Chapitre 26
Plusieurs heures passèrent sans que rien ne change. Mes amis ne s'étaient toujours pas réveillés, malgré mes nombreuses sollicitations. Aucun mouvement non plus. J'étais fatiguée. Bien que ce nouveau sérum n'ait pas fonctionné de la même façon sur moi, il n'était pas sans effets. Mes douleurs n'avaient toujours pas disparues, j'étais exténuée, et mon cerveau peinait à se concentrer. Je fis néanmoins le nécessaire pour m'empêcher de sombrer dans un sommeil qui serait pourtant bienvenu. Mes amis étaient la priorité, je devais veiller sur eux coûte que coûte, comme eux le faisaient avec moi.
Assise contre le mur de pierre froid et rugueux, près des barreaux, je gardais le regard obstinément fixé sur mon capitaine, tentant de détecter n'importe quel changement. Dans un même temps, mon esprit se focalisa sur notre lien. J'avais depuis longtemps constaté qu'il n'était plus le même, plus faible, moins tangible dans mon esprit. Restait à espérer que c'était l'inconscience de Byron qui créait cet effet. Je venais de le retrouver, il n'était pas question que je perde cette partie de moi à nouveau. Avec un soupir, je laissais glisser ma tête contre les barreaux, dans l'attente.
Ma main se porta machinalement à mon cou, là où devait se trouver la puce, ou que savais-je d'autre. Je ne sentais rien, aucune entaille, aucune blessure, rien qui ne pourrait me faire penser que quelque chose se trouvait sous mon épiderme. Et c'était probablement le but. Mais dans ce cas, pourquoi ne s'était-il pas caché lorsqu'il en avait analysé les données avec son capteur ? Un frisson me parcourut lorsque je compris que c'était parce qu'il était certain que nous ne serions pas en mesure de l'utiliser à notre avantage, ou de le retirer. A en juger par l'état de mes amis, son traitement devait nous mettre à terre. Cette voie de la contribution portait plutôt bien son nom, c'était sa méthode de création d'esclaves. Et j'espérais de tout cœur que ça ne fonctionne pas du premier coup.
D'autres heures s'écoulèrent avant que je ne perçoive un mouvement de l'autre côté du mur. Je me redressais précipitamment :
— Ulric, tu m'entends ?
Un grognement étouffé me parvint :
— Tu vas bien ? Comment te sens-tu ? continuai-je.
— Comme si... Un troupeau de chevaux m'avait piétiné...
Un rire de soulagement m'échappa. Cet homme, d'ordinaire aigri et méprisant à mon égard, venait d'utiliser une de mes expressions dans une tentative d'humour.
— Ravi de voir que je te fais rire... bougonna-t-il.
Après un autre rire, je repris :
— Sens-tu quelque chose de différent ?
Il soupira, semblant réfléchir, avant de me répondre :
— Je dirais que non. J'ai mal partout, mais ça va... Je crois. Je sais pas ce que cet... ce qu'il nous a injecté, mais ça ne me plaît pas.
Je tiquais devant sa retenue. J'étais persuadée qu'il allait insulter Joseph, et il l'aurait fait en temps normal. Alors pourquoi s'était-il reprit ?
— Et toi, ça va ? me demanda-t-il.
De la réelle inquiétude transparaissait dans sa voix, et ça me toucha. Nous n'étions pas les meilleurs amis du monde, mais il restait néanmoins un ami.
— Je vais bien, on dirait que ce qu'il nous a fait ne m'impacte pas autant que vous...
— Une chance... Crois moi... soupira-t-il. Et... Il ne s'est toujours pas réveillé ?
Je jetais un regard à mon capitaine avant de souffler à mon tour.
— Non... J'imagine qu'il a adapté son dosage à chacun en fonction des données qu'il a recueillies... Et que celle de Byron devait être la plus forte...
— T'en fais pas, il est fort, laisse le faire un petit somme, ça lui fera pas de mal, rit-il.
J'appréciais sa tentative d'humour, il cherchait à me calmer et à détendre l'atmosphère. Mais je n'étais pas née de la dernière pluie, sa voix n'était pas sereine. Et je ne l'étais pas non plus.
— Explique moi ce qu'il s'est passé et ce que tu sais, me demanda-t-il.
Je l'entendis se redresser et le tissus de ses vêtements se froisser, et je compris qu'il venait de s'installer contre le mur, derrière moi, tout proche, en soutien malgré tout. J'entrepris de tout lui expliquer. Ce qu'il s'était passé après son passage dans le fauteuil, notre retour, le fait que le sérum n'ait pas agit comme pour eux me concernant, et mes doutes sur cette puce. Il m'écouta attentivement, ne m'interrompant pas. Je savais qu'il essayait de s'imaginer la situation, et de se faire sa propre idée, aussi je lui laissais le temps de se faire ses propres réflexions. Quand ce fut fait, il reprit :
— Le fait que ce liquide n'agisse pas autant sur toi est une bonne chose, continuons à l'utiliser à notre avantage...
— J'espère sincèrement qu'il n'y aura pas d'autres fois...
— Tu crois vraiment qu'il va s'arrêter là ? ironisa-t-il avec un rire amer.
Evidemment que non, je le savais très bien. Mais l'espoir ne tuait personne, si ?
— Et si tu as raison, pour cette histoire de... puce, ou d'implant ou je ne sais quoi, qui sait ce qu'il peut faire de ça ?
— Je n'en sais rien. Mais avec un peu de chance, ça ne lui permet pas d'obtenir les réponses qu'il veut dans mon organisme, sinon il n'aurait pas eu à faire tout ça...
