Chapitre 13 - Le lion dansant de Fô, partie 3

Souterrains de la cathédrale Santa Luminus, Tierraroja (5e étage de la Tour)

21 juillet 3202

« Allez, va ! » Chuchota Matsuba au petit lézard qu'il venait de déposer contre un mur.

La bestiole agita ses yeux dans des directions opposées, puis changea de couleur pour adopter celle de la surface où il se trouvait. Ne demandant pas son reste, il fila rejoindre le plafond à vive allure.

« Je ne vois déjà plus où il est. » Souffla le jeune homme, impressionné.

« Il est difficile à déceler. » Admit Euryale, le regard perdu là où avait disparu le lézard.

Tous deux étaient dissimulés dans un recoin de pénombre, à distance des spots qui éclairaient les lieux.

« A-t-on fini ? » Demanda la ronin à voix basse. « Je ne me souviens plus très bien, mais je crois que nous n'avions pas d'autres objectifs... »

« Techniquement, c'est bon. » Répondit Matsuba. « Mais comme il nous reste un peu de temps, je propose qu'on essaye de trouver des preuves sur le chemin de la sortie. Espérons qu'on continue à ne croiser aucun garde. »

Sa camarade hocha la tête, et ils reprirent leur route sans un bruit.

Le jeune homme était nerveux : le silence, rythmé par le grésillement des lampes, n'était interrompu que par l'écho soulevé par leurs pas. Il ne semblait pas y avoir le moindre paladin à la ronde, pourtant l'endroit lui fichait un mauvais pressentiment.

Une demi-heure durant, ils ne croisèrent pas âme qui vive, et ne dénichèrent pas le moindre indice.

« Bon, ça suffit. Sortons d'ici. » Conclut finalement Matsuba. « Mieux vaut ne pas nous attarder. »

Ne recevant aucune réponse, il se retourna. Euryale s'était arrêtée à l'entrée d'une porte, intriguée. Doucement, la ronin l'entrouvrit et pénétra à l'intérieur. Curieux, le jeune homme la rejoignit.

Mais lorsqu'il pénétra dans la pièce, il retint un hoquet. L'air empestait, pour le ravissement des quelques mouches qui virevoltaient dans l'endroit. Et pour cause : au centre de la salle reposait un tas de vêtements parsemé de tâches de sang.

« Ce sont des robes. » Murmura Euryale, perplexe. « Des robes à fleur. »

La grimpeuse de prit le menton, les sourcils froncés.

« Je ne suis pas certaine... mais la présence de ces tenues dans un tel endroit me parait étrange. Qu'est ce que les paladins peuvent bien faire de ça ? »

Matsuba lui désigna le panneau EN ATTENTE D'INCINÉRATION qui était placardé au fond de la pièce.

« Je ne pense pas qu'ils comptent les garder, encore moins les mettre. »

« Peux-t-on considérer cela comme une preuve ? »

« Dans tous les cas, je suis sûr que ça intéressera monsieur Fyrklöver. »

Le garçon prit leur trouvaille en photo à l'aide de son téléphone, et les deux infiltrés rebroussèrent chemin en direction de la sortie.

Mais alors qu'ils atteignaient une intersection, ils entendirent des bruits de pas provenir d'un peu plus loin. Réagissant au quart de tour, Euryale agrippa son compagnon et ils se dissimulèrent derrière un recoin de mur.

« Je sens que ça va être d'un ennui... » Soupira une voix masculine.

Tous deux retinrent leur souffle alors qu'un homme déboulait dans le couloir. Au vu de son uniforme, il semblait être un haut-gradé.

Mais c'était les deux personnages qui l'accompagnaient qui surprenaient le plus. Hauts en taille et filiformes en corpulence, ils étaient vêtus d'une étrange tunique noire brodée d'une spirale jaune - centrée sur le cœur - qui recouvrait tout leur poitrail. Leur visage était recouvert d'un heaume quadrillé qui empêchait de distinguer leurs traits, et dont les cornes torsadées grimpaient vers le ciel comme des flèches. Il n'émanait d'eux aucun son lorsqu'ils marchaient, uniquement une sorte de râle sifflant, comme une respiration rauque, qui se dégageait de leur casque.

