Chapitre 47 : Teatime et Assiettes
Samedi 11 octobre 16 h 38
KWAN - bassiste de Sweet Poison
— Dix-neuf heures, c'est bien comme horaire de concert. C'est ni trop tôt, ni trop tard. Juste parfait.
La grand-mère d'Arthur — rebaptisée Gis' par Bec' et Lukas — est arrivée chez son fils cet après-midi et a immédiatement invité tout notre groupe pour un « petit goûter avant représentation ».
Assise parmi le demi-cercle que nous formons dans le salon des Genêt, Bec prend donc actuellement le thé dans une mignonne petite tasse en porcelaine. Découvrir la Corée réunifiée demain matin au réveil ne me surprendrait plus après ça.
— En plus, les gens sont super gentils sur Guingamp tu vas voir ! s'enthousiasme Lukas. La dernière fois, deux clients nous ont spontanément offert le repas.
Un des nombreux mystères de l'existence. Ils n'avaient pourtant pas le profil de détourneurs de mineurs. Qu'est-ce qui leur a pris de s'emmerder à inviter une bande de rockeurs naïfs ?
Gis, déjà époustouflée par notre talent, n'est pas choquée par tant de bonté mais se souvient d'un détail.
— C'est vrai ça ! Il faudra que l'on mange quelque chose de bon après de telles émotions. Une crêperie, ça vous tenterait ?
— Maman ne sera pas trop d'accord, intervient Gwen qui s'est incrusté à la réunion entre Sweet Poison et sa fan numéro 1.
— C'est vrai que Régine ne sort pas le samedi soir... concède mémé Gis, un peu freinée dans son enthousiasme. Mais peut-être qu'ils font des plats à emporter sur Guingamp ? J'ai entendu un reportage à la radio dessus. C'est de plus en plus populaire comme système.
Arthur hausse un sourcil, pas certain que sa grand-mère ait eu l'idée du siècle.
— Mais si ! On amène nos assiettes et on leur demande simplement de les remplir. Ainsi, on mangera quelque chose de bon tout en étant tous ensemble à la maison.
Une chose est sûre. Ils ne vont pas être déçus de nous voir débarquer à Guingamp.
— Oh oui ! applaudit Lukas comme me grand enfant qu'il est. C'est trop bien comme plan !
— Gwendal, appelle Gis, tu pourras te charger des plats pendant que ton frère et son groupe ramasse leurs affaires ?
Le cadet des Genêt a l'air moins ravi que notre chanteur de l'initiative de sa grand-mère. Le rôle de porte-commissions le passionne moyen.
— On emmène Skinny avec nous, rappelle-t-il, c'est pas trop cool vis-à-vis d'elle...
— Ah oui, la jolie blonde ! se souvient Gis. Et bien, invite-la à manger avec nous, elle a l'air très charmante comme jeune fille.
Gwen, après s'être fait rembarré deux fois en deux interventions, s'avoue vaincu. Connaissant Skinny, je doute qu'elle accepte de rester dîner. C'est déjà très sympa de sa part de nous écouter.
Lukas se sert un biscuit et, les yeux sur la friandise, demande :
— Pourquoi Matt ne vient-il pas au fait ?
Je retiens un rire. Il a osé nous assurer il y a moins d'une semaine qu'il avait cessé de s'y intéresser.
— Son frère et sa copine ont décidé d'inviter la famille au resto pour fêter un truc. J'ai pas trop retenu quoi.
Lukas hoche la tête.
ㅡ Je vois.
Ça, c'est sans compter que notre reine des chieuses n'a pas l'intention de le laisser s'en tirer à si bon compte.
— Qu'est-ce que ça peut te faire que le corbeau soit pas là ? Je croyais que t'avais cessé de le reluquer H24 ?
— L'avis d'un autre chanteur aurait été bénéfique, c'est tout, explique-t-il avec un mouvement de tasse évasif.
