Chapitre 13 - Le lion dansant de Fô, partie 1
Prison Bocabierta, Tierraroja (5e étage de la Tour)
21 juillet 3202
La première chose que Kaya entendit en pénétrant la cour intérieure fut le son des pioches battant contre la pierre.
La tristesse voila son regard lorsqu'elle parcourut des yeux le vaste espace clos. Une bonne cinquantaine de ses congénères s'y épuisaient, habillés en haillons, leurs chevilles cerclées par le fer. Par ailleurs, les carnivores avaient vu leurs griffes limées et leur visage muselé, on avait sectionné les cornes des buffaliens, et on avait plumés les ailes de condoriens pour éviter qu'ils ne s'échappent par la voie des airs.
Nerveuse, la leporienne se rapprocha de Natherod, qui marchait près d'elle. Le latranien avait subi le même sort que ses congénères : un masque de cuir l'empêchait quasiment de parler, et ses doigts saignaient là où on avait fait disparaître ses griffes.
Leur peau à tous les deux luisait, car comme tous les prisonniers ils avaient reçu une dose minime d'onguent de Leyposa.
« Rassemblement ! » Cria alors un garde au fond de la cour.
Tous les prisonniers cessèrent aussitôt leur activité et coururent se positionner en rang devant les portes menant au bâtiment fermés - juste en face de celles que les deux membres de West's Spirit venaient de franchir. En moins d'une demi-seconde, un silence de plomb s'était installé dans la cour, alors que les parjuriens attendaient en silence, droits comme des piquets, surveillés de part et d'autres par des pacificateurs.
« Leur déplacement était militaire... » Remarqua Kaya, désarçonnée.
Mais avant qu'elle n'ai pu se poser d'avantage de questions, les fameuses portes faces auxquelles ils s'étaient tous positionnés s'ouvrirent lentement, laissant sortir un homme accompagné de deux gardes blancs.
L'individu s'avança jusqu'à arriver devant le premier rang. Il arborait un splendide uniforme blanc couverts d'insignes, ainsi qu'une casquette prouvant son appartenance aux hauts-gradés. Un air jovial était peint sur son visage.
« Ave ! » Lança-t-il avec enthousiasme en les saluant de la main. « Bonjour à tous ! Ravi de vous voir tous aussi motivés en ce merveilleux début de journée ! Je me suis permis de vous interrompre afin d'accueillir tous ensembles nos nouveaux arrivants. »
Il désigna le petit groupe où se trouvaient Kaya et Natherod. Si les deux grimpeurs ne bronchèrent pas, les autres nouveaux se tortillèrent, mal à l'aise.
« Tous ensembles ! Nous vous souhaitons la bienvenu ! » S'exclama l'homme.
Aussitôt, les prisonniers répétèrent en concert. Satisfait, le haut-gradé vint se planter devant le petit groupe qui venait de débarquer.
« Je suis le directeur de cette prison, le lieutenant Erwin Keiner. » Se présenta-t-il en soulevant sa casquette, tout sourire. « Je vais vous inviter à vous mettre en rang, comme vos camarades. Vu votre nombre réduit, disons deux par deux. »
Les prisonniers hésitèrent un instant, échangeant un regard consterné. Puis, voyant que le directeur attendait qu'ils réagissent, ils obéirent et se positionnèrent tel que souhaité. Malheureusement, la latranienne qui fermait la marche se retrouva toute seule.
Nerveuse, elle se tourna dans tous les sens, ne sachant pas où trouver de place. Erwin soupira.
« Numéro... sept-cent-cinquante-et-un... » Lut-il sur les lambeaux qui servaient de vêtements à la jeune femme.
Son visage s'enrichit à nouveau d'un sourire chaleureux.
« Pourrais-tu te mettre derrière, s'il-te-plaît ? » Demanda-t-il gentiment en lui désignant l'arrière du rang.