Dès qu'ils se furent éloignés, Euryale et Matsuba se détendirent et reprirent leur route - fort heureusement dans la direction opposée.

« C'était qui, ces types ? » Fit le garçon, nerveux. « Pas des paladins en tout cas. »

« Je suis sûr que j'ai déjà vu cette spirale jaune quelque part... » Murmura la ronin, perdue dans ses pensées. « Mais impossible de me souvenir où. »

« Je ne suis pas impatient d'en croiser d'autres, alors filons vite d'ici ! »

***

Il était dans sa petite chapelle, ce soir là. Le soir où c'était arrivé.

Où il était arrivé.

Tiberius s'en souvenait comme si c'était hier. À l'époque, il habitait une petite église miteuse en périphérie de Las Alba. Il peinait à avoir des fidèles, et les quelques-uns présents à ses messes ne lui apportaient pas assez de fonds pour entretenir correctement son établissement. Résultat, tout tombait petit à petit en ruines. Les quelques gardes pacificateurs qu'on lui avait assigné à l'époque flemmardaient autour de la chapelle, et leur petit potager peinait à subvenir à leurs besoins.

Tel était le labeur d'un archevêque d'étage dans un monde comme Tierraroja, où Imperia avait peu d'influence.

Tous les matins, Tiberius se levait avec l'espoir que cela finirait par changer. Pourtant, chaque soir était marqué d'amertume. Il tâchait de ne pas le montrer, et de conserver un air jovial. Mais au fond, il déprimait.

Cependant, un jour, ça avait changé.

« Quelle misère... vous semblez être au bout de vos peines, mon ami. »

Se croyant seul dans l'église, l'évangéliste avait violemment sursauté. Tournant la tête de droite à gauche, il avait finalement repéré un petit homme assis sur l'un des bancs vieillots.

L'individu arborait un étrange vêtement noir et vert que Tiberius connaissait sous le nom de costume-cravate. Son visage était à demi-dissimulé sous un masque de carnaval surmonté d'une petite couronne.

« À... à qui ai-je l'honneur ? »

« À un futur généreux donateur. » Avait joyeusement affirmé son interlocuteur. « Mais vous pouvez m'appeler Crispin. »

« Sieur... Crispin. Auriez-vous besoin d'un conseil en lien avec votre foi ? Dîtes-moi en quoi puis-je vous aider ? »

L'homme avait souri en tendant la main vers lui.

« Je suis venu vous proposer quelque chose qui bouleversera à jamais votre destin... ainsi que celui de l'église d'Imperia à Tierraroja. »

***

« Hé, votre sainteté ! Vous m'entendez ? »

Extirpé de sa rêverie, Tiberius se tourna vers l'autre personne présente dans la salle, qui occupait un autre siège un peu plus loin. Tous deux étaient attablés derrière un buffet de marque, et le décors autour d'eux laissait supposer qu'ils se trouvaient dans une demeure de qualité.

En réalité, ils se trouvaient à la prison de Bocabierta, dans une pièce secrète réservée à ce genre de réunion.

« Navré, grand sorcier Keiner. » S'excusa l'archevêque. « J'étais plongé dans mes pensées. »

« Vous semblez fatigué. Vous devriez prendre du repos. » S'amusa Erwin.

Derrière lui, les deux casqués à la tenue affublée d'une spirale jaune patientaient sans rien dire, ne laissant échapper qu'un faible râle de leur heaume. Tiberius fronça du nez. Il avait beau collaborer depuis longtemps avec ce clandestin - au point de s'être arrangé pour lui trouver un poste au sein de l'armée des paladins du 5e  - et avec son équipe, il lui trouvait toujours quelque chose de bizarre.

« J'y songerai. » Affirma-t-il, mal à l'aise.

Les portes de la salle s'ouvrirent alors brusquement. L'évangéliste se leva pour accueillir le nouveau venu, mais il se figea en posant les yeux sur lui. Ou plutôt, sur elle.

Devant les battants qui se refermaient lentement se dressait une femme en robe d'un rouge écarlate. Ses cheveux étaient blancs et noirs, et son visage était camouflé par un masque de carnaval au long nez pointu. Deux antennes à plumes dépassaient de son crâne.

