Chapitre 42 : Réservation et Philo
Lundi 5 octobre 8h 02
GWENDAL - bassiste de SKIN
Je ne sais pas ce que je fiche au lycée un lundi matin à une heure pareille.
D'Arthur ou moi, j'ignore qui a déconné dans le processus de préparation matinale, mais me voilà planté dans le hall du bahut avec quasiment une demi-heure d'avance sur la sonnerie. Une grande première.
J'ai l'impression de découvrir un nouvel environnement. Je dépose mon sac à mes pieds et regarde autour de moi, le dos contre un casier. C'est assez marrant de voir les visages bouffis de sommeil de ceux qui doivent se contraindre aux horaires des bus. Je les plains sincèrement.
En revanche, lorsque j'aperçois une haute stature en manteau par-dessus la chemise venir vers moi, mon cerveau rate une marche : qu'est-ce ce que fout Hadrien au lycée Victor Hugo ?
— Bonjour, me dit-il.
Je cligne des yeux pour vérifier que ce n'est pas une hallucination. Il ne bouge pas.
— Salut, finis-je par dire. Tu t'ennuyais ? Tu as décidé de faire double cursus ici ?
Sa bouche se tord en un rictus moqueur. Plus le moindre doute, c'est lui.
— C'est ça, répond-il. Un lycée qui arrive à faire rentrer quelque chose dans ta cervelle d'étourneau est forcément un établissement exceptionnel.
— Moi aussi je suis content de te voir, marmonné-je.
Hadrien croise les bras. Visiblement, il attend quelque chose. Son attitude silencieuse ne m'aide vraiment pas à comprendre ce qu'il fabrique ici. Je m'apprête à lui poser franchement la question quand, dans mon dos :
— Hey Gwen !
Et merde. Manquait plus que ça pour mal commencer la journée. Émilie, la seule et l'unique. En train de marcher vers moi aussi vite que ses talons aiguilles le lui permettent.
Sortant de sa position figée, Hadrien ricane.
— Qui est-ce ? Tu as un fan club Gwendal ?
Je claque la bise à Émilie avec un regard noir pour notre leader.
La brune se tourne vers lui. Prise de réflexion, elle fronce les sourcils.
— Oh mais tu es dans le groupe de Gwen toi ! Le... le batteur, c'est ça non ?
« Le groupe de Gwen ». Le visage d'Hadrien se décompose. Je manque d'éclater de rire. Émilie vient presque de se racheter.
— C'est ça, répond-il mâchoire contractée.
S'il continue de serrer les dents comme ça, notre batteur va s'en casser une.
Pour donner le change, il claque son talon contre le carrelage du hall et s'agace :
— Marie et Matthieu sont en retard tous les matins ? J'ai cours à neuf heures et j'aimerais pouvoir y assister.
Je ricane. Même si tout ce qu'il dit est vrai, Hadrien est Monsieur Self-Control en temps normal.
— Tu es le champion de l'organisation à la base, répliqué-je. Qu'est-ce que tu fous à débarquer sans prévenir aussi ?
— Je n'ai eu la confirmation du resto que ce matin, répond-il en surveillant les lycéens arrivés.
— Du resto ?
— Oui.
Il n'ajoute rien.
— Ok... marmonné-je.
Hadrien jette un coup d'œil à son poignet pour vérifier l'heure et soupire. Finalement, je vais peut-être avoir droit à une explication.
— Bon, tu préviendras les deux retardataires que j'ai réservé à La fleur d'Ajonc pour dix-neuf heures ce soir. Pas d'excuses, ils n'ont pas cours en première heure demain, leur prof est en formation.
— Ok, et moi ? remarqué-je. J'ai le droit à un mot d'absence de ta main ?
Nouveau soupir de notre grand chef.
— Tu n'as jamais cours à huit heures et demi le mardi matin, me rappelle-t-il.