Au bord des larmes, la femme-coyote hocha doucement la tête, avant de se précipiter vers l'endroit désignée. Malencontreusement, elle trébucha et s'étala de tout son long sur le sol.
Le directeur vint aussitôt l'aider à se relever.
« J-Je suis... d-désolée... » Sanglota la latranienne en se remettant debout.
Erwin secoua la tête.
« Ma pauvre amie... tu n'as pas l'air très à l'aise ici, je me trompe ? »
Voyant que la semi-humaine ne répondait pas, mais que son regard parlait pour elle, le lieutenant lui tapota doucement le dos.
« Tu sais quoi ? J'ai envi de te proposer quelque chose. » Lança-t-il joyeusement. « Tu vois la boîte qui est là bas ? »
En parlant, il avait désigné une sorte de casier en bois, positionné à la verticale, qui attendait contre un mur. La jeune femme hocha la tête, son regard inquiet alternant entre l'objet et le l'homme.
« Que dirais-tu d'y passer les deux prochaines heures ? » Proposa Keiner. « Si tu y arrives malgré le fait que la boîte soit en plein soleils, je te promet de te relâcher. Tu es libre de refuser, si tu ne me fais pas confiance. »
« Vous me... relâcherez...? » Répéta la latranienne, indécise.
« Tout à fait. » Approuva Erwin avec un sourire. « Je conviens que notre hospitalité ici reste à désirer pour les vôtres... alors il m'arrive de libérer l'un d'entre vous de temps à autre. Ça aide à maintenir un espoir de survie général, tu comprends ? »
La parjurienne hésita encore quelques secondes, nerveuse. Puis finalement, elle hocha la tête, acceptant le défi.
« Formidable ! » S'enthousiasma le lieutenant. « Je te laisse aller prendre place ! »
La prisonnière vint s'installer dans la boite, avant de fermer doucement la porte. Le directeur vint toquer dessus.
« Ça va, là dedans ? » Demanda-t-il alors qu'on lui apportait une chaîne.
« O-Oui ! » Répondit la voix étouffée de la parjurienne.
« Excellent ! Si jamais tu veux abandonner, tu peux ! » Lui assura-t-il. « Il te suffit d'ouvrir la porte et de sortir ! »
Tout en prononçant ces paroles, le haut-gradé cercla la boite de la chaîne qu'on lui avait remis et la bloqua à l'aide d'un cadenas. Kaya sentit aussitôt une ambiance étrange et angoissante s'installer dans la cour intérieure.
En tournant la tête vers les autres prisonniers, elle se rendit compte que beaucoup avaient baissé la tête, le visage fermé.
Erwin laissa la boîte et vint de nouveau se positionner devant le groupe qui venait d'arriver. Ses sourcils se froncèrent.
« J'aimerais clarifier une chose. » Dit-il alors.
Cette fois-ci, son ton chaleureux avait disparu. Il était beaucoup plus froid, tout à coup.
« Lorsque je donne un ordre, celui-ci doit être exécuté immédiatement. C'est logique, non ? Je suis directeur ici, après tout. Or, tout à l'heure, quand je vous ai demandé de vous mettre en rang, vous avez mis plus de huit secondes trente-sept à réagir. C'est trop... bien trop... »
Il se tourna alors vers la boîte.
« Numéro sept-cent-cinquante-et-un ! Ça va toujours ?! » Lança-t-il d'un air soucieux.
« T-Tout va bien, monsieur ! » Assura la latranienne.
« Tu m'en vois rassuré ! » S'exclama joyeusement Erwin. « Tu as fait cinq minutes, mais tu es bien parti pour réussir ! Courage ! »
« M-Merci, monsieur ! »
Le lieutenant fit alors un signe silencieux aux pacificateurs environnants. Ceux-ci hochèrent la tête et s'approchèrent de la boîte, prenant garde à ne pas faire de bruit. Ils levèrent alors lentement leur fusil, les braquant droit sur cette dernière.
La tension environnante grimpa en flèche alors qu'un horrible frisson remontait le long de l'échine de Kaya.
