Chapitre 65 :

Lundi 20 Octobre 14h44
HADRIEN - batteur de SKIN

Vers treize heures, ainsi que l'avait annoncé Zahia ce matin, l'ingénieur du son est arrivé. Quadragénaire tranquille avec un début de calvitie, Bernard, de son prénom, a tout de suite plu à Gwendal ce qui est un signe non-négligeable d'une tendance à la décontraction.

Nous avons commencé par un filage en groupe afin d'avoir des pistes audio sur lesquelles chaque instrument pourra s'enregistrer séparément. L'entraînement de ce matin avait évacué notre tension et ça n'a nécessité qu'une seule prise. Bernard était content.

J'ai été le premier à passer en individuel. D'abord, parce qu'il en faut bien un, ensuite parce que la batterie est l'instrument traditionnel pour baser les réglages. Casque sur les oreilles et sans retour direct des autres, ce n'est définitivement pas la façon le plus agréable de jouer mais tout s'est déroulé comme attendu.

Actuellement, c'est le tour de Marie. Elle a tenu à passer en deuxième pour se « débarrasser du stress ». J'ai pris le fauteuil vacant près de l'ingé son ; Gwendal et Matthieu révisent leurs parties dans leur coin.

— Parfait Marie ! indique l'ingénieur dans le micro. Bois un coup, détends tes doigts, prends quelques instants et quand tu te sens prête, fais-moi signe pour en refaire une. On reste sur la même interprétation pour le moment.

Les bras croisés, j'adresse un clin de tête à notre guitariste pour l'encourager. Elle a été parfaite comme toujours.

Marie acquiesce et saisit sa bouteille d'eau. Tête penchée en arrière, sa gorge ingurgite un demi-litre d'eau ; la nervosité donne soif. Néanmoins, pour la première fois depuis longtemps, Marie a natté ses cheveux dans son dos. Je ne suis pas un expert en coiffure, mais Matthieu et moi savons une chose : Marie n'attache jamais ses cheveux en « milieu hostile ». Elle préfère les garder lâche pour pouvoir se réfugier derrière en cas de besoin, à la manière de ce réflexe absurde de fermer les yeux lorsque l'on claque des doigts près de notre visage. Or, cette tresse signifie que dans un studio parisien, en train d'enregistrer le premier album de sa carrière, Marie est plus détendue que lorsqu'elle arpente les couloirs du lycée Sophie Germain. L'angoisse est un drôle d'oiseau.

— Elle paye pas de mine physiquement votre guitariste, déclare Bernard, mais j'ai rarement eu une fille ou un garçon aussi jeune avec une main gauche aussi habile. Sacrée chance d'avoir un atout pareil.

Je hoche la tête, les yeux sur Marie qui s'évertue à effectuer ses exercices de respiration.

— C'est elle qui compose.

— Entièrement ?

— Quasiment. On bosse juste les arrangements ensemble.

— Studieux, c'est rare de monter autant de titres à votre âge. Vous vous occupez aussi des paroles ?

Discuter avec Bernard est agréable. Il maîtrise son sujet et son métier sans chercher à dénigrer notre jeunesse. Entre son sérieux et la rigueur carrée de Zahia, j'ai le sentiment que nous sommes entre de bonnes mains.

— Non. Cette partie-là, c'est Matthieu, le chanteur qui s'en occupe.

— Il n'est pas mauvais.

J'opine. Quand Matt a accepté ma proposition de monter SKIN, c'était sa condition : que je le laisse s'occuper librement des paroles. Même si j'étais réticent, Matt avait raison de me faire céder. Il possède bien plus d'empathie que moi.

— Tu penses que l'album marchera ? demandé-je à Bernard.

Il a vu sans doute vu passer dans son studio plus d'artistes talentueux que les charts du top 50, son avis m'intéresse.

— Je vais pas te mentir, commence-t-il en mettant ses mains derrière sa nuque, si vous êtes là, il y a une raison. Decibel est le label le plus proche de Galaxy, or une major a une qualité et des ventes à maintenir. Zahia mise gros sur vous. Si elle vous a choisi comme poulains, c'est qu'elle a flairé quelque chose chez vous.

— Elle a toujours travaillé pour Décibel ?

Il se frotte le front manipulant le premier fichier enregistré.

— Non. Elle bossait pour Galaxy avant. Sauf qu'à la naissance de son fils, même avec ses dix ans de métier, elle a compris qu'elle ne monterait pas en grade tant qu'elle aurait des enfants mineurs.

— Charmant... commenté-je en serrant les dents.

— Le PDG de Galaxy sait un enfoiré quand il le veut, tu peux le dire, approuve Bernard. Mais Zahia est maligne. Elle s'est mise en formation pendant deux ans, à la fois pour acquérir des compétences en management et pour s'occuper de son fils. Puis, il y a trois ans, quand Galaxy a décidé de la refonte de Decibel suite au départ de l'ancien directeur, elle a joué de ses relations pour en prendre la tête avec un contrat en béton pour sa nomination. C'était un pari risqué, mais elle est bien partie pour le gagner.

—Décibel a une grande réputation, j'imagine que c'est un signe.

— C'est ça. Elle a déniché quelques jeunes artistes qui ont bien renouvelé l'image du label et permis de gonfler le chiffre d'affaires. Avec son poste ici, elle a obtenu ce qu'elle convoitait chez Galaxy, il y a plusieurs années.

Un plan mûrement réfléchi, des investissements précis, inutile de dire que Zahia Hakim ne plait pas beaucoup à Gwendal.

— Pourquoi tu travailles ici, toi ?

— Je viens de chez Galaxy. Zahia a su me convaincre de la rejoindre en me proposant des avantages niveau horaires dont je n'aurais pas pu bénéficier là-bas. Et un peu aussi, je l'avoue, en recrutant un groupe que j'aimais mais que la major a refusé.

