7. Respect
Perché en équilibre sur le rebord de la fenêtre, Yorrik promenait son regard sur le vallon désert. L'air vif et frais s'engouffrait dans sa chemise trop large, ébouriffant sa masse de cheveux noirs. La pluie avait lavé les arbres alentour, mais de manière brutale et chaotique, peu efficace, puisque les branches et feuilles mortes jalonnaient à présent l'herbe tendre. Les crevasses dans le sol s'étaient gorgées d'eau, comme si la terre en avait recraché le surplus, gavée par l'abondance de pluie qui s'était abattue toute la nuit.
La veille, le jeune homme s'était endormi comme une souche sur la table, à peine son repas terminé. La tête posée sur ses bras croisés, il paraissait subitement plus jeune, et encore plus fragile. Sitka l'avait recouvert d'un duvet chaud pour couvrir ses ailes abîmées, et était partie se coucher. Au matin, elle l'avait retrouvé perché sur le chambranle, ses cheveux noirs brillants au lever du soleil. Encore ensommeillée, elle avait passé de longues minutes en silence, à observer son nouveau colocataire.
La joie, voilà ce qu'elle lisait en lui. Il rayonnait littéralement de bonheur et de liberté en cet instant. Son t-shirt trop large, ses braies mal vêtues et ses cheveux décoiffés complétaient ce tableau hors du commun. Ses prunelles sombres fixaient la cime des arbres, le sol boueux et les volatiles qui s'envolaient, jusqu'à ce qu'il se tourne vers son hôtesse.
Alors, ce fut au tour de la reconnaissance de s'attribuer ses traits.
- Nous avons déjà un point commun, murmura Sitka en se redressant, étirant ses muscles comme s'ils étaient tous endoloris.
- Vrai-vraiment ? Lequel donc ?
- Cette fenêtre. Je m'y poste régulièrement, pour regarder le ballet des oiseaux.
Elle n'ajouta rien et sortit ses pieds de sa couverture, inspectant d'abord ses jambes, remontant aux genoux jusqu'à ses cuisses.
- Qu-que fais-tu ?
- Je ne ressens pas les sensations, rappelle-toi. Ce qui signifie également que je ne sens aucune douleur, aucune tension et que je ne peux pas sentir si je me blesse, notamment lorsque je dors. Matin, midi et soir, je vérifie que mon corps se porte bien. Que je n'ai ni bleus, ni éraflures, que je n'ai pas mordu ma langue, ni griffé mon visage en dormant.
- Je n'avais p-pas réalisé tout ce qu-que cela impliquait. Tu as be-besoin d'aide ?
- Je vais me débrouiller, j'ai l'habitude. Et puis j'ai un miroir, pour vérifier mon dos. Par contre, tu excuseras ma nudité, je n'ai pas de miroir suffisamment grand dans la salle d'eau.
- Je... je suis dé-désolé, je me retourne !
La naïveté rafraîchissante de Yorrik lui fit teinter les joues. Il vivait dans le clan de Corvis, où la pudeur n'avait guère sa place. Il avait momentanément oublié que dans la plupart des peuples, l'intimité avait une place des plus importantes dans une demeure. Les femmes et les hommes ne se mêlaient généralement pas, et la pudeur se faisait parfois extrême.
Dans certaines nobles familles, le simple fait de se tenir la main pouvait tenir lieu à des rumeurs de fiançailles, Yorrik l'avait entendu d'un Aeravis ayant sillonné un large pan de territoire, avant d'atterrir, ou plutôt de se retrouver piégé, dans le clan des Corvis.
- Je t'assure que cela ne me gêne pas, fait Sitka derrière lui, alors qu'il l'entend esquisser quelques pas sur le plancher qui craque doucement. Au contraire, j'avais peur que tu en sois gêné. Tout comme je n'ai pas de ressentis... je n'ai pas vraiment d'émotions.
Sa phrase tomba comme un couperet, et même les oiseaux parurent se taire.