« Ici, nous aimons que nos hôtes soient réactifs. » Affirma joyeusement Erwin en levant doucement le bras. « Par ailleurs, nous attendons de votre part... »
Les deux membres de West's Spirit retinrent leur souffle, leurs yeux s'agrandissant de frayeur.
« ...une obéissance absolue. » Acheva le lieutenant en abaissant braquement son bras.
Aussitôt, l'enfer se déchaîna.
Les pacificateurs ouvrirent le feu sur la boîte, criblant celle-ci de balles. Durant presque une minute d'horreur pure pour les spectateurs de la scène, un déluge de coups de feu retentit dans la cour, de temps en temps rythmés par ce que Kaya perçus comme des cris provenant de l'intérieur de ce véritable cercueil.
Erwin leva le poing en l'air, et les tirs cessèrent. Les lieux furent envahis par la fumée, et de nouveau par le silence. Un silence terrible.
Pétrifiés, les nouveaux prisonniers virent le lieutenant s'avancer lentement vers la boite, puis toquer doucement contre le paroi.
« Ça va, là dedans ? » Lança-t-il sur le même ton qu'un peu plus tôt.
Aucune réponse ne lui parvint. En baissant les yeux, Keiner vit une véritable marre de sang s'écouler depuis les interstices du cercueil, s'étalant sur le sol comme une tache de peinture rouge.
« Bon, et bien je suppose que c'est perdu. » S'amusa-t-il en haussant les épaules.
En voyant les mines qu'affichaient les nouveaux arrivants, son sourire s'élargit.
« Vous étiez un nombre impair, et j'ai horreur de ça. » Expliqua-t-il. « Parfait ! La matinée arrive bientôt à son terme. Dans une heure, vous pourrez rejoindre vos petits camarades au réfectoire. D'ici là, nos gardes vont vous montrer le matériel, vos chambres, et vous expliquer le fonctionnement des lieux. Je vous souhaite un agréable séjour ! »
Et sur ce, le directeur les salua joyeusement avant de repartir par où il était venu.
Le poil encore hérissé, Kaya et Natherod tournèrent lentement la tête l'un vers l'autre pour échanger un regard.
Une profonde inquiétude se lisait dans leurs yeux.
***
Quelques heures plus tard
Raijū et Shayton atteignirent le pied des canyons de Naskota en fin de matinée.
L'atmosphère y était poussiéreuse. Un vent doux balayait les environs, promenant de temps à autre quelques virevoltants. Les immenses falaises rocheuses - dont les différentes strates alternaient différentes nuances d'ocre et d'orangé - se dressaient en parois d'un gigantesque labyrinthe naturel. À leur pied, une vallée au vert terne s'entendait en longeant un cous d'eau.
L'entrée devant laquelle se trouvaient les deux ascensionniste était étroite, par comparaison aux autres : à peine une vingtaine de mètres de largeur.
« Il va falloir grimper. » Conclut le condorien. « Cheerook est située dans les hauteurs. La cité est construite sur les parois de plusieurs falaises, reliées entre-elles par des ponts suspendus. »
« Vous êtes trop lourd pour voler ? » Le questionna distraitement la kitsune.
« Dit comme ça, on dirait que j'ai trop de bide... » Marmonna le condorien dans son coin.
Il secoua la tête, dépité.
« Non, pas vraiment. » Confirma-t-il. « Notre espèce peut planer en partant des hauteurs, ou à la limite parcourir quelques dizaines de mètres en battant des ailes. Mais je ne peux pas m'envoler aussi haut sans un courant ascendant. C'est dommage d'ailleurs, les attaques aériennes auraient étés un bon atout lors de nos attaques contre les convois impériaux. »
« De retour à la bonne vielle méthode, alors... » Argua Raijū, amère.
Elle activa alors son stigmate. Étonné, Shayton observa le petit cube qu'elle venait d'invoquer. Contrairement à Matsuba, qui n'était pas pourvu d'une capacité, lui-même était parfaitement capable de le voir.
