Chapitre 1
L'aéroport était bondé. Je dus jouer des coudes pendant dix minutes avant de pouvoir mettre la main sur ma valise, quelques secondes avant qu'elle ne soit définitivement embarquée par le tapis roulant. Même après avoir pris plusieurs fois l’avion, je ne m’y habituais pas ; ce système de récupération des bagages restait bien trop stressant à mon goût. Mes affaires en main, je me hâtai vers la sortie, pressée de quitter ce lieu bien trop fréquenté à mon goût en ce début d'été. Je m'attardai à peine sur l'agréable caresse du soleil sur ma peau avant de me mettre en quête de la voiture de mon parrain, Clément. Pas besoin de chercher bien longtemps, un bruit de klaxon attira bien vite mon attention. Je baissai légèrement la tête et me mis rapidement en mouvement vers l'origine du bruit.
— Clem, arrête de nous faire remarquer ! lui lançai-je en guise de salutation.
Ce fut son rire familier qui me répondit.
— Amy ! Ma filleule préférée ! Bonjour à toi aussi, tu m'as manqué, s’exclama-t-il en m’enfermant avec empressement dans ses bras.
Je levai les yeux au ciel tout en lui rendant son étreinte d’ours. Un fin sourire trahissait ma joie de le revoir derrière ma fausse exaspération.
— Le choix est vite fait, je suis ta seule filleule, soulevai-je alors qu'il commençait à charger mes bagages dans le coffre.
Son rire franc me répondit une nouvelle fois alors que nous nous installâmes à bord de la voiture. Nous mîmes un bon quart d'heure avant de réussir à sortir du parking où la moitié des véhicules klaxonnaient à tort et à travers pour sortir le plus rapidement possible en forçant le passage. Tout à fait le genre de comportement qui m’agaçait.
Alors que Clément s’élançait enfin une voie à grande vitesse, j’ouvris la fenêtre pour laisser entrer l’air. Je me souvenais que mon parrain habitait à trente minutes de l'aéroport et il n’était pas envisageable que je passe une demi-heure à étouffer sous la tôle de la voiture.
— Alors, contente de revenir en Angleterre ? m’interrogea Clément d’un ton enjoué.
J’acquiesçai, le sourire aux lèvres. Mes souvenirs de vacances les plus excitantes étaient toujours ici, à Manchester, où j’avais le sentiment de pouvoir me libérer des contraintes pendant quelques semaines hors du temps.
— Bien sûr, j’avais hâte de venir, ça fait tellement longtemps ! déclarai-je, à moitié songeuse.
Mon parrain s’empressa de montrer vigoureusement son accord. Même si nous faisions des appels vidéo très régulièrement, cela ne remplaçait en rien les moments que l’on pouvait vivre ensemble.
— J’espère que ce n’est pas seulement pour la patinoire que tu es venue, et que tu comptes bien passer un peu de temps avec ton vieux parrain, fit-il semblant de grommeler, dans une attitude complice.
L’amusement me gagna à mon tour. Il était vrai que l’on pouvait considérer la patinoire comme mon second lieu de résidence à Manchester.
— Pourquoi choisir, je compte bien profiter des deux, ris-je. En tout cas, je suis bien contente d’éviter le fameux été dans le Nord chez Evelyne, pour une fois que mon père me laisse partir de mon côté !
La mine de Clément se fit aussitôt plus sérieuse.
— Comment va-t-il, d’ailleurs ? finit-il par me demander, légèrement mal à l’aise.
Les membres de ma famille entretenaient des rapports tendus entre eux, même s’il n’y avait pas réellement de mésentente. À mon plus grand regret, je flottais en orbite autour de quelques astres disloqués.
— Il va bien, répondis-je simplement en haussant les épaules. Il a pas mal de travail en ce moment mais il garde le sourire, c’est le principal.
Il hocha la tête, le regard fixé sur la route.
Nous nous étions encore appelés la semaine dernière, et un silence s’installa progressivement alors que la conversation se taisait après que nous eûmes échangé les dernières nouvelles. Le calme était seulement brisé de temps en temps par Clément qui chantait à tue-tête les titres qui passaient à la radio lorsqu’il connaissait les paroles tandis que je me perdais dans mes pensées.
Je songeai à mon père. D'habitude, je ne partais qu'un mois chez Clément et je passais le reste de mes vacances avec lui, dans notre résidence secondaire à la campagne, mais il devait se rendre chez ma grand-mère qui était malade. Je ne m'étais jamais entendue avec elle. Evelyne Clairmont, la mère de mon père, était une femme stricte, mais au-delà de cela, ce que je supportais le moins - et était la raison pour laquelle je ne voulais plus la voir - c'étaient ses commentaires désobligeants au sujet de ma mère. Elle avait soi-disant toujours su que ma mère briserait le cœur de mon père et sa mauvaise foi ainsi que ses propos virulents à son encontre m'insupportaient.