- Tu ne ressens r-rien. Ni de douleur, ni de sensations, ni... r-rien ? Pas de joie, de p-peur, de colère ou de t-tristesse ?
- Rien de rien. Ni positif, ni négatif. Tout me laisse à peu près indifférente, j'agis simplement selon un code moral. Je pense que la seule émotion à ma portée est la curiosité, mais j'ignore si ma curiosité équivaut à celle d'un autre. Elle me semble être plus discrète, plus transparente et insignifiante que ce que j'ai pu voir chez certaines personnes. Je ne suis pas à plaindre. J'ai un toit, de la nourriture, des occupations, un travail. C'est plus que ce que d'autres ont, j'en ai bien conscience.
Oubliant la notion de pudeur, Yorrik se retourna pour voir son expression. Le miroir lui rapporta le visage serein et calme de Sitka, qui parlait toujours posément. Son corps nu était terriblement blafard, d'une pâleur lunaire. Rien à voir avec les femmes d'Orbis, qui avaient le corps mate de celles qui passent trop de temps sous les rayons du soleil. Chez Sitka, tout était blanc. Ses cheveux, son visage, ses cils également. Ses courbes délicates et sveltes ne ressemblaient nullement à la cambrure plantureuse des Croavis qu'il avait vu toute sa vie durant.
Ce corps était simple, comme dépourvu de fioritures et d'artifices. Elle n'avait pas de tatouage d'encre, ni de bijoux, et cela rendait sa beauté d'une candeur et d'une immaculée sans pareille.
- Tu es belle, résuma simplement Yorrik en un souffle. Je-je veux dire...
Elle haussa un sourcil en lui faisant face, et son bafouillement mourut dans sa gorge.
- Tu es belle, répéta-t-il, il n'y a r-rien à dire d'autre.
- Merci.
- Es-tu... heureuse, malgré tout ? Tu ne ressens rien, mais tu dois quand même le savoir un petit peu, non ?
Sitka souleva sa chevelure, pour balayer du regard ses épaules dans le miroir.
- J'ignore ce qu'est le bonheur. Je me contente de vivre, tout simplement. Je ne peux rien aimer, ni rien détester. Rien, ni personne. Quant à mon problème... eh bien, avec le temps, je m'y suis faite. Je suis ainsi depuis toujours, du moins, depuis que mon père m'a trouvé dans ces bois, alors que j'étais encore fillette. Tu t'y feras, toi aussi. Il faut simplement ne pas trop me brusquer, physiquement parlant. Je ne suis pas aussi fragile que le verre, et je ne me suis jamais vraiment blessée, puisque j'ai toujours été prudente. Et je le serai toujours, ne t'inquiète pas.
Il hocha la tête, bien qu'il fut conscient de ne pas encore tout à fait intégrer cette réalité. En silence, il l'observa s'inspecter des pieds à la tête, puis jusque dans sa bouche. Satisfaite de ne rien trouver d'anormal, elle partit dans la salle de bain d'où Yorrik entendit l'eau couler. Il reporta son regard vers la forêt, songeur.
Il réalisa à peine que la jeune femme avait terminé sa toilette. Enfermé dans son monde, il restait perché sur l'appui de fenêtre dans un équilibre précaire que ses ailes lui aidait à tenir. Appréciant l'humidité ambiante, le Croavis se mit à chantonner, balançant ses jambes qui vinrent taper contre la pierre de la chaumière.
Les oiseaux s'égosillaient dehors, comme en réponse à sa joviale mélodie. Derrière lui, sur le lit, Sitka avait entrepris des travaux d'aiguilles. Elle écoutait les chants tout en découpant les tissus, puis les pliait, formant de longues coutures droites sur les revers. Yorrik se retourna, sourire jusqu'aux oreilles, contemplant la jeune femme concentrée à sa tâche.
- Qu-que fais-tu, au-au juste ?
- Je fabrique quelques habits supplémentaires. Au moins deux ou trois, ce serait bien utile.
- Des vê-vêtements ? fit-il en repassant ses pieds à l'intérieur de la maison.
