Chapitre 15 - Déchaînement, partie 3

Au nord-ouest de Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)

21 juillet 3202, fin d'après midi

Matsuba et Euryale progressaient rapidement dans les rues de Las Alba. Cette partie de la ville était quasiment déserte, les habitants ayant fuis vers l'ouest, à l'opposé de la ligne de front qui progressait depuis l'est.

Le jeune homme avait estimé que Kaya et Natherod s'étaient certainement fondus parmi les rebelles. Le plan était donc de les récupérer, puis de foncer rejoindre Charcoal et Soren en attendant le retour de l'équipe partie à Cheerook.

Une fois le rassemblement effectué, il laisserait les ascensionnistes décider de la marche à suivre.

« Est-ce que j'ai vraiment ma place ici...? » Ne put-il s'empêcher de penser, abattu.

Il jeta un regard au dos d'Euryale qui courait devant lui, son long sabre dans le dos. Il sentait qu'il la ralentissait affreusement, et il haïssait plus que tout cette sensation d'être un poids mort, qu'il avait déjà éprouvé bien trop souvent dans sa vie.

Soudain, la ronin freina et lui fit signe de s'arrêter d'un mouvement de bras. Matsuba allait lui demander ce qu'il se passait, lorsqu'il étouffa un cri de surprise. 

Perchés sur les toits, debout sur les balcons, accroupis sur une calèche garée non loin de là : une dizaine de silhouettes venaient d'apparaître autour d'eux. Le garçon reconnut les tuniques noires frappées d'une spirale jaune, et le heaume à corne que lui et sa coéquipière avaient perçus dans les sous-sols de la cathédrale.

Figés et haletant, les individus les observaient en silence, un kriss à la main.

« Ola ola ola ola ola olaaa...! » Clama une voix depuis les hauteurs. « En voilà des comédiens inattendus ! Ça pour une surprise ! La vie est pleine de surprises ! »

« Vous...! » Souffla Matsuba en levant les yeux vers l'homme qui s'était exprimé.

C'était l'officier qu'ils avaient faillis croiser lors de leur infiltration.

« Mes pauvres amis ! » S'émut Keiner, le regard imprégné d'une compassion maladive. « Vous avez dû traverser de terribles épreuves pour en arriver là ! Fort heureusement, vous voilà entre de bonnes mains, nous allons vous dorloter et vous apporter moult réconfort ! »

Il enroula ses bras autour de sa propre taille, comme si il s'enlaçait lui-même.

« Ah, laissez-nous vous donner un coup de main... » Souffla-t-il avec un sourire qui mit Matsuba affreusement mal à l'aise.

« Dame Euryale. » Lança ce dernier. « Ce type a un grain. Il faut qu'on parte de l...! »

Mais il fut interrompu par une bourrasque d'air dont il se protégea.

Libérant son champ de vision de ses avant-bras, il vit alors que sa camarade avait bondit d'un mètre en avant, tranchant le vide avec son sabre - même si ce dernier était encore dans son fourreau.

Clignant des yeux, il allait lui demander ce que cela signifiait lorsqu'il entendit un genre de couinement. Un bruit âcre, râpeux et visqueux émanait des hauteurs, comme un genre d'étranglement.

Incrédule, Matsuba dévisagea l'homme qui s'était exprimé un peu plus tôt : son visage avait viré au violacé, et ses traits étaient convulsés par une émotion frénétique proche de la rage. D'un mouvement violent, il usa de ses deux mains pour tirer sur ses cheveux blonds, si fort qu'ils en arracha quelques mèches.

« C'est impossiiiiible ! » S'égosilla-t-il alors qu'un mince filet de sang descendait sur son visage. « Impossible ! Impossible ! Impossible ! Personne d'autre moi ne peut voir mes spectres ! Ce sont les miens, tu m'entends ?! Mes chuchoteurs, mes ombres, mes mains... les miens ! »

« Q-Qu'est ce que c'est que ce dément ? » Ne put s'empêcher de songer le jeune homme avec angoisse.

