Mercredi 24 septembre 12h 09
REBECCA - batteuse de Sweet Poison

— Rebecca, allez au tableau s'il vous plaît, m'ordonne la prof habillée comme un poussin.

J'interromps momentanément la discussion avec Hortense, qui était en train de me confirmer les dires de Camille au sujet du postérieur de l'entraîneur de l'équipe féminine de volley, et redresse la tête.

— Pour quoi faire ?

— Vous compterez les voix de vos camarades. Mettez-vous sur l'estrade s'il vous plaît.

Tout ce cirque n'est donc pas encore terminé ? Sérieusement, il faut combien d'heures pour désigner deux péquins qui ne serviront à rien à part accompagner les blessés à l'infirmerie ?

— Désolée Hortense, le devoir civique m'appelle, soupiré-je.

Je recule ma chaise sans prendre la peine d'être discrète. Être musicienne permet d'identifier les bruits désagréables à l'oreille humaine.

La prof me désigne les craies blanches. Officiellement, c'est au nom de l'écologie qu'on ne passe pas au tableau Velleda dans toutes les salles. Du pipeau, évidemment.

— Merci Rebecca, reprend-elle en gardant un œil sur moi. Les candidats et leurs suppléants, venez devant à votre tour, je vous en prie.

Huit personnes se lèvent d'une même mouvement. Olivier et un de ses potes ; Saint-Matthieu et Blondie ; l'excité qui nous sert de chanteur et l'intello de la classe ; plus deux filles dont je n'ai pas retenu le nom. Même avec Lukas, le match s'annonce d'une innommable insipidité. je prie pour qu'on gracie de la présentation rituelle de campagne.

— Vos camarades vous écoutent, sourit la prof en quittant son bureau pour aller s'asseoir au premier rang.

Fuck.

Je vous résume les ennuyeuses minutes de la déclaration des quatre aspirants-délégués de la TS2. Olivier joue la carte du cool ; Matt raconte un truc chiant comme quoi il veut que tout le monde se sente intégré dans la classe ; Éloïse galère à parler à cause de Lukas qui ne tient pas à place et Nathanaelle — dont j'ai dû marquer le nom interminable — un truc dans le même genre que le gothique.

Après les avoir remerciés, la prof-poussin passe dans les rangs pour distribuer les bulletins de vote. Personne n'a moufté sur le fait que Lukas est proposé comme suppléant. Leurs tympans ne vont pas pourtant pas y survivre.

Depuis mon perchoir au tableau, je griffonne deux noms et jette mon bulletin dans la poubelle reconvertie en urne démocratique. Puis, j'attends. Parce que là où j'ai pris cinq secondes, il faut dix minutes complètes aux autres élèves. Pour trouver deux prénoms et les écrire. Ces lycéens sont tarés.

La prof finit par réussir à récolter tous les bulletins et Kwan se porte volontaire comme assesseur pour le dépouillement. Mon rôle se résume à tracer des petits bâtons et à les compter. C'est passionnant.

— Émilie et Matthieu, énonce Kwan.

Un trait pour l'intello qui conforte sa deuxième place, un trait pour le gothique qui cavale seul en tête.

— Matthieu et Rebecca.

Nouveaux petits bâtons. Mon prénom a dû être rajouté lorsqu'il est apparu au troisième bulletin. Jusqu'à présent, cinq personnes sont assez abruties pour me voter.

La litanie de noms s'interrompt d'un coup. Apparemment, la Corée est en panne sèche.

— Active, j'ai faim, lui grogné-je. 

Kwan me jette un regard noir.

— Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, lâche-t-il du bout des lèvres.

Mon plus fidèle public — à savoir Lukas — éclate de rire, imité par une bonne moitié de classe.

— Ça aurait le mérite d'animer un peu les vies de classe, déclaré-je pour rappeler mon statut de garce.

— Rebecca, contentez-vous de compter les voix, on se passera de vos commentaires, me rétorque la prof-poussin.

Elle meurt d'envie de me coller mais le vote à bulletin secret a du bon. Sourire aux lèvres, je retourne à mon tableau noir et ma craie blanche, aussi appelés école moderne.

À l'issue du premier tour, Matt est déjà élu. Il en est le seul surpris, même Blondie l'avait prévu. Émilie décroche le ticket pour le second tour accompagnée de... moi. 

La prof vérifie mentalement mes comptes mais les faits sont là. Celle qui a dû salement offenser le karma cet été pour se retrouver prof principale de la TS2, est obligée de s'intéresser de nouveau à ma personne.