Il s'approcha sur la pointe des pieds, comme s'il pouvait surprendre Sitka qui lui faisait face. Un air malicieux se perchait sur son visage expressif. Il avisa le tissu bleu laiteux, épais aux longues manches, conçu pour les jours hivernaux à venir. Puis il vit les mains blanches saisir l'aiguille pour la passer dans un immense trou qui avait été créé dans le dos de l'habit.
- Mais... ils s-sont pour mo-moi ? s'étonna-t-il subitement.
- Bien entendu, pour qui d'autre ? Bientôt, il fera froid, et il te faut bien quelques rechanges, ne serait-ce que pour dormir. On ne va pas laver le linge tous les jours. En plus, j'ai beaucoup trop de vêtements là-dedans, autant qu'ils servent à quelqu'un. Je commanderai d'autres pièces, la prochaine fois que je passerai commande au marchand qui me livre mes provisions deux à trois fois par mois.
- C-c'est inut-tile !
- J'insiste, cingla Sitka d'un ton catégorique qui coupait toute négociation envisageable. De plus, cela ne me coûtera rien de plus que d'ordinaire. Alors ne te fais pas de tracas.
Étonné, le jeune homme pencha la tête. La curiosité dévorait son visage, de ses yeux trop brillants à sa bouche entrouverte, comme s'il se préparait à formuler une question. Même son corps, légèrement penché vers l'avant, en annonçait les prémices. Sitka l'avait prévu, évidemment. Elle ne s'étonnait pas qu'il veuille s'épancher sur le mystère qu'elle représentait ; tout un chacun avait déjà éprouvé cette avidité de connaissance envers sa personne.
Cela partait généralement de la plus banale des questions, comme comprendre pourquoi ces cheveux avaient la couleur de la neige, jusqu'aux plus intimes, voire inquiétantes. Certains dérangés demandaient alors à quel point elle ne ressentait pas la douleur. Leur esprit morbide énonçait parfois froidement d'autres questions, comme ce gentilhomme, dont les traits vicieusement pervers ne pouvaient cacher le sourire énigmatique. Celui-ci voulut savoir sans détour si la jeune femme avait déjà essayé de se planter une profonde lame jusqu'à l'os, juste pour voir ce qui arriverait.
Rien ne pouvait être pire que cela, avait alors conclu Sitka, qui avait à ce jour compris que de la même manière dont certains appréciaient la douceur et les caresses, d'autres s'épanouissaient dans la violence et la souffrance. Elle respectait cela, mais ne pouvait le permettre sous son toit.
Sitka ne ressentait rien, ce qui impliquait plusieurs problématiques. Elle ne pouvait réagir lorsqu'elle se blessait, elle ne le réalisait à vrai dire même pas, mais le pire, c'est qu'elle ne pouvait de la même manière pas appréhender celles des autres. Comment connaître les limites du corps humain face à la souffrance, sans la ressentir soi-même ? Comment parvenir à se stopper au bon moment, sans maîtriser ses propres sens ? Non, la violence était proscrite dans sa petite chaumière, et cela était l'une des rares règles qu'elle imposait toujours à ses visiteurs. Sitka n'était guère là pour laisser s'épanouir les fantasmes inavoués et enfouis des uns et des autres, elle était là pour répondre à un besoin naturel et impérial, qu'elle-même n'avait jamais ressenti. Mais c'était pour le mieux, car sa vie lui convenait, ainsi.
- Yorrik, fit calmement la jeune femme. Puisque tu veux rester là, on va devoir établir quelques règles entre nous deux. Et comme promis, je répondrai à tes questions, je suis sûre que tu en as plusieurs. Cela te dérange si je t'explique globalement comment je vis, d'abord ?
Il hocha la tête, l'encouragea à démarrer son récit. Elle poursuivit sa couture, qui était déjà presque finie, et Yorrik s'installa au sol, sur le seul petit tapis de la bâtisse. D'abord, Sitka lui détailla son quotidien. Quand elle cuisinait, nettoyait, lavait, se reposait. Elle ne s'étendit pas tout de suite sur ses clients, précisant seulement qu'ils venaient n'importe quand, du moment que la plaque sur sa porte était retournée.
