantir l'étage, surtout pas le débarrasser des monstres. Il a dû faire avaler ça à l'archevêque. »

« On ne peut que supposer. » Fit Soren en haussant les épaules. « En tout cas, l'accord profitait à Tiberius, car l'agitation des monstres lui a permis de proposer à ses supérieurs de lui envoyer des renforts, ce qui leur offrait alors une occasion inespéré d'agrandir leur influence au 5e étage. »

« Est ensuite survenue la crise de la Leyposa. » Poursuivit Jìng. « Sans doute le démon lui a-t-il soufflé qu'il s'agissait d'une vengeance des semi-humains. Quoiqu'il en soit, l'archevêque a alors usé de son influence pour faire propager dans des journaux locaux des rumeurs infondées accusant les semi-humains d'être à l'origine de la disparition de la Leyposa. Par la suite, plusieurs membres corrompus de l'ancien gouvernement Tierrarojien s'en sont mêlés, les droits semi-humains ont été retirés de la Constitution, et Imperia a lancé une campagne de capture et d'extermination à leur encontre. »

Elle changea de document.

« Un troisième acteur est également intervenu. Plusieurs dossiers retrouvés par demoiselle Novaja se trouvent êtres des échanges entre l'archevêque Tiberius et le Grand Sorcier Erwin Keiner, de la célèbre équipe clandestine l'Ordre de Lilienkreutz. Il semblerait que tous deux entretenaient une collaboration afin d'extrader les prisonniers semi-humains hors du 5e étage. Collaboration à laquelle était greffé le dénommé Crispinn qui lui récupérait les shamanes au passage. »

Satisfaite de son résumé, Jìng rangea les documents dans la mallette et poussa un long soupire.

« Je préfère être honnête... les West's Spirit m'ont annoncé vouloir engager des poursuites, mais je doute que cela aboutisse à grand chose. Les preuves incriminent Tiberius, et il sera sans doute condamné à titre posthume. Mais Imperia et les Messagers nieront avoir eu connaissance de ses agissements, et ça s'arrêtera là. Quant aux cinglés de Lilienkreutz, ils ont profité du chaos de la nuit dernière pour mettre les voiles sans laisser de traces. »

« Alors on... on a fait tout ça pour rien ?! » Ne put retenir Matsuba en se levant. « Et l'oppression des semi-humains par Imperia ?! »

Mais la Régulatrice secoua négativement la tête.

« Cela ne nuit pas à l'Ascension, alors ce n'est pas du ressort de la Guilde. Seule la collaboration avec Lilienkreutz et les transferts sans Clé des prisonniers sont des infractions au Lex Ascensus Codex. »

« Comment... comment pouvez-vous laisser passer une chose pareille ?! »

« Il ne s'agit pas de moi, mais des règles. » Soupira son interlocutrice, qui semblait partager sa frustration.

Les mâchoires crispés, Matsuba serra les poings mais se rassit en silence. La main de Soren vint alors se poser sur son épaule.

« Ne te fais pas trop de bile. » Lui dit-il avec un sourire. « Faire condamner les Messagers ne faisait de toute façon pas parti de nos objectifs. Nous nous en sortons pas si mal : il se trouve que j'ai fait parvenir plusieurs des preuves que nos équipes ont récupéré à plusieurs journaux. En usant de mon influence économique et du récent chaos qui a mis la ville à mal, je les ai... disons incité à révéler au grande jour les machinations de Tiberius. Autant te dire que la popularité de d'Imperia en a pris un coup. Qui plus est, maintenant que l'archevêque a été découvert, les Messagers ont commencé à retirer leurs renforts en prétextant une enquête, afin d'éviter qu'on ne pense qu'ils n'aient été de mèche avec lui. »

Il désigna la carte du monde exposé au dessus de la cheminée.

