5. Yorrik
Le beau temps cédait peu à peu la place aux brises fraîches qui arrachaient les premières feuilles des arbres centenaires. Vallon-boisé serait bientôt teinté de rouge et d'orange, mais le brun dominerait rapidement le paysage.
Encore une semaine à patienter, et Sitka devrait laisser l'écriteau de fermeture à l'arrière de sa porte. Du moins, jusqu'à la visite de Selfos. Si celui-ci avait accepté son isolement, il n'en détestait pas moins ses activités. Quiconque se trouverait au sein de la chaumière lors de son passage finirait embroché par son épée. Dans le meilleur des cas, tout du moins.
De toute manière, entre les pluies fréquentes qui tomberaient en automne et le froid qui viendrait en hiver, Sitka aurait moins de visite. Certaines Bêtes hivernaient, rendant le quotidien plus facile à vivre. Indubitablement, les clients potentiels avaient aussi moins besoin de réconfort et surtout moins la volonté de parcourir les terres, de grimper le grand vallon pour atteindre la minuscule chaumière.
Peu de personnes tenaient assez à Sitka et à sa danse pour affronter les intempéries, sauf peut-être Éclasia et Bjorn qui, elle le savait, viendraient coûte que coûte. Cela faisait pourtant un peu plus de deux semaines que ce dernier manquait à l'appel. Il aurait déjà dû passer, mais Sitka ne l'avait pas encore aperçu. Cela perturbait ses habitudes routinières. Elle espérait que ce changement n'était dû qu'aux dernières épreuves qu'il avait traversées, et non pour les raisons plus définitives.
La constitution de Bjorn était suffisamment solide pour qu'elle doute qu'il ne trépasse face à une Bête, voire plusieurs. Son sang de Géant du Sud et l'expérience qu'il avait du combat faisait de lui un combattant hors-pair presque invincible. Mais s'il se trouvait seul, face à une meute de Dévoreurs, Sitka n'aurait su dire lequel des deux triompherait.
Forçant son esprit à songer à autre chose, étant donné que penser à Bjorn ne suffirait pas à l'aider, elle décida de préparer le dîner. Elle feuilletta rapidement le carnet où elle consignait son alimentation. Chaque verre d'eau, de tisane, chaque aliment ingéré était soigneusement noté. Ne ressentant pas la faim pour la guider, elle devait veiller à se nourrir et à boire suffisamment. Cela lui permettait aussi de manger varié.
L'avantage, c'est que ne sentant pas les goûts, elle pouvait manger de tout, même les mets fort amers réputés pour renforcer la santé. Cependant, elle n'en abusait pas car elle avait compris qu'il s'agissait plus d'une croyance populaire que de vrais remèdes. La preuve étant que dans les familles plus aisées qu'elle avait pu rencontrer, ils n'en consommaient pas.
Dans le cellier, elle relisait ses notes, éclairée par une lanterne qui se balançait doucement au plafond. Cela faisait presque une semaine qu'elle n'avait mangé de viande, et ses repas de la journée avaient été très légers. Elle décida ainsi de cuisiner un plat en sauce bien lourd et copieux, avec pommes de terre et oignons, sans oublier la viande épaisse et juteuse.
Elle remonta l'escalier, un panier dans les bras. Les ingrédients y reposaient, attendant d'être méticuleusement préparés par ses soins. En retournant dans la pièce principale de la chaumière, Sitka vit sans surprise que dehors, la pluie tombait dru. Elle s'en doutait, ayant observé les nuages bas et lourds, qu'il finirait par pleuvoir.
Les visiteurs se faisaient toujours plus rares les jours de pluie, donc elle aurait tout le temps du monde pour cuisiner. C'était ce qu'elle avait prévu.
Elle éplucha les légumes, ses yeux dégoulinant face aux oignons, rendant sa vue trouble. Cet aliment la déconcertait mais sa forme lui plaisait beaucoup. Sa rondeur, sa transparence, le craquement qui se produisait quand un couteau le transperçait, sans compter toutes les couches qui se détachaient les unes des autres. Elle essuyait ses larmes du revers de son bras lorsqu'un bruit heurta la porte en bois. Elle serra les doigts autour du manche du couteau, patientant. Puis alors, des coups retentirent, légers et insistants à la fois.
Quelqu'un toquait. Un visiteur, pas une Bête, répétait sa conscience.
