Chapitre 84


Vendredi 27 octobre 23h 47

SKINNY – guitariste de SKIN


Une araignée de la taille de mon ongle se faufile sous le papier peint décollé. Les petites pattes frêles en partie dissimulées par la tapisserie mais agrandies par le jeu d'ombres et lumières s'agitent et se précipitent toujours plus haut vers le plafond. Dans le coin de la chambre le plus proche, une toile empoussiérée zèbre le mur. L'araignée sera à la maison dans quelques secondes.

— Qu'est-ce que tu regardes ? lance Ju depuis l'autre côté de la pièce lit.

Je secoue la tête.

— Rien.

Comme promis, le dîner préparé par ma demi-sœur nous a régalées. Juliette aime manger. Elle n'est pas gloutonne et elle ne dévore pas de quantité astronomique de nourriture, mais face à un plat, elle possède ce regard subjugué des gens qui savourent leur assiette, qui se délectent à chaque bouchée et dont la fourchette enchaîne les plongées avec plaisir. Des réactions diamétralement opposées aux miennes et qui me laissent rêveuse.

— Ah si, je sais, dit-elle en s'allongeant sur le lit à côté de moi.

— Quoi ?

— L'araignée. C'était elle que tu regardais.

J'acquiesce. J'ai perdu l'animal dans la pénombre, mais Ju connaît les pensionnaires de sa chambre.

— Je suis trop forte. Et maintenant, admire ma mémoire : un des membres de ton groupe déteste les araignées. Pas vrai ?

Ju parle beaucoup. En seulement quelques heures, elle a balayé le sujet de ses études, de ses ambitions pour les concours à venir, de la montagne de travail quotidien que ça lui demande, de l'arrêt de bus où elle frissonne le matin, des touristes perdus dans leur quête de château royal qu'elle croise à la pause de midi. Mais, elle pose aussi beaucoup de questions. Elle s'intéresse à tous les détails de mon quotidien et du groupe. Pourtant, je n'ai pas son talent pour raconter des histoires.

— Gwen en a une peur bleue, oui.

— Voilà. Et Gwendal, c'est le frère d'Arthur. Arthur que j'ai vu à la gare.

— Oui.

— Yeah, sans-faute ! Je suis la belle-sœur parfaite !

Je pouffe, les yeux au plafond. Je feins la décontraction. Au prénom d'Arthur, les questions que j'avais réussi à endormir se sont réveillées.

Arthur. Est-ce que son nom sonne différemment ? Est-ce que, comme ma demi-sœur l'a sous-entendu, je me comporte d'une façon particulière avec le guitariste ? Bien sûr, j'ai de l'affection pour lui. Il est fiable et généreux. Et que nous partagions le même instrument facilite les interactions. Mais est-ce que ça suffit à tout justifier ?

— Ju ?

— Mmh ?

— Si... si peut-être qu'il y avait quelque chose, qu'est-ce que je devrais faire ?

— Euh, tu peux me replacer le contexte ?

— Pardon. C'est à propos d'Arthur. Si je...

Elle se redresse aussitôt sur son coude.

— Tu as des sentiments pour lui ?

Je rougis et même la faiblesse de l'éclairage ne peut me sauver.

— Je... je n'irais pas jusqu'à dire ça mais... Mais, je crois que je me sens bien avec lui.

— Bien ? Comment ça, bien ? Mieux qu'avec Matt ?

— Non. Enfin, c'est différent. Ni mieux, ni moins bien, mais différent. Arthur est différent des autres.

— Explique.

Je cherche les mots justes.

— Je... je vis entourée de gens qui m'impressionnent. De personnes qui restent sereines et gardent confiance même lorsqu'elles souffrent ou qu'elles doutent. Mes proches avancent. Et c'est une chance, vraiment, je suis reconnaissante de bénéficier de leur force, d'avoir leur exemple. Mais, parfois, j'ai envie de voir quelqu'un qui peut vaciller et se perdre aussi. Quelqu'un qui ressent ce que les autres ne font que deviner. Tu comprends ?

— Je crois. C'est vrai qu'on a parfois besoin de quelqu'un qui nous ressemble plus.

Elle se gratte le nez.

— Quand tu parles de ton entourage qui t'impressionne, j'en fais partie ?

— Bien sûr.

— Oh... Toi aussi, tu fais une excellente belle-sœur, me chuchote-elle alors que je rougis. Tu es juste adorable.

Froissement de draps.

— Mais revenons aux choses sérieuses : vous discutiez de quoi avec Arthur à la gare ?

— De tout et rien. Je lui parlais de toi. De mon père. De comment on s'était rencontrées.

— Et il ne s'est pas barré en courant ? rit-elle. Garde-le précieusement.

Le doute s'installe.

— C'est vrai. Je n'aurais pas dû le déranger avec ça.

— Eh, je plaisantais juste, Marie-chérie !

Elle se serre contre moi.

— Écoute, moi j'ai senti qu'il y pouvait avoir quelque chose sans même que tu m'en parles, pas vrai ? En plus, il a l'air bien comme garçon, tu ne risques bien à le connaître davantage, ok ?

— Ok. Merci Ju.

— Pas de quoi. Et dans le pire des cas, je reste à ta disposition pour lui jeter tous les sorts que tu veux.

Je souris. Risquer d'échouer est toujours moins terrifiant quand on a la certitude qu'on ne sera pas seul.

— Mais... hésité-je, qu'est-ce que je suis censée faire maintenant ? Si je veux en savoir plus ?

— Tu poursuis votre conversation. Vu comment il t'écoutait avec dévotion, il veut connaître la suite, crois-moi.

— Il la connaît la suite. Tout le monde la connaît.

— Pas celle-là. Pas celle où il apparaîtra.


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Prenez soin de vous  🖤

Anne

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