« Dès la survenue des révélations, les civils évacués sont revenus en ville et sont allés hurler sur ce qu'il restait du gouvernement tierrarojien. Lorsque les télégrammes ont transmis l'information, des manifestations ont également éclaté dans plusieurs autres villes. L'ancien gouvernement ayant été foncièrement affaibli par la perte des forces militaires d'Imperia, il a été contraint de démissionner sous la pression. Deux nouveaux gouvernements ont alors vu le jour : un dirigé par l'ancien président, qui souhaite l'indépendance du 5e étage et la ré-inclusion des droits semi-humains dans la constitution. Et un autre, composé d'anciens extrémistes convaincus ou ayant commis trop d'atrocités pour craindre un retour de bâton, qui souhaite continuer la collaboration avec Imperia en élisant simplement un nouvel archevêque. Le premier est majoritaire dans l'est du pays et a pris le contrôle de Las Alba. Les seconds eux, ont été contraints de fuir à l'ouest, qu'ils contrôlent toujours. Pour ainsi dire, Tierraroja est désormais coupée en deux. »

« L'archevêque est mort ? » S'étonna alors Matsuba, qui n'avait pas tilté auparavant.

Jìng hocha la tête.

« Probablement tué par l'un des deux masqués. On a retrouvé son corps dans la prison. »

« À ce propos, je pense qu'on peut avoir une idée de leur identité, n'est-ce pas ? » Intervint Raijū, les bras croisés contre la poitrine. « Deux monstres de haut niveau qui collaborent et qui portent des vêtements de carnaval... »

À l'exception de Matsuba, les trois grimpeurs hochèrent la tête.

« Il me semblait pourtant que Gleam avait mis fin à l'existence des Zannis il y a de ça deux ans ? » Demanda Soren, intrigué.

« C'est le cas. » Affirma la Régulatrice. « Mais il est possible qu'un survivant ait discrètement refondé cette équipe clandestine. Je rapporterai ces informations à Cosmopolis, et une enquête sera certainement menée. »

« Au fait, où est passée dame Euryale ? » Demanda Matsuba. « La dernière fois que je l'ai vu, elle combattait les clandestins de Lilienkreutz. »

Mais Soren secoua la tête en haussant les épaules.

« Pour être honnête, nous n'en savons rien. Elle s'est volatilisée. Peut-être qu'elle a utilisée sa Clé ? »

« J'essayerai de retrouver cette grimpeuse dans les registres de la Guilde. » Affirma Jìng. « Son témoignage concernant Keiner pourrait nous être utile. Qui plus est, si elle l'a tué, il faudra que je récupère son corps pour l'enquête. »

« Dommage... » Regretta le garçon. « J'aurais aimé lui dire au revoir. »

Il repensa à sa pitoyable fuite ayant abouti à sa rencontre avec le démon.

« Oh merde ! » Réalisa-t-il soudainement en se tournant vers Raijū. « Avec tout ça, les lunettes que vous m'aviez prêté... »

« ...ont fini en miettes. » Confirma la kitsune, agacée.

Elle se tourna vers Soren avec un sourire évocateur.

« Mais bon, l'autre riche va bien me les rembourser, n'est-ce pas ? »

« Mmm... il me semble vous avoir versé un chèque de trois cent mille oxalis pour notre collaboration. » Répondit le nanti avec le même sourire. « Ne serait-ce pas là l'occasion idéale pour s'en servir ? »

« Ça y est... ils recommencent à se regarder comme deux lions qui se disputent un repas. » Songea Matsuba, mal à l'aise. « Ils sont flippants. »

« Passons au sujet suivant. » Intervint Jìng en posant son regard sur lui.

« Mais pas autant qu'elle ! Nom de Dieu, ce regard me fiche la chaire de poule ! »

« Auriez-vous l'amabilité de nous laissez seuls ? » Demanda-t-elle à Soren. « Ce que j'ai à dire ne concerne que le garçon et la grosse pouffe. »

« Je t'emmerde. » Fit la voix de Raijū en fond.

