Chapitre 64 : Programme et Bégaiement

Lundi 20 octobre 9h45 (suite)
KWAN - bassiste de Sweet Poison

               Arthur se redresse, attentif. Le titre de leader le met peut-être mal à l'aise, mais il gère l'organisation du groupe comme un pro. Pour le seconder au mieux, en meilleur ami fidèle, je contrôle — ou du moins, j'essaye de contrôler — nos deux électrons libres, Bec' et Lukas. Activité qui, pour être mener à bien, nécessiterait au moins une équipe de quatre personnes à temps plein.

— Pour les enregistrements, explique AC, on travaillera au studio toute cette semaine plus lundi prochain, sauf nouveau coup foireux du patron. Néanmoins, pour s'occuper des six titres de l'EP, ça nous laisse une marge confortable. 

— On nous a demandé de rester jusqu'à mardi après-midi, signale Arthur. C'est normal ?

— C'est normal, oui. Vous n'aurez besoin ni de moi, ni du studio pour mardi prochain, mais je pense que le programme devrait vous plaire...

— Oh ! Qu'est-ce que c'est ? s'excite Lukas, alléché par la malice dans les yeux d'AC.

— Vaisselle toute la journée pour les Restos du Cœur, lui répond Bec' du tac-au-tac.

— Bec', gronde Arthur. On parle sérieusement.

— « Sérieusement » ? Il y a Lukas dans la discussion, exagère pas non plus.

— La ferme Bec, je veux savoir, la coupé-je en me tournant vers AC.

L'ingénieure du son suit notre échange avec la même assiduité que si elle regardait la finale de Roland-Garros.

— Désolé, s'excuse Arthur. On t'écoute.

Il décoche un regard noir à Bec' au passage.

— Pas de soucis. On m'avait promis que c'était animé avec vous, you're perfect this way.

— Et donc ? s'impatiente Lukas, qui a commencé à sautiller, alors qu'il est, je le rappelle, le seul à ne pas avoir bu de caféine.

Avec un regard attendri pour la pile électrique blonde, AC nous annonce :

— Shooting photo en extérieur.

— Oh, c'est trop bien ! s'extasie Lukas avant qu'aucun d'entre nous n'est le temps de bouger.

Arthur et moi échangeons un regard réjoui.

— Comme le montre Lukas, on est super déçu, résumé-je à AC.

— Je vois ça. Dis-moi Lukas, y a-t-il des choses qui ne te plaisent pas ?

— Bien sûr ! sourit-il de toutes ses dents. Mais je sais aussi montrer ma joie !

— Tu t'es émerveillé à l'idée de laver des tasses, il y a quelques minutes, lui rappelle Bec'.

Lukas se renfrogne, vexé.

— Tu es nulle pour décrypter les émotions, Rebecca.

Je me mords la lèvre pour ne pas rire pendant qu'Arthur se recoiffe de nervosité pour la quinzième fois. Le projet de passer pour un groupe d'adolescents matures est aussi ratée que la première traversée du Titanic.

— AC ? demande Bec', c'est compliqué à insérer dans un contrat le principe de la punition si le mauvais nom est utilisé ?

— Je ne suis pas du service juridique, mais ça doit être casable dans la rubrique « caprice de star ».

— Ok, merci, approuve-t-elle avec un sourire vicieux.

La rubrique caprice de star abordée avant d'avoir commencé à enregistrer : après « mature », on peut rayer modeste.

— Il y a un programme précis sur l'ordre des enregistrements de la semaine ? demande Arthur qui, en brave capitaine, continue d'écoper le navire en perdition de notre crédibilité.

AC repose sa tasse de café sur la table basse.

— J'ai réfléchi un planning provisoire. Il est organisé de façon à être cohérent avec les titres prévus et à nous assurer d'être dans les temps même en cas de pépins. Bien sûr, dans la pratique, on devrait sans doute y revenir. Je ne l'ai pas complètement en tête, mais il est punaisé dans le studio d'enregistrement. Si mes souvenirs sont bons, nous commencerions commencer par "Not You", des objections ?

— Aucune.

Arthur s'est empressé de répondre le premier, bien décidé à ne plus permettre à Bec' ou Lukas de nous ridiculiser. Pour le second, je ne m'inquiète pas trop : AC est sa nouvelle idole et il observe chacun de ses gestes comme s'il s'agissait du coach personnel de Mercury.

— D'autres questions ?

Je hoche la tête.

— Éventuellement, oui.

AC se tourne vers moi.

— Oui ?

— Pour la réunion de demain avec le directeur du label, est-ce qu'il faut que l'on prépare quelque chose ?

Autre qu'une muselière pour Bec', s'entend.

— Non, rien à ma connaissance. Vous savez, je n'étais pas là à votre signature du contrat, mais il faut que vous compreniez que depuis ce jour-là, vous êtes associés avec Waves. Désormais, vous êtes engagés comme artistes du label. Votre travail ici consiste à composer de la musique, l'enregistrer dans nos studios, la produire sur scène et répondre aux sollicitations pour en faire la promotion. Tout le reste est le travail de Waves, incarné par le patron, et ses employés. Moi, par exemple, je suis chargée de m'occuper de monter au mieux les pistes ou, comme j'ai pu l'entendre en école, « de faire de votre musique de diamant brut, le plus beau des joyaux ». Okay ?

Arthur acquiesce.

— Parfait. De toute façon, on verra ça plus en détails demain et...

Un discret raclement de gorge l'interrompt et on se tourne tous les cinq vers la porte laissée ouverte. Un homme, qui doit avoir environ l'âge d'AC malgré ses restes d'acné, nous fait face, les mains enfoncées dans ses poches, clairement mal à l'aise.

— Euh A... AC ?

— Yep, Jimmy ?

Elle incline la tête vers lui pour l'inciter à poursuivre.

— La... La... la femme de ménage est pa... passée. Le s... s...studio est dis... disponible.

Par réflexe, je fusille Bec' du regard, une façon de la prévenir qu'elle n'a pas intérêt à émettre le moindre commentaire sur le bégaiement. Elle me rend un sourire narquois, à la manière d'un enfant rebelle fier d'avoir dressé son tuteur.

— Ah top ! Merci.

AC nous fait signe de nous lever et de rejoindre le fond du couloir. Jimmy essaye de s'échapper pendant qu'on quitte tous notre siège respectif plus ou moins vite selon la personne — Bec a tout juste décollé son derrière alors que Lukas est déjà dehors — mais AC le retient :

— Jim', attends deux seconds.

Coupé dans sa fuite, il se retourne, aussi confiant qu'une vache devant un abattoir.

— O.. Oui ?

— Pas de vaisselle ce soir. Le blond fourni avec les piles alcalines a gagné son premier gage.

— Oh, lâche-t-il, soulagé. Cool. À... À plus, AC !

— À plus !

Elle lui fait un signe de la main mais il s'est déjà éclipsé. Sa main se baisse et, avec un visage songeur, elle se tourne vers moi, le seul de Sweet Poison à être encore à sa hauteur.

— Kwan, c'est ça ?

— C'est ça.

— Soyez cool avec Jimmy, ok ? Il est timide mais c'est un chouette type.

— Pas de soucis ! Si Bec' ou Lukas l'embêtent, je les priverai de desserts.

— Je te fais confiance, alors ! rit-elle en faisant cliqueter ses piercings. Et maintenant, honey, allons faire de vous des rockstars ! 

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Comme toujours, merci de votre lecture. Voilà pour ce qui est en fait la fin du chapitre précédent. 

Prenez soin de vous,

Anne

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