Chapitre 15 - Déchaînement, partie 5

UN PEU PLUS TÔT...

Ancienne citée de Cheerook, Tierraroja (5e étage de la Tour)

21 juillet 3202

« Vous avez un plan en tête ? » Demanda Shayton, incertain.

Quelques minutes auparavant, Crispin avait quitté les lieux avec son armée d'hétéromorphes.

« Oui. » Grommela Raijū en sortant sa Clé de passage. « Mais d'abord, il faut qu'on le rattrape. »

« En admettant qu'on ait un moyen de le suivre. » S'apitoya le condorien.

Un sourire narquois s'étira sur les lèvres de la kitsune.

« T'es vraiment qu'un débutant. » Se moqua-t-elle. « Take-out. »

Une forme grandissante émergea du cadran, prenant l'apparence d'un véhicule deux roues. Des cylindres et formes arrondies vinrent adoucir sa silhouette acérée, et la moto finit par apparaître dans son intégralité.

« Les Clés peuvent contenir douze items... il est toujours nécessaire d'avoir au moins un véhicule parmi eux. »

Malgré l'urgence de la situation, Shayton ne put retenir un sifflement admiratif alors que sa camarade démarrait le moteur.

« Une Hondeye kazéenne, modèle SeaBee350 c'est ça ? Je dirais années 3185, à vu de nez. »

« Presque : SeaBee400. » Le corrigea la grimpeuse en enfourchant la selle. « Mais tu as bon pour l'année. Allez, amène-toi. »

« Je savais pas que vous étiez motarde. » Nota son camarade en s'installant derrière elle. « Au fait, vous avez pas de casque ? »

« J'ai grandi à Kaze dans les années 3190. » Ricana Raijū. « Alors j'ai mon petit passé de bōsōzoku. Pas de casque, on cherche les sensation fortes et le goût du risque ! »

Et sans lui laisser le temps d'enchaîner, elle tordit l'accélérateur et propulsa l'engin - qui passa de zéro à cent kilomètre heures en quelques secondes - pour filer à travers les rues dévastées de la citée en ruine.

Les plumes prises dans un déferlement de vent, Shayton s'agrippa fermement à la taille de la conductrice avec sa seule serre encore valide. Celle-ci effectuait des dérapages secs dans les virages, parcourant les ruelles à toute vitesse.

Mais même si sa conduite semblait maîtrisé, ils frisèrent tant de fois les murs que le condorien se mit à serrer les dents avec angoisse. Il poussa d'ailleurs un grand cri lorsque, d'un grand coup de guidon, la kitsune usa d'un toit pour se propulser dans les airs, atterrissant dans les rues en contrebas.

« T'as vraiment rien dans le slip ! » S'amusa la conductrice avec un sourire carnassier. 

Faisant vrombir le moteur, elle accéléra encore. Ils franchirent finalement la grande porte, s'élançant à vive allure sur la terre ocre des canyons de Naskota. Derrière aux, la ville se mit à rapetisser à vue d'œil, intégrant l'horizon.

Alors que Shayton soupirait de soulagement, rassuré qu'il n'y ait plus de potentiels obstacles à percuter autour d'eux, la kitsune sortit de nouveau sa Clé de passage.

« Take-out ! » Rugit-elle, faisant apparaître un sac en toile.

Elle le tendit à son camarade, qui la regarda sans comprendre.

« Y a des artéfacts qui vont nous servir dedans ! » Clama-t-elle pour couvrir le vent.

Mais avant que le condorien n'ait le temps de fouiller le sac, il vit qu'ils approchaient de la falaise qu'ils avaient grimpé un peu plus tôt dans la journée.

« Eh ! Euh... R-Ralentissez ! » Glapit-il.

« Cramponne-toi, le touriste ! » Aboya la femme-renarde en accélérant de plus belle. « Au pire, t'auras qu'à sauter pour planer ! »

« Vous êtes cintrée !! » S'époumona Shayton alors que la moto s'élançait dans les airs. « Je viens de me faire trancher la main, je suis pas en état ! Hiii ! »

Au moment où ils plongeaient dans le vide, Raijū sourit de plus belle et activa sa capacité.

***

PLUS TARD...

