Chapitre huit

« Souvenir esquissé »

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La voix du Prêtre avait résonné longtemps dans ses pensées. Il n'en avait encore pas touché un mot à son frère, terrifié d'avoir été le seul à l'entendre. Que penserait Yeonjun ? Pouvait-il le croire capable d'entendre les pensées des gens ? Des voix dans sa tête ? Sa phrase l'avait hanté toute sa nuit et celles qui avaient suivie. Bienvenu à la maison. Beomgyu en avait frissonné plus d'une fois. Quelle maison ? Cette île ? Cette île n'était pas sa maison. Sa maison était loin, sur le continent sur lequel il avait grandi ses vingt-trois premières années. Je t'attendais Beomgyu, depuis si longtemps. Rien n'avait de sens et encore moins cette attente. Pourtant, l'étrange sensation qui lui avait agrippé l'estomac en cet instant ne l'avait toujours pas lâché. Il s'était senti épié jusqu'à la moelle, entièrement mis à nu par cet individu qu'il n'avait jamais vu. En une fraction de seconde seulement, Beomgyu avait eu la désagréable impression d'avoir mis le doigt sur quelque chose qu'il cherchait depuis longtemps, sans même le vouloir.

Et à nouveau, ils s'étaient retrouvés enfermés ici, dans cette salle qu'il commençait à avoir en horreur.

La nouvelle était tombée de bon matin, après quatre longues journées à être restés cloîtrés dans cette immense salle. Le roi leur offrait l'asile pour une poignée de jour avant qu'ils ne puissent reprendre la mer, après avoir repris des forces. L'annonce de leur arrivée avait été faite sur l'île tout entière, mais Seyhoon avait très rapidement brisé les rêves d'explorations que Beomgyu nourrissait depuis son arrivée. Ils ne devaient quitter l'enceinte du château sous aucun prétexte. Ils ne devaient pas se mêler au peuple de l'île, le roi en avait fait la demande immédiatement. Quand la nouvelle d'une inspection par les médecins était tombée, la panique l'avait envahi tout entier.

– Yeonjun...
– Je sais, je sais on va... On va trouver une solution.

Son frère avait le visage grave. Dans une petite heure, tous seraient emmenés un par un dans la salle où Beomgyu avait pu se laver et se changer la première fois. Yeonjun avait beau garder son calme, son stress se lisait sur le moindre trait de son visage. Yeonjun attrapa une de ses mains et l'entraîna vers leurs couchettes de fortune.

– Bon, on va... Tu vas y aller avec moi.

Sentant les larmes lui grimper aux yeux, Beomgyu secoua la tête.

– Il faut qu'on sorte d'ici pendant la visite, souffla-t-il.
– Beom, c'est impossible. Tout le monde nous verra.

Les portes s'ouvrirent à nouveau et une femme apparut dans son encadrement, le visage grave. Elle leur signala de se mettre en ligne et en râlant, les hommes s'exécutèrent. Yeonjun ne bougea pas, aussi pétrifié que lui et ce fut Seyhoon qui les poussa gentiment à l'avant de la file.

– Ils seront plus patients et cléments avec les premiers, leur confia-t-il.

Les joues de Beomgyu s'empourprèrent, touché par l'attention, mal à l'aise de l'entière situation. Son torse le brûla et il se gratta de plus belle sous le regard inquiet de son frère. D'un signe de la main, l'infirmière lui fit signe d'avancer.

– Un à la fois jeune homme.

Beomgyu lui lança un regard paniqué, Yeonjun entrouvrit la bouche pour protester mais Seyhoon lui intima le silence du regard.

– Je...
– Yeonjun, gronda leur capitaine. Il est adulte.

Le visage décomposé de son frère fut la dernière chose qu'il aperçut avant que les portes se referment. La tête basse il suivit la jeune femme jusqu'à l'infirmerie.

– S'il vous plaît...

Elle se tourna vers lui, un sourcil levé.

– Je ne veux pas.
– Vous n'avez pas vraiment le choix.

