- CHAPITRE 2 -
Lottie
Les roues de la voiture crissent sur le gravier du campus. Le bruit résonne comme un écho dans ma poitrine, chaque vibration réveillant une nervosité sourde. Mon regard se perd par la fenêtre, capturant des fragments d'un monde qui n'est pas encore le mien. Des groupes d'étudiants discutent sous les arbres, certains rient, d'autres, valises à la main, cherchent leur chemin. L'atmosphère ici est différente. Ça sent la liberté, l'insouciance... et l'inconnu.
Je serre légèrement mes mains sur mes genoux, tentant de calmer la boule d'anxiété qui monte dans ma gorge. Un mélange étrange de peur et d'espoir pulse en moi, comme si je m'apprêtais à sauter dans le vide.
John jette un coup d'œil à droite, puis à gauche, avant de garer la voiture près du bâtiment principal. La façade imposante du dortoir se dresse devant moi, avec ses briques rouges et ses fenêtres blanches immaculées. Tout ici respire la nouveauté. Les voix, les couleurs, les éclats de rire qui s'échappent des groupes d'étudiants... Tout me semble vibrant, vivant. J'ai attendu ce moment pendant des années, et maintenant que j'y suis, une énergie électrique pulse en moi. Enfin, je vais pouvoir être celle que je choisis d'être.
— Tu es prête ? demande John en coupant le moteur, me tirant de mes pensées.
Je soupire légèrement en haussant les épaules, mes mains crispées sur mes genoux. Est-ce que je suis prête ? Difficile à dire. L'envie d'avancer, de vivre cette nouvelle vie, est là, brûlante. Mais une petite voix intérieure murmure encore que l'inconnu n'est jamais aussi simple qu'on le pense.
— Je suppose que je n'ai pas vraiment le choix, murmuré-je, plus pour moi-même que pour lui.
John fronce les sourcils, toujours soucieux, comme s'il ne me sentait pas complètement prête à affronter ce nouveau monde. Mais il me connaît suffisamment bien pour ne pas insister.
— On s'en sortira, lance-t-il, son ton faussement léger trahissant son inquiétude. S'il y a quoi que ce soit, tu m'appelles Lottie, d'accord ?
— John... C'est Charlotte, maintenant, dis-je en le regardant droit dans les yeux. Je suis plus une gamine, tu sais.
Son regard vacille une fraction de seconde. Je sais qu'il a du mal à accepter cette idée, que pour lui, je resterai toujours "Lottie". Mais il doit comprendre que cette version de moi appartient au passé. Ce n'est plus à lui de me protéger.
Sans un mot, il sort de la voiture et contourne le coffre. Je prends une profonde inspiration, laissant l'air s'engouffrer dans mes poumons. Le moment est venu. Avancer ou reculer ? Il n'y a pas de marche arrière ici.
Je sors à mon tour, la fraîcheur de l'air me saisissant légèrement, comme une claque bienvenue pour calmer la tempête d'émotions en moi. Autour de nous, le chaos règne. Les étudiants, leurs familles, leurs affaires dispersées... tout se mêle dans un ballet désordonné d'agitation.
John tire un carton du coffre et me le tend, son regard sérieux. Je m'en saisis, tentant de camoufler mon appréhension derrière un sourire. J'essaie d'avancer avec confiance, même si la boule dans mon estomac ne disparaît pas.
— C'est par là ? demande John en désignant un chemin pavé qui serpente entre les bâtiments.
— Oui, c'est là-bas, dis-je, essayant de me donner une contenance.
Je le précède, mes bras chargés du carton, mais je sens le poids de son regard derrière moi.
— Tu es certaine ? demande-t-il, sceptique.
— Oui, enfin... je crois. On trouvera bien, répliqué-je avec un sourire malicieux, le genre de sourire que j'utilise pour cacher mes doutes.