« Ma foi, c'est là la première fois que nous nous rencontrons, me semble-t-il... » Susurra-t-elle en portant une main délicate et gantée de soie à sa bouche.

« Qui êtes vous ?! » Fit Tiberius, estomaqué. « Où est sieur Crispin ? »

« Vous m'en voyez fort navrée ! Votre correspondant habituel n'est pour l'heure point disponible ! » S'écria joyeusement la femme, le faisant sursauter. « Ainsi va le train du destin, c'est moi-même qui le remplacerai aujourd'hui ! »

Au fond, Keiner ne disait rien, observant la scène en silence.

« Q-Quelle est cette plaisanterie douteuse ?! » S'énerva Tiberius.

« Seigneur, vous me prenez pour une plaisantine. » S'amusa son interlocutrice. « Je vous assure pourtant qu'il ne s'agit point d'une quelconque espièglerie. Je suis venu vous adresser un communiqué de sa part. »

« Son message ? » Répéta le prêtre, les sourcils froncés. « Quel message ?! »

La femme joignit ses mains, satisfaite, et lui adressa un grand sourire.

Et si jusqu'ici son sourire était d'une allégresse malicieuse, il n'exprimait désormais plus qu'une froideur malsaine.

« Je n'ai plus besoin de toi. » Récita-t-elle.

« Je n'ai plus... de quoi ? » Répéta Tiberius, les yeux écarquillés.


Tchak !


Le bras, l'épaule, et la moitié du crâne de l'archevêque - dont le visage arborait toujours un air stupéfait - glissèrent le long de la cisaille nette qui avait tranché son corps. Les deux moitiés du cadavre s'écroulèrent avec un bruit sourd, et une flaque rouge se mit à se répandre sur le sol.

Les griffes - longues d'une dizaine de centimètres - qui avaient transpercé le gant de la femme se rétractèrent en douceur. Son mouvement avait été si rapide qu'aucune tache n'était venu imprégner le tissu. Elle claqua des doigts et par terre, le sang se mit à flotter doucement dans les airs. Formant comme un filet en apesanteur, il chemina jusqu'à sa bouche. Elle l'aspira jusqu'à la dernière goutte.

Dès qu'elle eut finit son repas, ses iris rouges à la pupille fendue brillèrent et elle se lécha les babines, satisfaite.

« Humains, semi-humains... un questionnement me taraude l'esprit : lesquels sont ceux sont dont l'intellect est le moins limité ? » Ricana-t-elle en posant un doigt délicat sur ses lèvres. « Une question à laquelle il est ma foi ardu de répondre. »

« C'est presque vexant. » Intervint Erwin, les bras croisés. « Moi qui croyait vous avoir prouvé que tous les humains n'étaient pas stupides... »

« Ne vous laissez pas griser par l'importance que vous pensez avoir, larbin du Roi en Jaune. » Maugréa la femme sur un ton méprisant. « Je consens à tolérer votre présence tant que vous demeurez utile à nos desseins, mais ne vous méprenez pas : cela ne vous élève en rien au-delà de votre condition inférieure. »

Un silence accueillit sa déclaration, Keiner préférant ne pas jeter l'huile sur le feu. Satisfaite, elle reprit un ton joyeux.

« Soit dit en passant, monsieur le directeur, il semblerait que la rébellion soit sur le point d'éclater dans votre prison. C'est du moins ce qu'une de mes sources bien informées m'a laissé entendre. »

« Ah bon ? » S'étonna le lieutenant avec un haussement d'épaules. « Ils ont été plus rapides que prévu. Bah, j'imagine que tout est prêt de votre côté. »

La femme ne répondit pas, et tendit plutôt une main vers le cadavre de Tiberius.

« <Génèse de mort-vivant inférieur - zombie> »

Sitôt la capacité activée, les deux morceaux du corps se rassemblèrent grossièrement, alors qu'une aura noire imprégnait sa chaire. Le monstre nouvellement créé se releva lentement en poussant un gémissement sourd.