Sa main déposa la lame aiguisée sur la planche. Dehors, la pluie tombait dru, les gouttes épaisses formaient un rideau opaque qui venait s'écraser au sol avec force. Visiblement, certaines personnes étaient suffisamment téméraires pour braver pareil temps. Après avoir jeté un œil sur son dîner abrégé, Sitka défit le verrou.
Une seconde plus tard, un homme entra sans s'y faire inviter. Son corps, décharné et trempé, laissait apparaître des côtes saillantes sous la peau de son torse. Ses vêtements paraissaient trop larges, comme empruntés, et de longues ailes noires traînaient tristement sur son sillage, comme s'il n'avait plus la force de les porter.
La mine paniquée, l'inconnu fixa Sitka, comme s'il la jaugeait rapidement pour définir si elle représentait une menace. Elle n'esquissa par un geste, la porte grande ouverte déversait une flaque jusque dans son entrée, mais elle demeurait immobile, comme si elle avait deviné l'effroi et la crainte que ressentait le jeune homme.
Celui-ci parut enfin décidé, ou capitula simplement, puisqu'il fit enfin un pas dans la chaumière, puis un second. Au troisième, ses muscles cédèrent et il s'écroula sur ses genoux.
Les bras ballants au centre de ses jambes, il semblait presque prier des dieux qui l'avaient oublié. Ses ailes se repliaient autour de lui, comme pour le protéger du monde extérieur.
Sitka le contourna en silence, ferma la porte sans la faire claquer, remit le verrou.
L'averse avait dû avoir raison de ce garçon, déjà affaibli et émacié. Des gouttes tombaient de ses cheveux noirs luisants, ruisselaient de ses ailes sans plume, dont le cuir noir manquait d'éclat. Aussi silencieusement qu'une ombre, Sitka alla à la salle de bain, avant de revenir auprès du corps toujours immobile.
Délicatement, elle fit tomber une serviette sur sa chevelure, épongeant son humidité. Le garçon sursauta, chassa la serviette en tapant la main blanche de Sitka, avant de reculer vivement. Il se cogna le dos dans la porte close, assis dans une flaque d'eau boueuse.
- Je ne te ferai aucun mal, protesta Sitka, tâchant de rendre sa voix la plus douce et rassurante possible.
- Fff..., tenta-t-il de s'exprimer.
- Froid ? proposa Sitka, le voyant grelotter sur place.
- F-faim, murmura-t-il enfin d'une voix éraillée.
Sitka n'en doutait nullement : il semblait même carrément sous-nourri, peut-être même malade. Pourtant, Selfos veillait à redistribuer les ressources au quatre coins du territoire, notamment pour veiller à leur allégeance sans faille. D'où venait ce gringalet, pour avoir la peau sur les os ? Sitka doutait qu'il ait pu traverser le territoire de part en part sans jamais s'être fait intercepter : les frontières étaient toutes gardées, les étrangers très mal reçus.
À moins qu'il ne s'agisse justement d'une jeune recrue, un petit nouveau sauvé par quelque guerrier que ce soit. Mais alors, pourquoi lui avoir permis d'intégrer le centre des Terres-d'Os ? Était-il à ce point digne de confiance ? En le regardant, recroquevillé au sol, Sitka se posait toujours la question.
- J-j'ai f-faim, répéta-t-il en fouillant les lieux du regard, jusqu'à trouver la table de cuisine dans son sillage.
- Je vais te préparer quelque chose, proposa Sitka.
Il refusa indirectement sa proposition, aveuglé par la table débordante de nourriture. Il y rampant maladroitement, comme s'il ne voulait pas gâcher le peu d'énergie qui lui restait. Son seul effort fut d'esquisser un détour, pour éviter de croiser Sitka, qui le regardait sans mot dire.
Elle le vit tendre la main et attraper le premier aliment qui tomba dans sa paume. Il croqua avidement dedans, gémissant de plaisir. Il grogna quand il lui fut retiré des mains par la jeune femme.
- Ne mange pas ça, le réprimanda Sitka. Les pommes de terre crues sont toxiques !
Le garçon fronça les sourcils, boudeur, avant de saisir un second légume, et de croquer à nouveau dedans, sourire aux lèvres. Ses yeux couleur charbon se plissaient de contentement, ravi de son butin. Sa joie céda cependant peu à peu aux pleurs, quand il sentit le mordant de l'oignon.
