Chapitre 15 - Déchaînement, partie 1

Las Alba, Tierraroja (5e étage de la Tour)

21 juillet 3202, fin d'après-midi

Perché sur l'un des balcons du bâtiment qu'ils avaient investis lui et ses hommes, Jacob Fauster observa de loin ce qui s'apparentait à une marée destructrice ne laissant que morts et souffrance sur son passage.

Le champ de bataille était en marche, pour ainsi dire.

« Mon général, on nous signale trois intrusions dans la ville ! Au nord, à l'ouest et au sud ! » Fit brusquement une voix dans son dos.

Jacob se tourna vers le légionnaire pacificateur qui était venu le trouver.

« J'imagine qu'il s'agit des troupes rebelles qui se trouvaient dans les environs... » Murmura-t-il en triturant sa moustache grise.

Approchant de la soixantaine, Fauster était un homme d'apparence soignée et de tempérament calme. C'était le plus haut-gradé parmi les militaires impériaux de Tierraroja.

En tant que général d'étage - un titre unique à chaque monde de la Tour - il aurait dû être formé et instruit à l'école militaire officielle de l'église mère, à Atlantis, comme c'était le cas pour les autres généraux de l'église d'Imperia. Pourtant, il n'en était rien : il était né et avait grandi au 5e étage.

Tout simplement parce qu'encore quelques années plus tôt, Tierraroja n'était considéré que comme un étage mineur. Aussi la Pontifex n'avait-elle pas pris la peine de nommer un général à sa tête, se contenant d'un archevêque et de quelques pacificateurs.

Mais alors était survenue la crise de la Leyposa... et l'agitation des monstres qui allait avec. Tiberius avait par la suite réclamé un soutien militaire important, et une décision avait donc été prise : celle de recruter en masse parmi la population locale.

Et si ce procédé existait aussi dans les autres étages - Imperia ne disposant pas d'assez de paladins atlantéens pour couvrir tous les territoires de la faction humaine - il était extrêmement rare, pour ne pas dire exceptionnel, qu'un natif d'étage comme Fauster puisse accéder à un poste aussi important.

« C'était fort sympathique pour le salaire et tous les avantages qui allaient avec... mais le poids des responsabilités est plus lourd que je ne l'aurais soupçonné à l'origine. »

Même avec son passé dans la cavalerie de l'état tierrarojien - avant qu'il ne s'engage auprès d'Imperia - il était difficile pour Jacob de supporter une telle pression. Il essayait néanmoins de gérer la situation avec calme et réflexion.

Pourtant, si ça avait bien fonctionné jusqu'ici, les choses en ce moment avaient tellement dégénéré que le général se demandait si il parviendrait véritablement à résoudre leurs problèmes avec autre chose que de la chance et des prières.

« Et plus aucunes nouvelles de Tiberius... bon sang, pourquoi est-ce à moi de gérer ce bordel seul ? »

Veillant à ne pas paraître affolé devant ses hommes, Fauster tenta de prendre du recul.

« Il y avait environ huit cent prisonniers à la prison de Bocabierta. » Dit-il en réfléchissant à voix haute. « Nos éclaireurs estiment qu'une fois sortis du pénitencier, ils ont libéré tous les esclaves des quartiers industriel et commerçant. Au vu de la population aisée qui y vivait, je dirais qu'il nous faut ainsi compter environ cinq mille nouveaux rebelles. À combien s'élèvera le nombre total de parjuriens si l'on comptabilise les groupes dont tu viens de me parler ? »

« Environ sept mille, mon général. » Répondit l'autre.

Jacob tourna un regard vers l'intérieur de la pièce, un grand salon en bois sculpté où une dizaine de légionnaires se disputaient avec véhémence.

« Même avec les renforts que sa sainteté Tiberius a fait quémander, nous ne sommes pour l'instant que cinq mille... »

« Sans compter qu'il ont certainement récupéré des armes dans la prison et dans les bâtiments qu'ils ont assiégés... »

Le général se gratta le menton, songeur.