« Disparaiiiis ! » Poursuivit inlassablement l'officier. « Disparais, immonde crevure ! »

Il effectua alors un grand geste de la main, comme si il lançait quelque chose sur eux. L'instant d'après, Matsuba se senti soulevé dans les airs par la jambe, tracté par une force invisible à ses yeux.

Poussant un cri - de surprise comme de terreur - il retomba néanmoins rapidement au sol. Euryale avait sauté au dessus de lui, tranchant une fois de plus le vide de son sabre encore rengainé, à une vitesse trop rapide pour qu'il ne puisse la voir bouger.

« Encore ! » Hurla Keiner en sautillant sur place. « Encore ! Encore ! Encore ! C'est impossible ! Disparais ! Disparais ! »

Alors que Matsuba se redressait tant bien que mal, indemne, la grimpeuse d'avança d'un pas, la tête penchée.

« Toi... » Lança-t-elle, intriguée. « J'ignore si tu as l'intention de te présenter, mais sache que j'ai du mal à retenir les prénoms. »

Cela sembla calmer les frasques de l'homme, qui se stoppa net et se mit à la dévisager d'un œil grand ouvert où brillait un éclat instable.

« Ah ! J'ai été grossier ! »

Il avait reprit son calme aussi soudainement que sa crise s'était déclenchée. S'inclinant alors aussi bas que terre, il posa une main sur la poitrine, son scalp lésé gouttant du sang dans le vide.

« Je suis un servant du Roi en jaune, l'Archihexer de Verzweifeln au sein de l'Ordre de Lilienkreutz : Erwin Keiner ! » Se présenta-t-il avec véhémence.

« Matsu. » Glissa Euryale avec le plus grand sérieux, sans se retourner. « Laisse moi m'en charger et fuis. »

« Quoi ?! Hors de question ! Je ne peux pas vous abandonner lâchement comme ça ! »

« Cet homme manipule des êtres que tu ne peux pas voir. » L'informa la ronin, les yeux toujours rivés sur Keiner. « Ne discute pas, continue sans moi ! »

« M-Mais... » Protesta désespérément le jeune homme. « E-Et les lunettes prêtées par dame Raijū... »

« Elles ne serviraient à rien. Ils sont dans un plan trop élevé. » Rétorqua sa camarade, toujours tournée vers leur adversaire.

Erwin leva alors brusquement vers le ciel, poussant un grand cri d'exaltation.

Jusque là restés immobiles, ses sbires au heaume cornu se laissèrent tomber sur le sol et se ruèrent silencieusement vers les deux compagnons, dague en main.

« Fuis, maintenant ! » S'exclama Euryale en saisissant la garde de son sabre.

Les larmes et yeux et la mine crispée, Matsuba fut encore parcourut d'une demi-seconde d'hésitation...

...avant de faire volte face et de partir à toutes jambes, laissant sa coéquipière derrière lui.

Maudissant son impuissance et sa faible condition de sans-pouvoir, le jeune homme courut à perdre haleine pour emprunter un autre chemin. Plus il s'éloignait, et plus son cœur devenait lourd dans sa poitrine.

« Je suis un minable ! Un incapable qui ne peut même pas aider sa coéquipière ! »

S'arrêtant finalement à bonne distance, il enfouit sa tête dans ses mains et ferma les yeux, désespéré. Mais lorsqu'il les rouvrit, il fut saisi d'horreur : dans le ciel à l'horizon, une tempête parsemée d'éclairs approchait à vive allure.

« Q-Qu'est ce que c'est que ça ?! » Hoqueta-t-il en percevant des genres d'ombres à l'intérieur.

***

Ligne de front au sein de Las Alba

Les combats faisaient rage en centre-ville.