« Naturellement. » Approuva Fyrklöver en se levant. « J'attendrai devant l'entrée du bâtiment. »

Et sur ce, il quitta la pièce, sa servante sur les talons. Dès que la porte eut claqué, la Régulatrice sortit une nouvelle brique de thé glacé et ingéra son contenu en quelques secondes. 

Sluuuuuuurp.

« Bien. Pour commencer... »

Elle planta son terrible regard dans les yeux de Matsuba.

« ...qui es-tu, toi ? »

Le garçon eut l'impression d'être transpercé par ces iris roses aussi glacées qu'un sorbet à la framboise. Elle lui mit une pression telle qu'il sentit un poids s'agripper à son estomac.

« M...moi ? » Bredouilla-t-il en se désignant. « Je... enfin je suis... m'appelle Matsuba... »

« J'ai l'impression que ma tête va exploser ! »

« C'est mon élève. » Lâcha soudainement Raijū.

Pris par surprise, le garçon s'interrompit pour la dévisager avec un mélange de stupeur et d'émotion. Mais la Régulatrice elle, laissa échapper un petit rire.

« Raijū Ikazuchi, qui ne trouve déjà pas le temps de prendre deux douches par semaine et qui a refusée toutes les propositions d'intégration d'équipes qu'on lui a proposé à sa sortie d'examen d'entrée, se serait mise à former un apprenti ? C'est culotté, comme tentative de bluff. »

Elle se tourna vers la kitsune.

« Qui plus est, sachant que tes déplacements sont surveillés, tu aurais trimballé ton stagiaire en passant par une dérogation autorisée dans un siège de Guilde. Tu n'aurais certainement pas couru le risque d'un transport clandestin. Et puisqu'on en parle... »

Un sourire goguenard s'immisça sur son visage, contrastant avec son sérieux habituel.

« Je brûle d'envie de t'arrêter ou te retirer ton permis d'Ascension, mais je ne peux malheureusement pas dépasser mes prérogatives. Néanmoins, comme toute infraction mérite sanction, je te colle une amende de trois mille deux cent oxalis pour infraction aux articles 5a, 5b et 5c du Lex Ascensus Codex. Et je rajoute comme promis cent soixante oxalis pour outrage à agent. »

« Tu sais où tu peux te la foutre, ton amende ? »

***

Les rechignements durèrent plusieurs minutes, mais la femme-renarde finit par envoyer un virement à Jìng. Elle continua cependant de maugréer plusieurs minutes après que son téléphone lui ait envoyé une notification de confirmation.

De son côté, comprenant qu'il n'avait de toute façon pas le choix, Matsuba raconta à la Régulatrice comment il avait fait sa rencontre et comment il s'était retrouvé là. 

« Je vois. » Dit-elle lorsqu'il arriva à la fin de son récit. « Ça explique pas mal de choses. »

Elle braqua un œil moqueur sur la kitsune.

« Lorsque les Admins ont détecté ton brusque voyage vers le 5e, ils ont compris que tu avais déniché un Seau maudit et que tu t'étais bien gardée de les en informer, contrairement à ce que stipule votre marché. » 

« J'ai aucune obligation à les informer de quoique ce soit. »

« Ils m'ont donc envoyé pour t'intercepter. » L'ignora-t-elle. « Un juste retour de karma, tu ne penses pas ? Fort heureusement pour toi, Tchaka m'a alpagué juste avant mon départ et m'a informé de ce que tu comptais faire. »

Elle ne récolta qu'un doigt d'honneur en guise de réponse.

« Je suis un peu perdu. » Avoua Matsuba. « C'est quoi, cette histoire de marché ? »

« Tout ça découle d'évènements survenus il y a six ans. » Expliqua Jìng. « À l'époque où celle-là venait de terminer ses études d'archéologies et travaillait en collaboration avec Lara Maufrey. »

Raijū sursauta.

« Tchaka t'a aussi parlé de ça... » Murmura-t-elle.

« Oui. »

Les traits de la femme-renarde se plissèrent et elle se mordilla la lèvre, visiblement tendu.

« Qui est Lara Maufrey ? » Demanda le garçon, curieux.