John secoue la tête en soupirant, mais me suit sans poser plus de questions. Nous avançons à travers la foule compacte, manœuvrant tant bien que mal entre les étudiants et leurs familles qui bourdonnent comme des abeilles à la ruche. John, bien plus grand que la majorité des gens autour de nous, fait office de brise-glace, écartant les obstacles avec une aisance qui me fait sourire.
— Pardon, excusez-nous, fait-il, d'une voix ferme mais polie, alors qu'il ouvre la voie.
Je souris en le voyant faire, me laissant porter par sa détermination. Quelques étudiants rient en nous laissant passer, et j'entends une fille murmurer en gloussant sur "l'air sérieux du grand gaillard". Mon sourire s'élargit alors que je jette un regard vers John, dont les mâchoires sont serrées de concentration.
— Ça va, on est presque arrivés, lui dis-je pour l'encourager.
Enfin, nous atteignons les portes vitrées du dortoir, et l'air frais de l'extérieur fait place à une chaleur étouffante. Le hall est un capharnaüm de valises, d'étudiants qui s'embrassent, de parents qui donnent des directives à la hâte. John et moi nous frayons un chemin jusqu'à l'accueil pour récupérer mes clés.
Après une courte attente et quelques échanges rapides, nous obtenons enfin les clés de ma nouvelle chambre. J'attrape mes affaires, évitant les ascenseurs bondés, et entraîne John vers les escaliers.
— L'ascenseur est plein. On monte par là, dis-je en désignant l'escalier.
John me suit, toujours encombré de cartons, sans broncher. Nous montons les marches deux par deux, et mon cœur s'accélère à mesure que nous approchons de la chambre. Une nouvelle vie. Tout commence ici.
Arrivés au dernier étage, nous trouvons enfin la porte numérotée 216. Je prends une grande inspiration, mes doigts tremblant légèrement alors que j'insère la clé dans la serrure. Est-ce le bon choix ? Ai-je seulement le droit de rêver à cette indépendance ? Un clic. J'ouvre la porte, découvrant l'espace qui sera mon refuge pour les mois à venir.
À l'intérieur, les murs blancs sont encore nus, mais déjà, un lit est occupé. Gwen, assise en tailleur, sourit de toutes ses dents en me voyant entrer. Son énergie déborde dans l'espace exigu, comme si elle avait déjà marqué son territoire
— Lottie ! Tu es enfin là ! s'écrie-t-elle avant de bondir pour me serrer dans ses bras. J'ai déjà pris le meilleur lit, j'espère que ça ne te dérange pas !
Son étreinte est chaude, familière. Pour moi, Gwen est autant de ma famille que mon frère.
John pousse un soupir, lançant un regard noir à Gwen, et son expression se fait plus dur. Il n'a jamais vraiment apprécié son influence sur moi, peut-être parce qu'elle m'a souvent entraînée dans des situations que lui désapprouvait.
— Sérieusement, c'est elle ta colocataire ? grogne-t-il, exaspéré.
Je lui lance un regard amusé. L'irritation de John face à Gwen est une vieille rengaine. Et à chaque fois, c'est Gwen qui gagne.
— Si je te l'avais dit, tu m'aurais fait la morale pendant des semaines, plaisanté-je. Regarde comme je t'ai fait gagner du temps.
Il grogne en réponse, posant les cartons un peu trop brusquement sur le sol. De l'autre côté de la pièce, une jeune fille se redresse doucement, relevant ses cheveux blonds en un chignon soigné. Elle avance vers nous avec un sourire timide.
— Salut, je suis Camilla. On est dans le même cursus, en Fashion Design, non ? demande-t-elle poliment en tendant la main.
Sa voix est douce, ses gestes mesurés, un contraste frappant avec la tornade qu'est Gwen. Je serre sa main, appréciant sa douceur et son calme.
— Oui, c'est ça. C'est sympa de nous mettre dans le même dortoir, dis-je.
Gwen, toujours égale à elle-même, bondit sur l'occasion pour faire sa propre déclaration.
