Chapitre 2

J'avais passé le reste de la matinée à déballer toutes mes affaires avec l'aide de Kiara qui ne semblait pas décidée à me lâcher, ce qui n'était pas pour me gêner. Le repas du midi fût un des plus agréables depuis bien longtemps, loin des repas en tête à tête avec mon père. Nous avions fêté nos retrouvailles en dévorant un des succulents plats de Katy, rigolant des blagues que lâchait Clément pour faire rire sa fille. Décidément, rien ne semblait avoir changé ici. À la fin du déjeuner, j'avais aidé Katy à débarrasser et à remplir le lave-vaisselle avant d'aller rapidement chercher mes affaires de patinage dans ma chambre. Alors que je me précipitai vers la porte d'entrée, mon parrain apparut devant moi, bras croisés.

— Pourquoi suis-je encore étonné que tu files si vite là-bas ?

Je lui lançai un sourire contrit.

— Je ne sais pas si je vais patiner Clem. Tu sais que j'aime avoir la glace pour moi toute seule et c'est impossible à cette heure-ci. Je vais regarder s'il y a l'entraînement des juniors.

Il me lança un regard amusé.

— Tu sais que le nouveau champion junior d'Angleterre s'entraîne beaucoup ici ?

Non je ne le savais pas. Je regardai souvent les jeunes s'entraîner à Manchester car les adultes acceptaient rarement un public mais je ne m'intéressais réellement qu'à la catégorie au-dessus. Je haussai les épaules pour toute réponse.

Clément soupira et se gratta nerveusement l'arrière de la tête.

— Amy, je suis désolé tu sais. J'aurais préféré que les choses se passent autrement avec ta mère et ton père pour que tu puisses patiner librement parmi ceux de ton âge. J'aurais aimé que tout se passe autrement. Je suis déso...

Je levai une main pour l'interrompre. Je savais où il voulait en venir, ce n'est pas comme si nous avions cette discussion pour la première fois.

— Stop ! Inutile de t'excuser, tu n'as rien à te reprocher. Tu n'es responsable de rien, ni toi ni personne. Je n'aime pas patiner devant les autres tu le sais très bien, Cassie et Jérémy ont été les seules exceptions et ça me va parfaitement.

Il me lança un regard sceptique et je poursuivis.

— Écoute, tout va bien vraiment. Je ne patinerai sûrement pas aujourd'hui, je vais juste aller voir. Je rentrerai pour le dîner ne t'en fais pas je connais le chemin.

Il me dévisagea encore quelques instants avant de soupirer, résigné.

— D'accord, sois prudente, dit-il finalement en m'embrassant sur le front et en se poussant du passage.

Je roulai des yeux. Mon père me disait cela aussi à chaque fois, comme s'il craignait que je ne revienne pas alors que j'allais juste patiner. Je ne perdis pas plus de temps et me dirigeai vers l'arrêt de bus qui se trouvait à quelques rues de là. La patinoire n'était pas bien loin de chez mon parrain, à peine dix minutes en bus. Le trajet fut donc très rapide. Comme beaucoup de monde, je descendis à l'arrêt de la patinoire. Je m'arrêtais devant le grand bâtiment, un sourire indéfectible aux lèvres. Enfin, enfin j'étais de retour. 

Je m'avançai alors et les portes automatiques s'ouvrirent pour me laisser entrer. Je pris un abonnement d'été, aucun doute que je reviendrai très souvent. Avant d'aller voir si les juniors avaient un entraînement ouvert au public cet après-midi, je décidai de jeter un coup d'œil à la patinoire publique. Comme d'habitude, elle grouillait de monde. La glace était déjà toute abîmée. Les hockeyeurs qui filaient à toute vitesse déséquilibraient parfois les moins à l'aise qui peinaient à garder l'équilibre sur leurs patins. Patiner avec ce genre de gens me tapait sur les nerfs en moins de cinq minutes.

Je me dirigeai alors vers la grande patinoire où je savais que les choses seraient plus ordonnées et sérieuses. Je traversai le hall pour la rejoindre et accélérai en voyant du monde sur la glace. Je poussai la double porte battante et fus frappée par le nombre de personnes dans les gradins. Avant, leur nombre n'excédait que rarement la cinquantaine dans de rares cas mais là, il semblait y avoir le double de personnes. Je trouvai rapidement une place pour regarder ce qui pouvait bien attirer autant de monde. 

Je tournai mon regard dans la même direction que les autres juste à temps pour voir un jeune patineur qui semblait avoir mon âge exécuter un saut de trois enchaîné quelques mètres plus loin par un double lutz parfaitement maîtrisés. Je fronçai les sourcils. C'était moi ou le niveau ici s'était sacrément amélioré en trois ans ou quoi ? Je ne lâchai pas du regard cette tempête blonde qui filait sur la glace avec une aisance naturelle peu commune. Le public regardait ce prince de la glace se mouvoir de façon si fluide. Quelque chose me sembla un peu familier dans sa façon de patiner mais je ne réussis pas à mettre le doigt dessus. Je n'eus pas le temps d'y réfléchir d'avantage qu'il exécuta un triple axel.

