Chapitre 89
Samedi 28 octobre 22h 59
LUKAS – chanteur de Sweet Poison
Le DJ du bar me tend le micro.
— Je te lance après les applaudissements, c'est bon ?
— Ok.
Mon cœur palpite.
Je vais enfin chanter.
Je chante tous les jours en ce moment, mais c'est différent. Ce soir, j'ai un public. Un vrai public avec des inconnus à découvrir.
— Et notre chanteur suivant : Lukas sur Separate Ways !
Quelques sifflements — sûrement de Kwan — et la sono se tait. J'ai demandé quelques secondes de silence comme transition. J'aimerais que ça perturbe un peu la salle pour attirer leurs oreilles sur la scène.
Le DJ commence le décompte avec ses doigts.
Cinq. J'expire profondément.
Quatre. Quelques regards intrigués me scannent.
Trois. Je resserre la prise autour du micro.
Deux. La tension s'alourdit.
Un. Ce soir, j'ai pris une chanson pour jouer.
Zéro. Et je compte bien gagner.
Les premières notes éclatent dans les haut-parleurs. Bim bam, bim bam, bim bam-bam. Une ribambelle de petits impacts au synthé qui boostent tout le monde. 80' fever. Ça se faufile sous la peau pour pétiller dans nos veines. Ça explose de dynamisme. J'adore ces intros.
À l'entame, je reste sage. Il faut que les auditeurs aient le temps d'entrer dans l'ambiance. Ma sœur affirme que plus on progresse petit, plus on embarque de monde. Laura est très douée pour observer les gens.
Tout le long du couplet, je développe mon interprétation. Je marque davantage les paroles, j'agrandis mes gestes. Le personnage prend possession de moi. Il presse l'émotion, devient insistant pour l'écoute du public, s'emballe dans ses mots, augmente toujours un peu plus la pression sur l'auditoire jusqu'à la déflagration du refrain :
— Someday love will find you
Break those chains that bind you
Boom.
C'est moi qui dirige. Les deux pieds plantés dans le sol, j'assène mes vérités et j'aime ça.
Avec la montée de ma voix, toutes les tables ont été conquises. Il y a ma fétiche — celle dont je viens — mais je n'épargne personne. Dans chaque paire d'yeux, je distille mes prières. Ils sont les fidèles pour qui je brille et les dieux que j'implore. Mon public.
— Take care, my love
Intermède solo de guitare. J'en profite pour glisser un sourire espiègle. Juste pour le fun. Puis je redeviens sérieux. La musique est en train de se ramasser sur elle-même et je ne veux pas me rater. La fin s'annonce. Or, la fin d'une prestation, c'est comme le dessert d'un repas : si c'est raté, personne ne garde un bon souvenir de l'ensemble.
Le dernier refrain est une litanie répétée en boucle. J'y lâche toute la force de ma voix et déchire la fausse assurance de mon personnage. Il craque. Jette le masque et supplie. Personne ne doit ignorer mon amour qui s'en va. Je t'aime encore.
Et sur l'ultime « no », poing en l'air, je tombe à genoux. Rideau.
Paupières closes, j'entends une salve d'applaudissements commencer. Plus les sifflements de mon fan-club animé par Kwan.
— Merci pour ton passage Lukas ! conclut le DJ. Une chose est sûre, ça ne va pas être évident de passer après un tel show-man. On l'applaudit bien fort !
Je me relève et m'incline profondément.
En périphérie, j'ai vu le nouveau siffler avec Kwan, le sourire content d'Arthur et les yeux impressionnés de Matt. Comment regretter d'être excentrique après ça ?
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Oui, il est court et je suis à la bourre.
Mais prenez soin de vous quand même 🖤
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