Son accent, très fort, aurait dû rendre sa compréhension compliquée une nouvelle fois. Pourtant, il lui sembla simple de la comprendre cette fois-ci.

– S'il vous plaît, répéta-t-il d'une voix basse, plaintive.
– Que se passe-t-il ?

Une voix qu'il reconnut le fit sursauter et la femme à ses côtés sembla un peu agacée. Juste là se tenait la dame de compagnie de Mashiro.

– Ce jeune homme refuse l'inspection médicale.
– Oh. Beomgyu ?

Il la supplia du regard, s'accrochant au seul visage familier de toute la salle. Un peu plus loin, Yeonjun entra à son tour et fut guidé derrière un autre lit.

– Je ne...

Les mots se mélangèrent dans sa bouche un peu trop sèche et il essuya ses yeux à la va-vite avant qu'une larme ne s'en échappe malgré lui. Il détestait ces périodes où son humeur était au plus bas, où ses émotions lui échappaient sans qu'il ne puisse rien y faire.

– Mashiro voulait te voir.

Blême, il dévisagea la jeune femme avec de grands yeux.

– Pardon ?
– La princesse a demandé sa présence immédiate, c'est pourquoi je suis venue, continua la jeune femme.
– Vous ne veniez pas en renfort ?
– Non. Je viens chercher Beomgyu.
– Il vous suivra après sa visite.
– La... La princesse veut le voir immédiatement. Je vous le ramènerais après.

La femme ne trouva rien à redire et Beomgyu se demanda même si elle en était autorisée. Sans attendre il se dirigea vers elle, confus, le visage bouillant, les jambes flageolantes. La jeune femme posa une main dans son dos, l'encourageant à la suivre. Beomgyu ne l'avait jamais entendu parler autant et fut surpris d'entendre une voix aussi chantante et mélodieuse. Elle avait un visage fermé, qui donnait l'impression que sa voix en serait le reflet parfait ; c'était en réalité tout le contraire.

– Merci, merci infiniment...
– Jiwon, souffla-t-il. Je m'appelle Jiwon.
– Merci Jiwon, je... Je te suis reconnaissant, vraiment, murmura-t-il d'une voix faible.

Il toussota, agacé par sa voix qui déraillait une nouvelle fois. Jiwon semblait minuscule à côté de lui ; un tout petit bout de femme aussi léger qu'une plume, aussi fragile qu'un pétale.

– Pour une raison que j'ignore, Mashiro te trouve très intéressant. J'ai le sentiment qu'elle aurait fait cela. Suis-moi, si le mensonge doit devenir crédible, autant qu'elle le sache.
– Merci, merci...
– Cesse donc de me remercier, tu vas plutôt m'expliquer tout ça. Par ici, suis-moi.

Il pressa le pas à ses côtés, empruntant des couloirs et des escaliers qu'ils lui étaient défendus, il le savait. Quand ils pénétrèrent ce que Beomgyu identifia comme l'aile des chambres, il sentit son cœur s'emballer légèrement. Si l'on me prend ici, je suis foutu, pensa-t-il. Jiwon pila net devant une porte en bois clair et y frappa trois petits secs. De l'autre côté, il crut entendre un mouvement léger et Jiwon éleva doucement la voix.

– C'est moi. Je ne suis pas seule.

La porte s'entrouvrit timidement sur une Mashiro aux yeux encore petits de leur nuit, ses longs cheveux sombres tombant en cascade le long de sa tunique bleu nuit.

– Oh. Je ne suis pas coiffée.
– Ce n'est que moi. Et Beomgyu, il ne portera pas de jugement.