Je tressaillis légèrement. Son atterrissage avait manqué de souplesse. Je regardais les autres autour de moi pour voir si quelqu'un d'autre l'avait remarqué mais tout le monde semblait fasciné par le jeune homme sur la glace. Mon regard attrapa celui d'un homme habillé de noir de la tête aux pieds tout en haut des gradins et, sans pouvoir me l'expliquer, je sus qu'il l'avait vu aussi. Il fallait vraiment avoir l'œil pour remarquer un détail si léger. Mais à force de regarder en boucle les vidéos de meilleurs patineurs lors des championnats, je pouvais repérer sans peine la moindre tension dans les mouvements d'un patineur. Je jetais un coup d'œil vers la glace comme la musique s'était arrêtée et vis le blond en train de saluer son public. 

Quand je relevais la tête vers le fond des gradins, je vis que l'homme en noir avait disparu. Je le cherchai du regard à travers la salle mais impossible de le trouver. Où s'était-il enfui si rapidement ?  La salle se vidait rapidement et j'étais parmi les dernières à partir quand je me levai, un peu chamboulée par ce que j'avais vu ces quinze dernières minutes. Alors que j'allais de nouveau pousser les portes à double battants, je fus arrêtée quand deux personnes crièrent mon nom d'une même voix.

— Amy !!!

Je me retournai pour voir Zélie et Nina me faire de grands signes. J'avais toujours trouvé les deux petites sœurs jumelles de Cassie adorables mais maintenant âgées de quinze ans, je voyais qu'elles n'étaient plus les petites filles surexcitées que j'avais connues. Elles n'avaient en revanche pas perdu cette habitude de coordonner leurs tenues. Elles arboraient chacune deux longues tresses rousses qui reposaient sur leurs épaules ainsi qu'une jupe avec un top. 

— Salut les filles, comment allez-vous depuis le temps ?

— Ça va ! répondit Nina. Cassie ne nous avait pas dit que tu revenais à Manchester, c'est génial !

Je ne pus m'empêcher de lâcher un sourire en réponse au sien enthousiaste.

— Parce qu'elle ne le sait pas, on ne parle plus vraiment autant qu'avant...avouai-je, soudainement un peu honteuse.

— Oh je vois...fit Zélie. Alors tu es venue voir Ewen ?

Ewen ? J'étais censée savoir qui était cet Ewen ? Devant ma mine confuse, Zélie poursuivit :

— Enfin Amy ! Une fan de patinage artistique comme toi connaît forcément Ewen Maxwell, le champion du monde d'Angleterre de la catégorie junior ! Il vient juste de finir sa prestation improvisée devant le public.

Le champion junior. Ah. Ça expliquait beaucoup de choses.

— Désolée les filles vous savez je ne m'intéresse réellement qu'à la catégorie senior. Mais c'est super que cet Ewen vienne s'entraîner dans votre patinoire, ça doit vous faire une pub d'enfer !

— Tu l'as dit ! En plus Ewen est vraiment super sympa ! Il prend toujours le temps de nous parler quand il nous voit, enchaîna Nina.

Au vu de la façon dont ces deux-là parlaient de lui, je me demandais si elles n'avaient pas un petit faible pour le patineur blond.

— Attends, on va te le présenter ! s'exclama Nina comme si elle avait eu l'idée du siècle.

— Oh oui ! enchaîna Zélie. Vous pourriez faire un duo, je n'ai jamais vu quelqu'un en vrai patiner aussi bien que vous deux ! Ça serait génial !

Génial. Comment ça génial ? Non non, pas génial du tout. La situation m'échappait un peu trop vite à mon goût. J'étais une patineuse solo et j'avais suffisamment de mes deux mains pour compter le nombre de personnes qui m'avaient déjà vue sur la glace. Ce n'était pas pour patiner avec le champion junior du pays ! Malheureusement pour moi, Nina n'attendit pas ma réponse pour appeler le patineur de tout à l'heure. Il interrompit sa discussion avec son entraîneur pour se tourner vers nous. Pétrifiée, je n'entendis pas la voix de Zélie lui dire de venir alors que le regard d'Ewen Maxwell s'accrochait au mien. 

Et ce fut en me plongeant dans ses yeux bleus, qui me regardaient d'un air confiant et interrogateur, que je sus alors ce qui m'avait paru si familier chez lui quand il patinait tout à l'heure. Il avait patiné comme je patinais à chaque fois, comme si la glace n'était qu'à lui et qu'il était seul avec elle. Je ramassai mon sac d'un geste vif avant de me précipiter vers la sortie.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top