13 Novembre
19h15

J'avais dû marcher pas mal de kilomètres dans la nuit noire, et le froid commençait à glacer douloureusement mes pieds nus. Je ne savais pas où j'allais et encore moins ce que je cherchais, mais j'avançais simplement, ne voulant qu'une chose ; m'éloigner le plus loin possible de cet enfer.

Encore une fois tout s'était s'effondré et je ne pouvais que fuir.

Encore une fois, ils m'avaient fait terriblement mal.

Je grelottais à cause du froid, mais surtout, j'avais terriblement peur de toute l'obscurité autour de moi. La pleine lune était ma seule source de lumière, mais malheureusement elle n'était pas suffisante. Mes peurs étaient toujours présentes et me suivaient comme mon ombre. Plus je baissais la tête et plus elles augmentaient, agrandissant cette ombre qui me tétanisait. À elle seule, la lune n'était pas capable de me rassurer et de faire disparaître mes peurs. Elle ne pouvait qu'être témoin de ce qui allait m'arriver ce soir là.

Un tonnerre gronda et une averse éclata subitement, me stoppant dans mon élan.
Les jambes tremblantes, je me suis effondré au sol lorsque les premières gouttelettes de pluie commencèrent à marteler ma peau et à mouiller mes vêtements. Je m'étais alors autorisé à pleurer à ce moment là. Le côté positif était que cette pluie allait peut-être balayer toutes mes faiblesses, du moins je l'espérais.

_ Hé ! Résonna une voix masculine devant moi.

Je peinais à relever la tête à cause du vent, apercevant une grande silhouette dressée devant moi. Assis au sol, je la fixais sans rien dire.

_ Hé, dit-il en s'approchant de moi, tu m'écoutes quand je te parle ?

Il faisait noir, je ne voyais presque rien et pourtant il m'était familier. Sa voix et sa silhouette dissimulée dans l'obscurité ne m'étaient étrangement pas inconnues. Ce garçon, je le connaissais.

_ Tu comptes rester silencieux longtemps ? Demanda-t-il d'une voix étrangement calme.

Son pied m'effleura légèrement, me laissant croire qu'il allait me mettre un coup de pied pour sûrement me faire réagir. Je pris peur, persuadé qu'il allait me frapper lui aussi. Mes mains tremblantes s'étaient naturellement placées devant mon visage par simple habitude, essayant de me protéger du mieux que je pouvais.

Toutefois, j'ai été très surpris d'attendre un coup de pied qui n'arriva jamais. Déconcerté, j'ai alors levé la tête et cet inconnu a de nouveau brisé le silence.

_ Tu as vraiment cru que j'allais te frapper ? Demanda-t-il d'une voix toujours aussi calme, ne laissant aucune émotion s'y manifester.

Je l'ai senti s'accroupir à mon niveau et il soupira face à mon manque de réaction. Je n'arrivais pas à discerner les traits de son visage, pourtant je pouvais déjà deviner son expression faciale dans ma tête. Il fronçait probablement les sourcils, essayant sûrement de déceler une quelconque émotion sur mon visage, et ça malgré l'obscurité.

_ Qu'est-ce que tu fiches seul sous la pluie ? C'est dangereux.

Sa voix était d'une douceur déconcertante, alors que le ton qu'il avait employé était froid. Mais étrangement, ses simples mots ont suffi pour me rassurer à ce moment là.

Pour la première fois depuis longtemps, quelqu'un était venu. Ça n'allait pas et j'avais terriblement peur. Mais cette fois-ci quelqu'un l'avait vu et s'en était rendu compte.

Une voiture passa à toute vitesse sur la route principale, et grâce aux phares allumés, j'ai pu apercevoir une partie de son visage éclairé. Ses cheveux bruns étaient trempés et collaient désespérément sur son visage, cachant presque ses yeux. Je ne m'étais pas trompé. Ce garçon, je le connaissais.

Il était pur et ne faisait pas partie de ceux qui me terrifiaient. Il était tout simplement ce garçon qui se fichait un peu de tout. Il était probablement qu'un asocial. Un simple solitaire. Il était tout juste Jeon Jungkook.

Il n'était pas comme Taehyung, il n'était pas un rêve. Encore moins comme Yoongi, il était loin d'être un ange. Étrangement, Jeon Jungkook m'avait toujours fait penser aux ténèbres. Je l'ignorais pourquoi, après tout je ne savais pas grand chose sur lui, mais en tout cas mon esprit persistait à y croire. Sa peau éclairée par les phares des voitures était pâle et ses yeux aspiraient la noirceur qui nous entouraient, me faisant encore plus croire à l'opinion que je m'étais déjà fait sur lui.

Il brisa de nouveau le silence alors que je commençais à fixer sa silhouette depuis plusieurs minutes.

_ En quelle langue je dois te parler pour que tu réagisses ? Lève toi, tu dois geler.

Sa voix douce au ton désagréable me sortit de mes pensées, et j'ai timidement baissé la tête, gêné. Jungkook recommença à parler, brisant de nouveau le silence.

