Chapitre 2
Ce qui est bien avec les gamins, c'est qu'ils sont capables de rester un bon bout de temps à s'éclater sur un truc improbable auquel tu n'avais même pas pensé tellement ça te semblait idiot. Mais visiblement, trier des cailloux a l'air d'être une activité juste passionnante pour une gamine de treize mois. Je vous vois venir là. Des cailloux ? Mais c'est super dangereux ! Sauf que là, on parle de moi. Et que contrairement à ce que tout le monde pense, je suis quelqu'un de responsable. En tout cas avec les gosses qu'on me confie. Avec moi-même, ça, je ne dis pas, c'est pas gagné. Mais mes neveux, c'est sacré. Alors quand je file des galets à ma Clémence, je me suis assuré dix fois qu'ils étaient suffisamment gros pour ne pas qu'elle les gobe. Parce que toute mignonne qu'elle est, cette puce a la fâcheuse tendance à tout mettre dans la bouche. Je vous jure, c'est terrible. Son père passe son temps à aller chercher des trucs dans son gosier.
Vu qu'elle est super tranquille depuis un bon bout de temps, j'en profite pour poser mes fesses sur un des rondins du coin barbecue du chalet, d'où je peux la surveiller tranquillement, et me griller une cigarette vite fait. Encore un autre vice, me direz-vous. Pas faux, mais franchement je n'ai absolument pas le courage de m'en priver en ce moment... Du coin de l'œil, j'aperçois Shanya courir après River, et ça me fait marrer, parce que visiblement, elle a plus l'air de galérer que de s'éclater. Faut dire que garder un gamin de deux ans perchée sur des talons aiguille, c'était pas l'idée du siècle. D'autant que le gamin, du haut de ses quatre-vingt-dix centimètres, et malgré ses petites jambes, ben il court vachement plus vite qu'elle. J'expire la fumée avant de lui lancer :
— Eh Shanya ! T'as pas eu le père, et je crois que t'auras pas le fils non plus !
Elle s'arrête net, pose ses mains sur ses hanches et me lance un regard noir. Ben quoi ? Elle a tenté pendant des années de devenir la régulière de Lead, mais a juste réussi à se faire tringler tout ce temps avant de se faire voler le poste par Jeanne sans même s'en rendre compte. Ça m'étonnerait qu'elle ait digéré l'affront, et j'ai bien cru qu'elle partirait du club. Mais non, elle a remballé sa fierté, et sa dignité, et continue malgré tout à s'occuper du bar. Tant mieux pour nous, hein, parce qu'elle gère le job plutôt bien...
— Connard ! hurle-t-elle d'un air furax. Viens m'aider au lieu de raconter des conneries !
— Démerde-toi, Shanya ! T'as choisi ! T'as pas voulu la p'tiote, débrouille-toi avec le monstre !
— C'est facile, tiens, pour toi ! Elle bouge pas, la tienne.
Je souris, fier de moi. Cette andouille était persuadée que le plus grand serait plus facile à gérer... Grave erreur. Ma Clémence, c'est une perle, à garder. L'autre démon, c'est une autre histoire.
— Putain, Oak ! Aide-moi !
Ma réponse est simple : je lui adresse un majeur majestueux qui la fait jurer comme un charretier. Il semblerait que je viens de griller mes chances avec elle de vider mes couilles ce soir... Pas grave, de toute façon, depuis deux mois, ma queue est en berne. C'est pas faute d'essayer hein. Je crois que j'ai tenté toutes les brebis du club. Nada, rien du tout. Pas la moindre érection en vue. Même Mary, la plus experte, n'a réussi à rien. Et je peux vous dire qu'elle y a mis tout son cœur... enfin surtout sa bouche. Échec cuisant. Pour tout vous dire, ça m'inquiète un peu, mais finalement, je me raccroche au fait que ma consommation d'alcool en est sûrement la cause. Enfin, j'espère. J'ai pas envie de consulter pour ça ...
L'arrivée d'une voiture en provenance du portail du domaine me tire de mes réflexions hautement philosophiques. C'est le pick-up de Lead, et je me lève d'un coup, intrigué. Joshua et sa femme reviennent enfin de San Francisco, où ils sont allés chercher la sœur de Jeanne. Ils doivent être crevés, d'avoir fait près de dix heures de route. J'ai l'impression d'un coup de me retrouver trois ans en arrière, quand Lead nous avait demandé, à Beer et moi, d'aller chercher Jeanne à l'aéroport. Bordel, si on avait su que ça allait changer nos vies à ce point....