— Moi, je suis en Fashion Communication, annonce-t-elle fièrement. La mode ne se résume pas à des aiguilles et du tissu, mesdames ! Les médias, les photos, c'est ça l'avenir !
John toussote, visiblement peu impressionné.
— Tant que tu n'entraînes pas Charlotte dans tes histoires, ça me va, grogne-t-il.
Sa voix, basse et lourde, semble résonner plus longtemps qu'il ne le faudrait dans la pièce. Je sens la tension monter, et avant que les choses n'empirent, je m'approche de John.
— John, tu devrais y aller, murmuré-je doucement. Je m'en sortirai.
Ses yeux s'accrochent aux miens, une fraction de seconde de vulnérabilité qu'il masque rapidement. Il hésite, me regarde un instant, puis soupire. Ses traits s'adoucissent enfin, et il m'enlace dans une étreinte un peu plus longue que d'habitude.
— Si tu as besoin de quoi que ce soit, tu sais où me trouver, dit-il doucement avant de quitter la pièce.
Quand la porte se referme, je prends une grande inspiration, me sentant soudainement légère. Gwen se redresse immédiatement, le sourire aux lèvres.
— Alors, on explore le campus ? Il doit y avoir une fête quelque part !
Camilla, plus réservée, secoue la tête doucement.
— On pourrait peut-être s'installer tranquillement avant de sortir, suggère-t-elle.
Je souris, partagée entre l'enthousiasme de Gwen et la raison de Camilla.
— Tu sais quoi, va faire un tour, Gwen. Camilla et moi, on va finir de s'installer ici, proposé-je en lui lançant un clin d'œil.
Gwen ne se fait pas prier. Elle disparaît rapidement, et le calme retombe dans la chambre. Camilla et moi échangeons un sourire complice avant de reprendre le rangement. Une heure plus tard, Gwen revient, l'air légèrement déçu.
— Pas de fête ce soir, annonce-t-elle. Mais demain, ça va être la folie !
Je ris doucement.
— On peut toujours aller manger un bout quelque part. Ça te va, Camilla ?
***
Les rues autour du campus sont vivantes, animées par des groupes d'étudiants qui rient, discutent bruyamment ou traînent devant des petites échoppes. Gwen marche devant nous, à grandes enjambées, semblant connaître exactement la direction à prendre, tandis que Camilla et moi la suivons, légèrement plus réservées.
— Comment tu as fait pour trouver cet endroit en une heure à peine ? demande Camilla, l'air intriguée, tout en ajustant son sac sur son épaule.
Je souris, amusée par la question. Gwen a toujours eu un talent naturel pour se fondre dans n'importe quel environnement et y dénicher toutes les informations utiles. Elle se déplace comme si le monde lui appartenait, et parfois, je me demande si ce n'est pas vraiment le cas.
— Elle devrait bosser pour la CIA, pas pour la mode, plaisanté-je. En une heure, elle pourrait probablement infiltrer un gouvernement entier.
Gwen se retourne avec un sourire triomphant.
— On a tous nos petits talents, dit-elle avec un clin d'œil, avant de se tourner à nouveau pour nous guider vers ce qu'elle appelle "le meilleur spot du campus".
Nous arrivons bientôt devant un petit café typique étudiant, situé en retrait des grandes artères principales. L'ambiance est à la fois électrique et détendue, avec de la musique qui s'échappe par les fenêtres ouvertes, des rires, des éclats de voix. Des guirlandes lumineuses pendent entre les arbres, et l'endroit est bondé, mais pas oppressant. Ça sent le café, les frites et quelque chose de sucré que je n'arrive pas à identifier.
— Voilà, je vous l'avais dit, déclare Gwen fièrement. C'est ici que tout se passe.
À peine entrée, elle fait un signe de main à un groupe de garçons installés près du comptoir. L'un d'eux, un grand blond à l'air nonchalant, lui répond avec un sourire en coin et lui indique une table vide dans un coin.
