Fin d'avertissement pour contenu explicite. 

Dimanche 7 septembre 1h49

ARTHUR - guitariste de Sweet Poison

    Bec' a disparu. Prétendre que j'ignore pourquoi relèverait du mensonge. À partir du moment où l'on comprend qu'elle fait toujours ce qu'on imagine de pire,  Bec' devient relativement prévisible. Je l'ai vue emmener Hadrien à l'étage il y a une grosse demi-heure ; je doute que ce soit pour aller étudier l'isolation du toit.
    Qu'est-ce qui lui est passé par la tête ? Aucune idée. Rien probablement. Il ne s'y passe pas grand-chose en règle générale.

    Je tacle Bec' mais le reste du groupe n'est pas beaucoup plus glorieux. Lukas est tellement ivre qu'il ricane bêtement depuis plusieurs minutes et Kwan titube plus qu'il ne marche.
    Deux bourrés et une dans les bras de l'ennemi, elle a de la gueule l'équipe. 

    Alors que dans le camp d'en face, Gwen flippe que je le dénonce aux parents au point qu'il n'a quasi rien bu. Ce n'est pas mon genre de jouer les balances mais si ça lui évite de se mettre minable de le croire, je ne vais pas démentir.

    Mon regard tombe sur Skinny. Seule devant le buffet et les yeux dans le vague, la guitariste de Skin fait tourner mécaniquement l'eau de son gobelet. C'est l'unique fille de la soirée en jean et sans maquillage. Aussi atypique qu'à l'ordinaire.

    Au collège, Skinny m'intrigait parce qu'elle ne parlait jamais. Elle ne participait pas, ne bavardait pas et avant l'arrivée de Matt en Bretagne, elle restait avec une bande d'autres collégiennes sans vraiment se lier d'amitié avec. À l'époque Sweet Little Poison Called Love venait de se former et l'attitude grande gueule de Bec' ne faisait que renforcer mon attirance pour une une fille gentille, à l'opposé de notre exubérante batteuse. 

    Et puis, il y a eu la rentrée de troisième. Le hasard du calendrier avait fait que son cours de guitare hebdomadaire se plaçait juste avant le mien. Je ne savais même pas qu'elle était musicienne. En-dehors d'Hadrien, personne ne connaissait rien de Marie Huissier.

    Le deuxième mercredi de septembre, grâce au bus exceptionnellement à l'heure, j'étais en avance à l'école de musique. Je me suis installé dans un coin et ai ouvert mes partitions en attendant la fin su cours. Another Brick in the Wall* a commencé à résonner. Et j'ai vu la fille la plus discrète du collège plaquer les accords avec autant d'assurance que Polnareff en avait sur scène au sommet de sa gloire. C'était puissant. J'avais toute la rage de Roger Waters* dans les veines, son envie de rébellion, son ras-le-bol des institutions archaïques.

    Et tout ça venait d'une fille maigre comme un clou et pratiquement muette.

    Ce jour-là, mon vague intérêt pour la collégienne blonde est devenu un respect incommensurable. Même en concert, aucun guitariste ne m'avait fait ressentir ça. 

— Eh Arthur !, m'interpelle une Camille surgie de nulle part. J'ai une guitare là-haut, tu nous joues un morceau ?

— Euh... tu es sûre ?

    Jouer de la gratte en soirée quand on est un ado guitariste, ce n'est pas le cliché ultime ? 

    Vu les regards entendus d'Olivier et François — un garçon de ma classe — avec qui je discutais jusqu'à maintenant, la réponse est oui. 

— Allez, c'est ma soirée ! insiste-t-elle en sautillant. Tu peux bien me faire ça, non ? 

    Je fais glisser mes doigts sur le cuir de mes bracelets, un peu mal à l'aise. Olivier se retient de rire.

— Euh ... ok, capitulé-je sans combattre.

— Super, je vais la chercher ! 

Dimanche 7 septembre 2h06

KWAN - bassiste de Sweet Poison

    On est installé sur la terrasse derrière la maison de Camille. Enfin quand je dis "on", c'est à dire ceux une poignée parmi ceux qui ne sont pas encore complètement torchés et ça commence à sérieusement diminuer. Arthur, en rock boy de base, nous a déniché une guitare et gratte deux trois accords basiques pour accompagner le chant des filles. (Qui a dit que j'étais jaloux ?) Heureusement pour ses fesses que Bec' n'est pas là, parce qu'elle l'aurait démonté pour cette mascarade romantique.

    Après un dernier accord de la complexité de Jeux Interdits**, notre guitariste pose sa main sur les cordes pour les faire taire et reçoit une salve d'applaudissements pour cette épique performance. (Non, je ne suis toujours pas jaloux. Je n'y peux rien si personne n'a jamais de basse chez lui pour que je puisse frimer à mon tour). C'est là que mon cerveau rendu pâteux par l'alcool a une idée de génie.

— Skinny, à ton tour !

    Tout le monde me regarde comme si je venais de balancer une ânerie.
    À part Skinny bien sûr, qui elle, se recroqueville et regrette amèrement de s'être jointe à notre petit comité.

— Mais oui ! s'exclame Jules, le pote d'Hadrien. Joue nous un truc !

— Je ne sais pas si..., tente-t-elle en cherchant ses mots.

— Ça pourra jamais être pire que ce que vient de nous faire Arthur t'en fais pas, la rassuré-je.

    Je me prends un regard noir alors que Gwendal éclate de rire.

 — Vas-y Skinny, encourage-t-il, mets une misère à mon frangin ! 

— Merci Gwen, soupire Arthur sous les rires des filles, j'adore ton esprit de famille.

