Chapitre 76 - Partie 2
Suite - KWAN, bassiste de Sweet Poison
AC s'enfonce dans son fauteuil et commence :
— Je suis arrivée chez Great Wave il y a un peu plus de deux ans, juste après mon diplôme. Mes études venaient de se finir sur un stage à Londres absolument génial et j'étais rentrée sur Paris pour trouver un premier emploi. Comme tous ceux de ma promo, je commençais à candidater dans différentes salles de concert et entreprises du milieu, il y avait notamment un poste chez Sony qui me faisait rêver. Mais là, en plein mois d'août, je reçois un appel complètement ahurissant.
— Le label ?
— Bingo. Je n'avais jamais entendu parler de Great Wave, mais son patron au bout du fil était en train de me proposer un temps plein afin de compléter son tandem d'ingénieurs et assurer la continuité de la ligne quand la séniore en poste prendrait sa retraite. Le tout pour un salaire très correct avec en plus les tickets-restos reversables sous forme de primes et la possibilité de louer un logement de fonction en dépannage. Pour résumer, l'offre d'emploi idéale me tombait du ciel.
— Ça ne t'a pas paru louche ?
Pour ma part, si un homme de plus de cinquante ans me proposait de l'argent et un appartement, je me poserais de sérieuses questions.
— Oh que si, rassure-toi. Rien qu'à la voix, j'imaginais un mac ou un mafieux. D'ailleurs, quand on le voit à quoi il ressemble, on ne peut pas dire que je me sois vraiment plantée.
Je ris.
— Je crois que tout le monde le voit comme ça.
— Je crois aussi. Et je suis persuadée qu'il adore ça, mais je n'ai pas encore réussi à lui faire cracher le morceau...
Elle se frotte le menton, songeuse avant de se reprendre :
— Mais ce n'est pas le sujet. Une fois le choc de l'appel passé, je lui ai demandé beaucoup d'informations, entre autres s'il attendait des choses particulières de ma part et par quel moyen il comptait me payer. Ma méfiance l'a beaucoup fait rigolé. Cependant, il m'a fourni toute la paperasse officielle, m'a présenté la comptabilité de Wave et a même été jusqu'à me faire parvenir un extrait de son casier judiciaire pour me prouver qu'il n'était pas un délinquant.
— Ah oui, quand même, pouffé-je.
— Je sais. Mais ça m'a rassurée. Ma dernière vérification a été de me pointer à l'improviste pour observer. C'était déjà Jimmy à la réception et on a longuement discuté. Il est incapable de mentir et il m'a convaincue que si c'était bizarre, ce n'était pas louche. Une petite entreprise ne dispose pas de moyens illimités. Qu'elle paye correctement ses employés est une preuve de respect envers eux.
— Et c'est pour ça que tu as signé ?
— Oui. Bon par honnêteté, je dois ajouter que j'ai d'abord eu une période d'essai avec un salaire moins intéressant — le patron reste le patron —, mais j'ai pris le poste pour des raisons humaines.
Je digère toutes ces informations. AC parle vite et même en ayant côtoyé Lukas, ça fait beaucoup d'un coup.
— Ok, tu as décroché le contrat en or, récapitulé-je. Mais, sans vouloir te vexer, qu'est-ce que tu avais de si particulier ? Et comment il a eu tes coordonnées si tu n'as pas postulé ?
Elle me sourit. Apparemment, c'était la bonne question à poser.
— Pour ce qui est de mon téléphone, il l'a trouvée sur LinkedIn. Mon profil était à jour. En revanche, je lui ai demandé la même chose que toi : « Pourquoi se donner autant de mal pour moi ? »
— Et ?
— Il m'a regardé droit dans les yeux et a déclaré : « Anne-Caroline, dans le monde de la musique, si tu n'es pas musicien, il te faut du pognon ou des intuitions. Toi, tu es venue pour le pognon et moi je t'ai fait venir par intuition. » Le patron a bossé vingt ans chez Galaxy avant de claquer la porte et de monter cette entreprise. Parvenir à créer un label et lui faire passer le seuil de rentabilité à notre époque où leur rôle devient de plus en plus mineur, ce n'est pas une mince affaire. Il bluffait sans doute avec sa phrase de mafieux, mais ça m'a convaincue qu'il connaissait assez de ficelles et j'ai accepté.
— Galaxy ? répété-je. Il a bossé chez Galaxy ?
Le patron avait besoin d'une ingé-son et AC lui a tapé dans l'œil, ok. Il a des méthodes de recrutement particulièrement tordues mais ok. Le label respecte l'humain et ne devrait pas trafiquer notre musique en douce, ok. En revanche, je n'aime pas du tout cette coïncidence.
— Oui.
— Et ça s'est mal terminé ?
— Plutôt, oui. De ce que j'ai appris par des camarades de promo qui travaillent là-bas, il appartenait au comité de direction mais il s'est violemment disputé avec le président. Des scènes d'insultes monumentales selon la rumeur. Mais quand on connaît le patron, ce n'est pas difficile à imaginer.
J'opine. Notre fier patron qui s'emporte est bien le seul point logique de tout ce bazar.
— Donc il ne supporte pas Galaxy et ses dirigeants.
— C'est peu de le dire.
— Mais SKIN fait partie de Decibel donc de Galaxy et nous, nous sommes ici. Ce n'est pas un hasard, n'est-ce pas ?