Las Alba

Zanni et femme-renarde se dévisageaient en chien de faïence.

« J'en ai pas encore fini avec toi, salopard. »

« Puisque tu tiens tant à mourir, je ne vais pas me gêner ! » Gronda le démon en se déployant ses ailes avant de bondir sur elle.

Immobile, Raijū esquissa un sourire.


Clang !


Les griffes n'avaient pas atteint la kitsune, stoppés à quelques millimètres de son thorax.

« Encore cette putain de compétence ! » Ragea le duc en comprenant ce qu'il se passait.

Une petite étoile était apparue sur a poitrine : il était de nouveau coincé par le <Ciblage mutuel> de Shayton.

D'un bref battement d'ailes, Crispin se tourna vers le responsable et se rua sur lui. Le condorien, qui avait juste eut le temps de placer son petit frère à l'abris, sentit son cœur se serrer en percevant la soif meurtrière qui imprégnait l'aura du monstre. Toutes ses plumes se hérissèrent alors que son adversaire disparaissait de son champ de vision, bien trop rapide pour lui.

Ce fut son instinct qui le sauva : moins d'une fraction de seconde plus tard, l'épée-guêpe du démon fendit l'air sans le toucher.

« Qu'est ce que...?! »

Le Zanni secoua la tête, cherchant sa proie du regard. Il la répara aussitôt une dizaine de mètres plus loin, perchée sur un toit, l'air étonné d'être en vie.

« Comment cette limace a-t-elle fait pour se déplacer aussi vite ? »

Ses yeux trouvèrent d'eux-même la réponse sur les pieds de l'homme-vautour.

« Des bottes de Yudhishthira ! »

***

Au sein de la Tour de Babel, le terme artéfact désignait les objets imprégnés de Sei. Souvent rares, certains étaient même uniques. Au même titre que les ascensionnistes ou les monstres, ils étaient classés selon le système de rang de la Guilde.

Parmi les artéfacts de rang D, les Bottes de Yudhishthira étaient considérées avec désintérêt. En effet, ces paires de chaussures - portant le nom d'un ancien héros de guerre de Jāngala, le 14e étage, et présentes en de nombreux exemplaires à travers toute la Tour - imposaient à leur porteur la faculté de se déplacer instantanément à chaque pas, et ce à une position aléatoire dans un rayon de quatre virgule quatre-cent-quarante-cinq à trois cent virgule cinq-cent-cinquante-six mètres.

Imposaient, car les bottes ne laissaient aucunement le choix à celui qui les utilisait. Le déplacement étant purement aléatoires, il était aisé de se retrouver plongé dans le vide ou de rentrer dans un mur.

Pour ces raisons, elles étaient considérées comme inutile et vendues à des prix dérisoires.

***

« Il aurait pu réapparaître au dessus de moi, dans le sol, ou dans l'estomac d'un oiseau-tonnerre ! N'importe où ! Alors comment...? »

Crispin comprit en voyant l'autre objet que tenait Shayton dans sa serre : un genre de bâton soutenant une roue de toutes les couleurs.

« Ça ressemble à une roue de fortune... un genre d'artéfact qui boost la chance ? »

« Viens me chercher, connard ! » Beugla le condorien.

Irrité, le démon ne se fit pas prier. Mais au lieu d'aller chercher sa cible, il opta plutôt pour une méthode plus directe. Délaissant son épée Biondetta au profit de l'esprit-coléoptère Brachina, il fit feu sur le semi-humain.

L'explosion engloutit une partie du toit, qui vola en éclat. Pourtant lorsque la fumée se dissipa, aucun cadavre n'était visible.

« Encore ! »

Percevant sa proie dans son dos, Crispin se retourna : le grimpeur était réapparu à l'autre bout de la place. Le corps tendu à l'extrême, l'esprit vif comme une étincelle, il semblait l'attendre de pied ferme.

« Il ne s'enfuit pas...? »

Les déductions coulèrent à flots dans l'esprit du monstre.

« Sa capacité doit avoir une limite de portée, alors il ne peut pas s'éloigner trop de moi. Mais il veut m'attirer loin de la renarde et de l'oiseau infecté, alors il me pousse à le poursuivre tout en me maintenant à distance. »

Son regard vert se fixa sur la roue de fortune.

