Vendredi 12 septembre 22h 35
HADRIEN - batteur de SKIN

    Retour sur le plancher après l'ivresse de la scène. Et quelle scène ce soir. L'euphorie et la plénitude continuent de pulser et de réchauffer ma poitrine. Aucune drogue ne m'a jamais apporté ce nirvana que j'atteins en jouant avec le groupe. Tant que je serai là, personne ne touchera aux membres de SKIN et je confirme mon serment après chaque scène.

    Le concert/tremplin de jeunes talents s'est achevé avec nous. La voix du gérant du bar s'élève dans mon dos alors que nous empruntons l'escalier menant à la réserve, reconvertie en coulisses pour la soirée. L'étroitesse des lieux nous oblige à avancer en file indienne ; je ferme la marche, songeur. Mes tympans, déconnectés de l'agitation des clients bourrés, rejouent tout notre concert à la recherche des éléments importants, des points forts, des faiblesses, etc.

    J'ai donc les yeux vaguement concentrés sur la nuque en sueur de Gwen quand un geste de la main en périphérie sur ma droite coupe mes réflexions. Je m'arrête et pivote. Le représentant du label me fait signe d'approcher. Dans le public de lycéens et d'amateurs de rock par des ados (deuxième catégorie vide donc), le trentenaire en chemise et cravate détonne.

Je dévie ma route et abandonne mon groupe pour passer brièvement à sa table.

- C'est bon pour vous si on prend cinq minutes de pause pour ranger nos affaires ? demandé-je, les mains sur le dossier d'une chaise vacante.

- Bien sûr, acquiesce-t-il sans vraiment avoir le choix.

- Parfait, merci.

Pas question qu'un businessman vienne gâcher notre plaisir trop tôt. (Et Gwendal dans l'euphorie après un concert aurait ruiné toute chance de bonne impression. )

C'est donc seulement après s'être félicité entre nous et profité de quelques minutes de notre allégresse post-prestation que nous sommes allés retrouver l'homme qui a le pouvoir de changer nos vies.

Soyons sincères, il n'a pas l'air méchant et est plutôt sympathique mais il me semble plus intéressé par notre public potentiel que par la musique.

- Bonsoir, nous salue-t-il avec ce sourire étincelant des commerciaux, assorti à sa chemise repassée. Très bonne scène ce soir, j'ai trouvé.

- Merci, répond Matt, touché. Content que ça vous ait plu.

Notre chanteur et sa face lisse inspirent naturellement confiance.

- Je suis Alexis Damano, recruteur de talent chez Decibel Sounds, se présente l'homme. Et vous ? Qui sont donc les mystérieux membres de Skin ?

Son trait d'humour tombe à plat même si Gwen se force à un rictus amusé. On fait le tour des patronymes. Je doute qu'Alexis Damano ait entendu celui, à peine chuchoté, de Marie mais passons.

- Enchanté de vous rencontrer tous les quatre en tous cas, nous répond-il avec ce même sourire insupportable. Pour être franc, ce que j'ai vu ce soir est très prometteur. Vous avez une aura sur scène et votre son a de la personnalité. Il y a quelque chose qui se dégage, une marque de fabrique. Je vais faire remonter tout ça au label, mais vous pouvez considérer que nous sommes sur le point de devenir associés.

- Putain, sérieusement ? s'exclame Gwen les yeux écarquillés et la mâchoire décrochée.

Ne jamais, jamais, laisser les ados sans muselière.

- Quel enthousiasme ! Mais je suis sérieux : Bienvenue chez Decibel la jeunesse !

Ses commissures s'étirent encore un peu plus. Malgré son amour évident des affaires, j'ai peut-être été dur avec le « recruteur de talent » dans mon jugement, il a l'air sincèrement content de nous annoncer cette nouvelle.

- Merci ! Je m'attendais pas à ce que ce soit aussi rapide, atténue Matt, les yeux brillants. Quand on aura vraiment réalisé, on sera plus volubile.

Moi non plus, je ne m'attendais pas à cette rapidité.

Et je m'en méfie. Mais je ne suis pas assez idiot pour faire la moindre critique avant d'avoir vu un contrat.

- Je comprends, ne vous inquiétez pas, nous rassure-t-il. D'ailleurs, c'est simplement pour vous donner la bonne nouvelle dès maintenant, la paperasse sera traitée plus tard. En ce qui concerne la suite, je vous mettrai en copie de mon compte-rendu sur ce soir et vous ne devriez pas tarder à recevoir un mail officiel de la part de Décibel. Tant que j'y pense, vu que vous êtes mineurs, tous vos parents sont ok ?