Sans comprendre, Beomgyu hocha vivement de la tête. La porte s'ouvrit un peu plus et Jiwon le poussa sans ménagement. Désormais dans une pièce qu'il ne connaissait pas et où il n'était pas censé se trouver, Beomgyu se sentit mal à l'aise. Il se trouvait dans la chambre de la princesse, sans doute l'un des derniers lieux où il lui aurait été permis de mettre les pieds. Il balaya du regard la pièce ordonnée par endroit, le lit en bois clair et aux draps de la même couleur que le blanc des rideaux, encore tirés devant les hautes fenêtres. Son regard accrocha une quantité astronomique de livres éparpillés au chevet du lit, devant la fenêtre et sur un bureau en bois massif et à la largeur impressionnante. Sur ce dernier reposaient des feuilles en pagaille, de nombreux pinceaux et crayon en bois. Sans pouvoir s'en empêcher, il esquissa un sourire soulagé ; Mashiro le rassurait malgré elle. Il lui sembla voir en cette chambre de nombreux point commun avec lui et son cœur le lui fit savoir, cessant de tambouriner trop fort contre sa cage thoracique.

Mashiro le détailla des pieds à la tête et se posa devant une belle coiffeuse couleur ivoire. Jiwon se rapprocha immédiatement pour attraper une brosse et commença à la passer dans ses cheveux incroyablement longs. Beomgyu suivit le mouvement du regard, fasciné par ses mèches noir corbeau qui tombaient en cascade jusqu'au sommet de ses cuisses.

– Que me vaut cette visite impromptue et parfaitement interdite ? demanda-t-elle d'un air malicieux.
– J'ai cru bon de sauver la mise à notre cher ami, il semblait en détresse, refusant la visite médicale.
– Pourquoi cela Beomgyu ?

Beomgyu était bon pour mentir, mais mentir à la seule personne qui semblait lui accorder sa confiance dans ce palais lui sembla infaisable.

– Ils ne doivent pas voir mon torse.

Mashiro leva un sourcil et Jiwon reposa la brosse pour attraper une jolie pince et relever une partie de ses cheveux.

– J'ai une blessure. Je n'aurais pas dû embarquer sur le navire, je n'aurais pas pu s'ils avaient su.
– Oh.

Son explication sembla lui suffire.

– Je suis désolé, je ne voulais pas vous mettre dans une situation délicate.
– Je me débrouillerais pour qu'ils t'oublient, répondit Mashiro. Ils veulent seulement s'assurer de votre bon état de santé, ma mère y a tenu. Tu m'apparais comme un jeune homme digne de confiance Beomgyu. Honnêtement, de tous les hommes de ce bateau, tu es le seul à avoir capté aussi vite mon regard.

Derrière elle Jiwon esquissa un sourire.

– J'aimerais apprendre à te connaître. Je sais que nous ne sommes pas voués à réellement se fréquenter, encore moins sur le long terme mais... Mais je le voudrais vraiment.

Ne sachant pas quoi répondre, il se contenta d'un mouvement léger de la tête.

– Assis toi, tu ne vas pas rester debout le temps qu'elle termine de me coiffer, rigola-t-elle.

Avec maladresse, il s'installa par terre les jambes en tailleur et Mashiro le regarda avec des yeux ronds.

– Sur une chaise enfin !

Jiwon étouffa un rire du dos de sa main et, rouge de honte, Beomgyu se leva précipitamment pour tirer la chaise qu'elle lui désigna d'un geste du menton. Le regard de Jiwon ne le rendait pas mal à l'aise, mais provoquait en lui l'envie de bien faire immédiatement. Elle avait des yeux d'un bleu profond et troublant, que l'on ne trouvait plus par chez lui. C'était un gène qui s'était perdu au fil des siècles, jusqu'à ne demeurer qu'un mythe. Jiwon avait les yeux des personnages de ses contes pour enfants et la chevelure claire d'une princesse onirique. Il se demanda si les autres femmes de ce peuple lui ressemblaient davantage ou si Jiwon était une exception. Mashiro avait un visage plus simple, plus rond, qui – maintenant qu'il le voyait de plus près – partageait beaucoup de similarité avec celui de Soobin. Ses cheveux étaient l'opposé de ceux de sa dame de compagnie, raide et noir comme la nuit.