— Allez, venez ! s'exclame Gwen en nous dirigeant vers la table. J'ai déjà des contacts, vous voyez, plaisante-t-elle.
Nous nous installons à une petite table ronde, à peine éclairée par la lumière tamisée d'une vieille lampe suspendue. Camilla semble un peu mal à l'aise dans cette atmosphère bruyante, tandis que Gwen est dans son élément, lançant des regards curieux autour d'elle, guettant chaque mouvement.
— Ce genre d'endroit, c'est tout ce que j'adore, s'exclame Gwen en feuilletant un menu déjà usé par des milliers de mains.
— Ouais, ça se voit, murmure Camilla en riant doucement. Je pense que je vais juste prendre une salade, ajoute-t-elle, observant les options avec un air légèrement inquiet.
— Prends quelque chose de plus consistant, tu en auras besoin pour survivre ici, dis-je avec un sourire, repoussant un peu mes propres menus pour observer l'endroit.
Un serveur vient rapidement à notre rencontre, un stylo à l'oreille, ses yeux pétillants d'un air joueur.
— Bonsoir mesdames. Alors, qu'est-ce que je vous sers ? demande-t-il avec un sourire charmeur, ses yeux s'arrêtant brièvement sur Gwen avant de glisser sur moi puis sur Camilla.
Gwen répond immédiatement, sans laisser l'occasion à Camilla de répondre :
— Trois bières et trois burgers, s'il te plaît ! lance-t-elle d'un ton enjoué, avant de se tourner vers nous avec un regard complice. Vous n'avez pas le droit de protester.
Camilla fait une petite grimace mais finit par acquiescer avec un sourire amusé.
— Très bien, tu m'as convaincue, dit-elle.
Le serveur s'éloigne en nous lançant un dernier regard, et je ne peux m'empêcher de remarquer un petit groupe de garçons assis un peu plus loin qui nous observent. L'un d'eux, un brun avec un sourire en coin, lève son verre dans notre direction avant de murmurer quelque chose à son ami. Gwen le remarque immédiatement.
— Tu vois ces gars-là ? commence-t-elle en inclinant légèrement la tête dans leur direction sans les quitter des yeux. Ils vont venir nous parler avant même que nos bières n'arrivent.
Je lève les yeux au ciel en souriant.
— Tu paries ? demandé-je en riant.
— Absolument, répond-elle avec un air assuré. Et ils ne seront pas les seuls ce soir. Les filles, c'est notre première sortie sur le campus. Il faut en profiter !
Camilla, toujours plus réservée, semble sceptique, mais elle sourit devant l'assurance de Gwen.
— Tu es incorrigible, dit-elle doucement.
Quelques minutes plus tard, comme Gwen l'avait prédit, les garçons se lèvent et se dirigent lentement vers notre table. Le brun qui avait levé son verre prend la parole, un sourire charmeur étirant ses lèvres.
— Bonsoir les filles. On ne pouvait pas s'empêcher de remarquer que vous êtes nouvelles ici. On pourrait vous faire visiter... si ça vous dit, lance-t-il d'une voix suave.
Gwen éclate de rire avant de répondre sans hésitation.
— On n'est pas si nouvelles que ça, mais merci pour la proposition, dit-elle avec un clin d'œil. Tout est sous contrôle.
Les garçons semblent décontenancés par sa réplique, mais ils ne se démontent pas pour autant. Le brun continue de sourire.
— Si vous changez d'avis, on est juste là, ajoute-t-il avant de retourner à sa table.
Je ris doucement tandis que Gwen lève un sourcil triomphant.
— Je vous l'avais dit, s'exclame-t-elle. Les gars ici, c'est du gâteau.
Camilla secoue la tête en souriant, et je me contente de lever mon verre lorsqu'il arrive finalement sur la table.
— À notre première soirée ici, dis-je en levant ma bière.
— Et à bien d'autres, répond Gwen en trinquant avec nous.
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