Chapitre 87


Samedi 28 octobre 19h 25

MATT – chanteur de SKIN


Dès que la musicienne au piano retire ses doigts du clavier, Lukas saute sur ses pieds pour applaudir. Le reste du petit comité l'imite, mais aucun d'entre nous n'atteint son enthousiasme. La danse joyeuse du dernier morceau l'a électrifiée.

Au piano, l'interprète a un sourire flatté et s'incline légèrement devant nous avant de refermer le couvercle du piano.

Quoi que nous avaient prédit Bec et son cynisme, j'ai beaucoup aimé l'audition. Les pianistes étaient des élèves de l'école, en majorité des enfants et des ados. Les plus jeunes, passés en premier, ne devaient pas avoir plus de six ou sept ans. Leurs pieds effleuraient tout juste les pédales du piano à queue démesuré sur lequel leurs petites mains enchaînaient avec application.

— Tu devais être trop mignonne quand tu as commencé la guitare, ai-je soufflé à Skinny.

— Peut-être. Mais je crois que je n'avais pas autant d'allure, a-t-elle souri en regardant une fillette au dos parfaitement vertical.

Des collégiens et des lycéens ont pris le relais du passage et le mini concert s'est terminé avec quelques étudiants. Une partie des enfants du début et de leurs parents étaient déjà partis et nous n'étions plus qu'un public réduit, mais c'est la partie que j'ai préférée.

Je n'ai pas de formation en musique classique. Je possédais des bases de chant mais j'ai commencé le solfège seulement après avoir rejoint SKIN. Aujourd'hui, mes capacités techniques se limitent au déchiffrage d'une partition. En comparaison, Hadrien avait déjà sept ans de piano quand il a débuté la batterie. Il se frottait aux pièces du Répertoire quand j'aurais été incapable de jouer deux notes de La Lettre à Élise sur un clavier. En classique, je ne suis rien de plus qu'un amateur.

La dernière musicienne à jouer — celle qui vient de terminer — s'est présentée comme une ancienne élève de l'école, maintenant au conservatoire. Dans sa façon de s'asseoir, il émanait déjà d'elle quelque chose de différent. Ses pieds étaient ancrés au sol. Ses hanches, ses coudes et ses épaules formaient une ligne perpendiculaire à la queue du piano. Elle avait l'air posé.

Quand elle a commencé à jouer, la pièce a changé d'atmosphère. Il n'y avait plus qu'une vingtaine de personnes dans le public, nous cinq compris, et elle nous a tous emportés dans son morceau énergique. L'agilité de ses doigts sur les touches noires et blanches nous promenait. On vibrait sur les trilles de sa danse. Impossible de rester immobile. Au minimum, on balançait la tête en cadence.

— Tu as remarqué la virtuosité de sa main droite ? Et les écarts que faisait la gauche ? me demande Skinny alors qu'on descend les escaliers pour sortir. Il y avait des sauts d'intervalles énormes. Son morceau était très technique et elle l'a déroulé comme ça, en toute simplicité. Je comprends sa place au Conservatoire.

C'est rare d'entendre Skinny aussi enthousiaste.

— Et elle jouait sans partition.

— Aussi. Souvent à ce niveau, c'est le cas... J'aurais aimé qu'Hadrien vienne pour entendre son avis.

J'acquiesce et tire la porte principale. À l'extérieur, la nuit est maintenant complètement tombée. Je remonte mon col.

— Brr, frissonne Arthur, ça caille.

Kwan enfonce ses mains dans ses poches.

— Ouais. Les nuits chaudes de Paname, c'est du pipeau.

— Lukas, attention ! préviens-je.

Alors qu'on s'est tacitement arrêtés, le chanteur, perdu dans son monde, a continué tout droit sans un regard pour les phares de la route.

Kwan est le plus proche à réagir. Il attrape la manche de Lukas et le ramène parmi nous d'un geste sec.

— On va essayer de te garder en vie si ça ne te gêne pas, le blond.

Il baisse les yeux, penaud.

— On fait quoi maintenant ? demande Arthur. Vous aviez des plans ?

— Aucun.

— On pourrait se trouver un endroit où manger, je suggère. Il doit y avoir plein de restos sympas dans le coin.

— Le plan bouffe me dit bien, dit Kwan.

— Eh, on pourrait aller dans un karaoké !

— Un karaoké ? Sérieusement, Lukas ?

— Mais, oui ! Dans un karaoké, on pourra manger et être au chaud tous ensemble. Moi, j'aimerais bien chanter aussi, mais vous n'êtes pas obligés de prendre le micro.

— C'est vrai que tu manques d'occasions de chanter ces jours-ci... Les autres, toujours ok ?

Je hoche la tête. L'ambiance doit être cool dans ce genre d'endroit.

À ma droite, Skinny fait non de la tête.

— Désolée, mais je préfère rentrer à l'hôtel.

— Pas de problèmes.

— Pour ma part, je ne sais pas trop, hésite Arthur. Vous comptez rentrer tard ?

— Qu'est-ce que ça change ?

— J'ai accepté d'aller nager avec Hadrien demain matin.

— Wow, c'est courageux ça. Il t'a donné rendez-vous à six heures tapantes ?

Apparemment, la réputation d'Hadrien n'est plus à faire.

— Non, neuf heures dans le hall. Mais je n'ai pas envie d'arriver crevé.

— Je rentrerai pour minuit max, déclaré-je. On pourra rentrer ensemble si tu veux.

Il paraît rassuré.

— Ça me va. Ok pour venir dans ce cas.

— Tu as de la chance Lukas, constate Kwan. Avec la majorité d'Arthur pour se soûler, on va pouvoir jouer les fans en délire ce soir ! 

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