Chapitre 41 : Confidences et fourmis
Samedi 3 Octobre 23h 02
ARTHUR - guitariste de Sweet Poison
Le silence me manque. Ici, même la nuit, le bruit mécanique ne s'arrête pas. Il y a toujours une voiture au moteur ronflant, une sirène lointaine, des voix qui éclatent, des freins qui crissent. Tout est saccadé. Impossible de se focaliser sur un motif dans ce tintamarre instable.
Je suis sur le point de quitter le balcon et d'aller me coucher quand je distingue la silhouette de Skinny adossée au mur. Elle est seule et ne semble pas attendre quelqu'un. Les bras croisés, elle a le visage tourné vers le ciel.
J'hésite à m'approcher. Je n'aime pas envahir l'espace vital des gens. La plupart de mes proches sont extravertis et bruyants, que ce soit mon frère ou la moitié de mon groupe. Lukas peut sauter au cou des gens simplement pour leur dire bonjour. Moi, je ne supporte pas que l'on se presse contre moi sans raison.
Sentant un regard sur elle, Skinny baisse les yeux vers moi. Grillé. Je rougis de m'être fait attrapé en pleine contemplation.
Elle marque une hésitation et jette un œil à la voûte céleste.
— Ce soir non plus, sourit-elle timidement, il n'y a pas d'étoiles.
Je me remémore notre précédent tête-à-tête après le concert commun et lui rends son sourire.
— Non, reconnais-je. Pas ce soir.
Prenant sa remarque comme une invitation, mon dos vient se caler à proximité du sien. Elle n'a aucun mouvement de recul.
La discussion de Kwan et Matt est trop éloignée pour nous parvenir. Les épaules appuyées contre le mur, j'écoute la respiration calme de Skinny. Je suis apaisé.
— J'ai toujours aimé la nuit, déclare-t-elle.
Je suis surpris qu'elle entame la conversation. Je m'attendais à ce qu'aucun de nous ne parle. Mais ça ne me déplaît pas.
— Tu sais pour quelle raison ? demandé-je.
Elle fait glisser ses doigts entre ses cheveux blonds.
— Je crois. Je trouve que c'est... doux. Le jour est brusque, fort en émotions, en couleurs, en sensations. Il y a beaucoup de choses. Trop pour moi. La nuit amortit. La lumière et les sons deviennent rares. Nos gestes sont plus lents. Le temps n'a pas la même valeur, on ne se précipite plus, on laisse filer. Comme si la nuit nous offrait une pause dans le tumulte des jours.
Je laisse un silence avant de répondre.
— Je compose beaucoup la nuit. J'imagine que toi aussi.
— Oui, avoue-t-elle. J'aime être seule dans ces moments-là. Si... si l'art est une forme d'éternité, il doit être créé dans un moment où le temps ne compte pas.
Nouveau silence.
— Tu me trouves ridicule, c'est ça ?
Ses joues rouges de gêne s'entendent dans sa voix.
— Non, assuré-je aussitôt. Non au contraire, je trouve que c'est beau. Je ne suis pas très doué avec les mots. Je suis même très mauvais en fait. Mais je trouve que la façon dont tu décris les choses rend la poésie de ces instants. C'est perturbant. Et très beau.
Je cherche mes mots.
— J'aime la nuit aussi. J'aime ce silence qui permet de distinguer tous les sons.
Elle baisse la tête avec un sourire pour me remercier.
Je la vois tirer mécaniquement sur la manche de son blouson, hésitante. Je m'efforce de paraître aussi détendu que possible.
— On ne voit pas bien la nuit, finit-elle par dire. Je crois que j'aime beaucoup ça aussi.
— Qu'on ne voit pas ? répété-je. Ou qu'on ne te voit pas ?
Sa respiration s'est accélérée. Je me traite mentalement d'imbécile.
— Désolé. Je n'aurais pas dû dire ça.
— Ce n'est pas toi le problème.
Un peu quand même.
— Si, c'était déplacé.
— Mais c'était légitime aussi. Je sais comment j'agis. On ne peut pas se mentir éternellement.
Elle prend une nouvelle inspiration.
— Et la réponse est oui. Oui, c'est aussi parce que la nuit, je me sens protégée du regard des autres.
Ses cheveux caressent ses joues lorsqu'elle baisse la tête.
Rien d'intelligent ne me vient à l'esprit.
— C'est dommage, tenté-je maladroitement. Tu es une très belle personne. Tu es aussi légitime que tout le monde.
Elle rougit.
— Merci.
— Mais ça ne suffira pas à ce que tu le crois, n'est-ce pas ?
Elle se mord la lèvre.
— Peut-être pas, admet-elle, je ne me sens pas belle. Mais ça reste agréable à entendre.
Je note que sa respiration est de nouveau calme.