Clément était le meilleur ami de ma mère. Avant sa disparition, quand j'avais six ans, je le voyais à toutes les vacances scolaires, en France ou en Angleterre avec mes parents. Nos familles étaient très liées. Par la suite, je venais seule pendant un mois au cours de l’été. Mais j'avais aujourd'hui dix-huit ans et je n'avais plus mis les pieds chez mon parrain depuis trois ans. Il était venu quelques fois en France en faisant l'aller-retour sur un week-end, mais ce n'était pas pareil. Je ne savais pas exactement pourquoi mon père et lui ne se parlaient plus, à mon plus grand regret. Pour commencer, sa femme Katy et leur fille Kiara - qui devait avoir aujourd'hui huit ans - me manquaient horriblement. Je n'avais aucun lien de parenté réel avec Kiara mais je l'avais toujours considérée comme ma petite sœur.
Avec tout le temps que j’avais passé en Angleterre, je m’étais fait deux bons amis, Jeremy et Cassie, avec lesquels j'avais malheureusement perdu le contact au cours de ces trois dernières années. Je savais grâce à Facebook que Cassie était en couple depuis un an avec un certain Leith et que mes deux amis avaient réussi leurs examens avec brio cette année. À part pour se souhaiter nos anniversaires, nous ne nous donnions plus de nouvelles directement. Je n'avais donc pas pris soin de leur dire que je revenais à Manchester cet été pour deux mois. Je ne savais pas comment ils réagiraient si nous nous croisions, nous avions sans doute tous les trois bien changés.
Mais ce qui m'avait le plus manqué en dehors de tout ça à Manchester était bien son immense patinoire. J'avais été plongée dans ce monde dès mon plus jeune âge et ma passion durait depuis autant de temps. Ma mère m'avait appris les bases de cet art dès que j'avais eu l'âge de tenir en équilibre sur des patins. Je n'avais jamais pris de cours, toutes mes connaissances dans ce domaine reposaient sur les leçons de ma mère ainsi que mes observations des entraînements publics et de mes visionnages de vidéos. Après la disparition de ma mère, mon père avait voulu m'éviter le même sort qu'elle et avait essayé de me tenir la plus éloignée possible de la glace. Nous avions donc un accord tacite : pas de cours, pas de compétition, juste du patinage pour le plaisir. Mais évidemment, ça n'avait jamais pu n'être qu'un plaisir.
Le peu de temps que j'avais passé avec ma mère avait suffi à me transmettre sa passion pour le patinage artistique. Ma chambre était décorée d'un bout à l'autre de posters de mes patineurs favoris, de brochures de journaux et autres photos. C'était pour cela que pour moi, la patinoire de Manchester était mon havre de paix. Sans mon père sur le dos, je pouvais sans crainte m'abandonner complètement à ma passion. La famille de Cassie était la propriétaire des lieux alors ils me laissaient facilement la grande patinoire pour moi toute seule quelques heures par-ci par-là le matin ou le soir. Seulement, à mon grand regret, cette fois-ci serait sûrement différente et mon éloignement avec Cassie excluait à l'avenir de bénéficier à nouveau de ces avantages.
— Nous sommes arrivés.
La voix de mon parrain me tira brusquement de mes réflexions alors qu’il coupait le moteur. Je le suivis à l'extérieur de la voiture et fus directement frappée par une mini tornade blonde qui heurta mes jambes.
— Amy !
Un immense sourire me gagna alors que je m'abaissai pour accueillir Kiara dans mes bras.
— Hey choupinette ! Ça me fait plaisir de te revoir, tu m'as manquée tu sais.
Je la chatouillai légèrement et son petit rire familier m'indiqua que j'étais enfin de retour à Manchester. Je plongeai mon nez dans ses mèches blondes en bataille pour m’enivrer de son odeur d’enfant.
— Coucou ma puce !
Je me relevai à l'entente de cette nouvelle voix familière.
— Katy ! Comment vas-tu ? m'enquis-je alors qu'elle m'entraînait dans une grosse accolade.
La mère de famille était plutôt grande et me retrouver blottie contre son épaule me détendit alors qu’elle semblait m’envelopper de sa présence chaleureuse. Durant toutes ces années, c'était Katy qui avait comblé le manque d'une figure maternelle à mes côtés. La revoir me permit de me rendre compte à quel point j'en avais besoin.
— Très bien, c'est un plaisir de t'accueillir à nouveau ici.
Je lui retournai sa mine ravie pour lui montrer que j'étais contente aussi d'être là après tout ce temps. Clément nous doubla à ce moment, chargé de mes bagages pour les monter dans la chambre que j'occupais d'habitude.
— Attends parrain, je vais t'aider, fis-je en essayant de lui arracher ma grosse valise des mains.
— Quoi ? Tu doutes de ma force, ma chère filleule ? Ne t'inquiète pas je suis encore assez jeune pour monter ta valise, dieu merci.
Sachant qu'il ne servait à rien de discuter avec lui, je me résolus à prendre mon sac à dos et à lui emboîter le pas dans la maison. Peu importait ce que j’allais vivre cet été, rien ne semblait pouvoir effacer l’indéfectible sourire que j'arborais en pensant que j'étais bel et bien de retour sur le sol anglais.
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