Chapitre 56 : Purification et Invitation


Jeudi 18 octobre 18h 30
GWENDAL - bassiste de SKIN

J'écarte rapidement une mèche de cheveux de mes yeux. La sueur les a agglutinés en paquets rigides et ils me gênent. Ce geste n'est qu'un réflexe cependant, rien qui ne perce à ma conscience comme dirait Freud ou un de ses compères. Lorsque je joue, je n'existe plus que pour le son. Ma basse est la clef qui m'ouvre les portes d'un autre monde. Toutes mes perceptions sont transformées et je m'oriente autrement. Les autres membres deviennent mes seuls points de référence, ils sont le ciel, l'horizon et le sol. Nous sommes dans une unité muette. Même avec Hadrien qui m'a encore tapé sur le système ce soir, je me sens fusionnel. Peut-être parce qu'on ne se parle pas.

Matt recule d'un pas. Jules a eu droit à un grand numéro. Devant notre énergie, Hadrien a proposé qu'on enchaîne. Personne n'a objecté. Pour moi, ça a été un défouloir. Après sept semaines des cours, la fatigue et les tensions s'accumulent. Jouer me permet d'échapper à la liste de tout ce qui me bouffe. Les devoirs, le bac de français, l'enregistrement de la semaine prochaine, notre départ à Paris et la cohabitation forcée avec Sweet, l'arrogance d'Hadrien, la voix trop aiguë d'Émilie, Mamie qui se découvre comme fan de Lukas et mes parents qui flippent. Tout ça, et bien plus, disparait quelque part entre mes mains et les cordes, aspiré à la manière des eaux usées par une chasse d'eau.

On termine sans fioritures parce que Jules doit pouvoir imaginer un rendu plus proche d'un album que d'une scène. C'est la chose la plus difficile que nous avons eue à travailler dernièrement. Essayer de faire passer davantage d'émotions sans avoir de retour. Sur scène, on peut ajuster, s'adapter à ce que l'on ressent, à l'humeur du moment. Sur un enregistrement, c'est impossible. Quel que soit l'état d'esprit de la personne qui l'écoutera, notre chanson ne variera pas. Ni la voix de Matt, ni la guitare de Skinny ne changeront selon l'heure de la journée. Un enregistrement, c'est froid et fixe.

Je relâche mes épaules en faisant taire mon dernier accord. Je me sens apaisé après cette décharge d'adrénaline, comme un sportif à la fin d'une course. Je suis désormais aussi zen qu'un moine tibétain, même plus fâché contre Hadrien.

Toujours prévenant, Matt me tend une bouteille d'eau et j'en descends la moitié du contenu avec reconnaissance. Je me sens bien. Ce n'est que lorsque je m'essuie les dernières gouttes sur mes lèvres que les applaudissements solitaires de Jules parviennent enfin à mes oreilles. Il se met même à siffler lorsque Matt s'incline pour le faire rire.

— Merci pour le concert privé les artistes ! Je peux avoir un autographe à la sortie ?

— Carrément ? s'amuse Matt.

Jules bat des cils.

— C'est un investissement à moyen terme : dans trois ans, je les revends— deux si vous vous remuez les fesses — et je finis millionnaire.

On éclate pendant qu'Hadrien lève les yeux au ciel.

— Et entre deux plans de carrière, l'investisseur, tu as eu le temps de nous écouter ?

— Bien sûr, je suis multi-tâches, très cher.

Pendant l'échange, le reste du groupe a eu le temps de poser son instrument et de se rapprocher de la table où notre auditeur est assis. Il s'éclaircit la gorge et son regard redevient sérieux.

— Pour moi, ça sonne toujours aussi précis, c'est cool. Le son est régulier et la balance est juste.

— On est resté sur quelque chose de plus épuré, expliqué-je. On voulait te donner un rendu moins live.

— Je l'ai senti oui. C'était une bonne idée d'ailleurs. Mais j'imagine que vous enregistrer les instruments individuellement ?

Hadrien acquiesce.

— Et vous avez essayé de jouer en solitaire ?

— On a fait ça mardi. C'est perturbant mais à part Gwendal sur les départs, il n'y a pas de problèmes.