« Même dans le trépas, votre apparence demeure affligeante. » Commenta l'inconnue en grimaçant sous son masque. « Quoi qu'il en soit, je vais donner l'ordre par son biais de rapatrier tous les pacificateurs de la région. Il serait dommage de ne pas convier davantage de participants à cette petite fête »

« Entendu. L'Ordre de Lilienkreutz se joindra aux festivités. Qu'en est-il des individus que j'ai repéré dans les sous-sols ? »

« Qu'importe, leur intervention sera de toute façon trop tardive. Je vais tout de même dépêcher un comité d'accueil, par souci de maintenir les apparences. Oh, il me faut également m'occuper de ce mercanti blond qui, tout à l'heure, semblait s'employer à détourner l'attention »

Erwin approuva d'un signe de tête avant de se lever pour quitter la pièce, les deux casqués sur les talons.

Désormais seule avec le zombie, la femme laissa sa langue en forme de sangsue parcourir ses lèvres.

« Fufu... La délicieuse effusion de sang qui s'apprête à éclater dans cette capitale promet, ma foi, d'offrir un spectacle d'une rare intensité divertissante. »

***

Cathédrale Santa Luminus

« J'aperçois de la lumière... » Souffla Matsuba.

Les deux infiltrés étaient presque parvenus en haut des escaliers. Au sommet, des rayons lumineux provenant du grand hall leur parvenaient à travers les fentes de l'autel, qu'ils avaient refermés derrière eux à l'aller.

Arrivés devant la sortie, le garçon actionna le mécanisme et la porte se rouvrit lentement, toujours avec le même bruit sourd et rocailleux.

« Retournons à l'hôtel. » Dit aussitôt Matsuba en se dirigeant vers la sortie sitôt qu'il eut émergé dans la cathédrale.

« Je suis désolée... je ne me souviens plus du chemin. » S'excusa Euryale.

« Euh... pas grave, tu n'as qu'à me suivre. »

Ils traversèrent la grande salle en passant derrière les immenses piliers alignés de part et d'autre du couloir central, et parvinrent finalement aux grandes portes. Poussant l'un des battants, ils s'extirpèrent dehors. Mais à peine eurent-ils mis un pied sur la petite place qu'ils se figèrent brusquement.

Une trentaine de pacificateurs les attendaient, carabines en joug, prêts à faire feu.

« À genoux, les mains derrières la tête ! » S'écria le decurion, plus haut gradé du groupe.

« Et merde ! » Jura intérieurement le jeune homme, désemparé.

Conscient qu'ils n'avaient aucune chance face à autant de paladins, il se prépara à obtempérer, la mort dans l'âme. Il ne voyait aucune moyen de leur échapper.


Mais le temps sembla soudain se suspendre, alors que toutes les couleurs du monde disparaissaient subitement.


Le garçon écarquilla les yeux au ralenti. Les maisons, le sol, le ciel... tout était devenu en noir et blanc. Face à lui, les pacificateurs s'étaient figés, comme si on avait mis l'existence en pause. Par ailleurs, il ne percevait plus aucun son, comme si le vent lui-même s'était pétrifié.

ShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHs.

Des murmures... des centaines, des milliers de murmures s'étaient immiscés dans le crâne de Matsuba.

ShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHs.

Encore... encore plus de murmures... ça grouillait, pullulait, débordait, fourmillait de murmures...

L'esprit du jeune homme fut envahi d'un vide sans nom, comme si des ombres sinistres venues de lointaines galaxies mortes avaient embué ses pensées, comme si la rivière noire du néant avait inondé ses réflexions. Les ténèbres des profondeurs lointaines s'étaient invitées sur la petite place, engloutissant la clarté comme un marécage.

Plus rien. Il ne ressentait plus rien. La signification elle-même semblait avoir disparu : aucun sens n'existait, rien n'existait, même l'existence avait cessée d'exister.

ShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHs.

Et devant lui... des explosions... ou bien des fleurs, peut-être ?

L'écarlate avait éclaté au sein de ce tableau triste et décoloré qu'était devenu le monde, sous la forme de bourgeons carmins dont les pétales s'étendaient au ralenti.

C'était comme si chacun des trente paladins avaient fait exploser une bombe à peinture sur leur torse. Matsuba eut l'impression que de gigantesques higanbanas - des fleurs kazéeennes dont lui avait parlé Shizuka - s'étaient épanouies sur leur poitrail.

