Chapitre quatre
« Le premier prince »
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– Je peux savoir où tu étais passé ?
Son père lui lança un regard noir, sans que Taehyun ne bronche. Les regards ne l'intimidaient plus depuis longtemps, désormais, il lui en fallait plus.
– Je suis allé me recueillir.
– Te recueillir ?
Son mensonge semblait avoir du mal à passer. Il fallait dire qu'il n'était pas le plus pieux des trois enfants, Soobin en détenait la palme, et qu'il ne se recueillait que certaines journées spécifiques. Son père le sonda du regard, sans cesser de froncer ses sourcils imposants et Taehyun continua d'une voix calme :
– L'arrivée du bateau m'a chamboulé.
– Je vois.
Cette dernière phrase n'était pas totalement un mensonge. Mais jamais ô grand jamais Taehyun ne pourrait révéler l'endroit où il s'était rendu en apercevant le bateau au large de leurs côtes. Encore moins à son père. Il prierait ce soir dans sa chambre, en solitaire, pour rattraper l'affabulation qu'il venait de prononcer. Pour l'heure, il ne devait pas laisser la situation lui échapper. Il replaça une mèche de ses cheveux sombres sur son front et se redressa, un sourcil arqué.
– Où sont-ils ?
– Regroupés dans la grande salle, avec tous les hommes du navire. Les laisser seuls dans la mer...
– Aurait été une mauvaise idée, je vous rejoins.
Son père acquiesça.
– Nous leur offrons l'asile quelque temps. Pour comprendre cette venue impromptue.
– Vous n'avez pas peur ? Parlent-ils notre langue ?
– Leur langue est étrange, comme la nôtre, avec cet accent qui la rend lente. Nous dînons tous ensemble ce soir. Dans la grande salle. Alors tu es prié de me suivre, de faire bonne figure Taehyun. Si le peuple apprend que tu fuis tes responsabilités-
– Je sais. Merci bien.
Sans attendre un mot de plus, il se remit à marcher, le torse bombé, la tête haute. Cette situation n'avait aucun sens. Un navire se découpait au loin dans la mer, et personne n'avait ordonné d'assaut. Personne n'avait ordonné de le couler. Pire, le temple n'avait pas prévenu le roi. Et Taehyun en était certain, les prêtres savaient pour cette venue. Comment auraient-ils pu ne pas le savoir ? Comment les dieux auraient-ils pu les laisser dans une totale ignorance ? Tu sais qu'ils ne parleront que si les dieux leur ordonnent de nous le dire..., la voix de sa jeune sœur résonna dans ses oreilles. Elle le lui répétait souvent, que les prêtres ne pouvaient pas tout leur dévoiler. Taehyun trouvait cela stupide par moment, malgré toute la reconnaissance et toute l'admiration qu'il éprouvait pour eux.
Ou bien, peut-être... Peut-être que cette venue, même les dieux avaient décidé de la garder secrète. Demain, il irait au temple tirer cette histoire au clair.
Ce dîner, il n'en voulait pas. Il avait pour habitude de manger exclusivement avec Soobin, parfois Mashiro quand cette dernière daignait quitter ses livres et ses dessins. Ils se glissaient dans les cuisines pour manger entre eux, sans personne pour les épier. C'était des moments qu'il aimait partager avec son frère, et personne d'autre. Les grands repas et banquets dans la grande salle étaient réservés aux jours de fête, aux mariages, aux enterrements... Pas à la réception d'invités qui avait surgi des flots comme un mirage. Taehyun ne le sentait pas. Il évita au maximum les salles communes où il savait les invités parqués. D'un pas pressé, il se rendit au jardin, souhaitant fuir au plus vite l'agitation du palais. La discussion avec son ami, celui vers qui il avait fui en apercevant le navire au loin, tournait en boucle dans sa tête. Demain ils parleraient de nouveau. Yuchan avait de nombreuses choses à lui apprendre, Taehyun le savait.
Il marchait si vite, la tête dans les nuages, que lorsque son corps percuta de plein fouet un garçon qui n'avait rien à faire là, il manqua d'en tomber à la renverse. Ce dernier le rattrapa immédiatement de ses bras fins et Taehyun se dégagea d'un geste brusque, les yeux grands ouverts.
– Qu'est-ce que...
– Pardonnez-moi !
L'illustre inconnu se plia en deux et le regard qu'il lui jeta suffit à lui faire baisser le nez encore plus bas. Il essuya sa manche, comme si le toucher de cet inconnu avait suffi à la salir et souffla, agacé.