Hadrien connaît nos emplois du temps par cœur. Il sait quels profs sont présents ou non alors qu'il ne fréquente même pas notre lycée. Il se pointe volontairement au bahut à huit heures alors qu'un sms aurait plus que suffi. Plus aucun doute n'est permis : notre batteur est un psychopathe en puissance. Nous voilà prévenus.
— À ce soir, conclut-il. 19h. Sans fautes.
Et sur ces charmantes paroles, il réajuste le rabat de son sac et se casse.
C'est ce qu'on appelle le mépris. Merci Hadrien.
— Il est toujours comme ça ?
J'avais complètement zappé Émilie.
— Ouais, réponds-je tandis que je vois Hadrien quitter l'enceinte du lycée. C'est une plaie. Il est ultra libéral.
— Ultra-libéral ? répète-t-elle sans comprendre.
— C'est ma façon d'insulter les gens.
Me trouvant apparemment spirituel, Émilie part dans son rire suraigu qui me vrille les tympans. Ce genre de son ne devrait pas être autorisé un lundi matin.
— Tu resteras toujours mon préféré, Gwen ! m'affirme-t-elle en me tapotant le bras de ses ongles vernis. On se retrouve tout de suite hein ?
Je grogne un oui. Du moins, c'est comme ça qu'elle l'interprète puisqu'elle va retrouver ses potes avec satisfaction.
Je pousse un soupir de soulagement et réajuste mon dos contre le casier. Le nez dans mon portable, je n'ai plus qu'à attendre que le temps passe. Très bon programme.
J'ai le temps de consulter à peu près toutes les nouvelles de la nuit jusqu'à ce quelqu'un vienne me voir.
— Salut Gwen, tu vas bien ?
Skinny. Je suis un aimant à fille ce matin. Surtout qu'elle est étrangement seule.
— Salut. Matt n'est pas là ?
— Si mais une Seconde voulait faire un autographe de lui.
Mon cerveau bug.
— Pardon ?
Skinny sourit devant ma réaction.
— Une fille qui suit notre musique nous a interpellés ce matin, explique-t-elle. Elle a appris sur Insta qu'on avait signé un contrat. Elle voulait le féliciter.
— On n'est pas encore pros que Matt a déjà plus de fans que nous, marmonné-je.
Rire léger de Skinny.
— C'est pas spécialement nouveau, ça.
— Pas faux, admets-je. Et toi, tu ne l'intéressais pas la fan ?
— Si, elle m'a complimentée aussi. Mais elle était plus branchée chant. Et de toute façon, Matt est plus doué que moi pour ce qui est de parler aux gens.
Un tête-à-tête avec la beauté sombre du lycée, elle a pas dû être déçue du voyage la Seconde.
— Elle était vraiment gentille, ajoute-t-elle. Et c'était courageux d'oser venir nous voir.
— Mmh...
Skinny est aussi tolérante qu'un flic corrompu. Ce qui me rappelle que :
— À propos de gentillesse, Hadrien nous invite au restaurant ce soir à dix-neuf heures. Il a dit « pas d'excuses ».
— Il y avait un point d'exclamation dans le message ?
— Pire que ça : il est venu en personne au lycée ce matin.
Là, Skinny ne feint pas la surprise.
— Hadrien ? À Victor Hugo ?
Je hoche la tête.
— Ouais. Il a râlé sur votre ponctualité d'ailleurs. Mais comme il avait trop peur d'être en retard, il n'a pas pu attendre plus longtemps. Bref, Hadrien quoi.
— C'est sympa de sa part d'être passé en personne, note Skinny.
Quand je vous dis qu'elle est capable d'absoudre n'importe qui. Elle en est à remercier le tyran qui la prive de ses soirées.
— Merci pour l'info du coup, reprend-elle.
— Pas de quoi. Apparemment, je suis devenu la boîte vocale d'Hadrien.
Elle rit. Si même notre guitariste se fout de ma gueule...
Lundi 3 octobre 8h33
KWAN - bassiste de Sweet Poison
Je ne suis pas un grand fan de la philo — surtout le lundi matin en première heure, mais j'aime encore moins être en retard en cours. Tout le monde n'est pas Bec'.