À l'aide d'un dispositif étrange qu'on lui avait confié - et qui s'appelait apparemment un téléphone - un appel de l'archevêque l'avait prévenu il y a moins de deux heures qu'un afflux massif de troupes arriverait de part et d'autres pour contrer une révolte carcéral dont il n'était même pas au courant jusqu'ici. Quelque peu déstabilisé par la nouvelle, Fauster avait essayé d'obtenir d'avantage d'informations, mais son collègue évangéliste s'était montré assez avare en réponses.

« En y repensant, ça ne lui ressemblait pas, ce regard vide. Il doit aussi être un peu dépassé par les évènements. »

Préférant ne pas sombrer dans l'inquiétude, Jacob se tourna vers le légionnaire qui était venu le trouver.

« Parmi les trois groupes qui ont envahi la ville depuis l'extérieur, lequel contient le moins de parjuriens ? »

« L'ouest. C'est là que les bestioles sont les moins nombreuses. »

« Bien. Voici mes ordres : nous allons déplacer la moitié de nos hommes à cet emplacement. »

« L-La moitié ?! » Sursauta le légionnaire.

Fauster lui adressa un regard sévère.

« La moitié, oui. Tu n'as pas remarqué que nous sommes sur le point d'être encerclé ? Si jamais nous ne reprenons pas rapidement l'un des points cardinaux de la ville, les nouveaux arrivants rejoindront les autres et on sera pris de toutes parts. Notre seul espoir est de se réfugier à l'ouest pour agrandir notre territoire de contrôle. Ainsi, nous couperons la ville en deux et seront parés à assurer une ligne de défense correcte. »

« Entendu, mon général. »

« Déployez les anges en arrière-garde. Au vu de la situation, nous ne pouvons pas nous permettre de faire des prisonniers : ne laissez aucun survivants. Une fois que l'ouest sera reconquis, réunissez tous les civils tierrarojiens que vous aurez trouvé sur le trajet et mettez-les en sureté le plus loin possible du front. Si nécessaire, nous les ferrons évacuer et nous tiendront un siège en attendant des vivres et des renforts par la porte ouest. »

Ayant compris les ordres, le légionnaire hocha la tête, effectua un salut et retourna auprès de ses camarades pour les transmettre.

De son côté, Jacob porta à nouveau son regard à l'horizon, où un panache de fumée résultant certainement d'un incendie se soulevait dans les airs.

« Et que le Roi du Ciel nous apporte son aide. » Pria-t-il.

***

Au nord de la cité

Un tumulte terrible résonnait à travers les rues de Las Alba : cris, coups de feu, brouhaha incessant... c'était un véritable concert de dissonances sonores.

Posté à l'arrière, Natherod assistait - impuissant - aux prémices de ce qui s'annonçait comme la guerre civile la plus meurtrière de l'Histoire tierrarojienne. Désemparé, il voyait ses pires craintes être confirmées. Car si les plus réservés, comme lui, préféraient assurer l'arrière, les plus en rogne s'étaient aventurés à l'avant, avides d'une soif de destruction.

Une soif de destruction alimentée par des années de souffrance et de désir vengeur.

Au pied d'une bâtisse, plusieurs esclaves tout juste libérés passaient à tabac un homme recroquevillé sous les yeux terrorisés et embués de larmes de sa femme, qui sanglotait un peu plus loin, sa jambe tordue dans un angle inquiétant. Le visage de l'homme avait triplé de volume, sa peau parfois fendue menaçant d'éclater. Un nouveau coup de pied lui percuta la joue et projeta une gerbe de sang sur le sol.

Un peu plus loin, deux gamins en tentant d'empêcher un crotalien armé d'une hache de décapiter leur mère. Agrippés au haillon qui recouvrait l'ancien esclave, ils tiraient de toutes leur petites forces en hurlant à plein poumons. Mais le semi-serpent les repoussa avec violence et acheva son œuvre en assénant un puissant coup vertical. Le chef voltigea avant de rouler sur le sol alors que des cris de désespoirs retentissaient en fond.