Ils s'étendaient sur plusieurs quartier, mais l'épicentre était proche de la cathédrale Santa Luminus. Il y avait là une véritable hécatombe : partout des gens - pacificateurs comme parjuriens - tiraient à là carabine, exprimaient leur rage ou leur mépris, s'étripaient à coup de sabres. Des explosions retentissaient de temps en temps, lorsque de la dynamite était utilisée.

Légèrement à l'arrière, Néféret tendit la main, projetant ses écailles flottantes derrière la ligne ennemie. Elles traversèrent la barrière d'une Principauté du Rempart, tuant l'ange sur le coup. Dès lors, une cinquantaine de barrières dorées disparurent sur le champ de bataille. Leur volatilisation fut accompagnée par les cris de désespoirs des paladins qui étaient désormais démunis de protection.

Les autres - ceux dont l'ange protecteur était encore intact - tentèrent vainement de les protéger, mais la vague semi-humaine était trop nombreuse et de nombreux cadavres en armure blanches s'ajoutèrent à ceux qui jonchaient déjà le sol.

« Sainte-mère ! » Jura le général Fauster, à l'autre bout de la place où avait lieu l'affrontement. « On doit riposter ! Légion numéro quatre, activez la <Mélodie frénétique> ! »

Les soldats acquiescèrent, et le prêtre qui se trouvait parmi eux s'approcha des trois Principautés des lamentations qui flottaient derrière eux. Les anges se mirent alors à chanter, entamant à eux trois un chœur déique qui se propagea sur le champ de bataille.

La musique déstabilisa un instant les combattants, qui en cherchèrent la provenance. Mais la capacité de buff s'activa et une partie d'entre eux n'y prêta plus attention : sous leur heaume, les yeux de pacificateurs s'étaient mis à briller d'une lueur dorée. Poussant un cri d'allégresse commun, les soldats blancs semblèrent tous reprendre du poil de la bête, et reprirent l'affrontement avec une vigueur jusqu'alors oubliée. Déstabilisée, la ligne de front semi-humaine recula légèrement.

« Salopards... » Jura Sekhemkarê, dans l'arrière garde semi-humaine. « Les Messagers vous ont bien équipé. »

Parmi les Principautés existantes, celles des lamentations étaient à la fois les plus faibles physiquement et les moins robustes. Néanmoins, elles étaient considérées comme les plus dangereuses à cause de leur atout.

La <Mélodie frénétique> se résumait à un chant, un hymne envoûtant qui octroyait à ses bénéficiaires un surplus de force, d'endurance, de vitalité et d'agilité. Mais cela se faisait au prix de la raison, répandant la discorde et la hardiesse parmi les alliés affectés.

Si Marchus l'avait utilisé à Miradarriba, son sort n'aurait pas changé - l'écart de niveau avec Raijū étant tout simplement démentiel - mais le nombre de morts parmi les Despérados s'en serait vu considérablement augmenté. Simplement, son arrogance lui avait fait conserver cet atout, le prêtre n'estimant pas son utilisation nécessaire.

Mais le général Jacob Fauster lui, menait une approche différente.

« Je m'en occupe ! » Cria Sekhemkarê.

Brandissant ses dagues dorées, le lupulellien se jeta dans la mêlée.

Se faufilant entre plusieurs pacificateurs qu'il élimina d'un coup de lame précis, il traversa la place en quelques secondes, ne laissant dans son sillage que quelques corps s'effondrant au sol en se tenant la gorge.

Parvenu devant sa cible, le grimpeur bondit dans les airs, prêt à lui asséner un coup fatal.


Clang !


« Tch ! »

Poussant un exclamation de dédain, Sekhemkarê recula. Une barrière - plus lumineuse que les autres et renforcée par des inscriptions runiques - avait stoppé son attaque. Il leva les yeux, jetant un regard courroucé à l'ange qui se démarquait tout au fond.

