Chapitre 14

Sous le choc, je mis un moment à réagir. Je restais sans voix, analysant la scène sous mes yeux. Je ne souriais plus.

— Papa, qu'est-ce qu'il y a ? demanda la petite fille.

Une autre lame plantée dans mon cœur.

— Amanda, tu peux aller dire à ta mère que j'arrive bientôt, s'il te plaît ? dit-il gentiment à l'enfant en la décrochant de ses jambes.

Elle le regarda, avant de m'observer, curieusement.

Elle lui ressemblait, c'était indéniable. Les cheveux bruns comme mon père et les mêmes traits du visage. Elle était en revanche très blanche de peau, et avait les yeux bleus. Elle s'était probablement rendue compte de ma propre ressemblance avec elle, avec mon père. Son père. Notre père.

— Amanda, fais ce que je te demande s'il te plaît, insista-t-il.

Après un autre instant d'hésitation, un dernier regard vers moi, et elle s'en alla, joyeusement.

Vincente concentra de nouveau son attention vers moi. Il fit un pas dans ma direction, j'en fis un pour m'éloigner. Mes compagnons, autour de moi, ne dirent pas un mot. Je vis du coin de l'œil Byron les congédier. Je n'avais pas besoin de plus de spectateurs et il le savait très bien. Lui resta en revanche, mon perpétuel soutien.

— Breena, je peux...

— Non. Tais-toi, le coupais-je sèchement.

— Parlons-en, s'il te plaît.

— Parler de quoi ?! De ta traitrise ?!

Il dû sentir ma colère monter car il me demanda, après un regard lancé aux soldats dans la pièce :

— Parlons-en ailleurs tu veux bien ?

Il ne voulait pas faire de scène devant eux. D'un côté je le comprenais, il ne fallait pas qu'il perde la face devant eux, qu'il se fasse rabrouer par sa fille, il avait une image à maintenir. Mais d'un autre côté je n'avais pas envie de lui faire cette faveur. Rongée par la colère de cette découverte, je n'avais finalement même pas envie de lui parler, c'était probablement la plus sage décision. J'essayais probablement de protéger mon père, malgré tout.

— Pas la peine, je me casse.

Sans attendre de réponse de sa part, je partis précipitamment du centre.

— Breena attend ! me héla-t-il en se lançant à ma poursuite.

Décidant de continuer à l'ignorer, je continuais ma route, accompagnée de Byron qui restait toujours silencieux.

— Breena !

Cette fois il courait, je l'entendais à ses pas boitillant. Il arriva à ma hauteur et se positionna face à moi, m'empêchant d'avancer.

— Il faut qu'on parle !

— Je n'ai rien à te dire, laisse-moi passer.

— Breena, ne fais pas l'enfant !

Mes poings se serrèrent instantanément, ma mâchoire se crispa avant que je ne réponde :

— Faire l'enfant ? Tu veux dire comme la gamine qui vient de venir te chercher ? La gamine que tu as eue avec une autre femme pendant que maman et moi passions notre temps à pleurer ta perte ? Pendant qu'on peinait à se relever et à reprendre le cours de nos vies en gérant ton absence ?

Ma voix était étonnamment calme, contrastant avec mon état intérieur. Cela me surprit. Je le vis déglutir péniblement, absorbant mes paroles.

Un simple regard autour de moi me prouva que notre scène avait attiré les regards, mais c'était trop tard, j'étais lancée. Non loin, j'aperçu mes compagnons, qui nous attendaient. Cela alerta également plusieurs habitants d'Arkaley qui s'étaient arrêtés pour observer. Sans plus me soucier de son image, je repris :

— Tu oses me dire que je fais l'enfant en refusant tes explications ?!

— Breena, allons en discuter ailleurs, s'il te plaît, dit-il doucement.

Byron se positionna à mes côtés, bras croisés. Il ne m'empêchait pas de parler, de faire d'esclandre, c'était une première, qui m'étonna grandement.

— Pourquoi, papa ? demandais-je en appuyant volontairement sur ce dernier mot pour que tout le monde l'entende. Tu as peur que tout le monde sache ce qu'il se passe ? Tu as peur que tout le monde apprenne qui tu es et ce que tu as fait ? Pour ce que j'en sais tu m'as peut-être sorti tout un baratin !