_ Tu penses que j'aurais dû partir ? Demanda-t-il d'une voix toujours aussi froide. C'est la première fois que j'ai voulu aidé quelqu'un. J'aurais dû t'ignorer et ne pas m'approcher de toi, n'est-ce pas ?

Bizarrement, ses paroles me firent sourire. Lui non plus ne comprenait pas pourquoi il s'était rendu compte que quelque chose n'allait pas.

_ Tu penses que c'est une bonne idée ? Continua-t-il en s'approchant de moi, réduisant encore plus la proximité entre nous deux.

Il était si prêt que je pouvais sentir son souffle chaud s'abattre contre mon visage, et me réchauffer d'une douceur à m'en arracher des frissons. Mon cœur s'était remis à battre ou peut-être s'était-il juste accéléré ? Ce garçon, il était étrange, non ? Pourquoi me posait-il ce genre de questions ? Je ne pouvais pas répondre, de mon côté je ne comprenais rien non plus.

_ Je crois que je me suis arrêté à cause de la méchante sorcière, finit-il par dire alors que je ne comprenais même pas ce qu'il me disait. La méchante sorcière voulait t'aider, alors je me suis approché de toi.

Malgré toutes les larmes qui avaient coulé, tous les cris qui m'avaient arraché les cordes vocales, et toutes les fois où j'avais pensé à mettre fin à ma vie rien que ce soir là, j'ai ri.

Je ne comprenais absolument rien à ce qu'il racontait mais je riais sincèrement.
Une sorcière ? J'aimais qu'il croit à ce genre de choses à son âge. Je ne savais même pas pourquoi, mais ça me plaisait. Je supposais que grâce à cette sorcière, quelqu'un était venu à moi.

Suite à ça, il arrêta de parler, ne s'attendant sûrement pas à entendre mon soudain rire incontrôlé. C'était étrange, mais je le trouvais drôle. Vraiment drôle.

_ Tu délires, fit-il remarquer d'une voix toujours autant calme, n'est-ce pas ?

Malgré son air indifférent, je crus sentir dans son ton un léger apaisement, et bizarrement il avait arrêté de respirer. Je l'ai su parce que je ne pouvais plus sentir son souffle chaud me chatouiller le visage. Mais je continuais à rire, au point que des larmes coulèrent des coins de mes yeux et se camouflèrent sur mon visage mouillé. C'était vraiment étrange. Ou plutôt, ce drôle de garçon était étrange.

_ Ça faisait longtemps que je n'avais pas ri à en lâcher des larmes, laissai-je échapper une fois calmé.

Mes mots avaient dépassé ma pensée et j'ai de suite baissé la tête après que ma voix ait brisé le silence. À l'entente de celle-ci, un souffle de soulagement me balaya le visage alors que je sentais mon cœur s'emballer. Ça faisait si longtemps que je n'avais pas eu droit à une quelconque chaleur, aussi infime soit-elle.

Une voiture passa à ce moment là et les phares nous illuminèrent pendant quelques secondes, avant de finalement nous laisser replonger dans le noir. Durant ce laps de temps, j'avais pu discerner parfaitement à nouveau les traits de son visage et mon cœur avait raté un battement lorsque j'avais plongé mes yeux dans les siens. 

C'était à ce moment là que j'ai réalisé qu'un peu plus tôt, Jeon Jungkook ne s'était pas accroupi au sol, mais qu'il s'y était assis. Je n'avais même pas remarqué qu'il avait fait comme moi. Pourquoi faisait-il cela ? D'ailleurs, pourquoi était-il venu me parler ce soir là ? Mais surtout, pourquoi avait-il vu ou remarqué que quelque chose n'allait pas ? J'imaginais bien que l'histoire de la sorcière n'était qu'un moyen pour briser la glace. C'était la seule explication logique.

_ Ne t'assois pas par terre, dis-je en essayant d'ancrer l'image de son visage illuminé dans mon esprit. Tu risques de te salir.

_ Alors qu'est-ce que tu fais par terre toi ? Répondît-il systématiquement.

J'ouvris la bouche pour répliquer mais elle se referma aussitôt. Je ne m'attendais pas à ce qu'il me réponde machinalement. J'ai de nouveau baissé la tête, sentant une brise froide nous fouetter. Ce qui se passait ce soir était vraiment bizarre. Pourtant après de longues secondes silencieuses, des mots dépassèrent finalement la barrière de mes lèvres.

_ Parce que moi, même si je suis sale, personne ne le verra et le saura.

Ma voix avait résonné comme une murmure et je n'étais même pas sûr qu'il m'ait entendu. À vrai dire, peut-être n'avais je pas parlé pour répondre à sa question ? Mais plutôt pour moi et pour expliquer la tournure étrange que prenait ma vie ce soir là ?

_ Pourtant, commença-t-il d'une voix un peu plus basse, malgré l'obscurité je le vois.

J'ai doucement relevé la tête vers lui et au même moment, les phares d'une voiture roulante sur la route nous éclaira à nouveau. Nos regards se rencontrèrent une deuxième fois, et durant ce moment nous n'avons plus parlé. Le temps semblait s'être s'arrêté, il débordait au-delà des quelques misérables secondes dans lesquelles nous nous sommes fixés. Une fois longuement étendu de sa durée habituelle, nous étions finalement de nouveau plongés dans l'obscurité, et le temps reprit son cours normal.