Il y en avait partout, c'était un vrai champ de fleurs rouges, le rouge, seule teinte étant parvenue à percer le néant colorimétrique omniprésent.

ShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHsShHs.


Un bruit de verre brisé retentit, et le contact se rompit brusquement, comme si l'on avait coupé un fil.

Le monde redevint coloré alors que Matsuba atterrissait sur les fesses, déséquilibré par une bourrasque de vent. Tout ça n'avait duré qu'un dixième de seconde, mais il avait l'impression qu'un siècle entier s'était écoulé.

Boulversé, il vit les corps des pacificateurs s'effondrer brutalement sur le sol avec un bruit spongieux. Ils avaient tous étés taillés en pièces avec une précision et une netteté chirurgicales. Les « higanbanas » avaient disparues, les taches de sang étant retombées par terre pour former une gigantesque marre vermillon. Quant au reste de l'environnement, plusieurs bâtisses avaient également étés tranchées, et les débris qui s'en détachèrent s'écroulèrent avec fracas en soulevant un nuage de poussière ocre.

Le jeune homme fixa Euryale, qui semblait s'être téléporté derrière les paladins. Il l'entrevit reclipser le fourreau de son nodachi, mais il ne l'avait pas vu dégainer son sabre, et encore moins bouger.

Portant une main à sa poitrine, il se rendit compte qu'il venait à peine de retrouver son souffle et qu'il était trempé de sueurs.

« Q-Qu'est ce que c'était que ça ?! »

Mais avant de pouvoir se questionner davantage, il s'aperçut que la ronin se tenait le front du plat de la main, comme si une migraine terrible s'était emparée d'elle. La voyageuse grimaça un instant, puis poussa un petit soupire de soulagement. Sa souffrance semblait s'être estompée aussi soudainement qu'elle venue.

Le corps tremblant, Matsuba parvint péniblement à se relever et à tituber jusqu'à elle.

« Ç-Ça va...? » Balbutia-t-il.

Euryale lui jeta un regard étonné.

« Oh, moi...? Oui, ça va... enfin, je crois. Navré, ça m'a un peu... fatigué. Et toi ? »

« Je... je vais bien. » Articula le garçon en hochant faiblement la tête. « Putain la vache ! Ça, c'était carrément dément. »

« Ah bon...? » Murmura son interlocutrice, surprise.

Matsuba la dévisagea quelques secondes, perplexe, puis secoua la tête pour se remettre d'aplomb.

« Quelque chose cloche, ils nous attendaient. Il faut qu'on retourne à l'hôtel prévenir monsieur Fyrklöver. Il doit avoir fini sa diversion, maintenant. »

« Entendu. »

Les deux compagnons reprirent leur route. Mais avant de partir, le jeune homme n'avait pu s'empêcher de jeter un œil devant les portes de la cathédrale, à l'autre bout de la place.

Là où s'était tenue la ronin juste avant qu'elle ne se débarrasse de leurs assaillants se trouvait désormais une étrange bizarrerie sur le sol, comme une tache grise - une zone lunaire où la pierre ocre était devenue terne.

Il s'attarda un instant dessus, puis suivit sa camarade.

***

Siège de la Guilde à Las Alba

Ici s'étendait une pièce bien éclairée, décorée à l'ancienne. Un lustre de cristal tombait du plafond, et des tapisseries brodées ornaient les murs. Le sol en velours procurait une sensation douce sous les pieds des derniers visiteurs de la journée.

Derrière le comptoir en noble bois massif, une femme pianotait sur un ordinateur, les nombreuses heures de sa journée ayant creusée son visage. Elle termina de rentrer les informations dans le dossier informatique qu'elle saisissait depuis maintenant une heure. Tout en baillant, elle appuya sur le bouton de sauvegarde, et éloigna sa chaise roulante du bureau d'un coup de pied en s'étirant disgracieusement.

Le niveau technologique ici était bien plus avancé que dans le reste de l'étage, le matériel étant financé par la Guilde.

« Salut, Kassandre... » Fit une voix depuis l'entrée.

