Chapitre 88
Samedi 28 octobre 22h 27
ARTHUR – guitariste de Sweet Poison
— Arrête.
— Pourquoi ? rit Kwan. C'est lui qui a commencé. Moi, je n'ai fait que rendre le clin d'œil...
Je ne contredis pas. Il a probablement raison. C'est le genre de choses qui arrivent quand on laisse Lukas choisir le karaoké où passer la soirée.
— Ils sont bien leurs déguisements d'Halloween n'empêche, reprend Kwan. J'aurais aimé voir celui de Lukas s'il avait été mis au courant du thème.
— Tu peux toujours lui poser la question.
— Alors qu'il est en tête-en-tête avec Matt ? Ce serait trop cruel.
Je relève la tête. Le chanteur de SKIN et Lukas discutent en face de nous. Je n'avais noté à quel point ce dernier s'était étendu contre Matt. Depuis la fin du repas, l'établissement est plein et, entre la musique et le brouhaha, on ne peut vraiment plus parler avec eux.
— Un truc trash ? suggéré-je sans trop savoir pourquoi. Genre un déguisement d'ange sanguinolent ? Lukas aime bien le rouge.
— Ouais et le blanc est pas con : ça complémenterait le noir de son gothique chéri.
J'acquiesce en silence. Matt est le seul à ne pas remarquer les regards débordants d'admiration de Lukas.
— Moi, je serais venu en vampire, reprend Kwan. Je suis sûr que le côté mystérieux fait craquer les filles.
— Les filles ? D'ici ?
— Évidemment, je sous-entendais aussi qu'on aurait choisi un établissement où il y en aurait d'intéressées. Et toi ? Quel costume, au lieu de faire le malin ?
— Aucune idée.
Question déguisement, je manque d'imagination. Au traditionnel Carnaval du lycée, je joue la discrétion tous les ans. L'excentricité
— Je reviens, se lève brusquement Kwan.
Je hausse un sourcil interrogateur. Il me désigne les toilettes.
— Traîne pas, conseillé-je. Lukas passe bientôt.
— T'inquiète.
Il s'éclipse au fond de la salle. La musique crachée par les amplis est toujours trop forte pour que j'entende Matt ou Lukas. Je sors mon portable. M'y attendent un sms des parents qui me souhaitent une bonne soirée et un message de Gwen, médusé par mon projet d'aller nager avec Hadrien. Mon frère déteste le sport.
— Salut !
Je sursaute. Devant moi, est apparu un garçon brun déguisé en Faucheur.
— S-Salut ?
— Je peux m'asseoir ? demande-t-il, le regard sur la banquette.
— Euh... oui. Oui, bien sûr.
Mes mots sonnent faux. Ma voix est trop aiguë. Je suis quasi certain qu'il vient de la table à laquelle mon abruti de meilleur ami faisait des clins d'œil il y a encore quelques minutes et cette conviction, sans que je sache pourquoi, me rend nerveux.
— Je ne t'avais jamais vu ici avant et pourtant, je retiens plutôt bien les visages. Tu viens souvent ?
— Non, c'est la première fois.
— Bienvenue alors ! Tu ne devrais pas le regretter : l'ambiance est très cool.
Je hoche la tête et passe une main dans mes cheveux. Mon malaise ne se dissipe pas. Depuis l'arrivée du Faucheur, j'ai le visage crispé et je sens un picotement dans la nuque, comme si on me scrutait. Mon interlocuteur est pourtant complètement zen. Il sourit. C'est moi qui cloche. Comment suis-je censé me comporter avec lui ?
Je remarque ses lèvres en mouvement.
— Tu as dit quelque chose ? J-je réfléchissais et je n'ai pas entendu, désolé.
Il se met à rire.
— C'est pas grave de réfléchir. Je te demandais si tu avais un tour de karaoké.
— Ah... Non, je ne suis pas très chant.
— Peut-être une prochaine fois ?
— Peut-être.
Je prends une gorgée de bière. L'amertume de la boisson me détend un peu. Et peut-être que c'est son alcool qui me pousse à reprendre.
— Je peux te poser une question ?
Le Faucheur cligne des yeux, surpris.
— Naturellement.
— T-tu sais que je ne suis pas... ?
L'absurdité de ma phrase me saute au visage avant même que je ne trouve le courage de la finir.
— Gay ? Intéressé ?
Il s'esclaffe.
— Je te rassure : je l'avais deviné dès le début.
— Désolé.
Comment est-ce que je peux être aussi stupide ? Je fréquente Lukas depuis la maternelle, merde !
— T'inquiète, tu n'es pas le premier à sentir le besoin de le mentionner.
— Ce n'est pas vraiment une raison.
Parce qu'en plus, je me sens soulagé de l'avoir dit. Rassuré. Comme si la possibilité qu'il me drague représentait un danger. Ou qu'il était incapable de discuter normalement avec moi. Je suis franchement pathétique.
— Ça vient seulement d'un manque d'habitude, assure-t-il, ça passera. Mais comment se fait-il que tu aies atterri ici ?
— Lukas, le blond en face. Je pense qu'il a des pouvoirs magiques.
— Intéressant...
De l'autre côté, Lukas a capturé la main de Matt et en examine maintenant les phalanges avec minutie. Aucune idée de ce qu'il espère y trouver.
— Hey ! réapparaît Kwan. Je vois qu'on a gagné de la compagnie, c'est cool !
— Salut, répond le Faucheur en commençant à se lever. Désolé, je te rends ta place...
— T'embête pas, je vais prendre celle de Lukas. Il est sur le point de partir. N'est-ce pas, la diva ?
— De quoi ?
La voix a fusé.
— Tu m'as parlé, Kwan ?
— Ouais, on t'a trouvé un fan. Donne-moi ton siège.
— Que... ? Oh, enchanté ! J'adore ton déguisement !
— Merci, sourit l'étudiant.
Lukas cède sa place à Kwan mais lui agrippe le bras au passage.
— Je passe le prochain, Kwan. Le prochain ! Tu imagines ? Je suis tellement stressé !
— Étrange, ça ne se voit pas du tout... Qu'est-ce que tu chantes ?
Derrière eux, Matt tente de masquer son amusement.
— Journey. Separate Ways.
— Journey ? Tu trahis Queen pour du hard rock démodé ?
— Bien sûr que non ! Mais Journey est juste plus adapté à l'ambiance. Tu verras !
— Hmm.
Je jette un œil autour de nous. À droite, une zombie discute avec un vampire et une sorcière aux ongles rouges. À gauche, sous un voile de pseudo-toiles d'araignée, un couple s'embrasse goulûment. Pour moi, Queen était une valeur sûre, mais peut-être que le vieux tube de Lukas colle plus à l'atmosphère sans pression.
— Tu vas avoir droit à du grand art, annonce Kwan au Faucheur.
— Ah oui ? Arthur m'a déjà évoqué ses pouvoirs magiques. Mais il a l'air très électrique, il n'en fait pas trop sur scène ?
— Tes jugements n'ont pas l'air d'inspirer confiance, Kwan, s'amuse Matt.
— C'est le drame de ma vie.
L'étudiant fronce les sourcils.
— Donc il a raison ? Sur le grand art ?
— Oui, admet Matt. Lukas sur scène, c'est inclassable.
Le Faucheur se tourne vers moi et j'acquiesce à mon tour. Il détaille alors longuement notre chanteur au pied de l'estrade, piqué dans sa curiosité.
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