- Oh, et qu-que vi-viennent chercher vos cli-clients ? P-pas des re-repas, j'espère ! plaisanta-t-il avec entrain. A-à moins qu'ils ra-rajoutent une bonne couche de se-sel en rentrant !
- Non, ce n'est pas exactement la raison qui les amène ici.
Elle chercha un moyen de parler de sa profession qui pourrait ne pas trop le perturber. Les gens réagissent différemment, mais Sitka avait toujours gardé la réaction violente de Selfos en mémoire, ce qui l'exhortait à la prudence.
- Sache que lorsque j'aurais de la compagnie, tu ne pourras sous aucun prétexte te montrer. Tu pourras sillonner les bois alentour, ou rester au chaud dans la cave, cela m'est égal. Mais ils ont un besoin impérieux d'intimité, et surtout, tu ne devras pas intervenir.
- Qu-quoi, tu es une sorte de-de magici-cienne, ou un tru-truc comme ça ? Une gué-guérisseuse ?
- Non, pas du tout. Pour eux, je ne suis qu'un réconfort, qu'un moment fragile et réconfortant. Je suis aussi parfois un peu leur confidente, car il arrive que les langues se délient en ma présence. C'est pourquoi je préférerai que tu attendes à l'extérieur quand ils viendront, à moins que le temps soit trop froid ou trop mauvais pour le permettre. De plus, j'ai peur qu'avec ce que tu as vécu, tu ne vois d'un mauvais œil ma profession, et par conséquent, mes clients. Mais je ne permettrai pas que quiconque les jugent.
Sitka ignorait si elle en avait dit assez pour qu'il se fasse une idée précise, ou même vague, de ce que représentaient ses activités. Avec naïveté, le garçon avait simplement souri en acquiesçant, promettant de se faire tout petit pour la laisser travailler en paix. Elle espérait qu'il le ferait vraiment, quand viendraient les derniers quelques clients avant la fermeture annuelle au cours de l'hiver.
Elle n'insista pas davantage, et autorisa enfin son protégé à démarrer sa liste de questions, dont il ne viendrait peut-être jamais à bout. Yorrik avait l'air d'être ce genre d'homme, jamais rassasié par les connaissances, qui cherchait toujours à acquérir de maigres miettes en plus que la miche qu'on lui tendait. Sitka le voyait clairement en lui, sur son visage, dans sa gestuelle, alors qu'il enchaînait ses interrogations, les unes après les autres.
- Tu as quel âge, en fait ?
- Et tu as de-des animaux ?
- Des pa-passions ?
- Pas mê-même de-des occupations ?
- Mais... tu aimes la cu-cuisine et la cou-couture, pas vrai ?
- Tu aimes les roses de-des glaces ? Moi, ce sont mes fleurs pré-préférées, même si je n'en ai encore ja-jamais vu de mes propres yeux.
- Tu vis seule... m-mais, tu es seule ? Pas d'amour dé-déchirant, caché, rien ? Même pas un amour de jeu-jeunesse ? Oh, qu-que c'est triste.
- Je peux co-coiffer tes cheveux ?
À présent qu'elle avait répondu oui à sa dernière question, Yorrik avait déjà empoigné de longues mèches blanches, et les agitait de ses doigts agiles. Sitka avait toute une collection de bijoux à cheveux, dont elle ne s'était jamais servi. Son protégé, appliqué à la tâche, glissait ses doigts dans la chevelure pour la tresser et créer en quelques minutes une couronne autour de la tête de la jeune femme. Il y planta de nombreuses épingles, dont certaines étaient piquées de cristaux brillants.
Les cheveux relevés avaient été savamment coiffés à la manière d'une princesse, et le port altier de Sitka renforça l'illusion. Elle paraissait à présent aussi intimidante qu'une reine nordique, son regard intimidant masqué de toute émotion.