« Ce n'est pas... »

Dans le fond, deux condoriennes s'étaient emparés d'un vieillard et le transportaient par les pied - la tête vers le bas - en planant au dessus du champ de bataille. Le bougre se débattait en gémissant mais elles n'en eurent cure et le lâchèrent au dessus d'une palissade. Faisant un chute de plus de xi mètres, l'homme s'empala sur le bois avec un bruit spongieux et cessa de bouger, son corps pendant misérablement là où il avait atterrit.

« Ce n'est pas ce que je voulais... » Songea Natherod, désespéré, alors qu'il tremblait de tous ses membres.

« Est ce que c'est vraiment une solution ?! » Hurla-t-il à l'adresse de Sekhemkarê, qui dirigeait plus ou moins le groupe depuis l'arrière-garde. « C'est vraiment ce que vous souhaitez ?! Assouvir un désir bestial et leur faire comprendre qu'ils avaient raison de nous craindre pour notre nature ?! »

Plusieurs de ses confères - dont le lupulellien - se tournèrent vers lui. Si les regards furent d'abord surpris, le grimpeur vit rapidement du mépris se former dans certains yeux.

Sekh lui, soupira avec agacement.

« Dire que je m'attendais à du soutien... quoi, tu vas me dire que tu appréciais tes anciens maitres, c'est ça ? Qu'ils te traitaient avec gentillesse en ne te privant pas de tes maigres repas, qu'ils ne te donnaient que rarement le coup de fouet ? »

« Un tel déchainement de haine est-il une preuve de liberté ou d'animalité ?! » Lui rétorqua le latranien, qui n'en démordait pas. « En quoi tes actions ici sont-elles différentes que ce que les Messagers ont fait pour les humains ?! »

Dans la foule, les réactions furent partagées. Si la majorité se révolta en hurlant des insultes et en sifflant de colère, quelque uns se tortillèrent, mal à l'aise.

Les traits de du medjaÿ se crispèrent.

« Je ne traite pas mes ennemis comme du bétail. Je leur offre une mort digne en réponse à leurs agissements de démon. » Répliqua-t-il durement. « Voilà où est la différence. »

« Une mort digne ?! » S'exclama Natherod avec un rire amer. « En les massacrant de la sorte ?! Et quand tu parles d'ennemis, c'est pour désigner les personnes âgées, les enfants ou les femmes enceintes ?! »

Le faciès de son interlocuteur s'assombrissait de plus en plus.

« On dirait que tu ignores de quoi ils sont capables ! » Cracha-t-il avec mépris. « Ou bien tu feins de l'ignorer ?! »

Plus cris d'approbations retentirent. Le lupulellien retroussa alors le haillon qui le recouvrait, dévoilant des cicatrices sur sa peau d'ébène.

« J'ai vécu dans une cage jusqu'à l'âge de quinze ans ! » Hurla-t-il avec colère. « Dans les bas-fonds de la terres de sables, on m'a fait participer à des combats sanglants où j'affrontais ce qu'il restait de mes semblables : des bêtes enragées, assoiffées, affamées, élevées à la torture et au biberon rempli de sang ! Des affrontements auxquels des centaines, des milliers de gens comme eux - qui se prétendent innocents car ils ne sont pas les soldats qui nous mettent les colliers autour du cou - venaient assister avec impatience et intérêt, mû par l'appétence de nous regarder nous arracher la peau, les entrailles et les membres ! »

S'approchant du membre de West's Spirit, il le souleva par le col.

