- CHAPITRE 3 -

Lottie

Le soleil s'infiltre dans la pièce à travers les rideaux mal tirés, baignant tout d'une lumière dorée. La chaleur familière du matin me réchauffe, mais je m'enfonce un peu plus dans la couette, refusant de bouger. Les muscles de mon corps me tiraillent, souvenirs douloureux des rires et des excès de la veille. Gwen ronfle doucement à côté, étalée en travers de son lit comme une étoile de mer, ses cheveux en bataille encadrant un visage paisible.

Un bruissement discret me sort à moitié de ma torpeur. Camilla, déjà debout, s'affaire autour de son bureau. Son lit est impeccablement fait, chaque coin tiré au carré, contrastant violemment avec le chaos de notre côté. Elle organise ses affaires avec soin, jetant de temps à autre des coups d'œil dans ma direction. Lorsque nos regards se croisent, elle m'adresse un sourire chaleureux.

— Bien dormi ? demande-t-elle doucement.

Je m'étire en gémissant légèrement, savourant encore le confort du lit avant de m'extraire de ma bulle.

— Comme un bébé, dis-je en baillant. Et toi ?

— Pas trop mal, répond-elle, en ajustant une pile de livres parfaitement alignés. Je suis allée chercher des muffins et du chocolat chaud ce matin, continue-t-elle, en désignant un petit plateau posé sur son bureau. Je me suis dit que ce serait une bonne façon de commencer la journée.

Mon cœur se serre légèrement devant son attention. Camilla a l'air de faire partie de ces personnes qui pensent toujours aux autres avant elles-mêmes. C'est rassurant et un peu intimidant.

— Merci, c'est adorable, dis-je sincèrement, attrapant un muffin encore tiède.

Je jette un regard vers Gwen. Elle ne montre aucun signe de vie, son visage enfoui dans l'oreiller. Une mèche lui tombe sur le nez, et elle souffle dans son sommeil pour la repousser sans succès.

— Elle ne va pas tarder à émerger, ris-je doucement.

Camilla hoche la tête avec un sourire complice.

— On a le temps de profiter un peu du calme avant qu'elle ne se réveille, plaisante-t-elle.

Et comme prévu, le calme ne dure pas longtemps. Une vingtaine de minutes plus tard, alors que je sors de la douche et termine de m'habiller, Gwen s'agite enfin. Elle bâille bruyamment, s'étire de tout son long et s'extirpe de son cocon de couvertures avec l'énergie d'un lion s'éveillant après une longue sieste.

— Prêtes à conquérir le monde ? lance-t-elle en repoussant ses draps d'un geste dramatique.

— Si par "conquérir le monde", tu veux dire aller en cours, alors oui, plaisanté-je.

Camilla sourit timidement tout en glissant une pochette dans son sac.

— Moi, je suis plus nerveuse que conquérante, confie-t-elle en triturant la bandoulière. J'espère juste ne pas faire de gaffe dès le premier jour.

— Relax, Camilla, tu vas gérer, lui répond Gwen en lui tapotant l'épaule avec un sourire éclatant. Moi, je vais dominer mes cours de Fashion Communication. Ils n'auront jamais vu une élève aussi brillante.

Je lui tends un muffin avec un sourire en coin.

— Tu ne changeras jamais, Gwen.

— Tu paries ! répond-elle en croquant dans son muffin. J'ai déjà conquis le bar hier soir, je vais faire de même avec mes cours aujourd'hui.

***

Camilla et moi arrivons devant la salle de cours, et mon cœur s'accélère. Une nervosité familière monte en moi, un mélange d'excitation et d'appréhension. La porte est grande ouverte, laissant entrevoir une salle baignée de lumière naturelle. Les tables de travail sont disposées en longues rangées, encombrées de matériaux : des bobines de fil, des ciseaux, des carnets de croquis. Le long des murs, se dressent des mannequins de couture, silhouettes figées prêtes à être habillées de mille rêves..