Les bras croisés sur le poitrail de son armure d'or, la créature était immense - presque deux fois plus que les anges qui l'entouraient - et devait bien culminer à sept mètres de hauteur. Son heaume - dont le tour de tête ressemblait à s'y méprendre à des créneaux  - était greffé sur les tempes de deux petites ailes, similaires aux quatre qui étaient repliées dans son dos. Ses épaules, son front et ses genoux étaient incrustés de diamants, et une auréole réfléchissante surmontait sa tête.

« Une Puissance indéfectible. » Reconnut le semi-humain. « Fais chier. »

Cet ange était un cran au dessus dans la hiérarchie par rapport aux Principautés. Sa <Bénédiction de la barrière immuable> assurait une bien meilleure protection que la <Bénédiction fortificatrice>, une protection au travers laquelle il serait ardu de passer, même pour un grimpeur de rang C comme Sekhemkarê.

« À l'usure j'aurais ta peau, saloperie d'archange. » Siffla ce dernier en affirmant sa prise sur ses dagues.

Mais soudain, un cri aigu et perçant fendit l'air, déchirant les tympans des combattants. Le lupulellien écarquilla les yeux alors que la plupart de ses compagnons se bouchaient les oreilles.

Dans un fracas terrible, de multiples éclairs surgirent alors des nuages pour venir frapper la <Bénédiction de la barrière immuable> depuis les cieux. Celle-ci avait beau être résistante, elle dû ployer sous les dizaines d'assauts qu'elle dû subir en même temps, et se brisa avec un bruit sec et cinglant. Sous le regard horrifié de Fauster et de ses légionnaires, la Puissance indéfectible tomba, carbonisée par la foudre.

Levant les yeux, humains comme semi-humains virent alors des formes rapides et destructrice plonger sur eux depuis les airs, où une tempête s'était formée.

« C'est quoi, ça ?! »

« Abritez-vous ! » Hurla Sekhemkarê, paniqué.


Ce fut le début de l'anarchie.

***

Entrée nord de Las Alba

« Relâchez-moi ! Je vous dis que j'essaye d'arranger la situation avec mon chef ! » S'énerva Carl. « Il faut que j'aille le retrouver pour l'aider, je devais le rejoindre, c'était le plan ! »

Le corps saucissonné dans la corde, l'adjoint du shérif avait le visage rouge et une veine palpitait sur sa tempe. Autour de lui marchaient des dizaines de semi-humains armés et équipés.

« Écoutez-moi ! » Supplia-t-il avec ferveur. « Citoyens semi-humains, je sais que votre situation est au plus bas depuis bien trop longtemps ! Mais mon chef et moi tenons peut-être enfin quelque chose pour faire tomber Imperia ! »

« Y a pas à dire, les miracles arrivent toujours quand ça nous arrange, c'est bien connu. » Ironisa Nashoba en levant les yeux au ciel, qui marchait un mètre plus loin. « Et puis citoyens semi-humains, carrément ? Je trouve ça culotté, après ce que votre espèce a fait de la notre. »

Équipé d'un veston de cuir et armée d'une longue carabine, le chef des Despérados avançait en tête de ligne.

Peu après le départ de Raijū et de Matsuba, leur groupe avait reçu la visite de deux semi-humains venus d'un autre monde réclamant leur soutien pour reprendre Las Alba, une offre inespérée qui était peut-être leur unique porte de sortie.

Éprouvés par cette vie de fuite incessante, les Despérados avaient finalement acceptés, désireux de tenter le tout pour le tout.

Jusqu'ici, le plan s'était déroulé comme prévu : le groupe avait pris le contrôle de l'entrée nord et progressait désormais vers le centre-ville.

« Moi je trouve ça plutôt mignon, comme appellation. » S'amusa Amarok en appuyant du bout de sa serre sur le nez du prisonnier, qu'elle trimballait sur son épaule. « La plupart des humains nous appelle bestioles ou parjuriens de nos jours, ça change ! »

« Ne joue pas avec ça, on ne sait pas où il a trainé. » Maugréa son frère. « J'ai déjà du mal à accepter que tu sois... »

« ...venue avec vous car vous avez besoin de soins sur le front ? Oui, je sais ! »

Toute sourire, la condorienne continua d'appuyer plusieurs fois de suite sur le nez de l'adjoint en observant ce dernier s'agiter dans tous les sens.