— Non, ce n'est pas vrai !

— Alors vas-y explique moi ! Parce que le fait est là ! Tu es avec une autre femme, tu as une autre enfant avec elle !

Mes yeux se portèrent directement sur les objets de mon éclat tandis que je les désignais. Non loin, venant d'arriver, se tenaient une femme, avec la petite fille agrippée à ses jambes. Mes éclats attirèrent de plus en plus de monde, Axel se rapprocha également. Mes amis vinrent un peu plus près, m'offrant leur soutien et leur protection.

Bien que je lui ai demandé des explications, je ne le laissais pas parler, trop en colère pour cela, alors je continuais, il fallait que mes mots sortent :

— Dix ans ! Ça fait dix ans que je te pleure ! Que maman te pleure ! Sais-tu ce que ça nous a fait ? Ça nous a anéanties ! Quand tes officiers supérieurs sont venus à notre porte, la mine grave, j'ai cru mourir. Je me suis effondrée, le cœur brisé. Je t'ai pourtant expliqué à quel point cela a été dur pour nous hier ! Quand on a enterré un cercueil vide, j'ai perdu une partie de moi ce jour-là, et j'ai laissé cette partie dans la tombe, avec toi. Ça fait dix ans que j'apprends à vivre sans toi, mais que je n'y arrive pas. J'ai beau me voiler la face, et faire semblant que tout va bien, je n'ai jamais pu surmonter ta perte ! Et toi pendant ce temps tu prenais du bon temps dans les bras d'une autre ! Toute cette histoire de guerre, ce n'était qu'un mensonge ?! Pour ce que j'en sais tu ne comptais probablement pas me le dire !

Il lança un regard alarmé autour de lui.

— Bien sûr que je comptais t'en parler... souffla-t-il.

— Quand ? Entre deux galipettes avec ta nouvelle merveilleuse femme ? Entre deux câlins avec ta très chère petite fille ?! dis-je hargneuse.

Son visage se crispa à l'instant où j'attaquais sa nouvelle famille.

— Je ne te permets pas de parler d'elles de cette façon !

— Ce qui est bien, Vincente, dis-je en appuyant sur son prénom, c'est que je n'en ai rien à foutre, parce que tu as perdu le droit de me donner des ordres à l'instant où tu as disparu de notre monde pour aller te fonder une nouvelle famille ici ! A l'instant où tu as cessé ton rôle de père auprès de moi pour aller le faire avec une autre.

Le choc imprégna ses traits, tandis que Byron se crispait à mes côtés, je ne savais pour quelle raison.

Je m'avançais d'un pas vers lui, avant de lui dire, la voix calme et déterminée :

— Je ne veux plus jamais te voir.

Sans un autre mot, je le dépassais pour quitter les lieux. Du coin de l'œil je remarquais la présence de Joseph, bras croisés, appuyé contre un mur, admirant le spectacle. Il avait dû être alerté par mes éclats de voix. Mon regard s'arrêta sur lui. J'eus du mal à déchiffrer son expression. Puis un sourire vint fleurir sur ses lèvres lorsqu'il comprit que je l'avais vu. Il semblait... Satisfait. Mais de quoi ?! De cette dispute ? De m'avoir mise en colère ? Puis je marquais un temps d'arrêt. Je compris la réaction de Byron plus tôt. J'avais malencontreusement admis devant toutes les personnes présentes que je ne venais pas d'ici, de ce monde. Etait-ce pour cela que Joseph était satisfait ? Toujours en colère, j'avançais jusqu'à me planter à deux pas de lui. Mes compagnons n'ayant pas pu m'arrêter, me rejoignirent. Agressive, je plantais mon regard dans le sien, et je le vis stopper les soldats venant à notre rencontre. Son sourire ne le quittait pas, et cela m'énerva d'autant plus :

— Allez-vous faire foutre, dis-je simplement, ce qui le fit ricaner.