- Ç-ça pi-pique, renifla-t-il avant de prendre une seconde bouchée.
- Ne mange pas ça, fit doucement Sitka, en relevant son menton pour observer plus distinctement ses traits.
Son teint pâle était strié d'ombres, ses orbites creusées cernées de violet appronfondissaient le noir de ses yeux. Il ne voulut pas lâcher l'oignon, mordant dedans comme un condamné qui dévorait son dernier repas, aussi immonde fut-il.
Sitka savait qu'il était inutile de lui faire reprendre raison, et se dirigea dans le cellier, avant d'en remonter les marches quelques secondes plus tard. Sur une planche propre, elle trancha, coupa, puis s'arrêta. Ses pas la menèrent vers l'être accroupi, tordu dans une position qu'elle jurait inconfortable pour les êtres pourvus de sensations.
Son visage pâle s'abaissa au niveau du sien et cette fois-ci, plus fermement, retira le bulbe à demi-dévoré d'entre ses doigts, avant d'y fourrer une assiette. Des quartiers de pommes s'y trouvaient, placés en forme de fleur. Les yeux du garçon brillèrent de reconnaissance à la première bouchée, avant qu'il ne les ferment pour apprécier le goût sucré qui coulait dans sa gorge.
Le jeune homme essuya ses yeux de sa main pour chasser les larmes, qui redoublèrent soudainement.
- Ne touche pas tes yeux, ça va empirer. Attends voir un peu.
Elle se dépêcha d'aller chercher une serviette propre, plus petite, et actionna la pompe pour l'imbiber d'eau. Quand elle revint près de la table, l'assiette était vide, par terre, et l'inconnu s'était volatilisé. La serviette gouttait entre ses doigts fins et diaphanes. Où était-il donc passé ?
Son regard se leva vers la porte : toujours verrouillée. Elle n'eut toutefois pas le temps de le chercher très longtemps, du bruit retentissait déjà du cellier. En descendant les marches, elle le trouva tout de suite malgré la pénombre. Elle tendit la main, alluma la lanterne qui surplombait la pièce et s'approcha de l'inconnu.
Le corps courbé en avant, sa tête était presque plongée dans le cageot de pommes. Sitka le vit croquer, encore et encore, la chair, le trognon, il engloutissait les fruits entiers sans en laisser que les tiges.
Elle l'avisait comme un animal sauvage, perdu et terrifié, venu se ressourcer avant de repartir dans la vie sauvage. Elle s'accroupit à ses côtés, lui laissant le temps de s'apercevoir de sa présence, de l'accepter. Seulement alors, elle tendit la serviette nimbée d'eau, qu'elle appuya sur l'un de ses yeux. Sans parler, il tourna son visage pour lui offrir, comme un enfant ayant l'habitude que l'on s'occupe de lui. En douceur, elle tamponna ses paupières, sans qu'il ne cesse de mastiquer. Du jus roulait sur son menton, dans sa barbe courte, sur ses avant-bras, avant de tomber au sol.
- C'est la quatrième, murmura Sitka, tu devrais t'arrêter à présent.
Il grogna, serra le fruit plus étroitement autour de son poing, de peur qu'elle ne lui retire. La femme ne céda pas, fronçant les sourcils pour se faire obéir, ce qui ne fonctionna pas.
- Écoute, si ça fait si longtemps que ça que tu n'as pas mangé à ta faim, il faut réhabituer ton corps, petit à petit. Si tu te goinfres, ton estomac va tout rejeter l'instant d'après. C'est ce que tu souhaites ?
Il secoua la tête de gauche à droite, éloignant le fruit de sa bouche. Sitka fut d'abord rassurée, car il avait compris ce qu'elle avait dit. Peu de gens ne parlaient pas la langue commune, mais cela pouvait arriver. Après tout, elle-même ne la parlait pas, lorsque Bardos l'avait trouvé au milieu de ces bois infestés de Dévoreurs.
- M-mais j-j'ai f-faim, protesta-t-il en claquant des dents.
- Hum... je te propose quelque chose. Je termine de préparer à manger, ça va prendre une bonne heure, et tu pourras manger un bon plat chaud, avec de la viande, de la sauce. Tu n'en mangeras pas en quantité, bien entendu, mais tu te sentiras davantage rassasié qu'avec des fruits plein d'eau. Tu veux bien me suivre... et reposer cette pomme ?