Très commercial mais pas méchant.

On effectue un nouveau tour de table sur nos parents respectifs. Je me contente du minimum dans les échanges ce soir. Ma rigueur inquièterait l'homme et Matt fait très bien dans la communication douce.

Mister Damano est ravi d'apprendre que nos parents sont ok. Certes, flippés pour certains, mais ok.

- Parfait ! Si vous avez des questions urgentes mais je suis toujours joignable par mail, transmettez-moi d'ailleurs rapidement vos coordonnées personnelles pour simplifier nos futurs contacts.

Je vous fais grâce du reste des banalités échangées. Au bilan : le type est beaucoup trop business-man, pour que je lui fasse confiance sur la musique. Maintenant, allons boire suffisamment pour devenir aussi abruti que les trois quarts des personnes qui m'entourent.

Vendredi 12 Septembre 22h 47
KWAN - bassiste de Sweet Poison

Notre rendez-vous avec le mec du label s'est super bien passée. Déjà de prime abord, il avait le style du mec qui se prend rarement la tête : la cinquantaine, un T-shirt de Metallica (avec l'image de la pochette de Ride the Lightning) et des cheveux en queue de cheval : le métalleux par essence. C'est assez loin de notre style musical mais ça n'a pas eu l'air de le déranger.

Dès le début, il s'est mis dans la poche Lukas en comparant sa présence scénique à celle de Mercury (les yeux de Lukas ont brillé autant que ceux d'un chat sous acide). Il a eu ensuite un mot sympa pour chacun d'entre nous. Arthur et moi avons été félicités sur nos bonnes habitudes de jeu, le sens du son... et puis il y a eu Bec'.

Ça a commencé par un blanc.

Inutile de dire que je sentais la connerie venir. Bec' dans sa robe de scène noire, c'est déjà le genre de personnes qu'on ignore par quel bout prendre, mais le pire restait qu'elle avait, bien évidemment, réussi à déjà se faire remarquer. À peine assise face au métalleux du label, notre batteuse, fidèle à sa réputation, avait insulté copieusement un gus lambda à l'autre bout de la salle qui draguait lourdement Camille. Autant vous dire que l'homme avait eu droit à un premier échantillon gratiné.

Et puis il lui a parlé.

En exclu : l'échange surréaliste entre Bec' et la personne qui a le pouvoir de décider sa carrière.

- Tu as une présence indéniable pour une batteuse, a-t-il commencé.

J'ai ricané. C'était irrépressible.

L'autre a réagi immédiatement avec son assurance à toute épreuve.

- C'est pas parce que j'ai une paire de nibards que tu dois prendre des pincettes avec moi : je ne suis pas en sucre. Ok ?

- Ta gueule, Bec' a grincé Arthur tandis que je m'étouffais de rire.

- Ce n'est pas triste chez vous, s'est simplement marré notre interlocuteur.

- Il y a juste elle qui mord, ai-je répondu. Nous, on est gentil.

- Ok, mes excuses, Mademoiselle. Je reformule : ta présence est assez rare pour une batteuse novice, tu as quelque chose qui sort de l'ordinaire.

- C'est un compliment là Bec' donc tu dis merci sans répliquer.

- Personne ne t'a sonné la Corée !

Fin de la parenthèse.

Je vous laisse imaginer la tête de notre interlocuteur après l'échange. (Et encore, elle n'avait appelé Lukas par aucun surnom de son cru... )

Heureusement pour nous, je le répète, il était vraiment cool et motivé, et même notre insupportable batteuse n'a pas réussi à l'effrayer. En somme, ça c'est bien passé. Mieux qu'on pouvait s'y attendre.

À présent, débarrassés de nos obligations, on savoure la soirée avec les autres. Je repère ma binôme geek d'éco que j'ai plus ou moins invitée la semaine dernière.

Un sweet à capuche en mode hoodie, installée seule dans une alcôve et planquée derrière son ordinateur, du grand Agathe. Difficile de faire plus cliché comme fiancée du PC.

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Salut à tous ! Vous allez bien ?

Oui, je coupe à un endroit assez étrange mais je veux respecter ma règle des chapitres courts. N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé de celui-ci ! Notamment, si vous avez eu le sentiment de "redite" entre les deux parties
À très bientôt pour la suite,

Prenez soin de vous,

Anne