Je franchis le seuil, et une odeur familière me frappe : celle du tissu neuf, mêlée à la douceur du papier et au crissement léger des crayons que certains élèves font déjà courir sur leur feuille. Mon regard s'accroche immédiatement à tout ce potentiel. Dans ma tête, des idées se bousculent déjà, des formes et des textures prenant vie avant même que le cours ne commence. Ici, je sens que tout est possible.

— Impressionnant, souffle Camilla à mes côtés, ses yeux scrutant chaque recoin de la pièce.

Je hoche la tête, un sourire naissant sur mes lèvres.

— Ce n'est pas qu'une salle de classe, murmuré-je. C'est un sanctuaire.

Avant que Camilla ne réponde, une silhouette entre dans la pièce d'un pas assuré. La professeure. Grande, élégante, avec des cheveux gris tirés en un chignon impeccable, elle dégage une aura de calme et de contrôle. Son tailleur noir, sobre mais parfaitement coupé, renforce son autorité naturelle. Elle s'arrête au centre de la pièce, et son regard balaye lentement les élèves, comme si elle prenait la mesure de chacun.

— Bonjour à toutes et tous, commence-t-elle d'une voix claire et posée. Bienvenue dans ce cours de Fashion Design. Si vous êtes ici, c'est que vous avez un talent, une passion, une histoire à raconter à travers vos créations. Mon rôle est de vous aider à affiner cette voix, à l'amplifier, mais cela demandera du travail. Beaucoup de travail. Si vous êtes prêts à vous dépasser, alors vous êtes au bon endroit.

Un frisson parcourt la classe, et je sens l'énergie changer autour de moi. Mme Kingsley inspire instantanément le respect. Elle continue, en exposant brièvement le programme du semestre : croquis, créations, défis pratiques. À chaque mot, mon enthousiasme grandit.

— Avant de commencer, j'aimerais que chacun se présente et partage ce qui l'inspire dans la mode, ajoute-t-elle en croisant les bras, son regard intense et curieux se posant sur nous.

Mon tour arrive rapidement. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, mais je respire profondément avant de parler.

— Bonjour, je m'appelle Charlotte, dis-je, ma voix légèrement tremblante. J'ai toujours vu la mode comme une forme d'art. Chaque vêtement raconte une histoire et a le pouvoir de transformer celui ou celle qui le porte.

Mme Kingsley hoche la tête, un léger sourire approbateur éclairant son visage.

— Une belle perspective, mademoiselle. J'ai hâte de voir comment vous allez traduire cela dans vos créations.

Je me rassieds, mon cœur battant encore à tout rompre, mais avec un sentiment de fierté. Mon regard croise celui de Camilla, qui me sourit timidement, comme pour m'encourager. Autour de nous, les autres élèves se présentent, et je réalise que nous sommes entourées de talents incroyables. Mais au lieu de me sentir intimidée, je sens une petite flamme de défi s'allumer en moi.

***

Le bar étudiant est déjà bondé quand Camilla et moi y arrivons. Les rires et les conversations se mêlent au bruit des assiettes et des verres qui s'entrechoquent, créant une atmosphère chaleureuse et animée. La lumière du jour inonde la pièce à travers les grandes baies vitrées, et je ressens un agréable sentiment d'appartenance à cet endroit. Gwen est déjà là, installée à une table près de la fenêtre, un sandwich à moitié entamé dans les mains.

— Alors, comment s'est passé votre premier cours de couture, mesdames ? demande-t-elle avec un sourire en coin, ses yeux pétillants de curiosité.

— Fashion Design, Gwen. Pas couture, corrigé-je en riant. Et c'était incroyable. Mme Kingsley est impressionnante.

— Je parie qu'elle l'est, dit Gwen en croquant dans son sandwich. Moi, de mon côté, j'ai déjà tout conquis. Les réseaux sociaux, les campagnes marketing... c'est dans la poche.

