Chapitre 67 : Silence et Réunion
Mardi 21 octobre 9h 00
ARTHUR - guitariste de Sweet Poison
Après la leçon magistrale de Lukas à Bec', la soirée s'est déroulée dans une étrange ambiance. Kwan et moi étions à la fois choqués et déconcertés. Jamais personne n'avait cloué le bec à Bec'. Jamais Lukas ne s'était violemment énervé. Plongés dans leurs réflexions, aucun des deux belligérants n'a plus adressé la parole à quiconque du reste de la journée.
Les membres de SKIN étaient rentrés à l'hôtel avant nous et on a mangé tous ensemble sur la grande table du restaurant interne sans vraiment discuter les uns avec les autres. Le silence inhabituel de Lukas et Bec' rendait le repas sordide. Kwan a discuté un peu de l'enregistrement avec Matt mais sans plus. La journée avait été éprouvante pour tout le monde. Après le dîner, Gwen s'est chargé de donner des nouvelles aux parents et à Mamie pendant que je me douchais puis on s'est couché rapidement, vannés.
Heureusement, la nuit a été réparatrice pour tout le monde. Lukas a retrouvé son énergie débridée et Bec' sa morgue. Pour preuves : la maladresse du premier a déjà renversé la plante verte à l'entrée des bureaux du label et la seconde a fait semblant de vomir face à un couple qui s'embrassait dans la rue. Bref, tout va mieux.
Ce matin, de nouveau, le patron de Great Waves s'étonne de nous voir arrivés à l'heure prévue. Accoudé sur le bureau de Jimmy, l'assistant-secrétaire, il marmonne :
— Je savais qu'ils avaient un truc en plus, mais j'avais jamais envisagé que ce serait la ponctualité.
Sans la protection d'AC qui est invisible pour le moment, le timide Jimmy n'ose rien répondre. Son boss s'éclaircit la gorge et frotte ses mains.
— Mais c'est bien, c'est bien... Bon qu'est-ce qu'elle fiche l'énergumène aux cheveux multicolores ?
— Elle... elle commence plus tard le mar.. mardi, bégaye Jimmy.
Le patron de Great Waves éponge son front et pousse un soupir.
— Ah oui, j'avais oublié.
Ses doigts tapotent le métal du bureau.
— Bon, c'est pas grave. Tu n'as qu'à prendre sa place.
— M... Mais, je n.. ne suis p... pas...
— Tu prends juste des notes pour qu'elle nous rattrape en arrivant. Pas besoin d'un diplôme d'ingénieur pour ça. Tu feras aussi bien – voire – mieux qu'elle. Allez, on y va !
Jimmy, qui n'a guère le choix, se lève de son comptoir. Le patron nous guide dans une salle de réunions aux dimensions disproportionnées pour six personnes, et nous y abandonne pour aller chercher « son Ipad et un bloc notes ».
Jimmy tire la chaise à côté de celle où le patron a laissé sa veste. Par instinct, avec Sweet Poison, nous nous asseyons de l'autre côté. Le laisser seul face à nous, donne la sensation qu'il est sur le point d'être jugé en cour pénale. D'ailleurs, toujours aussi timide, il n'ose pas nous regarder et il doit se retenir de respirer tant il est silencieux.
— Tu travailles pour le label depuis longtemps ? lui demande Lukas d'une voix fluette.
— Un... un an.
Bec' croise les jambes.
— Tu es vraiment obligé de lui faire la conversation ?
— Ta gueule Bec', réplique Kwan par réflexe.
Je soupire. Il n'est que neuf heures du mat', je le rappelle.
— Ne t'occupe pas d'eux, conseillé-je avec un regard d'excuse.
Jimmy tente un petit sourire compatissant, tandis que Kwan me corrige.
— En fait si, tu peux parler au blond si tu es capable d'endurer son débit de paroles, mais évite Bec', elle a tendance à oublier la politesse. D'ailleurs, ma grosse, on connaît Jimmy seulement depuis hier, et tu es déjà infecte avec lui, c'est quand même incroyable.
Bec' lui répond par un doigt d'honneur, et je me retiens de cacher mon visage dans mes mains de honte.
— N...ne vous inquiétez pas pour moi, assure Jimmy.
Lukas lui sourit avec gentillesse.
— On sait qu'on n'est pas facile, désolé.
Voyant notre batteuse prête à faire une remarque, je lève rapidement la main pour la couper et laisse Jimmy répondre.
