Chapitre 68 : Rendez-vous et Roses
Mardi 21 octobre 12h 13
REBECCA - batteuse de Sweet Poison
Je baille longuement. Ma partie est enregistrée depuis plus d'une heure et écouter Arthur répéter la sienne m'ennuie profondément. En plus, j'ai faim. Le petit-déjeuner de l'hôtel n'est pas très copieux.
Même pas possible de discuter : Kwan monopolise AC en la bombardant de questions sur son boulot auxquelles notre ingénieure du son est ravie de répondre et elle lui explique toutes les subtilités de ses actions. Une purge. De son côté, Lukas il écoute attentivement, et, pour une fois qu'il la ferme, on va éviter de réveiller la bête.
Je soupire. Heureusement que j'ai prévu un truc un peu plus fun pour ce midi.
— Amazing Arthur ! déclare AC dans le micro. Je considère qu'on est bon là-dessus, on va pouvoir faire la pause-dej.
Arthur a joué de la gratte, ce qui est son job en tant que guitariste. Je ne vois pas en quoi c'est « amazing » mais passons.
Une fois qu'il est revenu de notre côté, j'attrape mon blouson et déclare :
— Je me tire.
Kwan fronce les sourcils.
— Tu ne manges pas avec nous ?
— Bah non. Si je te dis que je me casse, c'est pas pour t'expliquer que je reste.
— Qu'est-ce que tu as de prévu ?
— J'ai un date Tinder.
— Pardon ? s'étouffe Arthur.
Ils le font exprès, tous ?
— Tinder, l'appli de rencontres. Tu ne connais pas ?
Remarquez, vu le romantisme de mon guitariste, ça ne m'étonnerait pas qu'il utilise les signaux de fumée.
— Si, si je connais. C'est jusque... ça fait seulement deux jours qu'on est à Paris.
— Et ?
Il ne répond rien, mais Kwan commence à rire.
— C'est quoi ton plan ? Tu comptes tirer un coup entre midi et deux ?
— M'étonnerait que j'ai autant de chance. Mais puisqu'on reste jusqu'à la semaine prochaine, on pourra essayer de se revoir s'il est pas trop chiant.
Arthur serre les dents. Bizarrement, il n'a pas l'air super heureux pour moi.
— Ne sois pas en retard pour la reprise, prévient-il.
— On enregistre Kwan si mes souvenirs sont bons. Je ne crois pas qu'il ait besoin de mon coaching pour jouer.
— Non, confirme l'intéressé. C'est même sans doute mieux sans.
— Ça m'est égal, tranche Arthur, tu es là à l'heure, comme nous tous.
Il est chou le lover quand il joue les autoritaires.
— Ou bien ? je le titille.
— Tu payes double loyer pour le local ce mois-ci.
Mmh, ça c'est culotté. Surtout alors que notre local adoré ne sert à personne cette semaine.
— Ok, marché conclu. De toute façon, mon date a dix-huit, donc en cas de coït, même en étant large sur les préliminaires, ça ne dépassera pas le quart d'heure.
Arthur détourne aussitôt le regard, les joues rouges. Ça lui apprendra à m'embêter.
— O... Ok.
— Bon appétit, me souhaite Lukas.
— Bon ap' !
— Bien joué quand même, souffle Kwan à Arthur sans penser que je peux l'entendre.
Sont cons parfois, mes musiciens.
Mon trajet à travers la capitale s'effectue à pied mais je me plante de rue et arrive devant le resto avec deux minutes de retard sur l'heure fixée. J'espère que Corentin — nom de mon date — n'est pas obsédé par la politesse. De nos rapides échanges, il avait l'air cool, mais même Blondie sait taper des sms.
Je rentre dans L'Adresse, le brasserie qu'il a choisie. « Je porte des lunettes rectangulaires et noires » m'a indiqué le don Juan. Dans le genre flou, c'est quand même pas mal.
L'endroit, comme l'a décrit AC et tous ses termes anglais, est cosy. Les banquettes matelassées en vert rappellent aux films d'entre-guerre, mais semblent confortables. Je pose la main sur mon écharpe bicolore — mon propre signe distinctif.
— Bec' ?!
La voix est surprise. Très surprise. Et beaucoup, beaucoup trop familière.
Je me retourne.
— Putain, François ?!
Il porte des carreaux rectangulaires.