« Si ce truc boost bien sa chance, il y a peu de chance qu'il fasse un mauvais saut. Et en le prenant en chasse, je laisse l'oiseau sans protection... »

Un grand fracas retentit un peu plus loin. Jetant un œil à ce qu'il se passait, Crispin vit que l'affrontement entre Raijū et son monstre à plumes avait commencé.

Il grimaça.

« ...mais tant que la capacité est active, il semblerait que je ne puisse toucher que cet enfoiré. Donc tant que je l'aurais pas buté, je ne pourrais pas tuer la kitsune. »

Conscient qu'il s'agissait d'une distraction volontaire de la part du poulet, le démon parcourut la place du regard, à la recherche d'une autre solution. Ses yeux tombèrent sur Nashoba et Natherod, qui essayaient d'écarter des affrontements une Amarok inconsciente.

Un sourire apparut sur les lèvres du Zanni.

« La compétence semble bloquer les attaques directes... mais indirectes ? Voyons voir jusqu'où ça s'applique. »

D'un mouvement de Brachina, il tira plusieurs salves explosives sur le bâtiment derrière les semi-humains, qui sursautèrent. Ses fondations détruites, l'immeuble s'effondra alors sur le petit groupe.

Un instant satisfait, Crispin constata finalement non sans amertume que ses trois cibles avaient réchappé à l'écroulement. Voyant que l'un d'eux - le latranien - avait activé un stigmate, le démon grogna.

« Combien d'autres grimpeurs de bas-étage se trouvent ici ?! »


Blam !


Crispin recula, frappé à la tempe.

« Touché. Une fois. » Fit Shayton, son revolver à la main, alors qu'une nouvelle étoile apparaissait sur la poitrine du duc.

Celui-ci vit rouge. La balle du semi-humain avait ricoché sur son aura, trop faible pour la percer, mais l'humiliation l'avait plongé dans une rage folle.

« Petit rat insolent... je vais t'arracher les plumes une à une ! »

Ne pouvant de toute façon pas toucher d'autres personnes que cet inférieur insolant, Crispin avait compris qu'il n'avait pas d'autre choix que de le prendre en chasse. Les muscles de ses jambes se contractèrent, ses ailes se déployèrent, et il se propulsa dans sa direction. Il avait récupéré Biondetta, qu'il brandissait avec la ferme intention de décapiter ce microbe.

Mais alors qu'il s'approchait de sa cible - bien trop vite pour que celle-ci puisse esquiver - elle mordit quelque chose et disparut.

« Qu'est ce que c'est que ça encore ?»

***

Shayton réapparut quelques mètres plus loin. Il n'avait pas activé les bottes : il avait utilisé un autre artéfact.

Les pastilles d'héliotrope : des petits bonbons à croquer, qui rendait le consommateur invisible et dissimulait son aura pendant quelques secondes.

« Contrairement aux bottes, ça coûte une blinde. » Lui avait expliqué la kitsune. « Parce que même si ce n'est pas un artéfact très puissant, c'est très utile pour l'espionnage et l'infiltration... ou ici, pour l'échappatoire. Bah, je demanderai à l'autre imbécile de me rembourser. Huhu, il a promis de financer intégralement l'expédition, après tout. »

Alors qu'il attendait le prochain assaut de Crispin, le condorien posa son regard sur le dernier objet de leur plan : l'espèce de roue de fortune. Parmi toutes les cases sur lesquelles il pouvait tomber en la faisant tourner, il y avait des cases malchance.

Mais étrangement, il n'était pas tombé dessus. Et il était convaincu que cela n'arriverait pas. 

La raison était toute simple.

« La capacité de Fyrklöver fait effet. » Sourit-il intérieurement. « Entre ça et la roue, la chance est de mon côté ! »

Le plan était simple : quand le Zanni attaquait, Shayton actionnait la roue, puis les bottes. Ses chances boostées, il échappait à l'assaut et réapparaissait plus loin, tout en prenant garde à ne pas trop s'éloigner pour ne pas quitter la portée de son <Impasse des duellistes>. Ensuite, n'ayant plus qu'une serre, il était obligé de ranger la roue pour mordre une pastille, afin de faire perdre un maximum de temps à son adversaire. Puis une fois réapparut, il pouvait reprendre la roue et attendre un nouvel assaut pour recommencer.