- Où as-tu appris à coiffer les cheveux ainsi ? Ah, se coupa Sitka, cela avait un rapport avec ton rôle, à Corvis ?
- Non. Enfin, pa-pas vraiment. Il est vrai qu-que plusieurs femmes me de-demandaient service pour les aider à se co-coiffer, mais j'ai surtout appris grâce à mon frère.
Un sourire triste accompagna sa déclaration, qu'il balaya d'un rire forcé afin de se redonner contenance.
- Je te parlerai de lui... un jour.
Sitka nota qu'au fil des heures, son protégé parvenait mieux à s'exprimer. Comme si un environnement calme suffisait à lui faire prendre confiance en sa parole. Elle ne lui fit pas la remarque, de peur que le stress ne s'empare à nouveau de lui.Ce fut en milieu de matinée, après qu'ils aient dégusté du thé accompagné de pain aux graines grillé et beurré, que l'on frappa à la porte. Les coups étaient vifs, tendus.
- Un visiteur, pas une Bête, murmura Sitka.
Le temps qu'elle atteigne la porte, les coups retentirent de nouveau.
- Veuillez nous excuser du dérangement, Ma Dame, mais notre venue revêt de la première importance.
- Yorrik, s'adressa-t-elle au jeune homme avant de déverrouiller. Peux-tu descendre à la cave, pour l'instant ? Je ne veux pas qu'ils s'enflamment tout de suite pour rien. Je te promets de ne pas les laisser t'emmener. Cette affaire sera très bientôt réglée.
Le garçon ne répondit pas à voix haute mais acquiesça rapidement, avant de se faufiler jusqu'à la cave, où il emporta ses quelques nouveaux vêtements encore disposés sur le lit avec lui. À peine eut-il fermé le battant du cellier que l'entrée s'ouvrit, répandant la voix de plusieurs hommes, plusieurs soldats.
Leurs armures de cuir étaient de bonnes factures, prouvant qu'ils étaient des membres haut gradés de l'armée d'Os. De longues épées, fines et droites, pendaient le long de leur cuisse. À la ceinture, ils portaient d'autres instruments : des dagues, des couteaux, un briquet de silex pour certains et d'autres babioles camouflées dans leur multiples poches.
- Mes hommages, Dame Sitka, s'inclina le plus petit d'entre eux, mais aussi le plus imposant.
- Sitka tout court, Rollang. Passons-nous des formalités, je vous prie. Je sais qui vous cherchez, annonça-t-elle sans détour, et je vous demande d'interrompre ses recherches. Ce jeune homme est sous la protection des Terres d'Os.
- Mais, ma Dame...
Celle-ci détourna le regard ostensiblement, tournant le dos à cet homme qui dirigeaient le groupe armé. La cicatrice qui barrait son visage de son oreille gauche à son menton se plia sous son rictus, alors qu'il marcha jusqu'à saisir le poignet délicat de la jeune femme.
Prise au jeu de théâtre, elle papillonna des paupières, et approcha subitement ses lèvres rosées vers l'oreille du lieutenant.
- Souhaitez-vous réellement avoir à dire à mon frère qu'un étranger est entré au centre des Terres d'Os jusque dans ma chaumière sans s'en être inquiété ? Que s'il avait été armé des pires intentions en venant à ma demeure, vos jolis minois se seraient déjà décrochés de vos épaules depuis longtemps, mh ?
- Toutes nos excuses, Sit-, ma Dame !
Sous l'impulsion du moment, tremblant au simple fait de penser à l'attitude impitoyable de Selfos, le lieutenant Rollang ploya le genou devant Sitka, rapidement imité par toute son unité.
- Relevez-vous, ordonna calmement Sitka, en prenant place sur l'une des chaises.
Même assise, alors que les hommes se redressèrent, dépassant sa hauteur de plus de deux têtes, la jeune femme dominait clairement la scène. Ses yeux gris, farouches, dévisageaient les gardes et leur lieutenant avec une froideur calculée.