Camilla secoue doucement la tête en souriant, ses doigts jouant avec sa fourchette pendant qu'elle picore dans sa salade Caesar.

— Moi, je trouve ça excitant mais intimidant, confie-t-elle, pensive. Tout le monde semble tellement talentueux.

Je hoche la tête, partageant son sentiment, mais je garde un sourire confiant.

— C'est normal de se sentir comme ça au début. Mais on est là pour apprendre, pas pour tout savoir dès le départ, lui dis-je en lui donnant un coup de coude amical.

Gwen lève les yeux au ciel, toujours dans son rôle de grande confiante.

— Camilla, t'inquiète. Si ça devient trop intimidant, on fera une vidéo virale ensemble et on deviendra des stars d'Internet. Pas besoin de couture, juste de l'audace, plaisante-t-elle.

Camilla éclate d'un rire timide, et je secoue la tête en riant à mon tour. Gwen a ce don de rendre tout léger, même les moments de doute.

Mais soudain, elle change de ton, son sourire se fanant légèrement.

— C'est sympa ici, mais à ce rythme, on va cramer notre budget en deux jours, dit-elle en montrant son sandwich avec un mouvement du menton.

— Demain, c'est cafétéria, pas question d'exploser nos dépenses dès le début, ajoute-t-elle, presque pour elle-même.

Camilla acquiesce immédiatement.

— La cafétéria, c'est une bonne idée. Et on pourra peut-être trouver un coin sympa pour travailler entre deux cours, propose-t-elle.

Je hoche la tête, pensant brièvement à la chance que j'ai d'avoir John pour gerer mes finances. Mais même avec cette sécurité, je n'aime pas l'idée de tout dépenser inconsciemment.

— On trouvera un équilibre, dis-je finalement, un sourire encourageant sur les lèvres.

Gwen finit par changer de sujet avec son énergie habituelle.

— Alors, mesdemoiselles, des crushs en vue ? lance-t-elle, ses sourcils dansant au rythme de son enthousiasme.

Je secoue la tête immédiatement, mais Camilla rougit légèrement, enfouissant son nez dans sa salade.

— Allez, avoue, Lottie, dit Gwen en m'observant avec insistance. T'as bien repéré quelqu'un, non ?

— Gwen, sérieusement ? soupiré-je, essayant de détourner l'attention.

— Et Nolan, alors ? demande-t-elle soudain, son regard pétillant d'intérêt. Il était pas mal intéressé hier soir, non ?

Le simple fait d'entendre son prénom fait apparaître un léger sourire sur mes lèvres.

— Nolan est... sympa, dis-je finalement, essayant de sonner détachée.

Gwen explose de rire, tapant légèrement sur la table.

— Sympa ? Sérieusement ? Ce mec t'a regardée comme si tu étais un diamant brut qu'il était prêt à polir, Cha' !

Je rougis malgré moi, détournant le regard pour ne pas croiser celui de Camilla, qui semble soudain très concentrée sur ses couverts.

— Il est charmant, concédé-je finalement. Mais ce n'est pas comme si j'allais... enfin, tu sais.

Gwen me lance un sourire narquois avant de changer de sujet.

— Allez, ce soir, on retourne au bar, propose-t-elle avec son enthousiasme habituel. On a bien mérité un verre après cette journée, non ?

Camilla hésite une seconde, ses doigts jouant nerveusement avec la serviette en papier devant elle.

— Bon, d'accord. Mais pas trop tard, insiste-t-elle.

Je ris doucement en voyant leurs expressions contrastées. Gwen, toujours prête pour une nouvelle aventure, et Camilla, tentant de s'imposer des limites mais incapable de résister à l'énergie contagieuse de Gwen.

Nous finissons de déjeuner en parlant de nos cours, puis nous quittons le campus.