— Rebecca ? demande-t-elle d'un ton sérieux. Souhaitez-vous déclarer votre candidature ?

J'ai de la peine pour elle. Me supporter cinq heures par semaine, c'est déjà beau. La possibilité de m'avoir en plus en conseil de classe serait de trop. 

Je secoue la tête.

— Non. Personne n'a sérieusement envie que je le représente et que je « défende ses intérêts » comme dit le croque-mort.

Elle est tellement soulagée de ma décision qu'elle ne relève pas mon surnom sur Matt. Faire ce que les autres espèrent de vous a parfois des avantages.

— Par contre, ajouté-je, il y a moyen de ne pas faire de deuxième tour vu l'heure ? Genre je file mes votes à Lucie et on n'en parle plus. 

— Éloïse, me rectifie Kwan en baissant les yeux pour ne pas éclater de rire.

La prof jette un œil à l'horloge murale et constate que j'ai raison. Un choix s'impose. D'un côté le respect de la démocratie, de l'autre la paix et le déjeuner. Voyons si soixante-dix ans d'impérialisme américain ont porté leurs fruits.

—Nous respectons le règlement, déclare-t-elle. Le deuxième tour sera entre Émilie et Olivier.

Fuck. Oncle Sam a perdu contre Astérix.

Je suis obligée de rester au tableau avec Kwan durant ce passionnant intervalle où tout le monde recommence à voter. Accoudée sur le bureau de la prof, je profite de la vue sur l'ensemble des visages concentrés.

— À qui tu aurais apporté ton soutien si on te l'avait demandé ? me demande notre bassiste qui manifestement, s'ennuie autant que moi.

— Tu t'es cru aux présidentielles ?

— Bec'...

— Sais pas, marmonné-je. Celui qui me permet d'aller manger.

Il s'adosse contre le tableau et remet une de ses mèches rebelles à sa place.

— J'ai voté pour Éloïse, me dit-il.

— Je suis censée en avoir quelque chose à carrer ?

— Parce que si Lukas n'est pas suppléant, continue-t-il sans même chercher à m'écouter, il n'y aura personne de Sweet Poison dans la hiérarchie de la classe. Or ça pourrait être un avantage.

Pompeusement dit mais pas faux. Néanmoins, je préférerais cirer les pompes d'Hadrien avec les dents que de ramper aux pieds de l'administration.

— On s'en fiche Kwan. On n'a pas besoin de la dirlo pour jouer de la musique.

Le deuxième tour est aussi passionnant que le premier à l'exception de la diversion offerte par Lukas : à chaque vote en faveur d'Éloïse, il bondit sur son siège et pousse des cris d'effraie. L'intello doit déjà regretter de l'avoir choisi. 

Un des trucs utiles à être en filière scientifique, c'est que les petits malins au cerveau hyperactif dont fait partie notre bassiste calculent en direct le nombre de voix nécessaires pour pouvoir clore cette élection. C'est pourquoi à trois bulletins de la fin, Kwan lit avec une intonation toute particulière :

— Éloïse.

Consciencieusement, je trace un bâton alors qu'un grand fracas intervient dans mon dos.

Lukas, qui s'est déjà illustré par son calme depuis le début de l'heure, a apparemment tenté de se jeter dans les bras de notre nouvelle déléguée. Mais, la toupie blonde s'est pris les pieds dans les lanières d'un des sacs de l'allée et se retrouve étalé par terre. Un avantage, que disait Kwan.

Les trois derniers précieux votes rapidement dépouillés, la prof fait un speech comme quoi Matt et l'intello ont été élus pendant que je range mes affaires de cours : il est déjà 12h 50.

— Merci Rebecca.

Je lève la nez et incrédule, dévisage Éloïse qui se tient soudain juste en face de moi.

— Pour le soutien, me précise-t-elle un peu gênée de mon absence de réaction.

Je ne me souviens pas d'avoir soutenu qui que ce soit mais passons.

— De rien. Mes félicitations.

Je ferme ma veste et quitte la salle avec Hortense sans plus de cérémonie. Je me serais bien mis à chercher quelle étrange raison à pousser la première de la classe à s'imaginer que j'ai déclaré un quelconque avis, mais, d'une part j'ai faim et de l'autre, je m'en fiche. 

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Coucou à tous, j'espère que vous allez bien en ce début mars ! 

Voilà pour cette conclusion de l'épisode "élection des délégués", j'avoue qu'il n'y avait pas trop de suspense mais j'espère que ce chapitre de Bec' vous a plu. ;) 

Prenez soin de vous,

Anne