— Je regrette pas d'être fille unique là c'est sûr, renchérit Camille en soutien pour notre rocker.

    Arthur la remercie du regard avant de tendre la guitare vers Skinny qui, semble-t-il, aurait préféré que le sol se soit ouvert sous ses pieds.

Dimanche 7 septembre 2h16

ARTHUR - guitariste de Sweet Poison

    Skinny se lance sur un thème andalou. Rapide et énergique. Le genre de musique endiablée qui met de bonne humeur, qui donne envie de danser. Autour d'elle, les filles suivent le rythme des épaules et marquent la mesure du pied. Même Kwan qui s'ennuyait, se laisse emporter. 

    Mais je ne vois vraiment que Skinny. Ses doigts parcourant les cordes avec finesse. Son air concentré et apaisé. Ses yeux rieurs  quand les filles claquent dans leurs mains au mauvais moment. La musique la sublime. Son corps tout entier vibre au son des notes. Lukas est un dieu de la scène, Skinny est la musique en personne. 

    Après quatre minutes de paradis musical, les applaudissements sont nourris.

    Skinny, rouge de gêne, rend la guitare à Camille qui la félicite.

    Je m'assieds à côté d'elle.

— C'était super joli.

    Elle rougit.

— M.. Merci. Tu joues très bien aussi.

— J'ai juste gratté quelques accords de base, on le sait tous les deux.

— Je ne le vois pas comme ça. C'était très bien.

 — Comment tu le vois alors ? 

    Elle décroises ses bras et m'explique : 

 — Pour moi, la musique, c'est de l'émotion. Tu les as rendus heureux : tu as gagné. La technique n'est pas un gage de qualité.

    Je suis soulagé que Skinny ne me regarde pas en cet instant. Son compliment me touche dans cette partie de moi débordante de sentiments. 

— Alors, je finis par dire, tu as gagné aussi, parce tu as rendu très heureux tout le monde sur ton morceau.

    Elle me sourit et un ange passe.

— Tout va bien chez Skin sinon ?

— Oui, opine-t-elle. On est assez impatient pour le rendez-vous de la semaine prochaine. Tu ne discutes pas avec ton frère ?

— Euh si... je voulais juste discuter un peu avec toi mais si ça te dérange...

Je passe vraiment pour un idiot.

— Pardon, je n'avais pas... ! Je... Enfin bref, si si du coup ça va. Et vous ? Parce que moi, je n'ai pas de frère et sœur chez vous.

    Elle s'autorise un clin d'œil.

— On est excités aussi, je réponds et ma voix monte d'un cran sous la gaieté. Les répèts sont devenus beaucoup plus sérieuses. Même Lukas et Bec' font l'effort de se concentrer tout le long.

— Je vois, sourit-elle.

— D'ailleurs, tu es en binôme avec notre batteuse en histoire, non ?

— Oui, oui. Comment tu le sais ?

— Bec' râlait. Pas à cause de toi hein, j'ajoute précipitamment.

    En exclusivité, les sympathiques mots de Bec' à son égard était : « Pourquoi le destin me colle avec une fille qui pourrait tourner dans un film de revenants sans même mettre de maquillage ? ».

— C'est juste que c'est Bec' et un exposé, éludé-je.

— J'ai cru comprendre qu'elle n'aimait pas trop ça oui.

    Elle passe ses bras autour de ses genoux et les serre contre sa menue poitrine.

— Elle est infecte ?

— Non, non. Elle est juste un peu compliquée.

    Je ris.

— Bec' n'est pas compliquée. Elle est pénible et elle a horreur des cours.

— J'ai cru comprendre que ce n'était pas son truc oui, rit-elle en réponse. Mais justement, je ne veux pas l'embêter non plus. 

— Je doute que tu l'embêtes. Même si c'était le cas, vu qu'elle passe son temps à emmerder le monde, c'est un prêté pour un rendu. D'ailleurs, si elle te balance une vacherie, n'hésite pas à lui répondre. Par contre, si tu veux que ce soit efficace inutile d'y aller sur le physique : elle se fiche royalement de l'avis des autres.

— Je ne fais jamais de remarques sur le physique des gens.

    Et rebelote dans l'idiotie. J'aurais gagné à la fermer. C'est pourtant pas dur d'imaginer qu'une ancienne anorexique ne critique pas les morphologies.

— Mais merci, reprend-elle, je vais pouvoir éviter d'être dévorée par la terrible Rebecca maintenant !

     Je lui lance un clin d'œil, un peu rassuré qu'elle ne m'en veuille pas.

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*Another Brick In The Wall, Pink Floyd (1979). Roger Waters était le bassiste du groupe et l'auteur de cette chanson dont les paroles : "Hey Teacher, leave the kids alone", parlent d'elles-mêmes. (En média)

**Jeux Interdits, Bande Originale du film éponyme (1952) et popularisée par la version de Narcisco Yepes. La composition originale est attribuée à Fernando Sor sans certitude. Le morceau est connu pour sa version simplifiée enseignée à tous (ou presque)  les apprentis-guitaristes. 

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Hello, vous allez bien ? En vacances pour les chanceux ? 

Voilà pour ce chapitre calme après les frasques des fortes têtes ! 

Qu'en avez-vous pensé ? J'ai conscience qu'il ne se passe pas grand-chose au niveau de l'action et que ça peut tourner à l'ennui ^^ Pour info, c'est l'avant-dernier chapitre de cette fameuse soirée.

PS : que pensez-vous des annotations en-bas concernant les musiques, notamment celles ou ceux qui ne connaissent pas du tout cet univers ? Les trouvez-vous inutiles ? Encombrantes ? Intéressantes ? 

Prenez soin de vous,

Anne