« Vous trouvez ça drôle ?! » S'énerva Carl. « Vous ratez peut-être une chance inespérée de retrouver la paix ! »

« La paix, ça fait longtemps que vous l'avez enterré au détriment de la hache de guerre. » Nashoba, agacé.

« Désolée mais pour l'instant, on va vous garder comme ça. » Sourit sa sœur en ébouriffant les cheveux du prisonnier. « On peut pas vous croire sur parole, vous comprenez, monsieur l'adjoint ? »

« Arrêtez ça, c'est humiliant ! » S'écria Carl, alors que quelques rires parcouraient les semi-humains. « Et j'ai un nom ! »

« Pardon, monsieur Carl. » Pouffa Amarok, sincèrement amusée. « Mais vous savez, vous avez de la chance ! Même si vous vous êtes rendu de vous même, il y a quelques mois encore mon frère vous aurait tué au lieu de vous faire prisonnier. »

Elle s'approcha du prisonnier pour souffler la suite à son oreille.

« Il a quelque peu changé depuis qu'un garçon humain nous a aidé. Je crois qu'il l'aime bien, alors il essaye d'appliquer ses conseils. »

« A-Arrête de raconter des conneries, Amarok ! » Aboya son frère alors que des murmures amusés parcouraient de nouveau les rangs des Desperados. « Cet adjoint peut nous être utile en tant qu'otage, c'est tout ! Pour le reste, il peut bien crever ! »

« Bref, restez tranquille, monsieur Carl. » Enchérit Amarok en l'ignorant. « Quand on retrouvera votre chef, on l'écoutera et on verra ce qu'il en est. »

Elle lui fit un clin d'œil et l'adjoint, qui s'apprêtait à répliquer, ferma la bouche, maussade.

« J'espère que vous tiendrez parole. » Grommela-t-il.

« Promis ! »

« C'est quoi ça ?! » S'étrangla soudainement un crotalien en pointant quelque chose au loin.

Intrigués, les autres suivirent son doigt écailleux du regard et hoquetèrent en concert : une immense tempête avait recouvert tout le centre-ville !

***

Place de la cathédrale Santa Luminus

En l'espace de quelques secondes, un cataclysme infernal s'était déversé sur la place où les combats s'étaient interrompus.

Le tumulte ambiant - déjà important - se démultiplia alors qu'une vague de panique se répandait parmi les deux camps. Hurlements, gémissements, cris, tirs et explosions retentirent pour conforter l'atmosphère ambiant dans sa vocation à la destruction.

Des monstres à plumes tombaient du ciel, se saisissant de leurs proies pour les dévorer en vol ou les déchiqueter en se les disputant. Viscères, entrailles et membres sectionnés pleuvaient sur les fuyards alors que des éclairs fracassaient fréquemment le sol à des intervalles irréguliers, réduisant parfois en cendres quelques victimes sur leur passage électrique.

L'affolement et l'épouvante s'étaient emparés de tous les cœurs : dans toutes les rues, des pacificateurs et des rebelles semi-humains s'enfuyaient en beuglant, poursuivis par des monstres qui tentaient de les attraper pour les mettre en pièces. La place se vida de moitié en l'espace de quelques minutes, ne laissant pour combler le vide ainsi crée que les cadavres piétinés de ceux qui avaient eu le malheur de tomber à terre au cours de cette débandade chaotique. 

Se relevant difficilement au milieu d'un amas de corps, Sekhemkarê essaya vainement d'essorer le sang qui avait maculé ses vêtements, le souffle court. Posant un regard anéanti sur le triste spectacle de désolation qui s'offrait à lui, il sentit un vide s'installer au creux de son être. En lui ne tempêtaient plus que l'incompréhension et l'incertitude.