– Je t'entends presque te poser beaucoup de questions, lui fit remarquer Mashiro.
– Oh, euh...
– Parle-moi du continent d'où tu viens !
– Ce n'est pas un très bel endroit, souffla-t-il.

Il se gratta la gorge.

– Voudrais-tu quelque chose pour ta voix ? J'ai remarqué depuis ton arrivée que tu sembles souffrir d'un problème à la gorge.
– Ma voix est juste horrible, se confessa-t-il.

Mashiro le dévisagea avec des yeux ronds mais la vérité était là : Beomgyu ne supportait pas s'entendre. Les années passaient et sa voix peinait à se stabiliser, voilée, forcée, fatiguée comme s'il avait usé ses cordes vocales à force de vouloir la rendre plus à son image.

– Ne dis pas ça. Je te ferais rencontrer le messager du temple, tu entendras ce qu'est une horrible voix, pouffa-t-elle.

Jiwon éclata d'un rire clair et reposa son peigne, attrapant de beaux rubans crème dans un tiroir. Fasciné par les mouvements de ses doigts graciles dans la chevelure corbeau de la princesse, Beomgyu lui prêta une attention totale. Il se demanda si elle se prêtait à cet exercice tous les jours, si cela était une obligation pour la jeune femme... Jiwon semblait si appliquée et habituée que Beomgyu trouva ses réponses seul.

– Les coiffures sont importantes au sein du palais, lui fit remarquer Mashiro. Toutes les princesses laissent pousser leurs cheveux jusqu'à leur mariage. Le jour où je couperais mes cheveux, c'est que j'aurais trouvé la personne avec qui je souhaite passer le reste de ma vie.
– Quelle drôle de coutume.

Mashiro haussa les épaules et Beomgyu ne passa pas à côté des lèvres pincées de Jiwon.

– On peut dire ça, pour être tout à fait honnête avec toi, c'est plutôt handicapant, c'est pour cela que Jiwon me les coiffe quotidiennement. Je ne sors jamais mes cheveux lâchés. Mais j'ai à cœur de respecter cette tradition.
– Toutes les femmes le font ?
– La plupart, oui. Ce n'est pas obligatoire. C'est une drôle de coutume comme tu dis, mais qui ne fait de mal à personne.
– Tu devras te marier avec un homme de ton rang ?

Jiwon et Mashiro tournèrent la tête dans le même temps vers lui, les sourcils levés.

– De mon rang ?
– Vous... Il n'y a pas de euh... Nous avons de vieux exemples dans les livres d'histoires de mon continent, de rois, de reines, de dynastie tout entière...
– Oh. Il n'y a que nous Beomgyu. Une famille désignée par les dieux qui règne tant qu'elle permet à l'île de vivre en paix. Il n'y a pas de gens de mon rang ; les habitants de notre île ne sont pas séparés par des rangs ou des titres. J'épouserais qui je le souhaite, tout comme mes frères. Taehyun est sans doute celui avec le plus de pression, puisqu'il prendra la place de notre père. Soobin et moi vivrons simplement dans le palais avec lui si nous en avons l'envie.
– Avec le plus de pression ?
– Mmm, oui. Disons que l'enfant ou les enfants de Taehyun seront plus attendus que les nôtres. La personne qu'il fera monter sur le trône avec lui sera plus importante que nos partenaires, à moi et mon frère. Les regards seront concentrés sur elle, peu sur nous. Bien sûr, si aucun enfant ne vient à naître il pourra toujours désigner l'un des nôtres, mais ce cas de figure s'est avéré rarissime dans notre histoire. Les rois préfèrent voir leurs propres enfants monter sur le trône, rigola-t-elle, légère.

Il eut bien du mal à imaginer le jeune homme grognon avec une couronne sur la tête, accompagné d'une personne aussi charmante que Jiwon, avoir un enfant sur ses genoux, sourire devant ses premiers pas...

– Et chez vous ?
– Nous n'avons plus de roi depuis très longtemps.
– De reine alors ?
– Surtout pas.