***

Le bar est aussi animé que la veille. Les lumières tamisées, la musique entraînante, et les éclats de rire créent une ambiance légère et parfaite pour finir la journée en beauté. Gwen, Camilla et moi nous installons à une table près de la fenêtre, profitant de l'effervescence de la soirée. Les cocktails commandés arrivent bien rapidement, tout comme les garçons de la veille.

Ils s'avancent vers nous avec cette aisance naturelle que certains garçons possèdent quand ils savent qu'ils sont les bienvenus. L'un d'eux, le brun qui semblait déjà bien accroché à Gwen hier soir, prend la tête du groupe, son sourire éclatant illuminant son visage.

— Alors, les filles, pas trop fatiguées de cette journée ? lance-t-il en arrivant à notre hauteur, ses yeux fixés sur Gwen avec une lueur malicieuse.

— Fatiguées ? Moi ? Jamais, rétorque Gwen avec un rire franc. C'est plutôt toi qui va avoir du mal à suivre le rythme.

Les garçons éclatent de rire à sa répartie, visiblement amusés par son ton provocateur. L'un d'eux, un blond aux cheveux légèrement décoiffés, s'avance et s'assoit à côté de moi avec une aisance désarmante. Ses yeux malicieux capturent les miens, et je ressens instantanément l'énergie joueuse qui l'anime.

— Je me prénomme Nolan, dit-il en se penchant légèrement vers moi. Comment tu te fais à la vie sur le campus ? Sa voix est douce, presque teintée d'un intérêt sincère, mais je peux voir le sourire charmeur qui effleure ses lèvres.

— Charlotte, sourie-je, presque amusée par sa façon de faire. Ça me plaît bien pour le moment. Je prends mes marques.

— Je suis sûr que tu les prends rapidement, ajoute-t-il avec un sourire en coin, laissant ses yeux se perdre une fraction de seconde sur moi avant de revenir à la conversation.

Les sujets défilent — la vie sur le campus, les cours, les bons plans pour manger pas cher, et même quelques potins légers sur les professeurs. Tout semble si simple, si naturel, comme si nous nous connaissions depuis des mois. Gwen est dans son élément, échangeant plaisanteries et rires avec le blond, qui la dévore littéralement des yeux. Camilla, quant à elle, commence à se détendre. Même si elle reste légèrement en retrait, elle participe de plus en plus aux échanges, ses rires timides se mêlant aux nôtres. Nolan et son amis sont en deuxième année de marketing et se proposent de nous introduire sur la prochaine fête qui aura lieu. Du sélect d'après eux. Les yeux de Gwen s'illuminent aussitôt.

La musique bat toujours son rythme régulier, les rires fusent, et Nolan raconte une anecdote qui semble captiver tout le monde. Mais soudain, quelque chose change. L'air devient plus dense, presque étouffant, comme si une ombre invisible venait d'engloutir l'ambiance légère qui régnait jusque-là.

Un frisson parcourt ma colonne vertébrale. Je ne sais pas pourquoi, mais je le sens avant même de le voir. Et lorsque mes yeux se lèvent, je comprends.

Matthew.

Il est là, adossé nonchalamment à l'encadrement de la porte. Ses cheveux légèrement ébouriffés, sa veste noire ouverte, son t-shirt parfaitement ajusté... Tout en lui respire une assurance tranquille qui me donne instantanément envie de grincer des dents. Mais ce sont ses yeux qui capturent tout. Ce regard sombre, intense, braqué directement sur moi, comme s'il n'y avait personne d'autre dans cette pièce bondée.

Le bruit autour de moi devient un murmure lointain. Mon sourire s'efface, mes doigts se crispent autour de mon verre. Même Gwen, pourtant toujours insouciante, semble remarquer son arrivée.