« Le haine que je voue aux soldats blancs est sans limites, mais ce qui me répugne par dessous tout, ce sont les silencieux ! Les soi-disant qui n'y sont pour rien, ceux qui observent sans un bruit et qui brillent par leur inaction ! Ceux qui osent jouer les effarouchés contraints quand on leur reproche de venir contempler notre monde brûler dans l'incendie de la violence ! »

« Alors c'est là la réponse que tu as à donner à cette injustice... » Souffla Natherod avec une profonde tristesse.  « Vous aviez raison, je suis une bête enragée, et maintenant que la cage s'est brisée, vous me craindrez avant de périr. »

« Une fois ce monde débarrassé de l'engeance humaine, il n'y aura plus aucune réponse à donner. » Répondit froidement son interlocuteur. « Nous vivrons pour nous-même, pas pour satisfaire leurs questions et leur doutes. »

« Imperia a usé de la situation pour leur retourner le crâne ! Je ne dis pas que certains n'en ont pas profité, ce serait un mensonge. Mais beaucoup ont simplement accepté l'aide des Messagers sans pour autant se mettre à acheter des esclaves ! Ces silencieux, comme tu le dis, vivaient dans la crainte de voir la paix qu'ils avaient enfin obtenu voler en éclat lors d'une attaque de monstre ! Ils ont leur part du gâteau dans cette histoire, c'est un fait. Mais il est encore temps de leur prouver que les impériaux se sont joués d'eux ! »

Le regard du latranien s'assombrit.

« Qui plus est, les horreurs du monde disparaitront-elles vraiment avec eux ? »

Sekhemkarê ouvrit la bouche, mais à cet instant, un mouvement de foule se propagea dans leur direction. Constatant que les semi-humains s'écartaient, les deux grimpeurs observèrent celui qui avançait vers eux, les mains en l'air, encadrés par deux buffaliens musclés.

« L'homme du train...! » Le reconnut Natherod, qui préféra néanmoins garder le silence.

« Je suis le shérif Truster, au service de l'état fédéré de Tierraroja. » Annonça l'homme avec un regard déterminé. « Je viens en espérant négocier avec celui, celle ou ceux qui sont aux commandes. »

« Il est arrivé en déposant ses armes au sol. » Expliqua l'un des buffaliens, mal à l'aise. « Il voulait te parler. »

« Et alors ? » Répondit Sekh, un sourcil levé. « Je n'ai rien à lui dire. Il n'y a rien à négocier. »

« S'il-vous-plaît ! » Intervint le shérif.

Tous les regards convergèrent vers l'humain, qui s'était penché en avant de manière à s'incliner.

« Ce que je vais dire pourrait paraître affreusement hypocrite, j'en ai bien conscience, mais je me dois de le dire quand même. Il n'est pas trop tard pour réparer les liens qui unissaient autrefois nos espèces ! La catastrophe engendrée par les monstres et la disparition de la Leyposa ont profité aux impériaux, mais maintenant nous avons une chance de renverser la situation ! Je suis de ceux qui ont toujours lutté contre l'occupation des pacificateurs, mais nous étions trop peu nombreux pour faire entendre notre voix... beaucoup craignaient ce qu'il se passerait vis à vis des monstres si l'église venait à s'en aller. Alors ils ont laissé faire... et j'en suis désolé. Sainte mère, j'en suis tellement désolé ! Je suis prêt à en assumer les responsabilités, même si je doute de pouvoir en être capable à moi seul. Mais je vous en conjure, ne faites pas retomber ça sur les citoyens lambdas ! Je vous garantie, au nom du président George Carabell, chef des états fédérés tierrarojien, que je suis prêt à vous donner la ville et à négocier pour faire réintégrer le statut semi-humain dans la Loi, pourvu que vous épargnez les civils ! »

Sekh s'avança jusqu'à lui, le regard perçant.

« Qu'espérais-tu assumer, pauvre imbécile ? » Siffla-t-il entre ses dents. « Vos milliers de victimes ? La douleur que les nôtres endurent ici depuis des années ? Ou bien celle que nous endurons à travers tous les étages où ces salopards d'impériaux ont établi leur règne ?! »

« Il m'a aidé. » Intervint une voix.