Comme celui-ci l'avait deviné, son but était effectivement d'éloigner le démon du champ de bataille, pour que Raijū puisse s'occuper de l'oiseau-tonnerre. Mais pour ainsi dire, le jeu ne tenait qu'à un fil. Si jamais il ratait un saut, il était mort. Si jamais le monstre le touchait en tirant au hasard, il était mort. 

Et si jamais il faisait le moindre faux pas...

« C'est un jeu du chat et de la souris ! »

***

Pendant ce temps...

Pourquoi y avait-il tant de colère en lui...?

Il l'ignorait. Tout ce qu'il savait, c'est qu'il devait détruire. Les pensées dans son crâne ne cessaient de hurler, la rage ne cessait de s'écouler dans tout son corps, du bout de son bec jusqu'à la pointe de ses plumes. Qui plus est, un murmure tapis au fond de son esprit lui susurrait d'attaquer sans se retenir.

Alors, il attaquait.

***

Matsuba courait depuis un bout de temps.

Le chaos régnait en maître partout où il passait : venus de nul part, d'étranges oiseaux s'étaient mis à pleuvoir des nuages pour s'attaquer à tout ce qu'ils trouvaient, humains comme semi-humains. Le jeune homme avait eu beau fait de son mieux pour les éviter, il avait quand même été forcé d'un affronter quelque uns.

Mais manque de chance pour lui : en tentant de les électrocuter avec le taser que lui avait confié Charcoal, il s'était rendu compte que les bestioles semblaient résistantes à la foudre. Fort heureusement pour lui, il était parvenu à s'enfuir et à semer son poursuivant. Mais cette nouvelle défaite ajoutée à son compteur pesait toujours plus sur son âme.

« Fuir... fuir ! Je ne sais faire que ça ! »

Il avait fuis devant le wendigo. Il aurait fuis les gardes en sortant du labyrinthe si Euryale n'était pas intervenu. Et il avait fuis en laissant la grimpeuse derrière elle un peu plus tôt.

Et une nouvelle fois, il fuyait.

Écœuré par son impuissance, le garçon parvint finalement jusqu'à une grande place. Aussitôt, il hoqueta : si le désastre était déjà présent dans les rues qu'il avait parcouru jusqu'ici, il atteignait ici son paroxysme. Néanmoins, il restait bien des vivants, qu'il reconnut instantanément.

« Natherod ! Et... Nashoba ?! » S'exclama-t-il en s'approchant d'eux.

« Matsu ?! » S'étonnèrent les deux concernés.

Le regard du jeune homme se posa alors sur Amarok, dont la poitrine se soulevait avec difficulté.

« Q-Qu'est ce qu'il s'est passé ?! » S'étrangla-t-il. « Que lui est-il arrivé ?! »

« Vous vous... connaissez ? » S'étonna Natherod en se tournant vers son ami.

Mais avant qu'ils n'aient le temps de poursuivre leur conversation, un tumulte attira leur attention.

« Nom de dieu ! » S'exclama Matsuba. « C'est dame Raijū et... qu'est ce que c'est que ce truc ?! »

***

L'oiseau-tonnerre détailla l'étrange femelle qui s'avançait calmement vers lui.

Ses oreilles lui rappelaient certaines de ses proies, mais leur couleur était inhabituelle : il n'en avait jamais vu d'aussi blanches. L'attaquante s'arrêta à quelques mètres de lui, le fixant avec défi. Une aura rose et intense dansait autour de son corps.

Toujours mû par la même rage insatiable, l'oiseau poussa un cri aigu et prit appui sur ses pattes pour s'envoler dans les airs.

« Sainte-mère ! Il faut qu'on se tire ! » Jura Nashoba au loin.

En hauteur, l'oiseau-tonnerre accumulait autant d'électricité que son corps le lui permettait, illuminant les nuages d'une intense lumière violette. Les spectateurs en contrebas furent obligés de se protéger les yeux, aveuglés. Les autres oiseaux s'éparpillèrent, en proie à une grande terreur.

L'instant d'après, un bruit terrible explosait sur la falaise.

