Chapitre 53


ARTHUR  - guitariste de Sweet Poison

               Après un lundi diluvien et une nuit de tempête, un timide rayon de soleil est parvenu à percer ce matin ce qui me réjouit. La pluie ne me gêne pas vraiment — contrairement à la diva qu'est Lukas — mais les averses d'octobre sont froides.

— Je rentre pour l'heure de perm, m'annonce François.

Je hoche la tête en direction pour mon voisin de table.

— Ok mec. À ce midi !

J'ai envisagé un instant de l'imiter, mais l'idée de traverser le parc et ses larges flaques d'eau pour passer chez moi m'en a dissuadé. Autant rester au lycée pour le moment.

Puisque je suis seul jusqu'au déjeuner, je décide d'aller bosser au CDI. Les livres et moi n'avons jamais été de grands amis mais, une fois les retardataires de la récréation partis, la bibliothèque sera au calme. Je pousse le battant. La documentaliste m'adresse un sourire forcé lorsque je passe à sa hauteur. Elle n'est pas très appréciée. Sa manie de réclamer le silence de sa voix perchée agace beaucoup. Levant les yeux, je repère une table libre sur la mezzanine et emprunte l'escalier pour m'y installer. Désormais en surplomb des autres élèves, je sors mon agenda et tourne les pages à la recherche du travail le plus urgent. Les dates défilent. Nous ne sommes plus qu'à six jours de notre départ à Paris pour enregistrer. Avancer un peu mes devoirs serait une bonne idée mais une silhouette surgit soudain dans mon champ de vision :

— Salut Arthur ! Ça t'embête si je bosse à ta table ?

Camille, la meilleure amie de Bec', est seule et me fixe, dans l'expectative d'une réponse.

— Du tout, installe-toi, dis-je en enlevant mon sac de la table.

— Merci !

Elle prend place en face de moi et extirpe son trieur. Elle a beau traîner avec Bec', Camille sait être quelqu'un de tranquille.

—Tu comptes faire quoi ? demande-t-elle.

— L'étude du doc en anglais.

— Oh, le sujet devrait te plaire !

Je fronce les sourcils devant son air malicieux.

— Ah ouais ?

Malgré son nom prometteur, la notion « Myths and Heroes », mythes et héros en français, qui constitue un des quatre thèmes à recracher le jour de l'oral du bac ne m'a pas beaucoup passionné jusqu'ici.

— Tu verras, répond-elle avec un sourire qui plisse ses tâches de son.

J'opine et mets mes écouteurs pour m'isoler. Le texte à commenter, et dont Camille a promis qu'il m'intéresserait, est sur le défunt chanteur de Nirvana Kurt Cobain. Ou plutôt sur une fan du chanteur effondrée après son suicide. Le témoignage de la fille qui avait notre âge en 1994 est touchant. Malgré le ton condescendant de l'auteur de l'article, je compatis à sa douleur. Perdre son idole, surtout quand il avait le charisme et le génie de Kurt, a dû être aussi douloureux qu'un immense chagrin d'amour.

Je lis les questions manuscrites de notre prof d'anglais sous l'encadré. Do you think it is correct to praise personnalities with known bad habits like heroin's addiction? Is it not dangerous to give such an importance to never-met people? Mes dents grincent. Je sais que l'objectif est de débattre de nos héros personnels. Cependant, réduire Cobain à un toxico affiché sur le mur d'une chambre me dérange. C'est regarder avec un prisme méprisant un artiste exceptionnel et un humain qui a souffert et je ne peux pas faire ça.

Je sélectionne Nevermind sur mon portable pour me donner du courage. Commençant au brouillon, je cherche un plan pour organiser mon argumentaire. L'introduction va être facile ; je n'ai pas besoin de Wikipédia pour connaître les dates-clés de la vie du chanteur. Je me demande si certains dans ma classe ignorent qui il était. Ce n'est pas impossible. En pleine concentration, je ne remarque rien à mon entourage jusqu'à ce que Camille me tapote le poignet pour signaler qu'on me parle.

Je relève les yeux et découvre avec étonnement trois nouvelles personnes autour de notre table. Les deux premières sont mon frère et Nacim, son meilleur ami. La troisième n'est autre qu'Agathe qui a quand même réussi m'envoyer en tête-à-tête avec Bec' la dernière fois qu'elle a approché un membre de notre groupe. Je ne suis pas sûre d'être ravi de la retrouver.

— Salut, déclaré-je à l'ensemble, n'ayant aucune idée de qui voulait me parler dans ce groupe éclectique.

— Salut frangin, tu écoutais quoi ?

— Come as you Are.

— Je vais considérer que ça ne te gêne pas qu'on reste alors.