Les bras m'en tombent. De tous les mecs de l'Univers, il a fallu que mon match soit le délégué de la classe d'Arthur. Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?
— Alors, euh, c'est toi ; Rebecca ?
Il a mis une chemise blanche sous une veste noire. Manque plus que la cravate et je l'envoie aux Grammys. En plus, il a amené des fleurs. Romantique à crever. Quoiqu'il arrive, c'est râpé pour la partie de jambes en l'air sur la pause déj'.
— Sans dec' ? Bien sûr que c'est moi, abruti. Pourquoi tu m'as matchée ? Tu es stupide ou bien ? En plus, c'était noté Corentin, 18 ans. Depuis quand tu es majeur et depuis quand tu ne t'appelles plus François, imbécile ?
— C'est.. C'est mon cousin. C'est lui Corentin et... c'est lui son compte. Enfin, c'est son compte. Je loge chez lui cette semaine, et vu que tu sais, j'ai rompu avec Lilia il y a trois semaines, et c'est un peu dur, alors, il m'a dit qu'il s'occupait de tout pour ... pour me changer les idées. Je suis pas trop connaisseur de l'appli à la base et donc c'est lui qui s'est chargé de te... trouver.
Non, je savais pas qu'il avait rompu avec Lilia. Camille me l'a sans doute mentionné mais je n'en avais rien à cirer à ce moment-là et c'est toujours le cas. Par contre, son abruti de cousin qui me le refile, ça, j'aurais préféré en être informée avant. Quelque part dans l'Internet, l'algorithme Tinder doit se bidonner.
— Fantastique. Bon, eh bien, comme ça, tu sais déjà que tu dois m'appeler Bec' et pas Rebecca, on va gagner du temps.
— Désolé, je...
— Et toi ? Je t'appelle comment du coup ? François ? Corentin ? Pierre-Alexandre de la Baronnie ?
Un serveur à la tête trop petite pour son corps nous aborde avant qu'il n'ait le temps de répondre.
— Messieurs, dames, vous souhaitez déjeuner ?
— Oui.
— Non.
Embarrassé d'être tombé sur le « couple » en pleine dispute, le serveur change de pied d'appui.
— Il faut que je mange François. Tant qu'à être là, autant y rester.
— Mais je croyais que...
— Que ?
Je ne suis déjà pas spécialement patiente en temps normal, alors après ce coup foireux, je lui déconseille de me chercher.
— Non, rien. Pas de soucis, si tu veux rester. On veut bien une table, sourit-il au serveur.
Celui-ci hoche la tête, rassuré de la conclusion. À mon avis, il va faire exprès de nous installer dans la zone d'un de ses collègues.
— Plutôt à l'intérieur ? Ou vous préférez la terrasse ?
— Vous avez vu la température ? On est bretons pas russes.
François a un regard d'excuse. On dirait un gentleman qui promène un chien enragé.
— Je vous installe tout de suite.
Le serveur n'est même pas rancunier : il nous conduit à l'étage, près de la fenêtre d'où la vue est plutôt sympa. C'est beau tant d'abnégation.
François s'assied face à moi, pas spécialement à l'aise. Si de l'extérieur, on pourrait passer pour un couple venu profiter d'un bon déjeuner, en se rapprochant de la table, la tête du délégué indique clairement qu'on est plutôt adepte d'un type particulier de relation.
— Au fait, les fleurs sont pour toi, du coup.
Il me tend le bouquet, mais je secoue la tête.
— Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Je bosse et je suis à l'hôtel toute la semaine. Garde-les, elles feront mieux chez ton cher cousin et ses plans débiles.
Penaud, il repose ses fleurs colorées et essuie ses paumes sur ses cuisses.
— Désolé, pour tout ça. Je ne pensais pas que tu souhaiterais rester déjeuner avec moi. Mais c'est gentil.
— Tu n'as pas la gale François. Et ta conversation ne peut pas être plus pénible que celle de Lukas.
— Ah... merci ? répond-il sans trop voir sur quoi enchaîner.
Je sens que ce déjeuner va être très très long.
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Coucou à tous !
J'espère que vous allez bien :) Voilà pour ce chapitre tout en légèreté que je me suis beaucoup amusée à écrire (désolée François). J'espère qu'il vous aura plu.
Prenez soin de vous,
Anne
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