***

La déflagration provoquée par la décharge ébranla toute ville.

Lorsqu'il avait vu la bête s'envoler, Natherod avait crié à Nashoba se déguerpir avant de bondir pour se saisir de Matsuba et d'Amarok, les entrainant avec lui dans le sol.

Sentant que le déluge était terminé, le latranien émergea et constata avec soulagement que son ami condorien avait réussi à se mettre à l'abris derrière des débris. Malgré les acouphènes qui vrillaient leurs tympans, les deux semi-humains et le jeune homme se relevèrent tant bien que mal pour constater l'ampleur du désastre.

Un cratère calciné et fumant était apparu au centre de la place. Plusieurs oiseaux-tonnerre avaient étés pris dans la décharge : leur plumage isolant en tona-tona les avait empêché de brûler vif, mais ils avaient été sonnés.

Et au milieu de ce tableau d'apocalypse, Raijū se tenait toujours debout, époussetant ses vêtements.

« ...ennuyeux. » Fut son seul commentaire.

Les mâchoires des trois spectateurs se décrochèrent.

L'oiseau-tonnerre ne se découragea pas, et changea de stratégie pour piquer en flèche sur la grimpeuse. 

L'impact éclata avec fracas, mais l'attaque n'eut pas l'effet escompté : les serres de la bête avaient été stoppées net. Sous la force du choc, Raijū s'était enfoncée de quelques centimètres dans le sol.

Pourtant, elle n'avait rien : l'ascensionniste avait arrêté la patte destructrice avec la paume de sa main.

« Je te tiens. »

L'oiseau tenta de se dégager, en vain. Elle le maintenait fermement : ses pitoyables battement d'ailes évoquaient un papillon pris dans une toile d'araignée. Il ouvrit le bec, mais elle ne lui laissa aucune chance. Elle tendit le poing derrière elle et les veines de son bras se dilatèrent.

La suite se passa en une fraction de seconde.

Dans un mouvement trop vif pour que Matsuba, Natherod ou Nashoba ne puissent le voir, le poing de Raijū fila à une vitesse improbable droit sur la tête du monstre. Celle-ci explosa à l'instant même ou l'attaque dévastatrice le toucha, pulvérisée en un seul coup.

Une onde de choc se propagea, et le cadavre de l'oiseau tomba au sol, la patte toujours coincé dans la main de la kitsune.

C'était terminé.

***

L'atmosphère électrique qui envahissait l'intégralité de Tierraroja depuis plusieurs années se dissipa d'un seul coup. Le Sei sombre avait disparu. C'était comme si l'air s'était brutalement allégé, et Raijū ne put s'empêcher de prendre une grande inspiration.

La kitsune plongea alors sa main dans le corps inerte de la bête, avant d'en ressortir quelque chose. Des morceaux de chair et de liquide gastrique retombèrent un peu partout alors qu'elle exposait avec fierté un petit coffret d'or superbement travaillé, sur lequel était gravé une sorte de sceau.

« Enfin te voilà ! » S'exclama-t-elle, ivre de joie. « Viens voir maman, toi ! »

Mais elle remarqua alors un genre de scolopendre grosse comme un chien, qui s'extirpait maladroitement du cadavre de l'oiseau. Une petite tête noircie et fripée se trouvait à son bout, gémissant faiblement.

« C'était probablement l'esprit qui assurait au démon le contrôle de l'oiseau. » Comprit-elle.

« Saloperie. » Grimaça-t-elle en écrasant l'insecte. « Je hais les trucs qui rampent. »

Son noyau spirituel soudainement détruit, l'esprit lança un dernier couinement avant de s'évaporer.

« Dame Raijūūūūū !! » S'exclama soudainement une voix.

Haussant un sourcil, la kitsune se tourna vers la silhouette qui s'approchait d'elle en courant.

« Tiens, t'es là, toi. » Commenta-t-elle d'un ton neutre.

Le jeune homme s'arrêta devant elle et hésita, n'osant pas l'étreindre.

« Vous m'avez manqué. » Avoua-t-il finalement avec un sourire timide. « Ah, c'est l'artéfact que vous cherchiez ? Cet oiseau l'avait avalé ? Mais qu'est ce que c'est, au juste ? »

La grimpeuse poussa un soupire agacé, mais lui ébouriffa tout de même les cheveux.

