Chapitre 19
Les jours suivants se passèrent étonnamment sans encombre. Après avoir attaqué les deux sentinelles, je m'étais attendue à voir débarquer tous les soldats pour m'enfermer. Mais rien. Et c'était peut-être le plus inquiétant.
Avec mes amis, nous évitions de faire des vagues, tout en cherchant plus d'informations, et une sortie. Mais maintenant que je savais ce qu'il se passait, il m'était difficile de rester de marbre. Je n'avais pas pu revoir mon père qui avait été très pris par ses occupations personnelles. Mais il me fallait des réponses, et j'étais décidée à les obtenir.
J'entrais comme une furie dans son bureau et m'arrêtais net en y découvrant Joseph avec mon père. Ils coupèrent brusquement leur conversation.
— Breena, tout va bien ? me demanda mon père.
Mon regard passait de l'un à l'autre. Le dirigeant ne semblait pas offusqué de ma brusque apparition, et son éternel sourire factice vint fleurir sur son visage. Déjà que je ne l'aimais pas avant, c'était maintenant pire puisque je savais ce qu'il faisait ici.
— Je dois te parler, maintenant, dis-je sévèrement en concentrant de nouveau mon attention sur mon paternel.
— Ce n'est pas le moment...
— Oh, mais je vais vous laisser parler, ne vous en faites pas, le reste peut attendre Vincente, commença Joseph en se levant. La famille avant tout.
Ce dernier s'arrêta près de moi et m'observa attentivement.
— Profitez bien de votre père, dit-il simplement avec un sourire énigmatique avant de quitter la pièce.
Pourquoi cette simple phrase sonnait comme une menace dans sa bouche ? Je n'eus pas le temps de me poser plus de questions que mon père me ramena à la réalité après que la porte fut fermée.
— Qu'est-ce qu'il se passe ?
J'avançais vers son bureau, y posais les mains à plat et me penchais vers lui :
— Je n'irais pas par quatre chemins, j'ai déjà assez perdu de temps. Est-ce que tu étais au courant de ce qui se passait avec l'Hamadryade ?
Il ne put masquer le choc sur son visage. J'avais donc ma réponse. Sans lui laisser le temps de répondre, je posais ma deuxième question :
— Et pour l'esclavagisme ?
Un nouveau choc dans son regard. Non. Ce n'était pas possible. Je reculais d'un pas, me prenant la tête dans les mains.
— Pas toi papa, non. Pas toi... soufflais-je.
— Comment as-tu su ?
— Tu ne cherches même pas à nier ?
— Pourquoi faire ? Tu as déjà trouvé tes réponses visiblement. Comment as-tu appris cela ?
— Peu importe comment, je le sais, c'est le plus important. Et ce que je ne comprends pas c'est comment toi tu as pu cautionner tout ça ?!
Ma voix se faisait plus aigüe trahissant mon angoisse.
— Je n'ai pas eu le choix. J'ai vite compris que c'était cette hamadryade qui nous permettait de vivre en ce monde. Quand j'ai cherché à partir, je devenais plus faible à mesure que je m'éloignais d'elle. Il en va de même pour tous les autres habitants de cette communauté. Et ils m'ont tout expliqué, notre présence la fait vivre et en échange elle nous maintient en vie. C'est donnant-donnant.
— Ce n'est pas sans la faire souffrir !
— Comment ça ?
Il n'avait vraiment pas l'air de se rendre compte.
— L'as-tu seulement vue ?! As-tu vu dans quel état elle se trouve ? Elle n'a rien d'une Hamadryade belle et épanouie ! Elle est mourante, et triste, et seule !
Au fil de mes paroles, de nouvelles larmes s'étaient mises à couler le long de mes joues, de colère ou liées aux souvenirs de Risa, je ne savais plus très bien.
— Comment sais-tu ça ? Tu as été la voir ? Breena qu'as-tu fait ?!