Je hausse les épaules.

—Ça m'est égal. Tu voulais me dire un truc ?

Il secoue la tête.

— Nope, c'est...

Il s'arrête au milieu de sa phrase et fixe Agathe dans l'espoir qu'elle lui donne son prénom.

— Moi, achève la concernée sans sortir mon frère de sa confusion. Kwan m'a demandé de te dire qu'il t'envoyait sa version au propre de ses lignes sur Black Rose dans la soirée.

— Ah... Merci.

J'ai toujours trouvé Agathe un peu perchée mais gentille. Cependant, que notre bassiste s'en serve comme accusé de réception de ses mails est suspect.

— Il y avait autre chose aussi, ajoute-t-elle alors qu'elle tourne les pages de son classeur de physique.

— Oui ?

Je pose mon stylo par politesse. Avec leur arrivée à tous les trois, je vais devoir me résigner à laisser tomber l'anglais de toute façon.

— Oui. Tu te souviens de ce que j'avais expliqué aux autres membres de ton groupe ? Que le fait de se connaître permet de plus rester soudé ?

Étant donné que ça m'avait infligé une Bec' insupportable, ça aurait été compliqué de l'oublier.

— Je m'en souviens.

— On en a reparlé hier soir. Il voudrait que j'organise une sorte de soirée de cohésion pendant les vacances. Or, je cite « en démocratie, il faut la majorité absolue, Lukas sera forcément pour, Bec' forcément contre, donc il ne reste qu'Arthur à convaincre ».

Je respecte Agathe pour sa franchise mais je doute que ce soit vraiment la plus douée en relations sociales.

Gwen ricane à côté de moi.

— Vous avez des idées bizarres chez Sweet.

— Plusieurs études scientifiques en sociologie sont arrivées à ces conclusions, et ça peut s'expliquer biologiquement, assène Agathe d'une voix neutre.

— Ok, ok, bat-il en retraite.

Agathe est sacrément efficace pour clouer le bec. À retenir.

— Et tu en penses quoi de cette idée ? lui demandé-je.

Elle redresse un peu sa posture et me répond d'un ton professoral.

— Ce genre de concept, si c'est bien fait, est supposé être sympathique et en même temps vous rapprocher. Je trouve que ce ne serait pas idiot d'essayer.

— Y'a quand même Bec' dans le lot, signale Gwen.

— Justement. Ce serait une façon de la voir sous un autre jour.

Je passe une main dans mes cheveux. Bec' est plutôt du genre à tout faire capoter.

— Moi, je pense que ce serait une bonne idée, intervient Camille.

Nos regards se tournent vers elle. Elle se cale sur sa chaise avant de poursuivre.

— Ça vous permettrait d'encore mieux vous connaître, explique-t-elle. Je rejoins l'avis d'Agathe.

Le regard de Camille me paraît sincère. Or, c'est la meilleure amie de Bec'. Malgré mes réticences, elle est sans doute mieux placée pour juger. Je m'autorise un instant de réflexion. Agathe n'a pas l'air pressée de toute façon : ses exos de physique sur les Lois de Newton la passionnent plus que notre discussion.

— Ok, finis-je par déclarer. Ok, ça me tente d'essayer votre idée.

— Cool !

La camarade Kwan me décoche son premier sourire depuis qu'elle est arrivée.

— Je vais me documenter sur le sujet, me promet-elle avec enthousiasme. Mets-moi un mail s'il y a des choses que tu ne veux pas aborder ou au contraire, dont tu souhaiterais parler.

Le mode d'emploi pour faire en sorte que Bec' arrête d'être pénible et bouton pause sur Lukas, songé-je. Mais je ne dis rien.

— Ok, merci.

Je me souviens alors d'un détail.

— Euh, par contre, je ne crois pas avoir ton mail...

Elle secoue la tête.

— Ah oui, agathe.s.velmare et n'importe quelle extension derrière.

Je marque un temps d'arrête tandis que le reste de la table se met à rire.

— Sérieusement ?

— C'est plus simple comme ça, affirme-t-elle en replongeant le nez dans son bouquin de physique.


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1) Nevermind  (pochette en média) : album légendaire de Nirvana sorti en 1991 et dont la quasi intégralité des chansons ont été écrites et composées par Kurt Cobain. On y retrouve entre autres les célèbres Smell Like Teen Spirit et  Come As You Are. C'est l'album le plus vendu du groupe.

2) Pour l'anecdote, le coup des adresses mail d'Agathe est une histoire vraie. Un garçon de ma promo en première année Post-Bac m'avait donné cette réponse lorsque j'avais eu besoin de son adresse perso. 


Prenez soin de vous,

Anne

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