– Qu'est-ce que vous faites ici...
– Pardon ?
– Qu'est. Ce. Que. Vous. Faites. Ici. Vous êtes sourd ?
La rapidité de son langage et son accent, il le savait, ne lui facilitaient pas la tâche. Mais Taehyun n'en avait que faire. Il le vit tripoter une de ses mèches de cheveux trop longues, qui s'était échappée de la minuscule queue de cheval qu'il s'était faite.
– Je me suis perdu.
La voix de l'inconnu n'était pas foncièrement agréable à entendre. Elle semblait fragile, forcée et voilée, comme si les mots peinaient à sortir de sa bouche. Il avait l'impression d'entendre un jeune garçon tenter de prendre sa voix d'homme. Son père avait raison, leur accent était étrange : il était détaché et lent, il ne l'aima pas.
– Oh. Vous venez du bateau.
Il l'avait déjà réalisé, il ne faisait que constater à haute voix. Sa tenue, son allure.... Tout en lui hurlait qu'il ne venait pas d'ici. Pour couronner le tout, l'intrus semblait sale.
– Oui.
Chaque mot semblait lui coûter et ses sourcils se froncèrent davantage.
– Les vôtres sont dans le grand hall. Vous n'avez pas à vous perdre ici.
– Je voulais voir les fleurs...
– Pardon ?
– Je voul-
– Ce n'était pas une question qui attendait une réponse. Les fleurs attendront. Rejoignez immédiatement les autres avant que je ne m'agace encore plus.
L'autre ouvrit de grands yeux et Taehyun le regarda partir, la tête basse, détaillant au passage la démarche étonnante de ce membre de l'équipage. Il marchait d'une manière légère, comme s'il se déplaçait sur un sol trop fragile, comme pour ne laisser aucune trace, ne pas faire de bruit. Il n'était pas bien vieux, il l'estima du même âge que lui ou à peine plus jeune et Taehyun se demanda ce qu'une personne aussi jeune faisait aussi loin de chez elle. Quel imbécile. Stupide envahisseur. Inquiet, il regarda un peu autour de lui, craignant de voir leur précieux jardin saccagé ou pillé. Mais il n'en fut rien.
– Mon prince...
La voix du vieillard derrière lui, le fit sursauter. Il se tourna légèrement et s'inclina à peine devant son grand-père, qui le dévisageait d'un air sombre.
– Vous semblez... Agacé.
– Je le suis.
Taehyun voulut partir, mais ce dernier agrippa son bras, plongeant son regard dans le sien.
– Je me méfierais, si j'étais vous.
– Je me méfie.
– Vous n'étiez pas présent lors de leur débarquement.
– Vous êtes observateur.
– Où étiez-vous ?
– Je vous laisse l'imaginer à votre guise.
Les lèvres du vieil homme se pincèrent et la moustache imposante qu'il possédait sembla frémir.
– Faites attention mon prince.
– C'est une menace grand-père ?
– Du tout. Un avertissement. Le château à des oreilles, les arbres ont des yeux. Vous savez ce que l'on dit.
Sur l'île les dieux voient, les dieux parlent. Oui, il savait. Rien ne restait un secret très longtemps. Taehyun les mettait au défi depuis des années.
– Je ferais attention, n'ayez crainte, reprit-il d'une voix douce. Vous savez que le palais peut compter sur moi.
Il le vit opiner du chef, d'un air grave avant de s'en retourner, ses mains ridées jointes dans son dos. Ils vous rendent curieux aussi grand-père, ne le niez pas...
Il passa dans les cuisines du palais en ébullition et soupira. Les hommes et les femmes derrière les fourneaux semblaient dépassés, légèrement paniqués et Taehyun les rassura quant à la quantité de nourriture cuisinée. Ce fut Soobin qui attrapa sa main à la sortie des cuisines pour le traîner vers la grande salle où le dîner débutait.
– Dépêche-toi, tu vas mettre notre père en colère, siffla-t-il.
Taehyun ne répondit rien et se laissa guider, une moue légère sur le visage. Avant de pénétrer dans la salle, ils s'arrêtèrent et Soobin se stoppa devant lui, le visage grave.
– Que se passe-t-il ?
– Il faut que nous nous serrions les coudes.
– Je n'avais pas l'intention de faire ami-ami, Soobin.
– Je ne le sens pas. Leur capitaine me semble honnête, bien qu'effrayant, mais il y a trois membres de cet équipage pour qui... J'ai un mauvais pressentiment.
– Lesquels ?