« <Ernö - forme Eyesup> »
Les faces du Rubik's cube argenté se mélangèrent jusqu'à ce qu'il disparaisse dans un nuage de fumée. Lorsque celle-ci disparut, elle laissa apparaître la kitsune, équipée d'une tenue complète de grimpeur : chausson adaptés à l'escalade, baudrier muni d'un descendeur, casque de protection et longue corde attachée à la ceinture.
Raijū détacha cette dernière, exhibant le petit crapaud qui se trouvait à son extrémité. Alors que Shayton observait l'animal avec curiosité, la femme-renarde visa le sommet de la falaise et l'expédia avec une force surprenante. La petite bête se fixa à moins d'un mètre du rebord supérieur et s'y fixa, comme étrangement collé. La corde était en place.
« Il va rester en place deux heures. » Expliqua la kitsune au condorien perplexe. « Et il peut supporter jusqu'à trois-cent kilos. »
La grimpeuse s'avança jusqu'à la paroi rocheuse.
« Je devrais arriver en haut d'ici vingt minutes. » Évalua-t-elle en comptant environ mille deux-cent mètres jusqu'au sommet.
« V-Vingt minutes ?! » Sursauta le capitaine de West's Spirit, éberlué. « Et ben vous allez pouvoir m'attendre au sommet ! Même avec mes capacités renforcés par mon aura, il va bien me falloir au moins une heure et demi ! »
L'archéologue soupira, puis tendit le bras. Une dégaine d'escalade ainsi qu'un pique s'y matérialisèrent.
« C'est avec la tenue, ça ? » La questionna l'homme-vautour, impressionné.
« Je peux en faire apparaître une vingtaine, uniquement quand je porte <Eyesup> sur moi. C'est pratique pour parcourir des ruines escarpées non propices à la marche. »
Raijū sauta sur la paroi et planta un premier pique à trois mètres de hauteur, s'agrippant à la corde.
« On se rejoint au sommet ! » Grogna-t-elle en entamant son ascension.
Lorsqu'il vit sa vitesse de progression, ce fut au tour de Shayton de soupirer. Il suivit néanmoins le mouvement.
***
Une heure plus tard...
Shayton se hissa sur le plateau rocheux, éreinté.
N'ayant pas besoin de s'assurer - ses ailes lui offrant une protection en cas de chute - l'homme-oiseau ne possédait aucun matériel d'escalade, contrairement à sa camarade de voyage. Cela avait par conséquent freiné sa progression. Pourtant, il s'était dépassé et avait réussi avec une demi-heure de moins que ce qu'il avait initialement prévu.
Épuisé, il s'étala de tout son long sur le sol poussiéreux, reprenant son souffle.
« T'en a mis, du temps... » Commenta Raijū, occupée à dévorer une galette de maïs au brochet qu'elle avait emporté pour la route.
« Je n'ai pas... votre niveau... » Haleta Shayton en se relevant tant bien que mal.
Profitant d'une petite pause, le condorien sortit la sagamité qu'il avait emporté dans une petite boîte, et les deux ascensionnistes se laissèrent le temps de manger.
Ils ne s'attardèrent cependant pas trop et reprirent rapidement leur progression vers la cité abandonnée. Mais après une heure de marche, tous deux se figèrent.
Une présence venait de passer au dessus d'eux.
Levant la tête vers le ciel, la kitsune aperçut l'ombre d'un énorme rapace planer sur le sommet du canyon avant de filer au loin.
« C'était... » Commenta Shayton, incertain.
« Un oiseau-tonnerre. » Confirma Raijū avec un hochement de tête.
« On est en plein sur leur territoire. » Approuva son camarade, les sourcils froncés. « J'espère qu'ils ne nous poseront pas de problèmes... »
« Au pire, on aura de quoi manger. »
« Euh... oui, j'imagine qu'avec vous, je ne crains rien. Mais l'ennui, c'est qu'on a pas de cape en tona-tona... »
« En quoi ? » Répéta Raijū, indécise.