— Et par le plus grand des hasards, tu choisis celui de Skin, hein ? ricane Bec.
— Je le considère comme compétent.
— Compétent ? Tu es trop occupé à le mater pour l'écouter, de quelle expérience tu parles ?
Lukas semble sur le point de bondir sur Bec' pour la faire taire. J'ai de sérieuses craintes pour le service à thé des Genêt.
— J'ai été dans la chorale de la paroisse, raconte soudain Mémé Gis, si tu veux Lukas, je pourrais te donner des conseils.
— Voilà ! cingle Bec' narquoise, pas besoin du gothique, l'ancêtre fera parfaitement l'affaire.
Lukas la fusille du regard.
— Merci Gis, déclare-t-il, toi au moins, tu me comprends.
La matriarche Genêt est touchée de l'attention du blond.
Arthur se redresse.
— Lukas a peut-être raison. On devrait demander davantage de conseils extérieurs.
— Toi aussi, tu veux te taper ton rival de chez Skin ? ironise Bec'. Je vous préviens les loustics, moi pour Hadrien, j'ai déjà donné.
— Qu'est-ce qu'on est censé comprendre là, exactement ? demandé-je.
— Tu ne veux pas savoir, coupe Arthur avec un regard en coin pour sa grand-mère.
Ladite grand-mère n'est pas de cet avis.
— Moi, j'aimerais mieux vous connaître. Tu as opéré un rapprochement stratégique horizontal avec ton concurrent direct, c'est ça Bec' ?
— Mamie ! tonne Arthur alors que les yeux de Gwen s'arrondissent sous le choc.
— Qu'est-ce qu'il y a ? Quand j'étais hippie, j'ai fait ça avec un adjoint de la mairie pour que...
— Mamie stop ! supplie Arthur.
Gwen regarde sa grand-mère comme s'il découvrait qu'elle avait été strip-teaseuse dans un night-club lesbien.
— Y'a de ça, répond finalement Bec en s'esclaffant. Genêt Junior, arrête avec cette tête traumatisée, Gis est ta grand-mère, je te fais un dessin ou tu te rappelles tout seul de tes cours de bio ?
Gwen pince les lèvres et Bec approuve en saisissant sa tasse.
— Moi, c'est pas ça le problème Bec' ! intervient Lukas. Tu parles d'Hadrien !
— C'est vrai ça, ajouté-je, comment se fait-il que vous ne vous soyez pas entretués en quelques secondes ?
Bec' sirote une gorgée de thé et répond avec un clin d'œil pour Gis.
— La petite mort a bien des vertus.
Grand-maman Genêt lui rend un sourire innocent de grand-mère.
— Tu es une fille très intelligente, ma petite Bec.
J'en recrache mon thé de fou rire. Gwen et Arthur sont à deux doigts de composer le numéro de l'hospice.
Samedi 11 octobre 18h 10
GWENDAL - bassiste de SKIN
— Tout est chargé dans la voiture, c'est bon ? demande Mamie.
Je jette un coup d'œil à l'espace louée par ma grand-mère et note un souci.
— Il manque un des sièges arrières, signalé-je.
Avec Skinny qui vient d'arriver, nous sommes un total de sept personnes. Soit pile le nombre de place. En-dehors de mon frère, ils sont tous en terminale scientifique, aucun ne s'est dit qu'il y aurait un souci avec un siège en moins ?
— Pas le choix, me tance Rebecca. À moins que tu ne préfères mettre la caisse claire de la batterie sur tes genoux ?
Lukas donne un coup de coude à la batteuse.
— Bec ! la rabroue-t-il. Sois gentille avec notre public.
— Le public n'a qu'à avoir un cerveau.
— Ne t'inquiète pas Gwendal ! Vous vous mettrez à quatre sur la banquette, m'explique Mamie.
Vu son sourire, elle ne voit pas du tout où est le problème. Elle est née avant le Code de la Route.
— Je vais peut-être rester ici, propose Skinny, gênée.