– Je te les désignerais à table.
Il le laissa passer une main dans ses cheveux noirs, remettre sa frange en place et enfin, un sourire illumina son visage.
– Voilà, tu es parfait.
– Mmh.
– Taehyun...
– Quoi ?
– Je suis là. À la moindre chose qui dérape je serais là. Si jamais.
– J'ai comme pressentiment que rien ne dérapera. Aujourd'hui du moins. Ils viennent d'arriver.
Soobin hocha de la tête et ils entrèrent dans la salle, plongée dans un silence étrange. Les hommes du bateau ne parlaient pas. La table de la famille royale – à laquelle avaient été conviés le capitaine, son second et deux têtes plus jeunes – était tout aussi silencieuse... Et Taehyun se figea en bout de table. Son père se leva, le désignant d'un geste de la main.
– Taehyun, mon premier fils. Premier prince de l'île.
Il dut prendre sur lui pour ne pas broyer les doigts de Soobin qu'il serrait comme si sa vie en dépendait. Il n'aimait pas l'attention portée sur lui en cet instant et quand sa mère mit fin à sa souffrance, lançant le repas d'un geste jovial de la main, il l'en remercia d'un regard. Les discussions se lancèrent immédiatement, les chuchotements, les regards sur sa personne, et Taehyun avança la tête haute rejoindre sa place. Son regard croisa celui du garçon aux fleurs et il soupira.
– Lui. Lui et son frère, souffla Soobin.
– Que font-ils ici et non aux autres tables, pesta Taehyun.
– Le second du capitaine ne les lâche pas. Junhee c'est son prénom. D'où mes inquiétudes les concernant. J'ai l'impression qu'ils sont plus que de simples camarades de bord à ses yeux.
Il promena son regard le long de table jusqu'à rencontrer son visage aux traits presque parfaits. Le Junhee en question semblait pensif, mangeait peu... En perpétuelle analyse de la situation. Il semblait dans la fin de sa vingtaine, ou peut-être même le début de la trentaine ; ses traits étaient ceux d'un homme à qui les dieux avaient promis une longue jeunesse. Le garçon aux fleurs ne le lâchait d'ailleurs pas des yeux, tout comme l'autre assis à ses côtés. Ils semblaient glués l'un à l'autre, dans l'attente d'un regard de Junhee pour commencer à manger.
– Si tu continues de le fixer comme ça, il va se dire que tu as quelque chose contre eux, lui souffla Mashiro, assise à ses côtés.
– C'est le cas, marmonna Taehyun.
– Quoi donc ?
Soobin suivait leur échange en silence.
– Que font ces hommes ici ? D'où viennent-ils ?
– Leur capitaine a parlé d'un vaste continent par-delà les mers. D'une tempête qui les aurait amenés ici. Notre père ne cesse de l'interroger à ce sujet depuis le début du repas.
– Ça n'a pas de sens, murmura-t-il avant de picorer dans son assiette.
– Je sais, c'est vraiment étrange. J'ai envoyé Jiwon fouiner dans leurs affaires.
– Tu as quoi ? s'étouffa Soobin.
– Jiwon, j'ai envoyé Jiwon.
Taehyun esquissa un sourire amusé. Envoyer sa dame de compagnie chercher quelques informations lui ressemblait bien.
– Tu n'es pas possible, soupira son jumeau.
Taehyun la regarda hausser les épaules, l'air de rien. Mashiro et lui se ressemblaient bien plus que leurs parents voulaient se l'admettre ; leur volonté à garder le contrôle sur leur environnement faisait partie de leurs plus gros points communs. Sans en rajouter davantage, Taehyun recommença à manger, son regard perdu sur la petite foule d'étrangers sous ses yeux. Le continent. Un lieu dont il n'avait jamais entendu parler. Ou plutôt, un lieu qui avait disparu aux yeux de l'île depuis bien assez longtemps pour ne devenir plus qu'un mythe dans la pensée collective.
Le repas sembla s'étirer, encore et encore. Son père ne lâchait plus Seyhoon, le questionnant, de plus en plus à l'aise avec l'idée qu'un illustre inconnu dîne à la même table que lui. Taehyun ne passa pas à côté du regard grave de son grand-père, reclu dans un coin de ta la table. Ce dernier n'avait pas adressé la parole une seule fois aux naufragés. De temps en temps, il sentait son regard de scruter, lui et Soobin comme s'il attendait que quelque chose se passe. Comme s'il attendait qu'ils agissent. Mais que voulait-il qu'ils fassent ? Le pouvoir à cette table ne lui appartenait pas – pas encore – et même si la perspective d'héberger ces inconnus ne l'enchantait guère, Taehyun n'avait pas son mot à dire, pas plus que son frère, et le savait.