Il ne bouge pas immédiatement, mais son regard ne quitte pas le mien. Une étincelle narquoise brille dans ses yeux, comme s'il savait qu'il avait déjà le contrôle. Puis, il avance. Lentement. Chaque pas mesuré, calculé, attirant inévitablement l'attention sur lui sans qu'il ait à faire le moindre effort.

Quand il atteint notre table, il s'arrête, son regard glissant brièvement sur Nolan, puis sur Val. Il plisse légèrement les yeux avant de poser la question avec une simplicité désarmante :

— C'est qui, lui ?

Sa voix est basse, presque posée, mais il y a une pointe de défi cachée sous la surface.

— Nolan, se présente celui-ci en tendant une main avec un sourire poli mais incertain.

Matthew baisse les yeux sur la main tendue, mais ne fait aucun geste pour la serrer. Au lieu de cela, il l'ignore ostensiblement et se tourne vers moi, son sourire en coin s'élargissant.

— Intéressant, murmure-t-il, sa voix teintée de sarcasme.

Mon irritation monte immédiatement. Évidemment, il n'a pas pu s'en empêcher. Il devait venir ruiner ma soirée. Je croise les bras et le fixe, les sourcils froncés.

— Qu'est-ce que tu fous ici ? demandé-je, incapable de cacher la colère dans ma voix.

Il hausse un sourcil, comme si ma question l'amusait.

— Oh, moi ? Juste dans le coin, tu sais. À la recherche d'un bon verre, dit-il avec un haussement d'épaules nonchalant.

Mon agacement monte encore d'un cran. Je sais que John l'a envoyé. C'était trop beau pour durer.

— Sérieusement, John t'a envoyé ? Tu crois vraiment que j'ai besoin d'une nounou ? craché-je, les dents serrées.

Il ne répond pas tout de suite. Au lieu de cela, il tire une chaise et s'assoit sans la moindre invitation, posant un coude sur la table et me regardant avec cette expression qui m'électrise et me met en rage en même temps.

— Visiblement, si, Lottie, rétorque-t-il enfin, son ton un mélange parfait de moquerie et de sérieux.

Je serre les poings sous la table.

— Charlotte, corrigé-je sèchement. Arrête de m'appeler comme ça.

Il rit doucement, un son grave et exaspérant.

— Lottie te va bien mieux, murmure-t-il, son regard s'enfonçant dans le mien avec une intensité déstabilisante.

Les garçons autour de nous essaient maladroitement de reprendre la conversation, mais la tension est si palpable que leurs efforts tombent à plat. Nolan, assis à côté de moi, semble avoir perdu de son assurance. Je sens qu'il hésite, son regard oscillant entre Matthew et moi, avant qu'il ne se racle la gorge pour briser le silence.

— Eh bien... euh... on va vous laisser tranquilles, je crois, dit-il finalement, en se levant avec une politesse forcée.

Il jette un dernier coup d'œil à Matthew, puis se tourne vers moi avec un sourire léger, presque coupable.

— C'était sympa de discuter, Charlotte. On se recroisera sûrement.

Sa voix est douce, mais je n'y prête qu'à moitié attention. Mon regard reste fixé sur Matthew, et je sens mon agacement bouillonner sous ma peau. Nolan et Val s'éloignent, leurs silhouettes disparaissant dans la foule.

— Tu as vu ce que tu viens de faire ? Tu as ruiné notre soirée ! grogné-je, incapable de contenir ma colère.

Matthew, toujours aussi imperturbable, hausse légèrement les épaules, son sourire en coin étirant ses lèvres d'une manière exaspérante.

— Ruiné ? Je dirais plutôt que je vous ai sauvé d'une bande de dragueurs un peu trop collants, réplique-t-il, son ton calme mais provocateur.

Mon poing se serre sous la table, l'envie de lui jeter mon verre à a figure devenant presque irrésistible.

Pendant ce temps, Gwen, fidèle à elle-même, semble trouver la situation absolument hilarante. Elle échange un regard complice avec Camilla, qui, visiblement plus curieuse qu'agacée, se penche vers elle.