Mashiro leva un sourcil.

– Oh, je... Je ne serais pas contre l'idée, c'est simplement que la royauté est un concept disparu chez nous depuis des siècles. Dorénavant, nous sommes dirigés par une poignée d'hommes que nous ne connaissons pas tellement, je dois l'avouer. Les femmes n'ont pas leur place dans notre gouvernement.

Ni ailleurs, eut-il envie de rajouter.

– C'est très réducteur, observa Jiwon.
– C'est ainsi depuis que je suis né, et même bien avant. Mes parents, mes grands-parents... Aucun n'a connu de femme importante.

Elles avaient perdu leurs droits les uns après les autres, comme toutes minorités ne rentrant pas dans les cases étroites qui avaient créé avec les décennies. Souvent, il prenait à Beomgyu l'envie d'imaginer l'avant. L'avant le monde gris. L'avant gros continent qui avait réuni plusieurs contrées en une seule, se voulant plus unies. Avant les guerres, avant les maladies... Avant que l'Histoire ne se répète, inlassablement. Ici, sur l'Île Rouge, tout semblait hors du temps. Il était dans un monde à l'opposé du sien, ou le féerique côtoyait la réalité.

– Ton monde me semble bien maussade.
– Il l'est.

Peut-être Yeonjun parviendrait-il à nuancer son propos, mais pour Beomgyu, il n'y avait plus rien de beau à lui attribuer.

– Mais j'aurais été curieuse de voir à quoi il ressemble.
– Oh... Si tu me laisses quelques heures, je pourrais te le montrer.

Jiwon avait cessé ses mouvements, intriguée. Les yeux de Mashiro, eux, s'étaient mis à briller d'une lueur toute nouvelle.

– De quoi as-tu besoin ?
– De papier et de quoi dessiner, le plus simple des outils fera l'affaire.

Il avait appris avec des stylos peinant à cracher le reste de leur encre et des crayons de papier de mauvaise facture.

– Tu pourrais... T'y mettre maintenant ?
– Oh, eh bien je... La visite médicale... Je n'ai pas mangé non plus...
– Je vois.

Mashiro descendit de son petit tabouret et passa une main dans sa nouvelle coiffure.

– Merci Jiwon, magnifique, comme toujours !

La jeune femme s'inclina légèrement, un sourire aux lèvres.

– Penses-tu pouvoir nous faire monter le petit-déjeuner ? Tu pourras dire à mes frères que je déjeune en meilleure compagnie, rigola-t-elle.
– Tu sais ce qu'ils vont répondre...

Jiwon lui parlait de manière familière dans l'intimité. Beomgyu trouva ce détail intéressant.

– Eh bien qu'ils s'interrogent ! rigola-t-elle. Et si son frère le cherche, propose-lui de venir.
– Dans ta chambre ?
– C'est ici que j'ai tout mon matériel, dit-elle en haussant les épaules.

Jiwon l'imita et tourna les talons, visiblement heureuse de la tournure des évènements. Mashiro lui fit signe de se lever et Beomgyu la suivit jusqu'à son bureau fébrile.

– Installe-toi ici !
– Je peux vraiment ?
– Ma chaise n'a rien de sacré, bien sûr, rigola-t-elle.

Timide, il s'y installa et Mashiro poussa les feuilles et les cahiers déjà entamés devant lui. Elle semblait soudain bien trop enjouée de la situation et Beomgyu n'eut pas le cœur de lui refuser quoi que ce soit. Elle s'installa à ses côtés, à genoux sur sa chaise et Beomgyu coula un regard discret à ses beaux cheveux sombres. Il admira toute l'application que Jiwon y avait mise, glissant quelques perles dans les tresses de la princesse. Il ne doutait pas un seul instant que la jeune femme faisait cela depuis son plus jeune âge et devait pouvoir le faire désormais les yeux fermés. Il attrapa une petite feuille du bout des doigts puis le premier crayon que son regard croisa. À ses côtés, Mashiro semblait plus attentive que jamais.