Sa voix trahissait son inquiétude, mais je n'allais pas répondre à ses questions, il devait d'abord répondre aux miennes. Et cela me confirma que ses Sentinelles n'avaient pas parlé à leur chef, mon père, de mon petit passage vers elle. Etonnant. Je continuais :
— Là c'est à toi de répondre à mes questions. Comment peux-tu tolérer qu'il y ai de l'esclavagisme ici ?
— Il n'y en a pas !
— Arrête de te foutre de moi ! J'ai bien vu comment tu as réagi quand j'ai abordé le sujet ! Tu semblais surpris que je sois au courant !
— Je suis surtout surpris que tu utilises ce terme !
— Quel autre mot pourrais-je utiliser pour qualifier des personnes forcées à réaliser la volonté d'autrui par la force ?
Là son regard montrait une réelle incrédulité. Se pouvait-il qu'il ne soit pas au courant de tout ici ? Aussi je continuais :
— N'as-tu jamais vu des rebelles revenir en étant parfaitement dociles ?
Il prit le temps de réfléchir :
— Si... Evidemment, mais ils m'ont parlé d'un processus sain.
— Et bien ils se sont foutus de toi. Je ne sais exactement par quel moyen mais ils contraignent les contestataires à se plier à leur volonté, ils leur enlèvent tout pouvoir de décision, en font des machines, des robots.
— Non, c'est impossible.
— Mais ouvre les yeux enfin ! Regarde la plupart des habitants d'Arkaley ! Ils sont effacés, ne parlent pas, travaillent et ne font aucune vague. Ces comportements ne sont pas naturels, papa !
A mesure que je lui donnais mes explications, la lumière semblait se faire dans son esprit, et je pouvais voir une réelle inquiétude déformer ces traits. Ces émotions-là n'étaient pas feintes. Il n'était pas au courant des réelles intentions de cette communauté.
— Ils ne m'ont pas expliqué les choses ainsi... Bien sûr que je me suis rendu compte de choses différentes, de comportements étranges. Mais Joseph m'a simplement expliqué que les personnes un peu trop indisciplinées et risquant de s'enfuir passaient par un processus magique qui les rendait plus sages, qui leur montrait la voie de la raison. Ils ne peuvent pas partir d'ici car ils risquent de mourir s'ils s'éloignent de l'Hamadryade, et s'ils ne s'en rendaient pas compte il fallait leur montrer la réponse, les guider vers le bon chemin. Et il m'a dit que cette magie leur enlevait simplement toute envie de fuite et leur dictait le bon comportement qui était alors de faire vivre la communauté pour assurer leur propre survie.
— Mais comment as-tu pu gober toutes ces conneries ?!
Trop atteint par mes révélations, il ne répondit même pas. Il ne savait pas comment digérer les informations. Après quelques secondes de silence, il reprit :
— Breena, il faut que tu quittes cet endroit.
— Je ne pourrais pas être plus en accord avec ça. Mais comment ? Tu connais une sortie ?
— Oui, j'en connais une attends.
Il prit un plan et m'indiqua comment parvenir à quitter Arkaley. Après tout il était chef de la sécurité, il devait connaître toutes les informations importantes. Alors il m'en donnait un maximum.
— Papa, je sais que ces derniers temps ont été difficiles entre nous, mais viens avec nous, enfuis toi aussi.
Ses yeux se fermèrent et il regarda le sol.
— Dieu seul sait si j'aimerais pouvoir te suivre... Mais je ne peux pas. Plusieurs raisons s'y opposent. Premièrement, si ce point sur l'énergie est avéré, je ne pourrais pas survivre loin de la communauté. Ensuite... Il y a Allia et Amanda, je ne les laisserais pas. Qui sait ce qu'ils pourraient leur faire en représailles. Je dois les protéger. Toi tu as une mission à accomplir, d'une importance capitale, et je ferais tout pour t'aider à y arriver. Moi ma mission maintenant et de te permettre de sortir, et de protéger ma famille ici. Je suis leur seul rempart.