— J'ai... j'ai le privilège d'écouter de la musique toute la journée. Et de r... rencontrer d... des artistes. Donc ça va, conclut-il.
Il est beaucoup trop complaisant, mais avant que je ne puisse ajouter quelque chose, la porte s'ouvre dans un grand battement et deux personnes entrent.
— Salut la jeunesse ! Bonjour Jimmy ! lance AC.
— J'ai trouvé « ça » dans le couloir, informe le patron.
Rancunière, AC lui tire la langue dès qu'il a le tourné.
— Il n'y avait quasiment personne ce matin, explique-t-elle à Jimmy en s'asseyant. Nobody ! Du coup, c'était super rapide, le bonheur. J'adorerais ça se passe comme ça tout le temps...
— AC, apostrophe le patron, tu raconteras ta vie une autre fois. Je veux un bilan de l'enregistrement d'hier. Jimmy, tu prends des notes. Ton écriture peut pas être pire que celle d'AC.
L'ingénieure-son prend la parole :
— RAS. Ils ont été parfaits, et malgré le retard sur la disponibilité du studio...
Regard appuyé à son patron qui fait semblant de rien.
— ... on a enregistré tout ce qu'il fallait pour le premier titre.
— Bien. Donc tenir le planning est jouable, c'est bien ça ?
— C'est ça.
Elle replace la chaînette de ses boucles d'oreilles et continue son exposé.
— Je vais même commencer le mixage dès jeudi si je vois qu'on a de l'avance. Ce sera plus simple pour eux ; ils verront les premiers résultats dès lundi et on pourra ajuster en fonction de.
— Impeccable, approuve-t-il, les mains jointes sur son ventre. Et côté son, tu gardes toujours la même opinion ?
— Musicalement, c'est très fidèle à ce qu'on a entendu. En tant que remarque personnelle, j'ajouterais que c'est ma came. C'est énergique, ça s'infiltre partout, impossible de passer à côté. Mon impression n'a pas changé depuis l'écoute de la maquette.
— Bien, c'est une bonne nouvelle. Tu penses que tu auras une énergie similaire à celle des lives ?
— Les vidéos ? Vous parlez des vidéos de nos scènes ? interrompt Lukas, les yeux brillants.
AC lui sourit, attendri par son excitation.
— Yep. On les a tous vus. Et oui boss, on a enregistré dans cette optique.
— Parfait.
Je sais qu'elle est probablement idiote mais une question me vient. Me redressant, je me lance :
— Et toi, Jimmy ? Vu que tu nous as entendus, tu en as pensé quoi ?
Il semble surpris que je me souvienne de sa présence, comme si lui-même l'avait oubliée. Son stylo se lève, et après une brève hésitation, il me répond.
— J'ai bien aimé. C'est très fort. Et... et les vidéos, je pense que vous serez très bon en live.
Le patron hoche la tête.
— Jimmy n'est pas forcément votre cœur de cible et il n'est pas formé dans le domaine. Mais, tout retour positif est bon à prendre.
Plus que satisfait, le patron se frotte les mains, ses bagues tintant les uns contre les autres et reporte son attention sur notre groupe. Il nous regarde avec gourmandise.
— J'ai un très bon pressentiment concernant vous quatre. Vous êtes un pari à grosse côte, mais il y a un grain de folie chez vous, qui vous place en excellent outsider.
AC ne conteste pas et aucun d'entre nous ne se sent légitime pour intervenir.
— Mais nous avons encore du travail avant de voir tout ça. Pour l'heure, la réunion est terminée. Jimmy, passe dans mon bureau, il faut que je te passe le dossier pour les dépôts légaux.
Le brun hoche la tête. Contrairement à nous, il semble savoir de quoi, il s'agit.
AC se lève.
— On y retourne nous ?
— Ouii ! s'exclame Lukas en sautant sur ses pieds.
La jeune femme aux cheveux violets rit.
— Si tu savais comme j'aime cette enthousiasme !
— Je te le loue à pas cher, propose Bec'.
Sa remarque lui rapporte une tape sur l'arrière du crâne de la part de Kwan.
— Prépare-toi à jouer au lieu de dire des âneries, ajouté-je.
— Eh ! J'avais un moyen qu'on se fasse du blé ET qu'on gagne la paix, mais c'est comme vous voulez, hein.
AC nous jette un regard par-dessus son épaule tatouée et sourit, comme attendrie par la drôle de bande dont elle s'occupe. Si elle savait...
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