— Je crois que c'est pour ça que je me suis tant accrochée à la musique, poursuit-elle, parce que je préfère qu'on m'écoute plutôt qu'on me voit.
— Et sur scène ?
— La moitié des gens sont ivres quand on est sur scène, rit-elle. L'autre regarde Matt.
— C'est pas complètement faux, admets-je.
Quelques secondes de silence passent sans que ça ne soit pesant. Profiter simplement de la fraîcheur de l'entame de la nuit aux côtés de Skinny me suffit.
— Je peux te faire un compliment à mon tour ? demande-t-elle avec hésitation.
— Euh... oui ?
Skinny est quelqu'un d'honnête. Or, je ne vois pas vraiment ce qui pourrait me valoir des louanges de sa part.
— J'aime beaucoup ta façon d'être sur scène, déclare-t-elle.
— La mienne ?
J'entends qu'elle hoche la tête.
— Oui. D'abord, il y a ton attitude. Il n'y a pas que tes doigts qui vibrent en rythme, tu sembles vraiment complètement habité par la musique. Mais ça, c'est le cas de tous les bons musiciens. Ce que je trouve unique chez toi, c'est la façon dont tu es par rapport aux autres.
Elle se redresse pour continuer.
— Sur Kill Me, par exemple, évidemment que c'est Lukas qui a l'ascendant avec sa voix et son interprétation, mais derrière, les percussions de Bec' sont essentielles. Or l'un comme l'autre sont trop exubérants et dans la transe pour toujours être conscient de la balance nécesassaire, mais toi, alors que tu t'effaces pour leur laisser les impacts, tu sembles les diriger et c'est toujours sur toi qu'ils se calent. Tu es discret et en même temps celui qui lie tous les autres entre eux malgré leur forte personnalité, c'est vraiment quelque chose de précieux.
J'en ai le souffle coupé. Jamais, je n'aurais cru qu'on puisse voir ce genre de détails. Jamais je n'aurais espéré qu'elle, plus que quiconque, le remarque. D'autant que je n'ai jamais eu la sensation de maîtriser quoi que ce soit entre Lukas et Bec'.
— Merci, parviens-je à articuler. Pour quelqu'un qui n'aime pas voir, tu regardes très bien.
Elle rit avant d'être traversée par un long frisson.
— Tu as froid ? m'inquiété-je.
— Un peu.
— Tu veux ma veste ?
J'ai conscience du cliché mais je donnerais cher pour continuer à entendre sa voix si près de moi.
— C'est gentil, mais je vais aller me coucher plutôt. Bonne nuit ! me souhaite-t-elle.
— Bonne nuit !
Elle me laisse. Son pas léger repasse la baie vitrée et s'éloigne dans l'hôtel. Dernier reste de cet instant partagé, son parfum flotte encore dans l'air.
Samedi 3 Octobre 23h 29
REBECCA - batteuse de Sweet Poison
Assise sur le lit de ma chambre d'hôtel, je m'emmerde. Et quelque chose de sévère.
Le match de foot était d'un ennui mortel. Vingt-deux mecs en short courant derrière un ballon, c'est à peu près aussi distrayant que d'observer un poisson rouge tourner en rond dans son bocal. Or, personne ne regarde Bubulle nager pendant quatre-vingt-dix minutes.
À titre de comparaison, même mes souvenirs du Scrabble hebdomadaire de la maison de retraite de notre patelin ont plus d'actions. Surtout quand la vieille Massicot file de coups de canne « accidentellement » parce qu'elle perd. (Ma mère m'avait forcée à faire un stage d'été là-bas dans une énième tentative pour « récupérer » mon attitude. )
Bref, je me suis ennuyée et je m'ennuie. J'ai abandonné Lukas qui se chamaillait avec Gwen au sujet des plus belles photos de concert publiées par nos groupes respectifs sur Instagram. Pour ce que j'en sais, la plupart des autres sont partis se coucher. Partis se coucher un samedi à 23h 30 à dix-sept ans. Et ça se rêve rockstar. Brillante idée.
Un bruit de pas me fait tourner la tête. Black angel passe dans le couloir. C'est quand même intéressant, ce radar à nanas en détresse qui fait qu'automatiquement, il est dans les parages. Une idée me vient.
— Matt ! appelé-je
Il revient en arrière pour s'aligner dans l'encadrement de ma porte.
— Salut Bec'. Tu veux quelque chose ?
— Ramène ton derch dans ma piaule.
Il me lance un sourire en coin, l'air amusé. Je trouve que ça le rend hautement prétentieux et condescendant. C'est le genre de rictus qu'Hadrien aime afficher. Mais puisqu'il rentre, je ne dis rien.
— Je suis là.
— Oui, mais reste pas planté comme ça, on dirait un poteau téléphonique le long de la départementale. Assieds-toi.