Mon salut vient du prof. Sans doute en train de finir son joint avec la bande des littéraires, le hippie défraîchi qui nous enseigne l'art de la pensée est encore plus en retard que moi. Me voilà épargné du détour forcé par la vie scolaire ce matin.
Je me glisse à côté de Lukas. Bec', installée dans la rangée voisine, s'amuse de me voir arriver après elle. L'ignorant, je sors mon texte d'Hegel et mes notes de mon sac. De ce que j'ai retenu du dernier cours, Georg Wilhelm Friedrich Hegel était un philosophe qui avait la modeste ambition de tout comprendre. Un type simple, donc.
Le prof n'est toujours pas là. Puisque Lukas est occupé à inspecter ses ongles, je me mets à écouter le rang devant nous où Matt et Skinny discutent.
— Au resto ? demande le chanteur. Hadrien nous invite au resto ?
— Oui. Mets-lui un sms si tu veux plus d'infos.
Matt cale son poing sous son menton, songeur.
— Il cherche à se faire pardonner du faux-bond de samedi ?
— Je suppose, répond Skinny.
— L'obsédé du contrôle vous invite à faire une bouffe ?
Pour les rares qui n'auraient pas deviné, ceci est une intervention de Bec'.
Matt se tourne vers elle.
— Il semblerait.
— C'est la classe ! s'extasie Lukas qui a terminé avec ses ongles. Pourquoi notre leader ne nous invite pas au resto, nous ?
— Parce que ça suppose qu'on emmènerait Bec'. Et qu'il faudrait la faire passer pour quelqu'un de civilisé, réponds-je. Je ne sais même pas qui tu désignes par leader en plus.
— Arthur. C'est lui qui gère les papiers.
Je secoue la tête. Le châtain n'aime pas être mis en avant.
— Peut-être, mais je ne pense pas qu'il se voit en leader.
Lukas fronce les sourcils. Parfois, notre chanteur est d'une naïveté désarmante.
— Lukas, intervient Matt en riant, quiconque t'a vu sur scène une fois ne peut pas supposer que c'est Arthur, le leader de Sweet Poison.
Et là, le gothique accomplit un miracle : Lukas reste sans voix. Pendant deux secondes.
— Euh.. merci.
Les joues rouges, il se détourne vite pour regarder Bec'.
— J'ai pas les moyens de nous inviter mais je veux bien que tu le fasses.
Notre batteuse éclate de rire.
— Me taper une soirée complète avec vous trois ? J'en meurs déjà d'ennui.
— Merci Bec', interviens-je. C'est un bonheur de voir que nous aimes autant.
— Eh te vexe pas La Corée, tu sais que je suis insortable.
Difficile de la contester sans mentir. Mais d'un autre côté, Lukas semble un peu déçu.
Ce qui n'échappe pas à notre super-héros local Matt.
— Eh Lukas, dit-il, on peut en faire un ensemble de resto si ça t'amuse.
Le monde s'arrête brusquement de tourner dans les yeux de mon voisin.
— Je...
Le pouvoir surnaturel de Matt pour faire taire Lukas est très puissant. Sa recette m'intéresse.
— Tu... oui ! Bien sûr ! parvient à finalement articuler le blond.
Même s'il semble mener un intense combat interne pour essayer de rester neutre, Lukas ne peut pas s'empêcher de sourire niaisement.
— Vendu, conclut Matt. On se redira une date.
Le chanteur en tenue sombre se retourne sur un dernier clin d'œil qui manque d'achever mon voisin. Je suis à deux doigts d'appeler le SAMU pour lui. Bec' fait semblant de vomir. Et Skinny ? Elle regarde son texte : avec dix bonnes minutes de retard et sa clope enfin terminée, le prof de philo vient enfin d'arriver.
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Voilà pour ce nouveau chapitre. Je n'ai pas grand-chose à dire sur celui-ci. N'hésitez pas à me donner votre retour, je suis toujours intéressée.
Prenez bien soin de vous entre deux averses,
Anne
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