Chapitre 16

Je n'avais pas recroisé Vincente de la soirée, et de la matinée suivante. Mes compagnons ne m'avaient pas posé plus de questions et essayaient de me changer les idées la plupart du temps. Mon humeur était morose, et tendue, même si j'essayais d'améliorer cela. Mes amis n'avaient pas à en pâtir.

Lors de notre repas à midi, je pris la décision d'explorer un maximum les lieux. Je devais trouver un moyen de sortir d'ici, et de reprendre notre mission, coûte que coûte. Mais je le ferais seule, je passerais probablement plus inaperçue que mes amis. Me rappelant des capacités de Daever, je lui avais demandé pourquoi il ne s'éclipsait pas d'ici pour aller quérir des informations ou pour trouver une solution. En plus de la diminution de sa force liée à mon absorption de l'énergie, il m'avait répondu que depuis son arrivée en ce lieu, ses pouvoirs étaient presque éteints. Il n'avait aucun moyen de les utiliser. Presque comme si un bloqueur brouillait ses capacités. Décidemment quelque chose ne tournait pas rond. Entre cela, et l'absence de mon lien avec Byron, il fallait vite découvrir ce qui se tramait en ce lieu. Depuis notre arrivée, et ma rencontre avec Joseph, je sentais que quelque chose clochait, presque instinctivement, et il fallait que je sache de quoi il retournait. J'allais me lever, prétextant un besoin de me reposer, quand je vis la mère d'Amanda arriver vers nous. J'allais l'esquiver sans un mot mais Byron me retint. Son regard m'intima gentiment de rester. Après un grognement à son encontre, je décidais de rester. Mes compagnons me laissèrent seule.

Assise, j'attendis. Lorsqu'elle arriva à mon niveau, elle me demanda :

— Puis-je m'asseoir ?

Sans un regard pour elle, je fis un geste de la main pour lui indiquer de prendre place. J'étais en colère, mais j'avais tout de même un minimum de savoir vivre. Levant doucement la tête, je l'observais. Elle était grande, blonde et avait les yeux bleus. Elle semblait avoir une quarantaine d'années.

— J'aimerais vous parler de votre père.

— Si vous ne voulez pas que je me fâche, il ne vaudrait mieux pas.

J'étais étonnée du calme de ma voix, presque blasée.

— Je sais que vous êtes en colère, et vous avez toutes les raisons de l'être, mais j'aimerais que vous preniez le temps de l'écouter.

— Je ne vois pas pourquoi il le mériterait.

— Votre père vous aime, plus que tout. Vous n'imaginez pas à quel point votre arrivée ici à fait son bonheur, il vous croyait perdue à jamais.

— Vous... étiez au courant ?

— Bien sûr. Depuis notre rencontre, depuis son arrivée dans notre monde, votre père n'a eu de cesse de parler de vous et de Maeve.

Entendre le prénom de ma mère de sa bouche me crispa instantanément.

— Croyez-moi, votre père ne pensait pas à mal, il voulait attendre un peu avant de vous parler de... nous. Je ne vous demande pas de m'apprécier, mais je vous demande simplement de laisser une chance à Vincente.

Sans me laisser le temps de répondre, elle se leva et s'en alla. Je devais avouer qu'elle était gentille, même si ça me tuait de l'avouer. Après son départ, je ruminais de longues minutes ses paroles. Peut-être avait-elle raison. Peut-être m'étais-je énervée beaucoup trop vite ? Refuser d'aller obtenir ses explications reviendrait à faire l'enfant, et à lui donner raison. J'avais grandi, je n'étais plus cette personne. Je devais aller le voir.

Quelques minutes plus tard, j'allais frapper à son bureau, des soldats m'avaient indiqué qu'il s'y trouvait.

— Entrez, répondit-il.

Je pénétrais dans la pièce. Il ne leva pas les yeux directement occupé à écrire sur différents documents. Je me raclais la gorge. Son regard tomba doucement sur moi et je pus clairement lire la surprise dans son regard.

— Breena... souffla-t-il.

Il s'avança pour me prendre sans ses bras mais je reculais d'un pas. J'étais prête à l'écouter, certes, mais il me faudrait plus de temps pour lui pardonner. Ses bras retombèrent le long de son corps.

— Ta... femme est venue me voir.

Il écarquilla les yeux.

— J'attends tes explications. Et je te promets que si tu me mens à nouveau...

— Je vais tout te dire, me coupa-t-il.

Je le suivis jusqu'au canapé dans lequel nous nous étions retrouvés la première nuit.

— Par où commencer...

— Par le début, ça me semblerait pas mal.

Il inspira fortement, réfléchissant, et commença ses explications, je décidais de ne pas l'interrompre :

— Allia faisait partie de l'équipe de soins qui s'est occupée de moi pendant mon coma, lorsque je suis arrivé dans ce monde. Elle est la personne qui m'a aidé à me remettre, à remarcher correctement, à remanger. Elle s'est occupée de moi jour et nuit pendant de longs mois, le temps de ma convalescence. Elle a été la personne à qui je me suis confié sur ce qui m'était arrivé. Elle sait tout de ma vie sur Terre, de ta mère, de toi. Je ne lui ai jamais caché. Elle a été d'un grand soutien, et d'un grand réconfort dans mes moments de... faiblesse.