— Mais ils te tueront, s'ils apprennent que tu nous as aidés !
Un mince sourire étira ses lèvres.
— Il suffit qu'ils ne l'apprennent jamais. Je suis bon acteur, et dans mes souvenirs, toi aussi. Feignons simplement une autre dispute sur Allia et Amanda, et tout se passera bien.
— Ils ne seront pas dupes. Si nous nous échappons juste après que je sois passée te voir...
— Laisse-moi les gérer d'accord ? Concentre-toi sur votre fuite, votre mission, et laisse-moi m'occuper du reste. Fais confiance à ton père.
A ce moment, je sus plus que jamais que malgré nos différents je ferais toujours confiance à mon père. Je pouvais aveuglément m'en remettre à lui, j'en étais convaincue.
Il me remit ses instructions entre les mains et je pris le temps de les lire pour les mémoriser. Je lui demandais ensuite de brûler le papier. C'était risqué de laisser une trace telle que celle-ci.
— Maintenant, sauve-toi Breena, le temps t'est compté. N'oublie pas l'heure à laquelle les gardes s'échangent. C'est votre créneau.
Hochant la tête je le fixais. Il me fallait vite rejoindre mes compagnons pour tout leur exposer et préparer rapidement notre fuite. Car le changement de garde s'avérait être dans moins de deux heures.
Le regard obstinément fixé dans le sien, je repris :
— Je reviendrais te chercher papa. Vous chercher. Quand j'aurais fini toute cette mission, que j'aurais sauvé ce foutu monde. Je viendrais vous sauver, vous sortir de là.
Un sourire étira ses lèvres.
— Je n'en doute pas une seconde. Tu as mon entière confiance, ma fille.
Après une longue et intense étreinte, je quittais la pièce sans un regard en arrière pour garder le courage de partir loin de lui.
Je passais devant de nombreux gardes en gardant l'air le plus serein possible. Il me fallait à tout prix éviter d'éveiller les soupçons. Pas tant que je n'aurais pas rejoint mes compagnons. Lorsque je fus seule dans les couloirs, je me mis à courir.
J'arrivais à la porte de notre dortoir, essoufflée.
— Les gars, il faut qu'on parte d'ici immédiatement !
Ils se levèrent tous, inquiets, et me fixèrent dans l'expectative. Puis leurs regards changèrent et se postèrent derrière moi. Une main se posa sur mon épaule et je me crispais. Merde ! D'un regard, et avec un léger signe de négation de la tête, j'intimais à mes amis de ne pas réagir avant de me retourner vers cette nouvelle présence. Ces nouvelles présences pour être plus précise. J'espérais que mes amis obéiraient pour une fois. Qu'ils ne fassent pas d'esclandre.
Joseph était celui qui venait de me toucher, et il était accompagné de deux sentinelles, l'une d'elle était Axel. Contrairement à son habitude, il était parfaitement neutre, la mine sombre comme son acolyte.
— Je suis déçu, Breena. Vous voulez déjà nous quitter ? Puis-je vous en demander la raison ?
Je n'étais pas idiote, son sourire était purement factice et il puait l'hypocrisie à plein nez. Je ne pris pas la peine de lui répondre, il ne s'en formalisa pas et continua :
— J'aimerais avoir une discussion avec vous, en tête à tête, si vous le voulez bien ?
— Et si je refuse ?
Son regard s'ancra au mien, et il approcha d'un pas pour que je sois la seule à l'entendre :
— J'aimerais éviter de mêler votre père à cette conversation, voyez-vous.
Il se recula ensuite. La menace était claire et il savait qu'elle m'atteindrait. Soupirant, j'hochais la tête.
— Je vous suis.
Je lançais un dernier regard à mes compagnons, très tendus dans leur position, et murmurais du bout des lèvres :
— Ne faites rien de stupide, s'il vous plaît.
Et je suivis Joseph, les deux Sentinelles derrière moi me dissuadant de faire demi-tour.
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