Chapitre 3

La nuit est claire, et la pleine Lune devrait être un avantage pour me repérer sur les docks, où je risque de me prendre les pieds dans les cordages qui trainent, et les caisses posées çà et là autour des containers. Sauf que ce soir, vu ce que je suis venu faire ici, à Eureka, je préfère autant ne pas être trop exposé aux rayons de l'astre nocturne, histoire de rester discret. Les mecs que je suis censé rencontrer ce soir ne sont visiblement pas encore là, et j'en profite pour vider ma vessie contre un container, après deux longues heures de trajet en bagnole. J'ouvre ma fermeture éclair, empoigne mon membre et je me libère en soupirant d'aise.

— T'aurais pu te tenir tranquille, tout à l'heure, merde ! J'aurais eu l'air d'un con si elle s'était rendu compte que tu bandais sévère ! Non mais franchement, je peux pas avoir confiance en toi, putain !

Merde, me voilà en train de parler à ma bite. Y'a un truc qui tourne pas rond chez moi.

J'ai pas bu une goutte d'alcool de la journée, et je me demande si c'est pas ça qui me fait délirer, finalement. Je m'enfilerais bien une gorgée de bourbon, vite fait, histoire de calmer mon envie, mais je ne peux pas : je conduis. Alors ne nous méprenons pas, hein : j'en ai rien à foutre de conduire bourré, en temps normal. Mais là, ce soir, la sortie doit rester discrète, et si je me fais arrêter, rien ne doit susciter la méfiance des flics et m'empêcher de rentrer au domaine sans encombre. Alors je ronge mon frein, en pensant à la bouteille de whisky qui m'attend sagement dans le placard de la cuisine.

— Tu parles à qui, mec ?

Une voix rauque à l'accent russe retentit derrière moi, alors que je remonte la fermeture de mon jean et que je me retourne.

— A personne, je réponds.

Puis je m'attarde un peu sur le gars qui se tient devant moi. Il est plutôt grand, mais pas autant que moi. De toute façon, les mecs de ma taille, ils ne sont pas légions. Et c'est tant mieux, parce que ma taille est souvent un gage de tranquillité. J'impressionne, j'inspire de la peur et du respect. Et dans mon métier, c'est plutôt pratique.

— Alexeï ? je demande en haussant un sourcil.

— Lui – même, répond le type en s'inclinant légèrement.

Il ne me tend pas la main, et quelque part ça m'arrange. J'ai horreur des contacts physiques, avec des gens que je ne connais ni d'Eve ni d'Adam. Je suis d'un naturel assez détaché. Je n'aime pas les poignées de mains, les contacts rapprochés ou les embrassades viriles. Bon, avec les nanas, c'est un peu différent, hein... Tout compte fait, le mec, en fait, vu ce que j'étais en train de faire, quelque part, il a raison d'éviter ma main ...

— Monsieur Trammel ? continue-t-il.

— Non, moi c'est Oak. C'est Trammel qui m'envoie.

— Oh, hésite le type. C'est que je croyais avoir affaire à lui directement...

— Je suis son bras-droit, le coupé-je froidement. Traiter avec moi, c'est pareil qu'avec lui.

— Je vois, marmonne-t-il. Un empêchement ? Rien de grave j'espère ?

Mais c'est qu'il commence à m'énerver, celui-là, à me demander des explications ! Est-ce que je lui demande, moi, pourquoi il est sapé comme un pingouin en plein milieu d'un port de fret ? Néanmoins, m'énerver ne servira pas les intérêts du club, alors je m'efforce de me calmer et de m'adresser correctement à ce type fringué d'un costume et d'une cravate dans une zone portuaire.

— Il reçoit de la famille qui vient de France, réponds-je avec un sourire faux. Un truc super important, m'empressé-je de préciser, histoire qu'il ne se vexe pas qu'une blonde insignifiante passe avant lui dans les priorités du président des 666 Rivers Riders.

Le type m'observe quelques secondes, puis enchaine, visiblement décidé à terminer quand même la conversation. Est-il convaincu par mon speech ? M'est avis qu'il a surtout envie de rentrer chez lui. Comme moi d'ailleurs, même si je sais qu'une nana a envahi mon espace personnel en mon absence.

— La marchandise est par là, m'envoie-t-il soudain, en m'indiquant un coin sombre près d'un gros container rouge à moitié rouillé.

Je m'approche, sans le quitter des yeux. Pas que j'ai pas confiance, mais pas totalement quand même. Le club fait affaire avec un gang mafieux russe depuis plusieurs années. Et on n'a jamais eu de problèmes avec eux, que ce soit dans nos relations, nos livraisons ou le matos. Rien à dire, ils ont toujours été réglos. Mais nous aussi, hein : on a toujours honoré nos commandes et réglé rubis sur ongle. Pas de crédit, pas d'entourloupe, ils savent qu'on est discrets, efficaces et qu'on paie nos dettes en liquide.

Je me baisse, et entrouvre la couverture épaisse qui traine par terre, pour découvrir un A-91, une kalachnikov, un AK47, un AK74 et un SR-Veresk. Je prends les armes en main, l'une après l'autre, les tâte, les retourne sous toutes les coutures. A vue d'œil, tout a l'air nickel, alors je hoche la tête en guise d'accord tacite, referme la couverture et me redresse avec le colis dans les bras.

— Dites à Trammel de les essayer tranquillement chez lui. Et si ça lui convient, qu'il me prévienne pour me dire quel nombre de chaque il veut.

J'acquiesce de la tête, tout en cherchant dans ma poche arrière l'enveloppe que Lead m'a refilée tout à l'heure pour payer le russe. Mais il m'arrête d'un geste, ayant sans doute compris mon intention.

— C'est cadeau, aujourd'hui, précise-t-il, magnanime. En signe de bonne foi, et comme gage de notre vieille amitié.

Amitié, mon cul, ouais. Ce mec –là est tout sauf notre pote, ça j'en suis sûr. Il n'hésiterait pas à nous balancer au premier venu si ça valait le coup. Mais je remballe mon sarcasme et le remercie d'un coup de tête. Pas envie de parler, ce soir.

J'embarque la livraison dans le pick-up, en prenant soin de caler l'ensemble dans d'autres couvertures sombres, histoire de ne pas attirer l'attention pendant mon voyage. Là, j'ai juste envie de me barrer, alors je ne prends pas le temps de m'appesantir en salutations inutiles. Je grimpe dans la cabine, mets le contact et décolle sur les chapeaux de roues. Il est deux heures du matin, je suis levé depuis six heures et j'ai gardé deux mômes une journée entière. Ras le cul, j'ai envie de pioncer.

J'accélère un peu, mais pas trop, pour ne pas attirer l'attention de la flicaille. J'essaie de rester dans les limites autorisées, mais franchement, pour moi, c'est juste de la torture... Alors j'essaie de me concentrer sur autre chose. Mes yeux se posent sur la vue. Même de nuit, Eureka est une belle ville. Jolies maisons, jolis quartiers anciens. Et la mer, qui s'étale sous mes yeux, est un appel silencieux à la contemplation des vagues de l'Océan Pacifique qui s'échouent sur les plages désertes. Mais aucun arrêt possible, je n'ai ni le temps, ni la possibilité. Pas avec ce que je transporte. Alors je me concentre sur la route et tente d'enfiler les miles sans pression, juste accompagné par les étoiles et la Lune, qui me nargue de son sourire transversal.

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