Elle sursauta. Devant les portes se tenaient deux personnes qu'elle connaissait bien : le shérif Truster et son adjoint, Carl.

« Salut, vous deux ! » Répondit-elle avec un sourire, malgré la fatigue accumulée de la journée et l'anxiété liée à la situation. « Vous venez par rapport à l'arrivée du Régulateur, c'est ça ? »

« Oui, on a accouru dès qu'on a été prévenu. » Répondit Truster en s'avançant jusqu'au comptoir. « C'est quoi, cette histoire ? Qu'est ce qu'ils viennent foutre ici ? »

« Je ne sais pas trop... » Avoua la réceptionniste. « La raison officielle est la détection d'un transport clandestin. »

Les deux autres levèrent simultanément un sourcil étonné. Mais avant qu'ils ne puissent la questionner, une notification intervint sur l'ordinateur de Kassandre.

« Ah tiens, il doit être là. Mais...! »

Elle s'interrompit brusquement, ouvrant des yeux ébahis.

« Qu'est ce qu'il y a ? » Demanda Carl, nerveux.

« J-Je... dois rêver... » Bafouilla-t-elle, paniquée. « U-Un code d'accès doré ! C-C'est impossible ! »

« Un quoi ?! » Répéta Truster.

« Impossible ! » Répéta Kassandre, qui ne semblait pas l'avoir entendu. « Aucun Régulateur de haut rang n'a jamais mis les pieds au 5e ! Pourquoi maintenant ?! »

La jeune femme s'agrippait le visage, au bord de l'hystérie. Ne sachant pas comment réagir, les deux hommes se tirent sur leurs gardes alors qu'au fond - au dessus de l'une des nombreuses portes qui ornaient le mur - une lumière se mettait à clignoter, annonçant une arrivée imminente.

Mais lorsque la porte s'ouvrit, ils sentirent un haut-le-cœur remonter le long de leur gorge.

L'espace d'un instant, la glace et les ténèbres en personnes s'étaient échappées de l'entrebâillement. Peut-être ne fusse qu'une impression, mais la température sembla chuter.

Pourtant, ce n'était pas un monstre qui avait émergé de l'ouverture, mais une femme.

Haute d'un bon mètre quatre-vingt-dix, elle était svelte : sa silhouette était aussi acérée qu'une lame de rasoir. Ses cheveux pourpres étaient attachés par un chignon à l'arrière de son crâne, et un insigne représentant un œil aux ailes d'or était agrafé sur sa poitrine. Un détail frappant était la présence d'un petit être poilu sur son épaule.

Cet animal n'existait pas dans ce monde, et Kassandre était la seule à en avoir entendu parler via les archives de la Guilde auxquelles elle avait accès. Il s'agissait d'un macaque.

« Euh... b-bienvenu... » Parvint à articuler le shérif Truster, malgré la sensation d'oppression qui lui comprimait la gorge.

Mais la Régulatrice l'ignora, renforçant un peu plus leur malaise.

« Cette fois-ci, je ne te laisserai pas t'en tirer à bon compte, Raijū. » Murmura-t-elle en les faisant sursauter.

Sur son épaule, le singe émit un ricanement bestial. Avant qu'ils n'aient pu articuler la moindre parole, la femme les dépassa et franchit la porte, disparaissant dans les rues de la ville.

La pression se relâcha d'un seul coup, et ils s'affaissèrent sur le sol.

« C-Carl, tu... » Commença le shérif, haletant.

« N-Ne dîtes riens, s'il-vous-plaît. » Marmonna doucement son adjoint, le regard perdu dans le vide. « C-C'est un miracle si je n'ai pas pris mes jambes à mon coup. »

« M-Mais qu'est ce qu'elle vient faire ici ?! »

Un long silence suivit la question de Truster. N'ayant pas encore retrouvé l'usage de la parole, Kassandre jeta un coup d'œil horrifié aux portes derrière lesquelles la femme avait disparu.

Un frisson la parcourut.

Qui que fusse sa cible, elle priait pour ne jamais un jour être à sa place. Car la démarche de cette Régulatrice était celle d'une chasseuse.

Sky Keep ARC 2 - Chapitre 13, partie 3 : FIN

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