Je me retins de lui sauter dessus. Me retournant je m'adressais à toutes les personnes présentes, et ancrant mon regard à celui de Vincente, puis de sa nouvelle famille, en élevant la voix :

— Allez tous bien vous faire foutre ! Tous autant que vous êtes !

Sans attendre, je me précipitais hors de cet endroit, poings serrés.

Je ne savais même pas où me guidaient mes pas, mais je continuais. Quand je fus assez loin, je me permis de ralentir. M'appuyant contre un mur, mains posées sur les genoux, je me forçais à souffler. Ma colère refluait, et ma peine pris le dessus. Des larmes, que je ne pus plus retenir, se mirent à couler sur mes joues. J'entendis des pas se rapprocher, et je sus sans même regarder qui cela pouvait être.

— Breena... souffla-t-il.

Je ne lui lançais même pas un regard. Restant silencieuse, je laissais les larmes couler sur mon visage, ma respiration s'accéléra. Trop d'émotions. C'était trop d'émotions en trop peu de temps.

— Regarde-moi, dit-il simplement.

Je secouais la tête. Ma respiration ne se calmait pas, et se faisait difficile. Je n'allais quand même pas faire une crise d'angoisse maintenant ? Pas pour ça ? Pas devant lui ?

— Va-t'en, laisse-moi.

— Tu sais très bien que je ne partirais pas. Regarde-moi, maintenant.

Ne lui obéissant toujours pas, il vint se planter face à moi. De ses doigts, qu'il positionna sur mon menton, il me força doucement à relever la tête vers lui. Mes yeux trouvèrent les siens. J'y lu de la peine, de la tendresse et une certaine colère. Mais je sentais qu'elle ne m'était pas destinée.

— Respire, tout va bien.

— Non, tout ne va pas bien !

Ma colère repris le dessus et accéléra la cadence de mon cœur.

— Byron, je... commençais-je, posant ma main sur ma poitrine.

Il comprit mon état et mon inquiétude et prit les choses en main. L'un de ses bras passa dans mon dos pour venir me coller à lui, tête sur sa poitrine, sa seconde main se posa sur ma nuque. Je n'avais pas résisté une seconde.

— Concentre-toi sur moi, sur ma voix. Calle ta respiration sur la mienne. Souffle doucement. Je suis là.

Et sans chercher plus loin, j'essayais de suivre ses conseils.

— Voilà, c'est bien, continue comme ça, me dit-il doucement.

Lentement, ma respiration revint à la normale, et je me pris à apprécier d'entendre les battements de son cœur. Sa main se posa sur ma tête, et il me caressa doucement les cheveux. Mes yeux se fermèrent. Son contact me fit du bien. Il savait toujours comment m'aider, et était toujours présent pour moi. Ses bras m'étaient plus protecteurs que n'importe lesquels.

— Merci, soufflais-je simplement.

Il s'écarta légèrement de moi. Observant mon visage, il plaça sa main sur ma joue, et en essuya les larmes de son pouce. Je me surpris à fermer les yeux, lovant ma tête contre la paume de sa main. C'était si agréable. Ma colère, et mon chagrin se dissipèrent, grâce à lui. Comme toujours. Ouvrant de nouveau les yeux, je l'observais calmement. Il en fit de même et le temps resta suspendu entre nous.

— Je ne te forcerais pas à me parler, mais tu sais que si tu en as besoin, je suis là, me dit-il.

Un sourire aux lèvres, j'hochais la tête. Je le savais. Mais ne le ferais probablement jamais. J'étais comme ça, je gardais les choses pour moi.

Il bougea la main qui était dans mon dos pour la positionner sur mon flanc. Je grimaçais sans le vouloir. Maintenant que mes autres émotions étaient passées, mes douleurs se faisaient ressentir. Il n'en manqua évidemment pas une miette.

— Je t'emmène voir Victor, dit-il.

Sans argumenter plus, parce que je savais que je n'aurais pas gain de cause et parce que je le lui avais promis plus tôt, j'acquiesçais. Ainsi, prenant ma main comme s'il avait peur que je fuis, il me dirigea vers le centre de soin, que je n'étais pourtant pas pressée de retrouver.

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