Pour la première fois depuis qu'on a commencé notre discussion, AC évite mon regard.
— Tu sais quelque chose, affirmé-je.
— Pas avec certitude, non.
— AC, insisté-je, tu sais pourquoi je suis resté ce soir. Je ne suis pas sûr de tout piger de la situation, mais nous faire des cachotteries ne va pas rétablir la confiance.
Elle mord sa lèvre colorée et un ange passe. Je garde une expression la plus ferme possible jusqu'à ce qu'elle capitule.
— Ok, lâche-t-elle, mais c'est juste ma théorie. D'accord ?
— D'accord.
— En vingt ans chez Galaxy, le patron a pu développer des contacts. Des contacts du milieu qui servent évidemment pour aider les artistes du label et nous promouvoir, mais il y a aussi des contacts avec des activités plus... inhabituelles.
— C'est-à-dire ?
— Le patron paye des gens qui lui rapportent des informations, plein d'informations notamment sur Galaxy. Je... je pense qu'entre autres, il connaît tous les artistes qu'envisagent de signer Decibel.
— Mais nous n'étions pas dans leur liste. On n'a jamais eu de réponse de leur part.
— Non, pas vous. SKIN.
La grande « coïncidence » vient du Patron. Je ne le sens pas du tout.
— Ma théorie, continue-t-elle, c'est que le patron a su pour SKIN et que quelqu'un d'autre lui a parlé de votre lien avec eux. Ou alors, il l'a découvert tout seul grâce à votre candidature. Je ne sais pas. Mais il a découvert SKIN, le groupe d'ados un peu émos dans leur peau mais très sages. Impeccable pour Decibel. Sauf que qui trouve-t-on dans le même coin ? Leur antithèse. Un groupe du même âge qui connaît très bien les prochaines coqueluches de Galaxy, mais qui peut faire des vagues dans une mare : Sweet Poison. Un caillou dans la machine bien huilée. De l'or en barre pour lui.
J'ai envie de vomir.
C'est ça l'humanisme du patron ? Nous engager comme rebel kids ? On a gagné un contrat avec un label parce que SKIN a été repéré par une major. Notre musique ? Aucun intérêt. Seuls les provocations de Bec, l'exubérance de Lukas et l'aspect irréprochable des membres de SKIN sont valables. Arthur et moi ? Des figurants. Notre passion pour la musique, pour la scène, nos années d'apprentissage, nos heures d'entraînement, de compo, nos soirées passées à répéter, tout ça, ça ne vaut rien. Les autres vont adorer mon compte-rendu.
— Merde, jure AC en voyant mon expression, tu n'étais pas censé le prendre comme ça. Ce n'est qu'un détail, Kwan. Ne va pas croire que c'est la raison pour laquelle vous êtes ici.
Vu la dent du patron contre Galaxy et Decibel, j'ai quand même un doute.
AC attrape mon poignet pour me forcer à la regarder.
— Écoute, reprend-elle, s'il n'avait pas senti de potentiel musical en vous, le boss ne vous aurait jamais recruté. Et je suis sincère quand je dis que j'aime votre musique. Je te le jure.
— Mmh.
Je sais qu'elle pense ce qu'elle dit et qu'elle veut me réconforter, mais avec le coup de massue qu'elle m'a assené juste avant, c'est aussi efficace qu'un sparadrap sur une amputation. Je reste bloqué sur le fait qu'on a eu un contrat pour s'opposer à SKIN. Qu'on a été engagé juste parce qu'on connait SKIN.
— Bon ok, je change de tactique, décide AC.
Quand elle se redresse, je crains un instant que ce changement implique une gifle pour me secouer, mais elle consulte seulement le calendrier de son téléphone.
— Vous rentrez directement mardi soir ?
— Notre train part vers dix-neuf heures.
— Donc c'est mort. Et lundi soir, tu as quelque chose de prévu ?
— Je ne crois pas. Pourquoi ?
— Je sais que tu es déçu et je m'en veux d'avoir laissé entendre que le label vous a recrutés pour autre chose que vous-mêmes. Ce n'est pas comme ça que ça se passe ici. Le patron voit les gens derrière les employés. Et comme je peux te le prouver, je vais le faire. Parce qu'il n'y a pas que le salaire d'intéressant sur mon contrat.
— Ah.
J'aime beaucoup AC, mais si elle pouvait répondre aux questions au lieu d'en créer de nouvelles, ce serait fantastique.
— Je n'ai pas le temps ce soir, mais lundi après le boulot, je t'offre un verre.
Mes yeux s'écarquillent.
— Lundi ?
— Oui.
Je réfléchis un instant. On n'a rien de prévu lundi et je ne vois pas en quoi ça gênerait les autres membres.
— Ok. Je viendrai.
AC sourit, comme soulagée de voir que je ne lui en veux pas après ses révélations.
— Perfect !
Bilan de cette missiond'espionnage : j'ai découvert toutes les magouilles du Patron pour fairede nous l'anti-SKIN et prendre sa revanche de Galaxy et j'ai décroché unpseudo-rencard chez AC. Mes excuses à Mamie Genêt, je risque demonopoliser l'attention ce soir.
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Deuxième semaine et je suis déjà en retard pour poster, je suis désolée.
Bon en vrai, j'ai bien quelques excuses, mais j'aurais quand même pu me débrouiller un peu mieux. 😅 Bref, j'espère que ce chapitre vous aura plu.
Prenez soin de vous 🖤
Anne
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