Je suis large mais la pièce l'est encore plus. Il devrait bien trouver une place.
Il tire la chaise du bureau et s'y assoit à califourchon.
— Je suis assis. J'ai droit de savoir pourquoi tu voulais me voir maintenant ?
— Je m'emmerde.
— Ah... Et c'est moi que tu souhaites comme compagnie ?
Visiblement, il ne s'y attendait pas à celle-là.
— Ouais, je voulais te parler d'un truc. Je te proposerais bien de coucher ensemble après mais j'ai mes règles et j'ai pas spécialement envie de toi dans tous les cas.
Il étouffe un rire gêné en remettant une mèche de ses cheveux sombres.
— Discuter me suffit.
Bien.
J'allonge mes jambes pour être plus à l'aise. Matt ne dit rien, dans l'attente de mes questions. C'est fou comme il est bien dressé.
— Est-ce que Skinny est attirée par Arthur ? demandé-je de but en blanc.
— Toujours aussi franche toi, commente-t-il.
— Si tous les trajets se faisaient à vol d'oiseau, on n'aurait pas d'accident dans les virages. Réponds.
— D'où sortent tes proverbes sérieusement ? s'esclaffe-t-il. Et je ne sais pas, reprend-il en croisant mon regard noir. Skinny livre rarement ses sentiments.
Il vient de faire trois phrases pour ne rien dire. Ce mec me fatigue.
— Vous passez vos journées ensemble, merde ! Vous causez de la pensée philosophique des fourmis ou bien ?
— On peut parler d'autres choses que des histoires de cœur ou de sexe avec les gens.
— Certes. Encore que ça peut se discuter. Sauf que ce n'est pas « les gens » ou le gars que tu croises dans le bus uniquement le mardi matin dont on parle, c'est de ta meilleure amie. Si ce n'est pas avec toi qu'elle parle de ses histoires de cœurs, avec qui ?
— Personne ?
— Et on se demande pourquoi elle est tarée...
Il se raidit.
— Pense ce que tu veux, mais inutile de l'insulter.
La brigade de protection du squelette est de retour. J'avais zappé cette particularité des membres de SKIN.
— Pardon pour l'offense Saint-Mathieu. On ne m'ôtera pas de la tête que c'est une mauvaise idée de tout garder pour soi, mais ça non plus, ce n'est pas le sujet. Puisqu'apparemment, je n'aurais pas l'avis de l'intéressée, qu'est-ce que tu penserais, toi, si Skinny devait sortir avec mon guitariste ?
Il replace ses poignets sur le dossier de la chaise avant de répondre avec beaucoup plus de sérieux que je n'en supporte en temps normal.
— Arthur est mon ami et un garçon bien. Il ne chercherait pas à la « contraindre ». Je pense que je serais content pour elle, pour eux.
J'opine. Pas pour la bénédiction du gothique mais parce qu'effectivement, Arthur n'est pas du genre toxique. Même pour un être aussi délicat que la guitariste de SKIN.
— Fantastique ! conclus-je.
— Je peux te demander pourquoi la vie sentimentale de Skinny et Arthur t'intéresse aussi soudainement ?
— Je veux qu'Arthur se trouve une meuf. C'est pas possible d'être aussi posé dans la vie, et mort de honte dès qu'on parle de filles.
— En quoi ça te pose problème ? demande-t-il. C'est son caractère, ça ne...
— Tu as déjà essayé de discuter sur le sujet avec lui ? le coupé-je.
— Non. Mais...
— Pas de mais. Moi oui et ça me soûle. Assez pour que j'intervienne.
L'ange noir me fixe, interloqué.
— Et tu penses sincèrement que c'est Skinny qui peut l'aider à prendre confiance en lui ?
— À choisir, j'aurais pris une autre, tu peux me faire confiance, soupiré-je. Mais j'y peux rien s'il s'intéresse davantage à Blondie et en manque de confiance.
— Tu fais un drôle de Cupidon.
— Tout le monde ne peut pas être star sombre du lycée. Bon, en tous cas, tu peux te barrer maintenant et aller convaincre ta guitariste de tomber dans les bras musclés de notre lover !
J'agite la main pour le chasser et il se lève, paumé mais sans la moindre protestation. Bordel, j'ai l'impression de commander un chien. Arthur, tu ne pourras pas dire que je ne m'investis pas pour ton bonheur.
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Coucou à tous, j'espère que vous allez bien,
Voilà pour ce chapitre très contrasté entre les ambiances, j'espère que ça vous a plu. Il est un peu plus long pour terminer ce week-end sur Paris. N"hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.
Merci de continuer à suivre cette bande d'ados haute en couleurs, vous n'avez pas idée à quel point ça me touche.
Prenez soin de vous,
Anne
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