- Je ne suis pas ici pour vous jeter la pierre, ni pour vous punir. Je dois simplement être au fait de la situation globale. Avez-vous, vous ou quelqu'un d'autre, déjà prévenu mon frère de cette bévue, ou avez-vous pris les devants avant de le faire ?
- Je n'en suis pas fier, mais j'ai effectivement agi de mon plein gré, sans attendre les ordres. Nous étions en déplacement quand un badaud nous a appris la nouvelle d'un voyageur louche, arguant le nom du Fort-Solitaire à tout va. Nous n'avions pas de pigeon ou de corbeau à envoyer, nous avons préféré ne pas perdre le chemin de l'intrus. Malheureusement, notre piste nous ont éloigné des habitations, donc nous n'avons pu prévenir le Premier Ancestral.
- Tant mieux.
Un soupir de soulagement envahit la pièce, tandis que les soldats se détendaient enfin.
- Il va bientôt venir ici, vous le savez tous. Je lui parlerai à ce moment-là. Cet intrus que vous cherchez est le bienvenu sur les Terres d'Os. Un réfugié que je prends sous ma garde. N'en soufflez mot à quiconque, pas même au Premier Ancestral, quitte à dire qu'il s'agissait bien d'un marchand itinérant ayant bu trop de vin après avoir affronté une tempête, ce qui expliquerait son état déplorable, son absence de marchandise et ses propos confus. Inventez n'importe quoi de convaincant et gardez la tête sur vos épaules.
- Mais ma Dame, vous n'y pensez pas ! Il paraît que cet individu est dangereux. Avant qu'on nous le signale, on était sur les routes de la frontière. Paraît que la maison d'un éclaireur a été réduite en charpie par des Bêtes. Et si c'était lui qui avait massacré la famille ?
- Je vous assure qu'il n'y est pour rien. Au risque de me répéter, ce jeune homme inoffensif est sous ma protection. Je ne me nomme peut-être pas Sitkaos, mais vous savez qui je suis. Vous savez que je sais lire dans un visage comme dans le cœur des gens. Je suis en sûreté, alors marchez à la frontière pour tirer le clair sur cette boucherie. Cette affaire doit être votre priorité, car des personnes moins bien intentionnées pourraient profiter de cette ouverture pour attaquer les Terres d'Os. Apparemment, des tombes y ont été creusées, donc il reste peut-être un survivant à cette tuerie qui pourra témoigner et vous éclairer sur la situation.
Les soldats se jetèrent des coups d'œil, hésitant sur la marche à suivre. Ils avaient bien reçu quelques informations, mais ignoraient s'ils pouvaient en faire part à leur Dame.
Celle-ci, imposante même assise sur sa modeste chaise en bois, croisait les bras pour montrer un mécontentement qu'elle ne ressentait pas. Tous les moyens étaient bons pour les amener à parler. Et les soldats, bien qu'intimidés, témoignaient tous d'un sentiment emprunt de déférence la jeune femme, plus que le Premier Ancestral lui-même.
Ce sentiment qui leur inspirait la confiance envers la jeune femme, quand ils obéissaient à Selfos plutôt par peur.
Ce sentiment puissant qui, une fois acquis, ne quittait jamais vraiment les cœurs de ceux qui en étaient possédés.
Ce sentiment auquel Sitka n'avait pas accès, mais qui parvenait à contaminer ceux qui la côtoyaient, de près ou de loin.
Il était peut-être causé par son allure de reine, son expression implacable ou sa beauté pâle.
Il était peut-être façonné par sa capacité de jugement, son intransigeance ou son calme.
Il était évident qu'elle était fière, qu'elle était bonne, qu'elle était douce, qu'elle était forte.
Oui, peut-être était-ce tout ceci à la fois qui faisait qu'elle se faisait offrir ce sentiment, ou peut-être qu'elle le méritait tout naturellement.
Oui, par ses actes et sa charité, elle méritait amplement qu'ils leur témoignent ce puissant sentiment, à jamais inébranlable : le respect.
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