Je ne proteste pas. J'ai la mauvaise manie de ressentir mes départs et de me caler sur Skinny plus que de compter les temps. Forcément, quand je joue seul, ça coince.

— En tous cas, je n'ai pas plus de remarque sur la musique mais je ne suis pas musicien pro. Pour moi, ça rend bien et équilibré.

Il décroise ses bras et regarde Hadrien avec amusement.

— De toute façon, tu n'espérais pas que je découvre qu'il y avait tout à refaire maintenant si ?

— Ça m'aurait franchement inquiété, surtout venant de toi, admet le tyran.

— Je me disais aussi...

Jules se détourne du batteur.

— Skinny, reprend-il, je peux avoir un autographe du coup ?

— Pourquoi elle d'abord ? demandé-je.

— Parce que c'est elle qui compose et que ça emmerde Hadrien que je l'approche. Arrête d'être jaloux.

Skinny se contente de rire. Hadrien appuie son dos contre le mur et déclare :

— Merci du retour en tous cas.

— Pas de quoi, c'était sympa de vous écouter. Vous faites des concerts prochainement ?

- Rien n'est fixé, non. Galaxy a laissé entendre qu'ils pourraient nous aider, on attend les vacances pour étudier le calendrier à venir.

Jules a hoché la tête, compréhensif. Voyant une bonne fenêtre pour intervenir, je décide de me lancer :

— Au fait Hadrien, on revient bien le vendredi après-midi ?

Il opine, le dos toujours contre le mur.

— Tu as un horaire à respecter ? me demande Matt.

Je secoue la tête.

— Du tout. Je voulais savoir si on était dispo le soir.

— Je ne le suis pas, me coupe Hadrien. Je ne rentre pas avec vous en Bretagne.

Il n'aurait pas pu me laisser finir ma phrase sérieusement ? Remarquez, je ne risque pas de regretter son absence désormais.

— Qu'est-ce que tu voulais faire ? me questionne Matt.

— La copine de Nacim, Claire, remonte cette semaine-là et elle aurait aimé nous écouter. Je leur proposais de passer au local. Vu que Sweet Poison pensait venir aussi, on aurait pu fêter nos deux jours de vacances ensemble.

— C'est bien comme idée ça ! me soutient Jules. J'imagine que c'est le mot fêter qui te fait fuir Hadrien ?

Le batteur croise les bras sur sa poitrine.

— Je vais te la faire ta fête, le comique, menace-t-il, tu verras si je ne connais pas le sens.

— Je serais curieux de voir ça, en effet, s'amuse Jules.

Je ne sais pas par quel miracle Hadrien le tolère ici alors que Jules passe son temps à le provoquer.

— Et on ferait ça le vendredi soir ? reprend Matt.

— Je pensais oui.

— Désolée, s'excuse-t-il avec sincérité, je ne pense pas être là non plus.

Bon... SKIN toujours aussi attentif avec ses fans.

— Skinny ?

Tirant sur ses manches, elle hésite. Les fêtes ne sont pas son truc.

— Je crois être disponible, admet-elle.

— Tu sauverais mes fesses, là. Au pire, vous n'aurez qu'à faire un duo de guitare avec Arthur.

Elle hoche la tête, pas trop convaincue non plus.

— Vous serez sans doute claqués après ces deux semaines, note Jules.

— Pas grave. Claire est aveugle, on s'en fout d'avoir des cernes.

Les yeux de notre invité s'écarquillent.

— Même après avoir sacrifié vos vacances et passer deux semaines avec Hadrien, vous restez Jules, s'exclame-t-il. Vous êtes mes idoles SKIN !

Il pose une main émue sur son cœur tandis qu'on éclate de rire. Même Hadrien.


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Coucou à tous, j'espère que vous allez tous bien.

Voilà pour ce nouveau chapitre qui est la suite directe du précédent. Comme toujours, n'hésitez pas à donner vos avis et à voter si ça vous a plu. ;)

Courage à ceux qui travaillent et bonnes vacances à ceux qui peuvent lézarder ! 

Prenez soin de vous,

Anne

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