Et à cet instant je ne sus pas très bien si ça m'enchantait ou non. Quelque part je regrettais de m'opposer à lui, car mes amis en pâtissaient grandement. Mais il n'était pas possible de donner à cet homme la possibilité de se balader au grand jour, hors de sa tanière. C'était impensable. Peu importait ce que je choisirais de faire à l'avenir, je savais que la culpabilité me suivrait dans les deux cas. Soit vis-à-vis de ce que je force mes amis à subir, soit vis-à-vis de ce que je libérerais dans ce monde.
J'étais encore plongée dans mes réflexion lorsqu'un grognement attira mon attention non loin. Byron se réveillait. Je me tournais vivement vers lui pour l'observer. Il se relevait péniblement, je ne tentais pas de lui parler, Ulric non plus, nous lui laissions le temps de se réveiller.
— Ça fait longtemps ?
Qu'il était inconscient, devinai-je.
— Plusieurs heures, mais difficile de savoir exactement combien ici, répondis-je. Comment te sens-tu ?
L'état des lieux qu'il me fit n'était en rien plus glorieux que celui de notre ami.
— Racontez-moi...
Et une fois de plus, j'expliquais à Byron tout ce que je venais de dire à Ulric. Je savais que tous deux avaient besoin de ça, mes propres souvenirs auxquels se raccrocher, vu qu'eux n'en avaient pas. Et pour deux soldats, ce n'était pas concevable de ne pas tout savoir de cette situation. Aussi j'essayais d'être la plus précise possible. Y compris sur mes théories.
— Ce sal... grogna-t-il en se massant l'arrière de la nuque. Cet...
Une fois de plus, aucune insulte. Cette fois je décidais de poser la question qui me brûlait les lèvres. Je ne l'avais pas fait avec Ulric parce que j'attendais le réveil de Byron pour en être sûre. D'autant plus que je pouvais voir ses réactions, et sa frustration lorsqu'il avait tenté de prononcer les mots.
— Otez-moi d'un doute, vous n'arrivez pas à insulter Joseph n'est-ce pas ?
Les deux soupirèrent et Byron secoua la tête en signe de négation.
— Les mots sont dans mon esprit, mais impossible de les dire. Plus j'insiste, plus ça fait mal.
— Quel enfoiré... protestai-je.
Un léger rire les secoua tous deux, Byron enchaina :
— Ravi de constater qu'une de nous peut encore le faire !
— Si je veux pouvoir faire illusion auprès de tous la prochaine fois qu'on les voit, j'ai besoin que vous me fassiez un état des lieux complet de comment vous vous sentez, il faut que je puisse vous imiter.
Ce qu'ils firent. Mais en soit, il n'y avait pas trop de changements. Physiquement, ils semblaient se sentir aussi mal que moi, je n'aurais pas à simuler ça. Et psychiquement, outre le fait que leur esprit avait du mal à faire de Joseph un ennemi, rien de différent. Ils m'expliquèrent que tout se mélangeait dans leur cerveau le concernant. Ils savaient qu'il n'était pas bon, mais quelque chose au fond d'eux leur soufflait qu'ils se faisaient des idées, et ils devaient lutter contre cette possibilité.
Après leur récit je soupirais de frustration. Il fallait que l'on sorte de ce trou avant que ce ne soit pire. Je n'avais pas envie de vois mes amis devenir des pantins, vénérant et agissant selon les termes de ce monstre psychopathe.
Peu de temps après, un maigre repas nous fut apporté, dans le silence. Bien que nous n'ayons pas envie de manger réellement, nous savions qu'il nous fallait prendre des forces. Nous ne pourrions rien faire contre ces hommes sans rien dans le ventre. Et puis, que penseraient-ils si nous n'y touchions pas ? Comprendrait-il qu'il ne nous dominait pas encore ? Aucune idée, mais autant ne pas prendre le risque.
Nous passâmes les heures suivantes à nous reposer. Je m'accordais enfin un peu de sommeil. Maintenant que mes amis s'étaient réveillés, et que je savais qu'ils allaient bien, je le pouvais. Il me fallait reprendre des forces.
Nous dormions tous les trois lorsque le cliquetis d'une serrure nous alerta. Aussi vifs que possible, nous nous redressâmes pour voir entrer Joseph, accompagné de deux sentinelles. Il s'arrêta longuement devant chacune des cellules, nous observant attentivement. Probablement jaugeait-il l'efficacité de son traitement. J'avais examiné Byron lorsque c'était son tour pour pouvoir au mieux recopier ses actions si besoin. Et maintenant que Joseph me faisait face, je l'imitais. Je restais stoïque, essayant de ne pas rendre mon regard trop noir. Evitant soigneusement de lui montrer que j'avais envie de le démolir. Il fallait qu'il croit que son traitement fonctionnait, et que je ne le considérais plus autant comme un ennemi.
Il s'accroupit devant mes barreaux, bras appuyés sur ses genoux et pencha la tête. Ses yeux se fixèrent dans les miens. Quelques secondes de silence passèrent et un fin sourire fleurit sur son visage. Je retins ma colère. Il semblait... Satisfait. Et je détestais ça. Ce qu'il dû voir sur mon visage sembla le convaincre puisqu'il se releva. Claquant des doigts, il ordonna :
— Bien, très bien. Poursuivons. Emmenez celui-ci.
La cellule d'Ulric fut ouverte et il fut emmené hors de la prison pour subir le traitement suivant.
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