— Je vois.

La deuxième prise de Marie se lance, elle-même suivies par trois aux accents légèrement différents. Être avec Bernard est très instructif. Il aime partager son savoir et m'explique comment il ajuste l'enregistrement en fonction de ce qu'il visualise comme fonction sur son logiciel.

— Tu vois la piste ?

Il me désigne une des pistes avec sa souris.

— Là, on est bien parce qu'on est centré autour des fréquences mais qu'on ne sature jamais. On reste dans une tessiture resserrée sur la partie guitare du morceau, en profiter, ça permet d'avoir de nuances entre les notes.

— Je comprends.

Il finit par relâcher notre guitariste avec ses félicitations.

— Bien bossé Marie, approuvé-je.

Ses joues déjà rougies par la concentration, virent à l'écarlate. Elle serre son manche de guitare, intimidée par les compliments

— Merci. C'est... C'est dérangeant si je reste pour écouter avec vous ? Matt préfère sans doute s'isoler avant de venir enregistrer.

C'est moi regarde lorsqu'elle pose la question, comme si elle n'avait pas conscience qu'ici, c'est l'ingénieur du son, le maître des lieux. La sensation m'amuse.

— Si Bernard est ok...

— Bien sûr ! s'exclame-t-il jovialement. Reste autant que tu veux, jeune demoiselle.

Je lève les yeux sous l'appellation et Bernard comprend aussitôt qu'il a gaffé. Pour se redonner, une contenance, il tripote un des boutons de sa table de mixage.

— Euh... enfin voilà. Est-ce que ça embêterait l'un de vous deux d'aller chercher le bassiste en salle de répétition ?

— Non, j'y vais, lui répond Marie. J'ai deux trois trucs à dire à Matt.

Elle n'attend même pas que je donne un quelconque avis, trop heureuse d'échapper à un tête-à-tête avec Bernard. Pourtant, malgré sa maladresse, je pense qu'elle aussi apprécierait notre ingénieur son.

Profitant du silence, je vérifie les notifications de mon portable. Deux alertes d'applications d'informations en continu sans importance et un sms de Jules. Je clique sur l'icône de la messagerie, même si je suis conscient qu'il n'y a probablement aucune urgence à le lire :

De Jules à Hadrien

Ça y est ? Tu les as tous domptés ? Plus personne n'ose dire un mot sans ton consentement écrit ?

Le confident officiel du batteur de SKIN.

Qu'est-ce que je disais ?

D'Hadrien à Jules

Tout se passe bien. Marie est au top. Tout le monde bosse pro. Tout va bien en Bretagne ?

J'appuie sur envoyer. Jules adore me reprocher mon manque de chaleur dans nos échanges mais, quand j'envoie un message à mon meilleur ami en plein boulot, j'ai mieux à faire que lui conter fleurette.

Il me répond en quelques minutes (« RAS, merci de t'en inquiéter »). En règle générale, seuls Lukas et les personnes en couple répondent aussi vite. Je commence à songer à qui Jules peut bien s'intéresser jusqu'à ce que je réalise que je m'en fiche.

Bernard a fini ses manipulations mais Gwendal n'est pas arrivé. Sentant son regard sur moi, je l'invite à s'exprimer.

— Vous savez, Zahia mise très gros sur vous.

Pourquoi se répète-t-il ? Il me l'a déjà dit avant de détailler le parcours de notre productrice.

— Qu'est-ce vous entendez par là ?

— Qu'elle vous soigne bien : deux semaines d'enregistrement, le montant important de l'avance versée, la session photo déjà prévue pour janvier et le fait qu'elle ait pris elle-même votre dossier en main, alors que la paperasse et les détails, sont plutôt le boulot de son assistant, Alexis Damano. Vous l'avez rencontré d'ailleurs, non ?

Le visage du commercial vaniteux rencontré en Bretagne après le premier mail de Decibel me revient et je hoche la tête.

— Je suis censé le savoir ? Que Zahia nous accorde autant de son temps et de ses moyens ?

Il hausse les épaules.

— Je ne sais pas. Ce n'est pas un secret non plus. Plutôt un constat que j'ai fait seul et je me dis que vous aimeriez le savoir.

— Merci.

Je prends un instant de réflexion. Vu la minutie avec laquelle elle a géré sa carrière, Zahia a un plan en tête, c'est certain. Seulement, savoir si elle souhaite simplement notre réussite dans le monde musical ou si sa vision des choses est plus large m'est impossible.

— Tu penses savoir pourquoi ? demandé à Bernard. Pourquoi elle nous favoriserait alors qu'elle a déjà obtenu ce qu'elle cherchait ici ?

— Je pense que oui, dit-il en se redressant. Vous avez un profil intéressant. Au-delà du potentiel musical, le groupe au physique de jeunes premiers et à l'histoire complexe est idéal pour percer. Et si SKIN marche sur cette voie-là, elle aura la plus belle des revanches sur Galaxy.

Je ne réponds rien. C'est inutile. Mes craintes se confirment. À signer avec des gens ambitieux, on prend des risques, ça fait partie des règles du jeu. Cependant une chose est certaine, SKIN est né grâce à la musique et il ne vivra de rien d'autre.


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Coucou à tous ! 

J'espère que vous allez bien :) Voici pour ce nouveau chapitre et les informations sur Zahia Hakim. L'autre "camp" a aussi ses raisons... 

Pour les rares qui lisent cette partie, je vous en informe déjà. Je risque de publier un truc qui n'a rien à voir avec cette histoire (plus un truc sur moi en fait) la semaine prochaine mais ça n'empêchera pas le chapitre de sortir normalement.

Prenez soin de vous,

Anne

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