— C'est qui, ce type ? murmure Camilla, désignant Matthew d'un signe de tête discret.

Gwen rit doucement, levant les yeux au ciel.

— Lui ? C'est Matthew. Un pote de John, le grand frère de Charlotte, dit-elle, un sourire moqueur aux lèvres. Elle a été cernée toute sa vie par des balances qui rapportaient tout à son frère. Pauvre Charlotte, ajoute-t-elle en riant légèrement.

Matthew, entendant la conversation, se penche en avant avec cet air décontracté mais calculé qui me fait toujours perdre patience.

— Oh, allez, Gwen, t'étais bien contente quand je venais vous chercher au lycée parce que vous aviez encore fait une connerie. Tu t'en souviens, non ?

Je le fusille du regard, mes dents serrées pour empêcher un flot de répliques acides de jaillir.

Gwen, évidemment, ne manque pas l'occasion de jeter un peu plus d'huile sur le feu.

— Ouais, mais c'était parce qu'il y avait Charlotte, pas vrai, Matthew ? dit-elle en me lançant un clin d'œil.

Matthew reste silencieux, mais le coin de sa bouche se relève légèrement. Ce sourire infime, presque imperceptible, est une confession silencieuse qu'il ne veut pas verbaliser. Et cela me rend folle.

— Oh, tu veux jouer à ça ? Très bien, dis-je en me levant d'un bond.

Je suis furieuse. Contre lui, contre Gwen, contre moi-même surtout, incapable de contenir cette réaction viscérale qu'il provoque en moi.

— Matthew, tu peux arrêter de t'imposer. On est des grandes filles maintenant. D'accord ?

Je fais face à lui, plantée devant sa chaise. Mon souffle s'accélère, ma poitrine se soulève sous l'effet de la colère, mais Matthew, fidèle à lui-même, reste imperturbable. Il me regarde avec ce calme exaspérant, ses yeux sombres fixés sur moi, comme s'il attendait que je m'effondre sous son regard.

— Bouge, grogné-je, ma voix tremblant légèrement.

Il ne bouge pas. Pas d'un centimètre.

— Fais-moi bouger, murmure-t-il, sa voix grave et basse effleurant ma peau.

Cette provocation silencieuse me pousse à bout. Je le connais trop bien. Il adore jouer avec mes nerfs, et ce soir, je suis à bout.

Sans réfléchir, je me penche légèrement en avant et l'enjambe. Mon genou effleure le sien, et une décharge me traverse. Mon souffle se bloque. Nos visages sont si proches que je peux sentir son souffle chaud caresser ma joue.

Et c'est là que ça arrive. Un flash. Une pensée aussi rapide qu'incontrôlable.

Je me vois dans cette même position, à califourchon sur lui. Ses mains, grandes et puissantes, se posent sur mes hanches, m'attirant contre lui avec une lenteur délibérée. Mon souffle s'accélère tandis que son regard sombre me dévore, et ses lèvres...

Je cligne des yeux, chassant cette image comme si elle m'avait brûlée. Mon cœur tambourine dans ma poitrine, et je sens mes joues chauffer violemment. Matthew me fixe toujours, et cette fois, son sourire n'est plus seulement narquois. Il est... dangereux. Comme s'il avait deviné exactement ce qui venait de traverser mon esprit.

— Tu es trop proche, murmuré-je, plus pour moi-même que pour lui.

— C'est toi qui as choisi, Lottie, répond-il, sa voix douce mais tranchante.

Avec un ultime effort de volonté, je termine mon mouvement, passant complètement au-dessus de lui et atterrissant de l'autre côté de la table. Je refuse de le regarder, de lui laisser voir à quel point il m'a déstabilisée.

— C'est toi qui paies, Matthew, ajouté-je sèchement, ma voix plus ferme que je ne le pensais.