Il ne comprenait plus rien.


« Qu'est ce qu'il s'est passé...? Qu'est ce qu'il se passe, putain de merde ! »

C'est alors que lui et les quelques survivants encore sur place - qui émergeaient ici et là des monticules de cadavres dans un concert de gémissements plaintifs - furent témoins d'un spectacle étrange.

« Le sang...! »

Les yeux écarquillés et la mine frappée d'incompréhension, le lupulellien vit des colonnes sanguines s'élever dans les airs, cheminant comme des serpents rouges jusqu'au centre du charnier, où se dressait une silhouette féminine.

« Il semble que l'amusement ait atteint son paroxysme en ces lieux. Je ne saurais point vous laisser vous divertir sans moi, il me faut absolument me joindre à cette réjouissance, fufu. »

L'individu - apparue à moins de dix mètres de là - laissait Sekhemkarêt indécis, tant par son attitude inadaptée aux circonstances que par son accoutrement.

« Une humaine...? » Crut-il en premier lieu.

Mais un rapide coup d'œil réfuta cette idée : une paire d'antennes plumées émergeait de la chevelure bicolore. Un frisson parcourut l'homme-chacal lorsqu'il croisa - à travers le masque de carnaval - les prunelles écarlates de l'inconnue, où brillait une famine perverse.

Ouvrant délicatement la bouche, la demoiselle dévoila un pharynx infâme, à la muqueuse pulpeuse et luisante parsemée de centaines de canines aussi fines que des aiguilles à seringue. Plusieurs langues ressemblant à des sangsues émergèrent de ce gosier affamé alors que le sang s'y engouffrait. En l'espace de quelques minutes, il n'en resta plus une goutte.

« Aaaah...! » Laissa-t-elle échapper en se léchant les babines.

Les joues rosies, elle était visiblement repue.

« C'est un genre de necroculicidienne... une mort-vivante hématophage. » Comprit Sekhemkarê, troublé.

Tout cela n'avait aucun sens.

Ce genre de monstre n'avait absolument rien à faire au 5e étage.

Le lupulellien n'y comprenait plus rien, et se sentait totalement désarçonné.

L'esprit en ébullition et les membres tétanisés, il vit alors deux fiancées à la robe sanglante sauter des hauteurs d'un bâtiment pour venir rejoindre la mort-vivante et lui apporter un carré de soie, que la concernée ne tarda pas à utiliser pour s'essuyer la bouche d'un geste gracieux.

« Une draugr...? Non, sa peau est bien trop intacte, elle a l'air presque humaine. Et je doute qu'elle soit une jiangshi, elle ne porte pas de talisman sur le front. »

Les éléments s'imbriquèrent un à un, et la réponse s'échappa de sa bouche dans un murmure sans même qu'il ne s'en rende compte.

« Une vampire... » Souffla-t-il, désemparé. 

« Oh, quelle remarquable prouesse ! » S'étonna la mort-vivante en posant une main sur ses lèvres afin de dissimuler son étonnement. « Vous êtes parvenu à déduire cela d'un simple regard ? Il est fascinant de constater que parfois, vous autres inférieurs vous distinguez par des éclairs de perspicacité qui tranchent singulièrement avec leur niveau intellectuel ordinaire. »

« Elle parle ! » Réalisa soudainement le grimpeur avec stupeur. « Et pas juste quelques mots, son langage est construit ! »

C'était très mauvaise signe. Les hétéromorphes cultivés étaient souvent dangereux.

L'instinct d'ascensionniste de Skehmkarêt prit le dessus et il dressa ses dagues devant lui, prêt à combattre.

Pourtant, il avait la sensation dérangeant que la situation lui échappait complètement.

« Oh, nous débutons déjà ? » S'amusa la demoiselle en levant une main gantée devant sa bouche. « Fort bien. Dans ce cas, permettez-moi d'ouvrir le bal ! »

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 15, partie 3 : FIN

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