« Le métal qui compose leurs plumes. » Expliqua le condorien. « Il est fait d'un face interne isolante et d'une face externe extrêmement conductrice. »
« Ah, tu parles du cuivranium. » Comprit la femme-renarde.
« C-C'est le nom qu'on lui donne dans les autres étages. » Affirma Shayton, étonné. « Je suis surpris que vous sachiez ce que c'est. »
« On en trouve dans les armures et les vêtements isolants à la foudre. N'importe quel ascensionniste digne de ce nom sait ça. »
« S-Si vous le dîtes... il n'empêche qu'on en a pas. »
« On en aura pas besoin pour un monstre de ce niveau. »
Bien que surpris par la réponse de la kitsune, le capitaine d'équipe ne protesta pas et ils poursuivirent leur route. Soudain, la grimpeuse pointa quelque chose à l'horizon.
« Pas sûr que ce soit normal, ça... » Murmura-t-elle, les yeux plissés.
Shayton suivit son doigt et hoqueta : au dessus de la cité qu'ils cherchaient à atteindre - et qu'on apercevait au loin, minuscule à cette distance - un énorme nuage parcouru d'éclairs tourbillonnait, comme une tornade en attente de partir ravager quelques territoires.
***
Les deux ascensionnistes n'atteignirent Cheerook que deux heures plus tard.
La cité était cerclée par trois falaises, et s'étendait depuis le haut du canyon jusqu'en bas dans la vallée. Elle était construite à même les parois rocheuses, les structures des bâtiments naissant de celle-ci voir étant complètement creusées à l'intérieure. Des centaines de ponts suspendus traversaient les différents plateaux et les différentes sections de la ville pour rejoindre les autres falaises.
« Tu sens ça...? » Demanda Raijū, crispée, en passant la porte principale.
« Oui. » Confirma Shayton, tout aussi tendu qu'elle. « L'air est chargé d'aura... j'ai l'impression de baigner dans de l'électricité statique. C'est comme dans le reste de l'étage... mais en beaucoup plus intense. »
« C'est du Sei. » Dit la kistune. « On est dans l'épicentre. »
« Du quoi ? »
« Comment des gens qui ignorent tout de leurs pouvoirs ont-ils pu réussir l'examen d'entrée de la Guilde...? Ça me dépasse. » Grogna son interlocutrice.
Le capitaine d'équipe n'osa rien rétorquer et attendit qu'elle s'explique alors qu'ils s'engageaient dans un escalier.
« Je te parle de ce qui compose l'aura d'un porteur de stigmate ou d'un monstre lorsqu'il utilise une capacité spirituelle.» Poursuivit la femme-renarde. « On lui a donné de nombreux noms à travers les étages et l'Histoire : le prāna, le qi, le mana, l'orgone, le pneuma, l'od, le lung, l'aether... Chez moi au 8e, on l'appelle le Sei. »
« Vous voulez dire que la tension qu'on ressent à travers tout l'étage n'est causée que par un seul être ? » S'étrangla son interlocuteur.
« Oui. » Confirma Raijū avec un sourire crispé. « Mais plus que sa quantité, c'est sa longueur d'onde qui m'inquiète. »
« Sa quoi ?! »
« Tu es allé à l'école, un jour ? » S'impatienta la kitsune, exaspérée.
« Je pige rien à ce que vous racontez. » Bougonna Shayton. « Vous pouvez me mépriser autant que vous voulez, mais expliquez moi en échange, s'il-vous-plaît. »
La grimpeuse émit un grondement sourd alors qu'ils arrivaient au pied de l'escalier.
