-1- Postulant 03 : L'Italien

Le jour se levait sur le train reliant Milan et Paris. La nuit avait été plutôt tranquille pour les passagers du wagon n° 08, qui avaient pu goûter à quelques heures de sommeil, installés dans leurs sièges de seconde classe.

Ils étaient partis à 19h32, pour un trajet de 10 heures qui devait les amener à l'intérieur du territoire français. Les voyageurs étaient peu nombreux, et on dénombrait plusieurs places vides. On pouvait distinguer une famille de quatre personnes, un homme au costume froissé, une étudiante avec un sac énorme et un jeune homme, qui tenait un bout de papier froissé entre ses mains.

Il venait de se lever, les cheveux légèrement en désordre et le regard fatigué. Il prit la canette posée soigneusement sur son accoudoir, bu une gorgée, grimaça et s'étira. Son billet, flanqué du numéro du train, de sa place et de sa destination, dépassait du sac posé à ses genoux. Il arborait un nom : Falco Benaglio.

Un peu plus loin, réveillé par les lueurs matinales, le petit dernier de la famille commençait à réclamer à manger à ses parents, tandis que l'étudiante, lunettes sur le nez et thermos à la main, faisait entendre le bruit des touches de clavier de son ordinateur portable. Seul l'homme au costume semblait encore plongé dans un profond sommeil.

Le dénommé Falco, lui, regardait le paysage. Il avait raffermi sa prise sur le morceau de papier, si bien que les jointures de ses mains en devenaient blanches. Peu importe s'il finissait avec une crampe, il ne lâcherait pas. S'il perdait la feuille, le voyage devenait inutile, et il n'aurait plus qu'à rentrer au pays la queue basse, avec une facture de plus à payer.

Les réflexions du jeune homme furent interrompu par un bâillement du père de famille, qui faisait face aux assauts de sa progéniture. Il haussa les épaules, et, sans lâcher son morceau de papier, tira un livre de son sac. Un exemplaire du « Faust » de Goethe. Il l'ouvrit, pour s'assurer que son marque-page était toujours à sa place, puis le posa sur ses genoux. Problème : Falco devait se résoudre à ranger le bout de papier s'il voulait lire.

Les bruits du wagons eurent tôt fait de réveiller l'homme en costume. Il se leva en maugréant et se dirigea vers les toilettes. Il ne paraissait pas en très bonne forme et son teint pâle trahissait la faiblesse de son état. Il disparu derrière une rangée de sièges et les autres passagers entendirent la porte des toilettes claquer.

Falco, distrait un temps par le déplacement de l'homme, se concentra sur la couverture de son livre. Elle décrivait un vieillard devant une table couverte de livre, d'alambics et de plantes qui faisait face à une immense créature cornue et ailée, le diable. La scène la plus connue de la pièce, le pacte du savant Faust avec Méphistophélès.

Le jeune homme soupira et se décida enfin à ranger le morceau de papier au fond de sa poche. Non pas qu'il fut un grand amateur de pièce de théâtre allemande, mais Lucia avait dit qu'il aimerait l'histoire, alors il l'avait pris. La bibliothécaire avait le chic pour essayer, maladroitement, de lui remonter le moral avec ses conseils. Même si ça n'était pas souvent concluant.

Une petite voix mal assurée, celle de la fille aînée du couple, demandait avec insistance l'accès à la tablette tactile familiale. Elle reçu l'objet des mains de son père et exprima sa reconnaissance par un baiser sonore sur sa joue. L'étudiante, avec un sourire, arrêta son travail et commença à observer le petit dernier qui semblait essayer de répondre à sa grande sœur avec ses babillements.

Falco fit une moue dubitative. Il aurait trouvé ça sans doute très mignon dans d'autres circonstances, mais il n'avait pas le cœur à se réjouir. En effet, lui qui n'avait jamais quitté l'Italie, il se retrouvait à traverser deux frontières, et tout ça justement à cause de sa famille.

Il renonça à lire et, d'un geste, rangea l'exemplaire de « Faust » dans son sac-à-dos. Il regarda vaguement au dessus de lui pour vérifier que son autre sac, plus volumineux, n'avait pas bougé, avant de glisser la main au fond de sa poche, pour en tirer la feuille chiffonnée, qu'il déplia. Il s'agissait d'une lettre administrative, qui faisait mention de son nom, et d'un message court expliquant qu'il passerait l'Entretien. A vrai dire, il ne savait pas exactement en quoi cet « Entretien » consistait. Mais on lui en avait parlé comme un moyen de trouver un travail très bien payé. C'est Lucia qui lui avait conseillé de postuler, alors il l'avait fait, sans trop d'espoir, et voilà que son CV était pris...

L'homme en costume sortit des toilettes en faisant un boucan monstrueux. Le bruit de chasse d'eau et le claquement de la porte firent sursauter tous les passagers. Il s'excusa en grognant et bouscula légèrement l'étudiante qui haussa les sourcils. Il avait cependant l'air un peu mieux, et son teint avait reprit quelques couleurs. Tant mieux pour lui pensa Falco, qui se replongea dans sa lecture.

On lui demandait de se présenter le 1er juillet devant un entrepôt à Greenwich, en Angleterre. C'était très loin de là il habitait, ce qu'il avait étonné. Il essayait depuis, sans succès, de s'imaginer quelle sorte d'entreprise anglaise engagerait un italien quasiment sans diplôme... La lettre n'avait rien qui aurait pu la distinguer des autres avis administratifs que Falco avait reçu pour passer des entretiens de balayeur ou de caissier, sauf ce lieu de rendez-vous insolite et autre chose, qui l'avait intrigué. Le bas de page faisait, en effet, mention de trois vers, qui le laissaient dubitatif :

« La faiblesse humaine est d'avoir

Des curiosités d'apprendre

Ce qu'on ne voudrait savoir ».

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