« Je vais commencer par le début. La première expédition de miss danger publique en tant qu'archéologue diplômée s'est déroulée dans le désert Bahr Al-Rimal à Maahzad. C'est en creusant qu'elle a trouvé par hasard un étrange artéfact : une sorte de petit sceptre doré, sur lequel était gravé plusieurs hiéroglyphes. Il reposait dans une salle souterraine secrète, au milieu d'un cercle de statues. Elle l'a ramené chez elle pour l'étudier, et les surprises se sont enchaînées. La plus grosse a été quand elle a déterminé son âge. »

« Sais-tu de quand date la plus ancienne trace de vie que l'on ait retrouvé dans la Tour, Matsuba ? » Intervint Raijū d'une voix lointaine, noyée dans les profondeurs de sa mémoire.

Le garçon fit non de la tête.

« Environ... cinquante mille ans. C'est là que ça devient drôle. »

La Régulatrice poursuivit à sa place :

« Le sceptre avait au moins cent mille fois cet âge. »

« C-Cent mille fois ?! »

« Son âge a été estimé à plus ou moins cinq milliard d'années. Loin d'être la seule surprise, la renarde a vite découvert que ce sceptre n'était pas fait d'or, mais d'un matériau inconnu. Ça ressemblait à du métal, mais ça semblait vivant. De plus en plus excitée par sa trouvaille, elle a poursuivi ses recherches en cachant son existence. »

« Je voulais être la pionnière de cette découverte, marquer l'Histoire... » Murmura la kitsune, la mine basse.

Le garçon lui adressa un sourire compatissant. Oui, il pouvait parfaitement comprendre cette envie d'être le premier à accomplir quelque chose.

« Mais elle a rapidement commencé à faire du sur-place. » Poursuivit Jìng. « Elle ne trouvait rien à son sujet, pas un livre, pas un reportage, pas une rumeur, rien. Quant aux symboles gravés dessus, ils restaient indéchiffrables. C'est plus d'un an plus tard que les choses ont avancé, lorsqu'elle a été contactée par une autre ascensionniste archéologue... Lara Maufrey. Cette grimpeuse cherchait un moyen de soigner une malédiction contracté par sa sœur, et ses recherches l'avaient menées quelques années plus tôt à une vielle rumeur sur un objet maudit hantant les forêts de Jāngala, le 14e. Un objet qui serait encore plus vieux que le monde lui-même. À forces d'efforts acharnées, Lara était parvenue à retrouver les traces de plusieurs de ces objets dans plusieurs étages différents, à des époques différentes. Cependant, elle n'avait jamais réussi à mettre la main sur l'un d'entre eux. Leurs travaux se rejoignant, la renarde et elles ont décidé de mettre leurs efforts en commun. Et six mois plus tard, elles ont réussi à localiser un autre artéfact, à Shang Yun. Et c'est là que les problèmes sont arrivés... »

Raijū émit un grognement contrarié.

« Étant plus douée sur le terrain que sa collègue, c'est la pouffe qui est allée récupérer l'autre artéfact. Elle y est parvenue, mais quand elle est revenu chez elle, des Régulateurs l'attendaient et l'ont intercepté. »

« Vous avez été arrêtée ? » Sursauta le garçon en se tournant vers la femme-renarde.

Celle-ci approuva d'un air crispé.

« J'ai été emmenée à Cosmopolis, où on m'a interrogé pendant plusieurs jours. » Expliqua-t-elle. « Je n'avais droit qu'à un verre d'eau par jour, en échange de plusieurs dizaines de questions. Ils voulaient tout savoir : où j'avais trouvé les objets, pourquoi je les étudiais, ce que j'avais découvert, ou encore avec qui je travaillais. »

Elle soupira.

« J'ai... passé presque une semaine là-bas. J'avais fini par perdre espoir et par me résoudre au fait que j'allais finir mes jours à la Bastille. Je ne comprenais même pas ce que j'avais fait de mal. Les choses ont changé quand ## ###### ### ###... ah et merde ! »

Comme lorsqu'il parlait avec le shahanshah, Matsuba sentit son cerveau être comprimé par une force invisible.