« Le Sei peut-être caractérisé par une longueur d'onde. » Expliqua-t-elle de mauvaise grâce. « Visuellement, ça se traduit par un changement de couleur. Or, selon la loi de Marchenreich, la longueur d'onde d'un Sei est étroitement liée au caractère innée, mais aussi au karma, c'est à dire au façonnement de la personnalité par les choix. »
« Euh... »
« Pour te la faire simple, selon la couleur le l'aura de quelqu'un, il est possible de déterminer sa nature. Or, le Sei qui a envahit l'étage est... comme dire... »
Raijū se tut un instant, nerveuse.
« Pour être tout à fait honnête, c'est la première fois que j'en ressens un aussi sombre. La chose à qui il appartient doit appréhender le monde avec la froideur et l'insensibilité du vide spatial. C'est forcément un hétéromorphe. Aucun humain ou semi-humain ne pourrait émettre un Sei pareil. »
« Et c'est ce qui agite les monstres de Tierraroja, selon vous ? »
« Oui. »
Tendu par ces explications pour le moins inquiétantes, Shayton allait ouvrir la bouche lorsque la femme-renarde recula prestement en le plaquant contre un mur, comme pour les dissimuler. Ses yeux mauves étaient rivés sur quelque chose.
En les suivant, le regard du condorien se trouva de l'autre côté du pont suspendu qui leur faisait face. Là déambulait une créature pour le moins spéciale.
Si elle paraissait petite à cette distance, la chose devait bien mesurer dans les sept mètres d'envergure. Son corps félin à six pattes griffues était recouvert d'une fourrure - au poil long d'un rouge carmin pétant - s'étalant en nappe sur ses côtes, et se terminait par une queue serpentine recouverte d'écailles orangées.
Mais c'était sa tête, sa particularité la plus frappante. On aurait dit un énorme masque : sa langue pendait avec élasticité, ses mâchoires cliquetaient et claquaient à chacun de ses pas, et ses deux énormes yeux exorbités tanguaient et valdinguaient au rythme de son avancée, comme des billes glissant dans des orbites glissantes.
« Un lion... de Fô ? » Murmura Shayton, stupéfait. « Mais... »
« Il n'a rien à faire là. » Confirma Raijū, sans quitter le monstre des yeux. « C'est un monstre du 45e étage. Entre ça et le wendigo hors de son territoire, quelqu'un semble bien s'amuser ici... »
Le condorien fronça les sourcils.
« Ce n'est pas lui qui émet le Sei noir. » Constata-t-il.
« Non, mais il bloque notre seul accès au centre-ville. »
« C'est embêtant... on doit s'en débarrasser. »
« On ne peut pas. »
« Hein ? »
Raijū esquissa un sourire crispé alors que son camarade la regardait avec effarement.
« On pourra pas le tuer. Regarde-le attentivement. »
Plissant les yeux, l'homme-vautour s'exécuta, et remarqua alors une sorte de lichen sombre et fumant qui recouvrait certaines parties du corps de la bestiole. Un frisson parcourut son corps.
« Je dois rêver... » S'étrangla-t-il.
« J'ai bien peur que non. » Grimaça la kitsune. « Il est contaminé par le Bùsǐ Zǔ. C'est un servant de Yǒng nǚwáng. »
Shahanshah.
Ce titre - que l'on assimilait parfois à celui de roi-démon - signifiait littéralement roi parmi les rois. Il était attribué aux monstres ayant atteint le sommet de l'échelle des hétéromorphes. Considérés comme des dieux par leurs congénères, il n'en existait qu'une poignée à travers toute la Tour.
Et parmi eux proliférait Yǒng nǚwáng, la shahanshah de l'immortalité. Fléau majeure et increvable de Shang Yun, cette hétéromorphes putride empoisonnait le 45e étage de ses spores maudits d'immortalité, condamnant les contaminés à l'agressivité aveugle et à la souffrance éternelle.
« Même si on le décapite, sa tête repoussera. » Conclut Raijū avec gravité. « Donc... »
« Il faut qu'on trouve un moyen de le piéger quelque part. » Acheva Shayton.
« C'est bien, tu commences à comprendre les choses. »
Sky Keep ARC 2 - Chapitre 13, partie 1 : FIN
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