_ Je te connais, dis-je en brisant de nouveau le silence d'une voix tremblante.

_ Je sais.

_ Tu vas souvent dans le café au coin de la rue.

_ Et toi tu y travailles.

Mon coeur rata un battement. Il m'avait reconnu ? J'avais longtemps cru qu'il ne portait guerre attention au monde qui l'entourait. À vrai dire, Je n'avais jamais croisé son regard avant ce soir, et je ne l'avais jamais vu regarder autour de lui non plus. Maintenant que j'y pensais, les seules fois où je le voyais s'adresser à quelqu'un étaient au café, ou plutôt seulement à Hoseok pour faire sa commande.

Mais encore plus étrange, je ne m'attendais pas à ce qu'il me connaisse. Depuis que je travaillais dans le café, c'était toujours moi qui l'observais, curieux. En revanche lui, jamais il ne relevait la tête ou ne se souciait de ce qui l'entourait. Jeon Jungkook semblait toujours dans ses pensées, déconnecté de notre monde ou tout bonnement indifférent à ce dernier. Et à mon avis, c'est ce qui m'intriguait le plus chez lui, me poussant à l'observer au point de connaître quelques unes de ses habitudes.

J'aimais tout simplement sa façon d'être, comme si rien n'était important et que tout était rien. Il restait très calme, sans un mot, ne laissant aucune émotion se lire sur son visage. Est-ce qu'il faisait exprès ou était-ce dans sa nature ? Il me semblait si étrange et intrigant. Et justement parce qu'il semblait l'être, qu'il m'avait dérangé et crée une sorte de suspense. Je me demandais qui était-il vraiment et comment expliquer son attitude complément détachée ?

_ Mais je te connais pas pour ça, dit-il en me coupant de mes pensées.

Ses paroles me glacèrent le sang alors que je sentais sa chaleur m'atteindre et bizarrement réchauffer mon cœur. Il s'est tu un instant, me donnant l'impression qu'il me fixait intensément malgré l'obscurité. À quoi il devait penser ? Son regard, je voulais vraiment y lire quelque chose.

Soudainement il brisa à nouveau le silence.

_ Je sais ce qu'ils te disent et je vois ce qu'ils te font, reprit-il d'une voix si basse que je fus même étonné de pouvoir l'entendre.

_ Ah... vraiment ?

_ Alors n'est-ce pas la preuve que quelqu'un le voit et le sait ?

Encore une fois, pendant un moment nous n'avons plus parlé. Nous nous sommes juste regardés en silence, alors que les phares d'une voiture nous éclairaient à nouveau.

Jungkook n'était en effet pas comme Taehyung et encore moins comme Yoongi, mais à cet instant il était comme la lune, parmi tous ces astres dans le ciel sombre. Cette nuit là, il était ma seule vrai lumière et l'infime chaleur dont j'avais eu droit. Et c'était suffisant pour que je me sente en sécurité.

De nouveau replongé dans l'obscurité, j'ai senti qu'il s'est relevé. Allait-il partir sans se retourner ? Est-ce que la sorcière lui avait dit de partir ? Est-ce qu'il allait me laisser seul ? Des questions commençaient déjà à me martyriser, mais un tonnera gronda soudainement, stoppant l'expansion de mes pensées.

La foudre tomba et nous illumina rapidement. Ce que je vis me glaça le sang ou peut-être s'était-il réchauffé ? Je ne savais plus rien, pourtant cela n'empêcha pas une douce chaleur d'éclore dans mon cœur telle une fleure au printemps.

Je réalisais qu'au moment où je pensais que plus personne ne se souciait de moi et que lui aussi allait finir par me tourner le dos, Jeon Jungkook me tendait sa main.

Moi. Lui. Cette rencontre. Rien n'avait de sens. Mais bizarrement, sur le moment, tout me paraissait normal. Enfaite je me fichais qu'il y'ait un sens ou pas. Sans trop savoir pourquoi, j'ai souri et j'ai attrapé la main qu'il me tendait sans hésiter. Une fois debout, il lâcha ma main et me balança sa veste à la figure. Après de longues secondes silencieuses, il finit par tourner les talons et s'éloigner.

Ma main serra instinctivement la veste que je devinais en cuir sur ma tête, tandis que mon esprit ressassait en boucle sa silhouette dissimulée dans le noir. J'ai esquissé un sourire en sentant la chaleur qui se dégageait de son habit et ramassé mon sac qui était tombé au sol, trempé.

Une voiture nous éclaira à ce moment là et j'avais pu le discerner une dernière fois avant qu'il ne disparaisse dans l'ombre, me laissant de nouveau seul. Calmement, j'ai repris alors le chemin pour la maison.

25 jours après que Taehyung m'ait abandonné, 18 jours après que Yoongi m'ait laissé seul, Jeon Jungkook a été celui qui m'avait tendu la main que j'avais tant attendu.

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