« Q-Qu'est ce que... qu'est ce qu'il se passe ? »

« Je ne peux pas en parler directement. » Grogna Raijū, visiblement furieuse. « L'intello va t'expliquer. »

« Un Administrateur est venu la voir pour lui proposer un marché. » Dit Jìng. « Il lui a expliqué que les deux artéfacts qu'elle avait trouvé était des Sceaux maudits, des artéfacts interdits par la Guilde, et qu'elle en savait désormais beaucoup trop à leur sujet. Cependant, il a décidé de lui laisser une chance. »

« Une chance de m'exploiter, oui. » Fulmina la kitsune.

« Le marché propose était simple : il lui autorisait à sortir, en échange de quoi elle n'aurait pas le droit de parler de ce qu'elle avait découvert. Qui plus est, si jamais elle devait trouver de nouveaux Sceaux maudits à l'avenir, elle serait contraint de les en informer pour les leur remettre sans délais. »

« En gros, ils comptaient la faire taire tout en se servant d'elle pour récupérer les artéfacts, c'est ça ? » Demanda Matsuba.

« C'est ça. » Approuva Jìng alors que Raijū étouffait un juron. « Et c'est la raison pour laquelle c'est moi qui t'ai raconté tout ça : je ne suis pas soumise au contrat de silence. La renarde elle, ne pourrait ni le formuler ni l'écrire. »

« Mais comment cette dénommée Tchaka et vous pouvez-vous être au courant si Dame Raijū ne peut rien expliquer ? Et qu'est-il arrivé à Lara ? »

La Régulatrice pencha la tête, intriguée.

« Qui ça ? » Demanda-t-elle avec étonnement.

« La femme dont vous m'avez parlé il y a cinq minute ! »

Un sourire amer vint étirer les lèvres de son interlocutrice.

« Je sais... c'est simplement la réponse que t'aurais donné Raijū si tu lui avais posé la question à sa sortie de Cosmopolis. »

« Hein...? »

« Lorsque j'ai été arrêtée, on a fouillé mes affaires et ma Clé de passage. » Expliqua Raijū, les oreilles rabattues sur le crâne. « Ils ont embarqué toutes les notes et tous les dossiers que j'avais concernant mes recherches. Néanmoins... »

Elle activa son stigmate.

« ...il y a un endroit qu'ils ne pouvaient pas fouiller. <Forme LockedRoom>. »

Le cube <Ernö> apparut et s'agita avant de s'immobiliser brusquement. Puis, il se divisa en plusieurs fragments, dévoilant un compartiment central caché. Là flottait une clé USB dont la femme-renarde s'empara.

« Là dedans se trouve des traces de mes échanges avec Lara et de plusieurs de mes notes. C'est grâce à elle que j'ai pu informer une amie grimpeuse appelée Tchaka, grâce à elle qu'on a pu te raconter tout ça. »

Son regard s'assombrit alors qu'elle pinçait les lèvres.

« Et c'est... grâce à elle que je sais que j'ai travaillé avec Lara. Ce sont les seuls traces qu'il reste d'elle dans toute la Tour. En dehors de cette clé USB, elle n'existe plus. Je n'ai plus aucune souvenir d'elle, je ne sais même pas à quoi elle ressemble. Personne ne sait plus qui elle est. Même ses parents - que j'ai pu retrouver grâce à son nom - ne savent pas qu'ils ont une fille. Et c'est pareille pour sa sœur Aliana... »

Un frisson parcourut Matsuba alors qu'il ouvrait la bouche.

« Tu comprends ? Par un moyen que j'ignore, il n'y a jamais eu de Lara Maufrey. Cette personne n'existe pas. Ou plutôt, elle n'existe plus : c'est comme si elle avait été effacée de la Tour. »

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 17, partie 2 : FIN