– Que veux-tu que je te montre ?
– Ce que tu es capable de me montrer, souffla-t-elle, curieuse.
– Oh euh...

Fais attention Beomgyu. La voix de sa mère résonna dans son esprit et il se reprit. Mashiro ne devait pas savoir. Sa mémoire hors norme devait rester un secret.

– J'ai de bons souvenirs de l'endroit où j'ai grandi si tu veux.
– Montre-moi !

Il inspira, ferma les yeux quelques instants et se concentra. La maison étroite dans laquelle il avait grandi se dessina dans son esprit, sur une feuille totalement vierge. Il s'y retrouva facilement, dans ce quartier lugubre aux maisons entassées les unes sur les autres. Certaines, composées d'un étage ou deux, accueillaient jusqu'à trois familles. Beomgyu n'avait jamais trop aimé son quartier, mais se considérait chanceux de ne pas vivre dans un des coins les plus misérables de sa ville. Il vivait non loin des campagnes et pouvait aller s'y promener, sur les chemins bétonnés qui sillonnaient ce qui restait de forêt et de champ. Il se concentra sur sa maison, sur cette petite entrée qui donnait sur leur salon chaleureux. Sa mère peignait et avait toujours tout fait pour faire rêver ses enfants. Elle avait acheté beaucoup de livres à Yeonjun qui adorait lire. Elle avait acheté des toiles à Beomgyu, et des pinceaux dès que son salaire lui avait permis. Il aimait bien ce salon. C'était la pièce dans laquelle il se sentait plus à l'aise. Pas la salle de bain étroite et froide. Pas la chambre de sa mère où il se réfugiait pourtant étant enfant après une mauvaise nuit. Pas la chambre qu'il partageait avec Yeonjun. Non, ce salon. Ce salon avec ses toiles, ses livres, sa cheminée, sa petite table ronde, et ce coin cuisine minuscule que Yeonjun avait bricolé seul dès qu'il avait été en âge de le faire.

Ses doigts s'étaient mis à tracer les premiers traits sur le papier sans même qu'il ne réalise. C'était souvent la même chose quand il se plongeait dans cet état presque second. Son regard ne décrochait pas la feuille sous ses yeux et ses mains dessinaient, furieusement. Main gauche et main droite se reléguaient pour esquisser le moindre détail qui lui revenait avec une facilité déconcertante. Il ébauchait avec une précision incroyable et Mashiro laissa échapper un souffle admiratif. Il entendit à peine Jiwon revenir avec un petit plateau qu'elle posa non loin de lui, médusé par ce qu'elle voyait.

Quand il se redressa enfin, ce fut sans avoir vu le temps filé. Les boissons étaient froides et la nourriture tiède, mais aucune des deux jeunes femmes n'y avait encore touché. Elles n'avaient pas quitté le processus des yeux, fascinées.

– Beomgyu c'est... Comment tu as fait ? C'est impressionnant, souffla Mashiro.

Il haussa les épaules, reposant son crayon. Le dessin n'était pas achevé, mais donnait un bon aperçu de ce qu'il avait eu en tête.

– C'est l'endroit où je vis avec mon frère et ma mère, expliqua-t-il.

Jiwon effleura le papier du bout des doigts, contemplative.

– Tu n'as plus de père ? demanda Mashiro.
– Oh euh-

Au même instant, on toqua trois petits coups secs à la porte. Mashiro sursauta et Jiwon se hâta d'entrouvrir la porte.

– Oui ?
– Ce jeune homme m'a assuré que vous lui aviez demandé de venir ici.
– C'est cela.
– Dois-je prévenir le roi qu'il se trouve avec sa fille ?
– Je suis également présente. Il ne se passera rien.

Jiwon referma un peu plus la porte, empêchant le nouveau venu de pouvoir jeter un œil à l'intérieur de la chambre.

– Prévenez le roi si cela vous chante, soupira Jiwon.
– Bien.