« Un truc dangereux qui l'a transformé en gros monstre casse-couille. »

Perplexe, Matsuba dévisagea le coffret.

« Comment ça ? C'est un genre de super vitamine ? »

« Idiot. Ce sont les restes d'un shahanshah, un roi des monstres. Au fait, où est passée ta pote Alzheimer ? »

Le garçon changea aussitôt d'attitude, baissant la tête.

« Elle... elle m'a dit de la laisser combattre. »

Un silence morne s'installa.

« Je... je suis désolé. » Finit par lâcher Matsuba avec un léger sanglot. « Je n'ai pas arrêté de vous causer des ennuis, et j'ai mis ma vie en danger de manière égoïste. Je me suis éloigné dans la forêt, j'ai accepté le plan de monsieur Fyrklöver sans vous en parler... je... »

Il tenta vainement de sécher les larmes qui lui montaient aux yeux.

« ...je voulais croire... en mon rêve. »

La femme-renarde le dévisagea un instant, puis poussa un nouveau soupire. Alors, dans un geste brutal mais surprenamment affectueux, elle enlaça la tête du garçon pour le serrer contre elle. Celui-ci lui rendit son étreinte en silence.

« C'est comme ça, on a pas tous la même chance, au début. » Grogna-t-elle, la mine sévère. « Mais capacité ou pas, la vie, ça se préserve. On la risque pas inutilement. »

Reconnaissant, le jeune homme s'éloigna doucement. Puis, il se décida à poser la question qui le titillait depuis l'incident du wendigo.

« Dame Raijū... soyez sincère avec moi. Est-il possible de devenir ascensionniste, même sans stigmate ? Si vous me dîtes que non, je renoncerai définitivement à devenir grimpeur, ici et maintenant. »

La kitsune le fixa droit dans les yeux. Au fond des iris écarlates, elle décela une immense détresse... mais aussi de la résignation. Il ne mentait pas.

Elle ferma un instant les yeux. Lorsqu'elle les rouvrit, elle était prête à lui répondre.

« Je... » Commença-t-elle.

Mais soudain, elle le repoussa violemment, et il tomba sur les fesses.

Ne comprenant pas ce brusque changement de comportement, Matsuba leva un regard interloqué vers la kitsune.

Le temps sembla se ralentir. Il la vit, les traits crispés, la main encore tendue vers lui. Et au dessus d'elle, il vit un masque de fer aux orbites vides et sombres.

L'instant d'après, un cri strident, comme un porc qu'on égorge, émergea de la bouche du masque. Des ronces s'en extirpèrent brutalement, s'enroulant en quelques secondes autour des poignets et des chevilles de Raijū.

« Mon aura a été repliée de force... » Sentit la grimpeuse, ligotée.

« Fufu... je t'ai eu. » 

Tournant la tête en même tant que la femme-renarde, Matsuba vit une silhouette aux ailes de mouche se rapprocher en souriant sous son masque de carnaval.

« J'ai eu raison de viser le gamin. » S'amusa le démon.

« Toi... » Gronda la kitsune, les yeux étincelant de colère. « Où est le poulet ? »

Le sourire de Crispin disparut.

« Il est mort. » Répondit-il simplement en haussant les épaules. « Mais avec toi, je vais prendre mon temps. T'as une idée du temps de travail que t'as anéanti, sale trainée ? »

« D-Dame Raijū... » Articula Matsuba, étranglé par l'aura écrasante du nouvel arrivant.

Il reçut en réponse un coffret dans les mains.

« Fuis ! » Hurla Raijū. « Maintenant ! »

Un instant tétanisé, le jeune homme croisa le regard de la grimpeuse. Pour la première fois depuis qu'il l'avait rencontré, il y décela une nouvelle émotion. 

De la crainte.

« T'ES SOURD ?! » S'écria-t-elle. « JE T'AI DIS DE PARTIR !! »

Matsuba sentit la peur envahir son être comme une marée glaciale. Alors, il bondit sur ses pieds, se saisit l'artéfact...

...et prit ses jambes à son cou.

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 15, partie 5 : FIN

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