Il hésita, elle le lut dans son regard sombre. Ses ongles, légèrement crochus, se plantaient dans la chair du fruit, traçant de petits sillons en forme de lune. Elle patienta encore un peu, sans le quitter du regard. Finalement, il accepta la proposition en grommelant, et remonta les marches à quatre pattes, ses ailes formant un dôme sombre au-dessus de lui. Sitka souffla la bougie, avant de sortir du cellier en claquant la porte.
- Veux-tu prendre une douche, te sécher ? proposa-t-elle humblement. Je peux te prêter des linges propres - et secs, ajouta-t-elle.
Deux billes noires se levèrent sur elle, implorantes. Ce regard était-il un oui ou un non ? Sitka était perdue, face à ses expressions ambigües, perverties par la souffrance et la peur qui habitaient cet homme.
- Alors ?
- Ou-oui. Oui, j-je veux b-bien. M-merci, souffla-t-il alors qu'elle lui désignait la pièce d'un geste de la main.
- Les serviettes sont dans le meuble. Je t'apporte un rechange dans un instant.
Dans la bâtisse, deux immenses armoires en bois faisaient face au lit. Ces meubles massifs, larges et hauts, étaient presque plein à craquer de vêtements. Une multitude de robes légères de toutes les couleurs, de gilets, de bas et de pantalons s'y trouvaient, bien rangés à leur place. Selfos aimait lui envoyer une nouvelle pièce, dès qu'il tombait sur un vêtement qu'il appréciait. Les colis étaient toujours accompagnés de petites notes, courtes et explicatives : « Cette chemise a l'air confortable, porte-la un jour où le temps sera peu clément. », avait-il un jour noté ; « Cette couleur irait merveilleusement bien avec la teinte de tes yeux. », griffonna-t-il pour accompagner une robe d'un bleu cobalt ; « Il paraît que nombre de femmes apprécient lier leurs cheveux. J'ignore si c'est ton cas, mais je voulais t'offrir cette possibilité. », avait-il justifié en offrant un coffret rempli d'attaches pour cheveux, allant des épingles jusqu'aux bandeaux.
Sa générosité était certes touchante, mais également fort encombrante. Sitka avait plus de vêtements qu'il n'en fallait, mais elle avait également toujours quelques pièces convenant à différentes carrures. Cela lui était souvent arrivé, que les hommes de passage aient besoin d'enfiler un vêtement confortable. Après avoir été surpris par une pluie inattendue, ou avoir glissé dans la boue d'automne. La jeune femme, depuis ces diverses péripéties inattendues, s'était constituée dans le tiroir du bas, une véritable collection. Des tenues mixtes, simples et sans fioriture, allant du plus petit gabarit au plus volumineux, jusqu'aux vêtements adaptés aux ailes de nombreuses espèces, qu'elle avait acquis depuis sa rencontre avec Éclasia, la jeune Noctavis.
Ce sont ces derniers dont elle jaugea les tailles, avant de se décider pour un haut un peu trop large, mais suffisamment long. Le jeune homme indubitablement menu semblait cacher une grande taille. Elle prit de simples braies, dont le nœud à la taille pouvait s'adapter à n'importe quelle morphologie. Cela suffirait amplement.
Quand elle alla déposer son linge, elle le trouva debout, qui fixait la baignoire. À son entrée, il leva de grands yeux vers elle, paniqué.
- Qu'y a-t-il ?
- C-comment... c-comment f-faites-vous vo-votre to-toilette ? questionna-t-il enfin.
- Pardon, pourquoi, tu ne t'es jamais lavé ?
- B-bien s-sûr qu-ue si, m-mais là... où est d-donc l'eau ?
Sitka n'apposa aucun commentaire. Elle se pencha simplement, poussa la pompe et l'eau se déversa en un gros filet.
- Tu peux faire chauffer l'eau, si elle est trop froide. Je peux mettre du feu sous la baignoire, proposa-t-elle.
- Vous vou-voulez me f-faire c-cuire ?
Il déglutit, cherchant une issue des yeux.
- Bien sûr que non, voyons, ne dis pas n'importe quoi. Simplement, l'eau vient d'un puit. Elle peut paraître très froide pour ceux qui n'ont pas l'habitude.
Fronçant les sourcils, le garçon glissa ses doigts dans l'eau qui fuyait déjà à travers le syphon.