Sans un mot de plus, je me tourne vers Camilla et Gwen.

— On y va, lancé-je, m'efforçant de retrouver une contenance.

Nous quittons le bar en silence, mais je peux sentir le regard de Matthew brûler ma nuque jusqu'à ce que nous franchissions la porte.Chaque pas sur le trottoir résonne dans l'air frais de la nuit, mais rien ne suffit à apaiser la colère qui gronde encore en moi.

Je serre les bras autour de ma poitrine, comme si cela pouvait contenir ce flot d'émotions qui menace de déborder.

— Ce mec me rend folle, grogné-je, ma voix tranchante brisant enfin le silence.

Camilla, à ma gauche, tourne légèrement la tête vers moi, hésite un instant, puis se lance.

— Je ne sais pas... fait-elle doucement, réfléchissant à ses mots. Moi, je trouve qu'il te regardait d'une drôle de façon.

Je m'arrête net, pivotant vers elle, mes sourcils froncés.

— Une drôle de façon ? répété-je, incapable de masquer l'agacement dans ma voix.

— Oui, continue-t-elle, ses joues rougissant légèrement. Je ne sais pas... Son regard... C'était intense. Comme s'il essayait de comprendre quelque chose.

À côté de nous, Gwen éclate d'un rire franc, brisant l'étrange tension que les mots de Camilla avaient laissée flotter dans l'air.

— Tu entends ça, Charlotte ? Mathew et réfléchir dans une même phrase. Pourquoi pas le mec a un cerveau pendant qu'on y est, ricane-t-elle, ses bras gesticulant exagérément.

— Sérieusement, Gwen, soupiré-je, exaspérée autant par elle que par la remarque de Camilla.

Mais Camilla ne se laisse pas démonter. Elle hausse légèrement les épaules, comme pour minimiser l'importance de ce qu'elle vient de dire, mais je vois bien qu'elle y croit.

— Peut-être que je me trompe, murmure-t-elle. Mais c'est vraiment ce que j'ai ressenti.

Je secoue la tête, frustrée par cette conversation qui tourne autour de Matthew, encore. Toujours lui.

Gwen, fidèle à elle-même, ne tarde pas à intervenir, sa voix moqueuse perçant le silence.

— Est-ce qu'on peut arrêter de parler du cafard, s'il vous plaît ? Ce type a suffisamment plombé l'ambiance pour ce soir. Je te parie qu'il est déjà en train de rédiger un rapport détaillé pour John sur tes "mauvaises fréquentations", ajoute-t-elle en mimant des guillemets dans l'air.

Je ne peux m'empêcher de rire doucement, même si une partie de moi brûle encore de frustration.

— Ce n'est pas drôle, Gwen, dis-je, mais ma voix manque de conviction.

— Ah si, c'est drôle, rétorque-t-elle, un sourire espiègle accroché à ses lèvres. Ce mec est obsédé par toi, Charlotte, mais pas dans le sens romantique. Dans le sens... creepy. Genre cafard qui se glisse sous la porte quand tu ne regardes pas.

Je ris malgré moi, son analogie si absurde qu'elle dissipe un peu la tension. Gwen, toujours dans son rôle, me regarde avec un air satisfait.

— Voilà. Ris un peu. Ce mec n'est qu'un boulet, Cha', pas besoin de lui donner plus d'importance qu'il n'en mérite.

Je hoche la tête, mais au fond de moi, les mots de Camilla restent suspendus. Ce qu'elle a vu. Ce qu'elle a ressenti. Et si ? Non. Impossible. Je secoue la tête, chassant cette idée aussi vite qu'elle est venue.

Nous continuons à marcher, nos rires s'évanouissant peu à peu dans la nuit calme. Mais l'air froid ne suffit pas à apaiser cette chaleur persistante, ce trouble qu'il a laissé derrière lui.

Et le pire, c'est qu'une part de moi en redemande.

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