Lead s'extrait du côté conducteur et claque sa portière en rattrapant au vol son fiston qui lui saute dans les bras. Il arbore un large sourire, comme toujours avec ses gosses. C'est un père incroyable, patient, doué, attentif. Ça contraste totalement avec son look de bad boy effrayant et ses allures de sale type. L'habit ne fait pas le moine, il parait... On ne peut pas en dire autant de Jeanne. Avec elle, pas de surprise. Avec ses robes à fleurs, sa blondeur naturelle et ses grands yeux bleus, elle a tout de l'ange qu'elle est vraiment. Une jolie fille simple, naturelle et gentille, en laquelle on peut avoir une confiance absolue. Mais pas dénuée de courage ou de caractère : Jeanne est une battante. Il y a deux ans, c'est elle qui a sauvé la peau de nos fesses en cachant des armes quand la police a débarqué au domaine. Jeanne, c'est une lionne. Ou non, plutôt une chatte : douce, dévouée mais capable de mordre et de griffer si sa famille est en danger. Quand je dis chatte, hein, n'y voyez pas un double sens, j'ai trop de respect pour elle. M'étonne pas que Lead ait craqué sur elle... Moi aussi, au départ, mais j'ai pas eu ma chance. Pas grave, c'est devenue une amie formidable, et je n'y changerais rien.
Lorsqu'elle sort de la voiture, je lui souris, mais mes lèvres s'affaissent aussi sec. Bordel, je crois que je vois double. Une deuxième Jeanne surgit de la portière entrouverte, sous mes yeux ébahis. Je jette un coup d'œil à Lead, qui se contente de hausser les épaules en gloussant. Si j'avais bu, je comprendrais. Mais promis juré craché, je n'ai pas pris une goutte d'alcool de toute la journée, rapport aux gosses. C'est peut-être un symptôme de manque, alors ?
A y regarder de plus près, la fille qui s'avance vers moi a quand même quelques différences avec Jeanne. Elles sont blondes comme les blés, toutes les deux, aussi grandes l'une que l'autre, près du mètre soixante-quinze, mais celle-ci a un visage plus rond et des yeux plus clairs. Putain, je crois ne jamais avoir vu de couleur pareille : turquoise, comme les mers des Caraïbes, uniforme et lumineux. Elle est un peu plus ronde aussi, ce qui n'est pas pour me déplaire. Jenny aussi, elle.... Stop, ne plus y penser. Je me concentre sur la fille, qui se tient à côté de sa grande sœur. Quel âge peut-elle avoir ? Jeanne a vingt-neuf ans, celle-ci ne doit pas dépasser les vingt-cinq.
Alors que je l'observe de bas en haut, innocemment, je me fige net. Putain, c'est pas vrai ! Voilà que ma queue décide de se réveiller de sa léthargie, au bout de dix semaines d'hibernation involontaire. C'est bien le moment, tiens !
— Cécile, je te présente Oak, le frère de Joshua, déclare Jeanne tout sourire. Je t'en ai déjà parlé.
— Effectivement, murmure la sœur, impassible. Enchantée, je suis Cécile, la sœur de Jeanne.
Bordel de putain de merde ! Je fixe comme un abruti la main qu'elle me tend, sans oser répondre ni bouger. J'essaie de prendre une pause naturelle, mais peine perdue, la fille plisse les yeux en observant mon visage qui a dû virer à l'écrevisse, avant de me scanner des pieds à la tête dans un air impassible. Reprenant mes esprits, je finis par lui serrer la main, mais je suis sûr d'une chose : elle doit me prendre pour un vrai débile. C'est en tout cas ce que doit penser Lead, qui m'observe en se marrant.
— Troublant, hein, la ressemblance ? me lance-t-il.
— Ouais, incroyable.
Ouf, visiblement, il n'a pas compris la cause de mon trouble. Avec un peu de chance, les autres non plus. C'est Shanya qui m'ôte de l'embarras en s'incrustant sans se rendre compte qu'elle me sauve la vie. Elle pose les mains sur ses hanches, penche la tête et ricane d'un air mauvais.
— Putainnnnn ! Comme si on en avait pas assez déjà avec une ! On a droit au clone, maintenant !
— Remballe tes sarcasmes, Shanya, s'interpose Jeanne d'une voix ferme. C'est ma sœur, tu lui dois le respect. Donc tu es priée de te tenir à carreaux et de garder ta langue de vipère dans ta bouche.
Shanya grogne, mais ne moufte pas. Y'a pas à dire, Jeanne a su s'imposer. Elle a réussi à gagner le respect qui lui est dû. J'aurais pourtant pas parié un kopeck sur ça quand elle est arrivée ...
— Merci d'avoir gardé les enfants, Shanya, continue néanmoins Jeanne. Tu nous as bien rendu service.
— Mouais, concède la belle brune en grimaçant. C'est la dernière fois : ton gosse ne tient pas en place. Jamais vu un môme aussi chiant !