Beomgyu jeta un regard anxieux à Mashiro qui posa une main sur l'un de ses avant-bras. La porte se referma quelques secondes plus tard.

– Beomgyu !

Yeonjun se rua vers lui, l'attrapant par les épaules avant de le serrer dans ses bras.

– J'étais mort d'inquiétude bon sang !
– Oh je... Je vais bien.
– Beomgyu m'a appris pour sa blessure. Nous garderons cela secret jusqu'à qu'elle ne le handicape plus, annonça Mashiro.

Yeonjun lui lança un drôle de regard avant de se reprendre.

– Tu... Tu as dessiné la maison, murmura-t-il.

Beomgyu se recroquevilla par réflexe. Yeonjun ressemblait à son père quand il fronçait les sourcils. Il se gratta la gorge et baissa les yeux. Le geste ne lui échappa pas et Yeonjun lui coula un regard doux immédiatement.

– Ton frère a un véritable talent !
– Oui, je sais.
– Il n'est pas votre cartographe pour rien !
– Cela semble d'une précision folle, murmura Jiwon.
– Oh je... Peut-être que tout n'est pas à sa juste place euh...

Si, et Beomgyu et son frère le savaient. L'état du salon sous leurs yeux était l'état du salon le jour exact de leur départ.

– Je dessine aussi beaucoup, mais tu vas me faire complexer, rigola Mashiro.

Beomgyu esquissa un sourire légèrement gêné et passa une main dans ses cheveux sombres.

– Merci de lui avoir sauvé la mise, vraiment, glissa Yeonjun.
– C'est tout à fait normal.
– En quoi ? Aucune de vous deux ne nous connait réellement, souffla Yeonjun. Vos frères, surtout votre jumeau, à l'air en plus de cela de ne pas vraiment m'apprécier.

Beomgyu en déduisit que Yeonjun n'avait rien oublié de son premier échange houleux avec Soobin.

– Mais j'ai un bon sentiment sur ton petit frère, répondit Mashiro en haussa les épaules. Et Soobin est très protecteur envers Taehyun. Il m'a raconté... Mais ça lui passera, ne vous en faites pas.
– Je vous fais confiance là-dessus.

Yeonjun s'inclina légèrement, effleurant du bout des doigts la feuille sur laquelle Beomgyu avait dessiné.

– Votre maison vous manque ?

Beomgyu haussa les épaules.

– Notre mère surtout, se contenta de répondre Yeonjun.
– La prochaine fois, invitez là au voyage, lança Jiwon.

Yeonjun lui lança un drôle de regard et Beomgyu s'empressa de répondre avant lui, se sachant doté d'un tact que son frère n'avait pas toujours.

– Oh, pas de femmes à bord. C'est une règle primordiale.
– C'est stupide, objecta la princesse.
– Mais ce sont nos lois, soupira Yeonjun. Les femmes peuvent entretenir les navires si elles le souhaitent, naviguer dans nos eaux territoriales, mais jamais lors des explorations et autres grands voyages.
– Pourquoi ?

Yeonjun haussa les épaules.

– Je ne fais pas les lois et je peine encore à en comprendre certaines.
– Votre pays semble horrible.
– Je vous souhaite de ne jamais y mettre les pieds.

Mashiro rigola, mais Beomgyu secoua la tête. Lui savait, plus que n'importe qui d'autre, à quel point son frère était sérieux. Il pensait chacun des mots qu'il venait de prononcer. Parce qu'ils venaient de l'enfer et que cela, Beomgyu l'avait appris dès son plus jeune âge. 





⋆ ★ 𝐊𝐔𝐊𝐈𝐇𝐈𝐌𝐄 𝑻𝑰𝑴𝑬'

Cela faisait bien longtemps que je n'avais pas posté un chapitre aussi tard ! x__x Je n'avais pas eu le temps de le mettre en page, désolé ! J'espère que vous avez apprécié votre lecture, à bientôt pour la suite <3

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