Tout le monde se tourna vers le crotalien qui avait parlé. La mine basse, l'air embêté, le semi-humain poursuivit.

« Avant l'arrestation qui m'a conduit à la prison, j'avais été attrapé une première fois. J'ai été amené au bureau de cet homme, et il m'a aidé à filer. »

« Moi aussi. »

Un autre témoignage s'en suivit. Puis un autre. Au total, plus d'une dizaine de semi-humains racontèrent une histoire semblable.

Agacé, le medjaÿ serra les dents.

« Je...! » Commença.

« J'ai de quoi aller dans son sens ! » L'interrompit une voix féminine.

« Kaya ! » S'exclama Natheord en rejoignant sa camarade pour l'étreindre.

La leporienne lui rendit son accolade, puis jeta quelque chose aux pieds de Sekhemkarê. Celui-ci observa d'un œil douteux le heaume cornu qui avait atterri devant lui.

« J'ai d'autres responsables que les civils à te proposer. » Fit la jeune femme. « L'Ordre de Lilienkreutz a investi notre étage. L'un d'entre eux a essayé de me tuer à la prison. Ce sont eux qui déportent les prisonniers vers les étages impériaux. »

Le lupulellien haussa un sourcil.

« Et alors ? Ces clandestins sont tous des tarés, tout le monde le sait. Je suis un grimpeur, je suis bien placé pour parler. Il n'empêche qu'ils n'auraient pas eu de clients ici... »

« Sans Imperia. » L'interrompit une nouvelle fois Kaya. « Justement, j'ai trouvé des documents stipulant que les shamanes semi-humaines n'étaient pas déportées, mais emmenées à Cheerook pour un genre de rituel étrange. Je ne sais pas en quoi il consiste exactement, ce sont nos camarades qui se sont chargés de cette partie là de l'enquête, mais nous tenons peut-être la preuve que les impériaux sont les responsables de ce qui se passe ici depuis plusieurs années maintenant. »

Un torrent de paroles échangées parcourut la foule semi-humaine. C'est alors que Natherod remarqua la présence d'une rangiferienne recouverte de marquages sacrés qui accompagnait sa consœur.

« Nos camarades...? » Répéta Sekh en fronçant un sourcil.

« J-Je suis témoin aussi ! » S'exclama Wabo, intimidée. « Vous avez tous senti cette chose, cette tension électrique qui alourdit l'atmosphère et qui agite les monstres ! Nous avons l'occasion de prouver aux habitants que les impériaux se servent d'eux ! »

« Nous ne vous demandons pas de pardonner. » Enchérit Kaya. « Nous vous proposons d'œuvrer pour un retour à la paix ! Notre étage restera à jamais marqué de profondes cicatrices, mais nous pouvons marcher vers l'avenir ! Je ne sais pas vous, mais j'en ai ma claque des horreurs que l'on vit dans ce monde ! »

« J'ai mieux à proposer ! » S'écria froidement le medjaÿ. « Un monde soutenu par l'alliance semi-humaine, protégé et purgé des humains par Hachibunke et ses alliés ! Un avenir où vous n'aurez plus jamais à craindre que la situation se renverse à nouveau, à craindre de devoir retourner dans une cage ! »

Natherod fut pris d'un frisson. Ce n'était pas bon : la tension et l'anxiété montaient. Parmi les spectateurs, les visages étaient soient hargneux, soit hésitants. Si la majorité semblait soutenir le lupulellien, le doute s'était immiscé chez certains.

Kaya allait ouvrir la bouche pour répliquer, lorsqu'un son l'alerta.

Un sifflement.

Tchak !

Sentant quelque chose approcher de son visage, la leporienne avait positionné son avant-bras pour se protéger. Mais le projectile avait transpercé son membre pour venir pulvériser sa mâchoire inférieure.

Ouvrant des yeux horrifiés, la grimpeuse voulut hurler, mais seul un gargouillement et des bulles de sang émergèrent de ce qui lui restait de bouche.

« Ça a traversé mon aura...! » Paniqua-t-elle.