Et elle plante tout le monde en pénétrant dans le bar, roulant des fesses dans son micro-short en jean, sous le regard ébahi de Cécile et le sourire narquois de Lead.
— Rhôô, dis donc, elle est pas commode, celle-ci ! murmure Cécile.
— Non, répond sa sœur dans un sourire, mais elle est fidèle au club. Alors tu peux lui faire confiance, du moins pour tout ce qui touche au MC. Pour le reste, méfie-toi. C'est une peste, doublée d'une garce.
— Hummm, fait Cécile, sceptique. Si tu le dis...
Lead se joint à nous en me tendant la valise de Cécile. Je le regarde, étonné, et complètement désappointé.
— Pourquoi tu me donnes sa valise ? je m'inquiète. Qu'est-ce que tu veux que j'en fasse ? Je la monte au premier ?
— Nope, répond Lead en me fixant. Tu la portes jusqu'à chez toi. C'est là qu'elle s'installe.
— Quoi ??
La sœur et moi avons crié d'une même voix.
— C'est quoi ces conneries ? je gronde. Pourquoi elle viendrait chez moi ? C'est à toi de la loger, pas à moi ! C'est ta belle-sœur, pas la mienne !
— On n'a pas la place, contre Lead. J'ai pas réussi à finir les travaux d'aménagement du deuxième étage, parce que j'ai pas eu d'aide du tout, si tu vois ce que je veux dire. Alors elle va chez toi. Fin de la discussion.
— Mais non ! je proteste. Je suis pas d'accord. Je veux personne chez moi. Et encore moins une nana. Je veux rester seul et ...
— Tu es réellement en train de contester un ordre, là, Oak ? gronde Joshua. Ton président vient de te dire quoi faire et tu dis non ? T'es sûr de toi, là, gars ?
Je déglutis. Bordel, le salaud est en train de me forcer la main et je n'ai aucune échappatoire. C'est la loi du club, et personne n'y déroge.
Mais la fille passe devant moi et se poste devant Lead, le visage froissé.
— Hors de question que je vive chez ce... ce ... cet homme quoi.
Merde, elle veut dire quoi là ? Que je ne suis pas assez bien pour elle ? Sympa !
Mais elle se tourne vers sa sœur, semblant la prendre à témoin.
— Dis-lui, toi, Jeanne. C'est inconvenant ! Je ne peux pas dormir sous le même toit qu'un homme sans être mariée avec lui ! Ce serait... totalement incorrect.
— Hé, ça va ! je lance, excédé, et un peu vexé. Je vais pas te sauter dessus, non plus ! Je sais me tenir !
Elle me jette un regard hautain, avant de se reporter à nouveau sur Jeanne et Lead.
— Ce serait malséant pour mon fiancé, Jeanne, tu le sais bien ! Un manque de respect total pour Mathieu.
Jeanne souffle, puis prend la main de sa sœur.
— Écoute Cécile, fais un effort. On n'a pas la place, et Oak a une chambre d'amis qui ne sert quasiment jamais. Tu ne risques rien, voyons. C'est le frère de Joshua, qui est lui-même ton frère par alliance. Donc c'est un peu ... ton frère aussi en fait !
— Humm, concède Cécile. Mouais. Mais quand même...
— Et puis, tu sais, Oak a vécu tellement de choses ces derniers temps ; les filles, ça ne l'intéresse pas du tout. N'est-ce pas Oak ?
Quoi ? Elle veut dire quoi par là ? Certes, j'ai le cœur brisé, et la bite en berne, mais ça, elle n'est pas censée le savoir...
— Non ? s'étonne Cécile en me scrutant les yeux plissés. Sûr ?
— Mais oui, je t'assure, la conforte Jeanne en agitant la tête d'un air entendu. Oak est un hôte remarquable, tu verras.
Je n'ai pas le temps de protester ni de demander des explications sur ses affirmations douteuses, qu'elles sont déjà rentrées dans le bar, nous plantant là devant le chalet.
Lead me fixe d'un œil suspicieux, passe à côté de moi pour les suivre, mais s'arrête à ma hauteur.
— Je vais réitérer les paroles que j'ai prononcées il y a trois ans, Oak. Pas touche, ok ?
— Quoi ? je m'insurge. Mais c'est toi qui me la colles dans les pattes, là !
— Parce que j'ai pas le choix, brother. Mais tu n'y touches pas, compris ?
— Mais je m'en fous de cette meuf, elle m'intéresse pas !
Lead baisse la tête vers mon jean, puis s'approche pour plonger ses iris noirs dans les miens.
— Ok, je te crois. Mais explique ça assez vite à ta bite, mec, parce que là, visiblement, elle est pas du même avis que toi.
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