— Oh non, s'exclame Mamie, tu es notre invitée ! Prends le siège passager : il faut que tu sois à l'aise.
Skinny rougit et n'ose refuser.
— Gwen, ça ne te dérange pas ? insiste-t-elle malgré tout.
— Non t'inquiète, soupiré-je, reste avec moi s'il te plait. Je ne veux pas supporter tout ce bazar seul.
Comme une monitrice de colonie de vacances, Mamie fait la revue de ses vaillantes troupes. Mon frère, Skinny, Kwan qui n'en peut plus de rire, Lukas, Bec' qui a terminé d'attacher les instruments et moi. Personne ne manque à l'appel.
— En voiture tout le monde ! s'excite Mamie
Lukas s'élance le premier, aussi joyeux qu'elle.
Qui est le pigeon des idées farfelues de Mamie ? Je vous le donne dans le mille : moi. Après avoir eu droit au moment le plus gênant de toutes les réunions de famille, je vais devoir écumer les brasseries de Guingamp pour trouver un restaurateur assez maboul pour accéder à la requête des plats à emporter de Mamie et en prime, je suis engoncé entre mon frère et la vitre de la voiture. Je me plains beaucoup d'Hadrien mais jamais il n'aurait cautionné un tel bordel. Karma, que t'ai-je donc fait ?
Après trente kilomètres — dont dix de détour imprévu parce qu'on s'est perdu, nous arrivons finalement dans Guingamp. Avec ses maisons en granit et le Trieux qui traverse le centre-ville pour former une petite île, la ville est assez mignonne. J'aime bien.
— Bonjour !
Le propriétaire du bar est sorti nous accueillir. Figure ronde sous son crâne dégarni, il tend sa main pour nous saluer. Quelque chose dans l'angle de sa mâchoire me laisse penser que notre bande le surprend. Faut dire qu'il doit pas avoir souvent un groupe de lycéens accompagné de deux amis et leur grand-mère.
— Bonjour Monsieur ! s'exclame Mamie après avoir claqué sa portière.
Sur les bons conseils de Lukas, Mamie a changé de veste avant de partir. Par-dessus son chemisier parme, elle porte désormais un perfecto avec pointes aux épaules.
— Vous avez la scène jusqu'à 19h 40, explique le barman à Arthur, amusez-vous bien !
Et il repart précipitamment, par crainte de rire trop fort devant l'accoutrement de notre chaperon.
— Tu prends les assiettes Gwendal ? me demande-t-elle, tout sourire, inconsciente de l'effet qu'elle produit.
Je hoche la tête et avise la pile d'assiettes prêtes à être remplies.
— Vous avez des allergies à quelque chose ? lancé-je.
— Au romantisme, me répond Rebecca en empoignant les cymbales.
— Bec', arrête ton numéro, soupire mon frère.
Il jette un regard d'excuse aux trois badauds qui nous épient, sans doute pour vérifier que nous ne déchargeons pas d'explosifs.
— Vous jouez à La Belle Équipe ? demande le plus petit d'entre eux.
— C'est ça, sourit Kwan. Le patron nous a invité pour mettre l'ambiance avant le match.
Une vague de hochements de tête les parcourt.
— Riche idée ça ! Et vous jouez tous ensemble ?
— Non, rit le bassiste en sortant un ampli. Juste le châtain là-bas, le blond qui est en train de sautiller, la malaimable et moi.
Le petit homme au nez camus suit les directions indiquées. Lorsque nos regards se croisent, il me fixe étrangement.
— Je peux vous poser une dernière question ? demande-t-il.
— Bien sûr !
— Les assiettes là, vous jouez avec aussi ?
Je réponds avant Kwan.
— Non, ça c'est une riche idée de la grand-mère.
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Voilà pour ce nouveau chapitre ! J'espère que vous allez bien, n'hésitez pas à me laisser votre avis.
Prenez soin de vous,
Anne
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