- N-non, elle est t-très b-bien c-comme ç-ça. Là d-d'où je v-viens, on se la-lave d-dans les ri-rivières, à n-n'importe qu-quelle s-saison. J-j'ai l'habi-bitude.
- Je vois... eh bien, je vais te laisser. Tiens, fit-elle en lui donnant une plaque ronde et souple dans la main, tu peux l'utiliser pour boucher l'évacuation, si tu souhaite t'immerger. Il y a aussi une bassine sur ce meuble.
Elle pencha la tête, retrouvant un instant le comportement lointain et poli qu'elle présentait au manoir, lorsque son père vivait encore.
- M-merci, répéta le jeune homme.
Cette fois-ci, il ne tremblait plus, comme réchauffé par sa gentillesse et sa serviabilité. Il était peu habitué à ce genre de traitements, et il sourit malgré lui, touché par cette femme qui l'avait laissé entrer, sans jamais râler. Il remplit le bain, puis s'y glissa après avoir retiré les guenilles qu'il portait qui tombaient en lambeaux. Dans l'eau fraîche, il eut soudainement peur. Il avait sali sa maison de boue, il avait gâché son repas, volé ses provisions, accaparé son temps, et là, il se prélassait dans l'eau tandis qu'elle lui préparait un repas ?
Il se demanda si c'était là un piège, car qui serait assez stupide, naïf ou sincère pour accepter qu'un parfait inconnu s'insinue dans sa demeure sans contrepartie ? Elle voudrait peut-être lui faire valoir une dette, pour qu'il lui soit redevable. Mais peu importe, songea-t-il. Qu'il doive travailler, qu'il doive être chassé, quoi que cette femme veuille de lui, il savourait l'instant présent. Il avait besoin de se restaurer, besoin de se reposer. Son périple était terminé, son enfer était fini. Et s'il devait sauter à pieds joints dans un second, il le ferait volontiers. Rien ne pouvait être pire que l'endroit d'où il venait.
Toutefois, l'appréhension lui vrilla suffisamment les entrailles pour qu'il mette du temps à sortir de l'eau. Quand il fut sec et habillé, une délicieuse odeur parfumait déjà la chaumière. Il se rendit dans la pièce centrale à petits pas, jusqu'à se glisser dans l'unique fauteuil de la pièce, espérant passer inaperçu.
- Tu te sens un peu mieux ? demanda une voix douce.
Au temps pour sa discrétion, même tournée face à ses fourneaux, la femme l'avait entendu. Il racla sa gorge.
- Ou-ui, m-merci.
- Ce sera bientôt prêt, mais avant, s'il est possible, je voudrai savoir quelque chose.
Elle se retourna, ses yeux gris le fixa un moment, ce qui lui parut une éternité. Savoir quoi ? S'il était prêt à n'importe quoi pour un bol de bouillon, ou jusqu'où pouvait-il aller pour remercier ses faveurs ?
Il déglutit. Sa gorge était sèche et râpeuse, alors qu'il murmura si doucement qu'il fut surpris qu'elle ait pu l'entendre :
- Ou-oui ?
- As-tu un prénom, comment faut-il que je t'appelle ?
Sa voix douce, rassurante, endormait sa vigilance. La peur teintait toujours, dans un coin de sa tête, mais il la fit taire. Il dû faire appel à sa volonté, et à toute la confiance qu'il possédait pour lui répondre. Mais il le fit, alors que la femme montra un sourire apaisé.
- J-je m'ap-ppelle...
Sa voix éraillée peinait à sortir. Les larmes se pressaient à ses yeux alors qu'il tâchait de les refouler. Il serra ses poings, prit une posture plus confortable, les genoux remontés jusqu'à son menton. Ses yeux se fermèrent pour lui permettre de respirer, de calmer la peur irrationnelle qui le prenait en tenaille. Quand il sentit la paix abonder, ses yeux noirs se fichèrent droit dans ceux de la propriétaire de la chaumière. Il n'avait qu'un prénom à donner, ce qui n'était pas bien terrible. Mais cela faisait si longtemps depuis la dernière fois qu'une femme le lui avait demandé. Dans ses iris grises, il ne vit pas briller de luxure, mais une simple curiosité pratique, ce qui le poussa enfin à répondre :
- Je m'ap-ppelle Yorrik.
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