Il se gratta l'arrière de la nuque, perdu dans ses pensées. Je comprenais les liens que pouvaient créer ce type de situation. Il reprit :

— Elle a assisté à ma dépression, lorsque j'ai compris que je ne parviendrais jamais à vous retrouver, Maeve et toi. Et elle m'a aidé à surmonter cela. Il n'y avait jamais eu d'ambiguité entre nous, juste une profonde amitié.

Il souffla de nouveau, avant d'ancrer son regard dans le mien. J'y lu de la gêne lorsqu'il continua :

— Tu sais... Ce genre d'amitié, aussi intense, peut souvent prendre des proportions que l'on n'imaginait pas. Je ne l'ai pas vu venir, je t'assure, mais j'ai commencé à développer des sentiments pour Allia, après quelques années passées ici. J'aime toujours énormément ta mère, mais je suis aussi tombé amoureux d'elle. Et tu sais... Dix ans, c'est long. Et je ne voulais pas me laisser aller, je ne voulais pas passer le reste de ma vie seul. Je me savais condamné à rester ici, je savais que ce n'était pas ce que vous auriez voulu de moi. Allia est une femme incroyable, tu l'aimerais beaucoup.

— Tu te rends compte que tu essayes de me faire aimer la femme avec laquelle tu as trompé maman ? demandais-je, amère.

— Je sais que c'est ta vision des choses, mais qu'aurais-tu fait à ma place ? Je peux te promettre que j'ai essayé, j'ai lutté, pour revenir auprès de vous. Mais c'était impossible, je n'ai jamais réussi. J'ai dû abandonner. Il fallait que je me rende à l'évidence. Je devais me construire une nouvelle vie, sans jamais oublier ma précédente. Amanda est née de notre union il y a six ans. Je sais que je t'en demande beaucoup ma puce... Mais j'aimerais que tu essayes de les connaître, et de me comprendre. Tu les aimerais beaucoup, j'en suis persuadé. Et Amanda a toujours espéré pouvoir te rencontrer, toi sa grande sœur...

Après un long silence, durant lequel mon père cherchait une réponse dans mon regard, je me levais. Je ne savais quoi dire, et j'étais complètement perdue. Il me fallait réfléchir à toute cette situation. D'un côté je le comprenais, peut-être même aurais-je fait la même chose à sa place, mais cela s'avérait tout de même difficile à encaisser.

Je me dirigeais vers la porte, mon père m'interpella avant que je ne sorte :

— Breena, je t'en prie...

— Je vais y réfléchir, dis-je simplement sans lui lancer un regard avant de sortir de la pièce.

Plusieurs jours passèrent et m'avaient permis de réfléchir. J'avais décidé de leur laisser une chance. Je les voyais un peu chaque jour et je devais avouer qu'Allia était une femme bien, et qu'Amanda était une adorable petite fille. Mon père semblait heureux, et je commençais à comprendre ses raisons. Je n'allais pas vraiment lui pardonner, pas entièrement du moins, comment le pourrais-je seulement ? Le dialogue restait froid entre nous, mais nous nous parlions, c'était déjà quelque chose. Byron était heureux de mon changement de point de vue, et souhaitais me laisser un peu de temps pour apprendre à les connaître. Je ne serais probablement jamais très proche d'Allia et de sa fille, mais au moins notre entente était cordiale.

En dehors des moments où je les voyais, j'essayais d'explorer Arkaley à la rechercher d'explications, et d'une sortie. J'avais fini par comprendre une des choses qui me tracassait depuis mon arrivée en ce lieu. Je le sentais au fond de moi, ce peuple n'était pas un des peuples que je devais sauver, je le sentais. Jusqu'à présent, une intuition, presque viscérale, me prenait lorsque je rencontrais les peuples à sauver. Ce n'était pas le cas de celui-ci, et il devait y avoir une raison. Plus le temps passait et plus je me sentais mal à l'aise en ce lieu. Mes compagnons, bien qu'ils n'aiment pas être ici, ne comprenaient pas mon ressenti, et je ne leur en avais de toute façon pas donné la raison, pas tant que je n'aurais pas trouvé de réponses.

De temps à autre, je surprenais Joseph me surveiller, ou d'autres soldats me scruter étrangement. J'avais eu enfin des explications sur les différences que je pouvais percevoir entre les soldats et Axel. Ce dernier était une Sentinelle, considéré comme faisant donc parti de l'élite des combattants de cette communauté. Ils n'étaient pas nombreux et je ne croisais quasiment que lui, car ils se trouvaient apparemment en mission. Je comprenais maintenant pourquoi il pouvait avoir une plus haute influence sur les autres et pouvait leur donner des ordres.

J'avais également remarqué de nombreuses zones très bien gardées, et je sus qu'il fallait que je les explore. Quelque chose n'était pas net ici, et j'allais trouver quoi.

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