– Grand-père semble agacé, souffla Soobin.
– C'est leur présence.
– Je comprends sa crainte, notre île est saine et sauve depuis un certain temps maintenant... Mais ils ne me donnent pas l'air d'être venu dans le but de nous déclarer la guerre Taehyun. Ils se sont réellement égarés de leur route maritime, continua son frère.
– Mmh.
– Ils ne sont pas arrivés là par hasard. Tu le sais aussi bien que moi, continuait-il plus bas.
Son grand-père ne les quittait plus des yeux. Comme s'il tentait de lire sur leurs lèvres. Et Taehyun comme Soobin savaient qu'il était capable d'une telle prouesse malgré sa vue fatiguée. Désormais Soobin lui parlait les lèvres presque scellées.
– S'ils sont là, c'est que les dieux l'ont permis. Nul ne franchit notre barrière protectrice sans leur accord.
– C'est justement ce qui m'inquiète Soobin, marmonna Taehyun.
– Les projets des dieux t'inquiètent ?
– Oui. Ils ne devraient pas ?
– Ils nous protègent Taehyun, rien ne nous arrivera, d'accord ? Je ne laisserais rien t'arriver. Tu le sais.
Sous la table, ses doigts trouvèrent les siens et Taehyun ferma les yeux un bref instant. Il le savait. Soobin vivant, jamais personne n'oserait s'en prendre à lui. La promesse remontait à leur enfance et jamais Soobin ne s'en était éloigné. Enfin, le regard de son grand-père se détourna.
Il croisa le garçon au regard perdu à la toute fin du repas, dans un couloir où il ne devait pas se trouver. Accompagné de Soobin, il se dirigea à grands pas vers sa silhouette fine, les mains enfoncées dans les larges poches de sa tunique.
– Il va falloir apprendre que tu n'es pas libre de te balader comme tu le souhaites dans ce palais... ?
– Beomgyu, lui souffla Soobin.
– Beomgyu. Que fais-tu là ?
En face de lui et malgré son ton grave, le garçon ne se démolit pas. Il le regarda d'un air un peu perdu avant de répondre à voix basse :
– Je voulais revoir votre jardin.
– Mais c'est une véritable fixette !
– Beomgyu ?!
La voix derrière eux les fit sursauter. L'autre garçon, le plus âgé des deux, se dirigeait à grands pas vers eux, un air affolé sur le visage.
– Je te cherchais partout !
Taehyun le regarda l'attraper par la manche et le tirer vers lui, mécontent. L'espace d'un instant, son comportement lui rappela le sien et celui de Soobin.
– Je-
– Il va falloir apprendre à ton frère d'arrêter de fouiner par ici.
L'autre garçon le dévisagea immédiatement.
– Personne ne voudrait qu'un accident se produise, continua Taehyun.
– C'est une menace ?
Il esquissa un pas vers lui et immédiatement Soobin s'interposa, le regard sombre.
– Recule.
Le grand frère se figea et haussa un sourcil.
– Ce n'était pas une menace. C'était un avertissement.
– Je prends note de votre avertissement premier prince, railla l'autre.
– Yeonjun..., souffla Beomgyu. Je suis désolé, je ne viendrais plus ici.
Et avant même que Taehyun ne puisse répondre, le dénommé Yeonjun tourna les talons avec Beomgyu. Il sembla lui marmonner quelque chose que ni lui ni Soobin ne comprirent et il soupira.
– Franchement Taehyun.
– Quoi ?
– Ne menace pas nos invités. Pas quand notre père semble aussi... curieusement heureux de les avoir ici.
– Tu trouves que j'ai mal agi ?
– Jamais ! Taehyun, jamais...
Il leva les yeux au ciel et recommença à marcher. Soobin se précipita pour le suivre, et continua de s'excuser avant qu'il ne le coupe en glissant son bras sous le sien.
– Je ne leur fais pas plus confiance Taehyun, mais tâchons de comprendre d'abord, d'accord ?
– D'accord.
Mais comprendre quoi Soobin ? Leur présence même relève du mystère.
⋆ ★ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝑻𝑰𝑴𝑬'
Hey hey hey ! On souhaite la bienvenue à mon ronchon de compétition <3
J'espère que ce chapitre vous aura plus, je vous dis à dans deux semaines pour la suite !
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