« Kaya ! » Aboya Natherod, affolé. « Ne reste pas...! »

Spratch.

Le latranien observa, en état de choc, le visage de sa consœur. Il vit la criante sur ses traits, puis perçut l'œil au regard terrifié qu'elle avait tourné vers lui... sans parvenir à trouver le second.

Natherod mit plusieurs secondes à réaliser qu'une partie du visage de Kaya avait disparu, arraché par quelque chose. Même lorsque le corps de son amie s'effondra sur le dos avec un bruit sourd, il ne réagit pas, tétanisé.

« Ça ne vient pas d'arriver. C'est un mauvais rêve. »

Les projectiles - des sortes d'écailles dorées imprégnées d'aura - revinrent à leur propriétaire d'origine, que Sekhemkarê dévisageait avec stupeur.

« N-Néf... » Articula-t-il, ébranlé. « Elle... elle n'était pas d'accord avec nous, mais ça restait l'une des nôtres... »

Sa collègue medjaÿ lui adressa une expression indifférente qu'il ne lui reconnut pas.

« Elle gênait notre avancée. » Expliqua calmement la crocodylienne. « Nous ne pouvons pas... »

Un long hurlement interrompit son discours.

Agenouillé devant le corps de Kaya, Natherod tentait désespérément de retenir le sang et la cervelle qui s'écoulaient de son crâne ouvert, un torrent de larme s'écoulant sur ses joues. Derrière lui, Wabo avait plaquée ses mains sur sa bouche dans un mouvement de recul horrifié.

« Q-Qu'avez-vous faits ? » Bredouilla Truster, boulversé.

Néféret tourna un regard impitoyable vers lui. Le shérif ouvrit la bouche, mais aucun son n'en sortit.

Éberlué, il baissa les yeux, contempla le trou qui perforait son thorax, et s'écroula à son tour, tué sur le coup. Satisfaite, la crocodylienne rappela ses écailles, qui flottèrent jusqu'à elle.

« Mensonges ! » Clama-t-elle alors à l'assemblée. « Cet humain avait usé de tromperie sur nos camarades pour les convaincre de ce scénario stupide ! La vérité, c'est qu'il voulait simplement nous retenir ici, le temps que ses renforts arrivent ! »

Comme pour lui donner raison, c'est à cet instant qu'une marche militaire se fit entendre. À l'autre bout de la place, des troupes de pacificateurs approchaient. Lorsqu'ils aperçurent l'attroupement phénoménal de semi-humains, leurs supérieurs hurlèrent quelque chose, et des barrière polyédriques translucides apparurent autour d'eux.

« Des Principautés du Rempart...! » Hurla Néféret. « Ils vous semblent peut-être à craindre, mais leur protection n'est pas infaillible ! Il faut frapper lentement pour passer au travers ! Allez, ensembles ! Luttons pour notre liberté ! »

Des rugissements enthousiastes accompagnèrent ses injonctions alors que la foule commençait à se ruer vers leurs adversaires. Des « ouvrez le feu ! » retentirent au sein les rang ennemis, et les tirs ne tardèrent pas à fuser.

Profitant du chaos, la crocodylienne s'approcha de son camarade, qui l'observait toujours avec hésitation.

« Ne te laisse pas détourner de nos objectifs. » Lui lança-t-elle sur un ton calme et plat. 

Sekh ne répondit pas. Si la mort de l'humain l'indifférait, celle de la leporienne continuait de hanter son esprit. Tournant la tête, il vit alors le latranien s'enfoncer dans le sol en emportant le cadavre de sa camarade.

« Une capacité...?! » Sursauta-t-il.

Restant coi quelques secondes, il se tourna vers sa camarade pour lui en parler, mais vit qu'elle observait les combats avec un air plat et vide.

« Néf... c'est vraiment toi ? Ça ne te ressemble pas... » Ne put-il s'empêcher de penser, perturbé.

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 15, partie 1 : FIN

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